mardi 29 septembre 2009

Au galop de son cheval, la Beauregard

La belle en selle
Il est vrai que j'avais donné au cheval ainsi qu'à sa cavalière d'autres couleurs, mais, en numérisant l'ensemble, en passant d'un fichier photoshop à un fichier JPEG, tout a viré ! Tant pis, cela ajoute un aspect quelque peu irréel à cette vision de la marquise de Beauregard, dont on connaît la passion pour les montures à crinière. Mais, sur ce sujet également, j'ai appris bien des choses, qui vous étonneront, je vous le garantis. Si vous interrogez les paysans, les bourgeois, les édiles de sa région, tous vous diront qu'elle est certes pieuse et qu'elle ne manque pas de générosité envers les pauvres de sa paroisse. Mais ils ajouteront qu'elle est distante, rigide, froide : «Un glaçon au pays des cigales» murmure-t-on ici et là. Sa seule passion connue demeure le cheval. Elle est tout le jour dans la campagne, on l'aperçoit sur un chemin poudreux, sur une crête, entrant dans un bosquet, sortant d'une forêt de pins. Mais vous saurez prochainement pour quelle raison précise la Beauregard (voir La marquise est de retour !) passe, sans se lasser, de longues heures sur sa monture. Ah, la belle aux yeux de braise est une fameuse cavalière ! Elle saute les haies, elle franchit les rivières, elle va au pas, au trot, au galop, elle aime toutes les allures, et semble faire corps avec le dos de son animal. Et quand elle abandonne sa selle, qu'elle quitte ses étriers, on voit sur son visage en sueur la trace d'une intense satisfaction…


La marquise est de retour !


















À quels seins se vouer ? ou La Beauregard s'égare…
On se souvient que la marquise de Beauregard avait fait à Paul de Lorgnecul une confidence très osée, relative à son anatomie
. En effet, elle avait, à propos de ses seins, évoqué les canons de Navarone (voir le fil de
Ferveur) ! Vous savez dans quel état de pruderie cette jeune femme est tombée aujourd'hui, et vous n'ignorez point qu'elle soutient avec énergie le parti des dévots. On dit qu'elle a fait le siège du maire de sa commune, jusqu'à ce que ce dernier, de guerre lasse et sous la menace de perdre la contribution annuelle que lui accorde la marquise, par ailleurs très fortunée, obtienne de son conseil municipal qu'il vote un édit interdisant aux hommes de saluer les femmes, et contraignant les femmes à baisser les yeux quand elles croisent un inconnu ! Elle a prétendu l'autre jour que le simple geste d'un monsieur soulevant son chapeau constituait une atteinte aux bonnes mœurs ! Elle aurait recommandé à la propriétaire de la boutique de lingerie de ne plus offrir à sa clientèle que les chemises de nuit du modèle nommé «furtif». Pour homme et pour femme, elles couvrent le corps du menton jusqu'aux pieds, présentant une ouverture sur le devant, masquée par une pièce de tissus amovible, à l'endroit que vous imaginez
Eh bien, mon ami, il n'en fut pas toujours ainsi ! Figurez-vous que j'ai appris de
s choses sur le compte de ma cousine, des choses admirables à la vérité, et qui me réjouissent fort ! Des choses comme celle-ci, par exemple : alors qu'elle vivait encore à Paris, dans le luxueux hôtel particulier que son mari possédait dans le faubourg Saint-Germain, elle demanda à un sculpteur de ses connaissances, dont on assure qu'il lui était très… cher, de prendre sa superbe poitrine pour modèle d'une œuvre que la ville de Paris lui avait commandée. Ce qu'il fit. Eh bien, cette sculpture, je l'ai retrouvée ! Mais je vous en dirai plus demain. Je sais des secrets, et je veux les partager ! Pour l'heure, je vous laisse admirer ce qui constitue, vous en conviendrez, un objet de délire plus que de délit…

Corps sans garde











«Les Onze Mille Verges
est l'un des grands romans… politiques du vingtième siècle ! Dans
ce Gil Blas moderne, les pérégrinations du prince Vibescu et de son valet Cornaboeux, de Paris à Port-Arthur (en Chine, comme son nom ne l’indique pas), sont prétexte à exposer en détail quelques questions essentielles de l’avant-guerre : la faiblesse de l'empire russe, la supériorité du Japon, les désordres français, la duplicité de l'âme allemande et le fanatisme meurtrier des Serbes. Ainsi, on y voit le roi de Serbie et sa femme assassinés à Belgrade, après la conjuration de Bucarest, et la guerre éclater entre le Japon et la Russie. Il faudrait des pages pour analyser comme elles le méritent les allusions militaires et diplomatiques du roman.
Absurdité, Mystification ? Les Onze Mille Verges ne sont qu'affabulations grivoises, fatras de grossièretés et délires bouffons. Oui. Justement ! C'est aussi un livre pornographique, sa grandeur et sa justesse tiennent à ce mixte.»
Il bruit de toutes les folies du monde d'avant 14, de l'indécence des puissants aussi bien que de la jouissance des corps. Quelle obscénité s'accorde mieux à l'obscénité de toutes les perversions sexuelles qui scandent l’ouvrage, que celle de la politique et des affaires ?
Apollinaire veut à toute force savoir ce qu'il y a à l'intérieur, dans les têtes et dans les ventres. Il ne recule devant aucune expérience. Que ces aventures innommables
aient pour théâtre l'Europe ou l'Asie, la garçonnière d'un sénateur, des chancelleries, l'Orient-Express, des champs de bataille et le carnaval de Nice, rien de plus logique. Au délire de l'histoire, les personnages ajoutent le délire des sens, qui est la matrice de l'autre. D’ailleurs, l’histoire en elle-même est absurde : «Je mets ma fortune et mon amour à vos pieds. Si je vous tenais dans un lit, vingt fois de suite, je vous prouverais ma passion. Que les onze mille vierges ou même onze mille verges me châtient si je mens !». Funeste promesse ! Pour s'être imprudemment vanté auprès de Culculine d'Ancône, jeune Parisienne aux charmes bondissants, Mony Vibescu succombera sous les coups des 11 000 Japonais vainqueurs à Port-Arthur. Mais avant le châtiment suprême, le noble roumain «au vit fumant» (on reste pantois devant la richesse du vocabulaire apollinarien en la matière), assouvira toutes ses passions, sans freins ni interdits, en compagnie du vil Cornaboeux, un colosse à l'engin énorme. Merde, sang et foutre : ce cocktail détonant scande les parties fines du duo, que même les trépidations de l'Orient-Express ne sauront endiguer, puisque les tribulations sexuelles du pseudo-prince le mèneront de Paris en Mandchourie, en passant par Bucarest et Moscou dans un récit hallucinant.
Apollinaire ne se refuse rien. Avec une volonté évidente d’éclectisme (!), il explore toutes les facettes de la sexualité : sado, maso, macho, scato, à quoi s'ajoute la lubricité, la perversité, le meurtre, l’inceste... Pas un plaisir des sens, pas une déviance ne manque à
l'appel dans ces Amours d'un hospodar (le sous-titre de son roman). On s’emboîte dans tous les sens, pourvu que le plaisir dure. Dans un subtil crescendo, l'ignominie et la barbarie s'installent. De quoi, a priori, soulever le coeur des moins prudes, et heurter le lecteur délicat. Et pourtant, par la grâce d’une écriture alerte, une prose énergique et claquante comme un coup de fouet, un humour noir omniprésent, une cadence effrénée, sa bouffonnerie même, ce roman dégage une impression de joie infernale. C'est rabelaisien, donc truculent, énorme et gaulois. On a surtout le bonheur d’y retrouver le vocabulaire et le rythme des poèmes de Guillaume A. Contrairement à Sade, plus théoricien et subversif (à mon avis), Apollinaire, dont la logique est essentiellement esthétique, est un provocateur. Libre, moderne et généreux. Somme toute, le vrai prince, c’est lui.

Post scriptum : Promu aujourd'hui grand classique de la littérature érotique du XXe siècle, le roman n'a cessé d’inspirer les meilleurs. Georges Brassens y fait joliment référence dans Chansonnette à celle qui est restée pucelle :
Mais si tu succombes
Sache surtout qu’on peut
Etre passée par

Onze mille verges
Et demeurer vierge
Paradoxe à part

Tout comme Gainsbourg, apollinarien de toujours, dans Le Rocking-Chair, offert à Jane Birkin :
Apollinaire
En a aussi des sévères
Et des pas mûres dans ses vers
Dans ses vers
Onze mille verges me sens à bout de nerfs
Agitée

Post scriptum bis : Et puis juste pour le plaisir, parce que sa nostalgie pénétrante est la plus désespérée et la plus mélodieuse, relire Apollinaire à voix haute, en se laissant bercer par sa musique :
Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
(La Chanson du mal aimé, extrait)


Nadia Moscovici

Sur le site suivant, on peut voir des «images qui bougent» de Guillaume, et l'on entend sa voix !
file:///Users/patricksenior/Desktop/Guillaume%20Apollinaire%20site%20officiel-%20Page%20d'Accueil.webloc

On entendra, seul(e) ou accompagné(e) le texte intégral du récit Les 11000 Verges Ou Les Amours d'un Hospodar, de Guillaume Apollinaire,
lu Par Michel Helgass
3 Cd Audio ; 3h05 ;
Édité par Livrior,
19 Euros sur le site Chapitre.com

Faites la moue



















Décembre 1967
:
Le général de Gaulle regardant s'éloigner Brigitte Bardot, qui était venue lui rendre visite, habillée d'un manteau «officier sexy» à brandebourgs, et chaussée de cuissardes : «Cette jeune femme a une simplicité de bon aloi !»


Septembre 2009 :
- «Brigitte bardot, qu'est ce que ça fait d'avoir soixante-quinze ans ?»
- «Mmm, ça fait chier !»

Alors, pour oublier que le temps passe et qu'il est loin de m'être favorable, cet extrait du Mépris, de Jean-Luc Godard.
Camille, c'est Bardot, Paul, Michel Piccoli :
- Camille «Donc tu m'aimes totalement ?
- Paul «Je t'ai
me totalement, tendrement, tragiquement.»
Pour entendre et voir leur merveilleux échange cliquer sur
scène culte n°46 Le mépris

Exposition Brigitte Bardot les années «insouciance», à Boulogne-Billancourt
La ville présente, du 29 septembre au 31 janvier au musée des Années 30, une exposition événement dédiée à Brigitte Bardot. L’actrice emblématique, qui a tourné plusieurs films à Boulogne-Billancourt, a marqué les arts et plus largement la société des années 50-60.

Brigitte Bardot, les années « insouciance», commissaire de l'exposition : Henry-Jean Servat
Du 29 septembre au 31 janvier.
Du mardi au dimanche de 11 h à 18 h. MA 30 (musée des Années 30).
Espace Landowski - 28, avenue André-Morizet.
Tarif : 11 €. Tarif réduit pour les Boulonnais : 8 €.
Réservation sur ww
w.expobrigittebardot.com, www.fnac.com, www.akouna.com et sur place.





DVD Le Mép
ris, entre 3,96 Euros et 6,29 Euros, sur le site Amazone
Avec Brigitte Bardot, Jack Palance, Fritz Lang, Michel Piccoli, Giorgia Moll

Musique Georges Delerue
Produit par Georges de Beauregard, Carlo Ponti, Joseph E. Levine (non crédité)
Scénario de Jean-Luc Godard, d'après le roman d'Alberto Moravia, réalisé par Jena-Luc Godard
Chef-opérateur : Raoul Coutard
S
cripte : Suzanne Schiffman (ces deux derniers ont accompagné le cinéma français et l'ont admirablement servi)

.

samedi 26 septembre 2009

Dans l'ordre du désir

Vos désirs sont des ordres. En supplément à l'interprétation en allemand de la Dietrich, celle d'une dame étrange, que j'ai connue, Suzy Solidor. Elle chante Lili Marleen en français, et une chanson que lui emprunta Piaf, Escale. C'est magnifique ! 
Écoutez, sinon, «à quoi ça sert que Mandon, il se décarcasse pour vous» ?





vendredi 25 septembre 2009

Effroi et magie d'Allemagne















En guise de transition, et pour ne pas rompre brutalement avec l'atmosphère, certes rude, mais également expressionniste, qui se dégageait du bel article de Nadia (Vertige national), voici deux illustrations allemandes.
La première est extraite du film
M. le maudit, de Fritz Lang. Nous sommes près de la fin. Les voyous ont kidnappé l'assassin d'enfant, qui terrorise la ville. Ils lui font un procès, dans une parodie de justice. L'homme (joué admirablement par Peter Lorre) exprime le cycle infernal de ses obsessions, cet éternel retour du même désir qui le conduit au crime. La scène où il s'effondre, après avoir décrit sa violence compulsive, le poids des images qui le hantent, est presque insupportable. Fritz Lang a parfaitement saisi l'Allemagne de l'entre-deux guerres, pays hagard, pays dérivant, interrogeant le réel et jouant avec lui au moyen de sa langue violente, tranchante, effilée, dure comme l'acier du couteau de M.
Les voyous, dérangés dans leurs affaires par l'effervescence policière que provoquent les crimes, se substituent aux enquêteurs et aux juges. Ils actionnent un vaste réseau de rue, et parviennent ainsi à mettre la main sur «le maudit». Un peu plus tard, en Allemagne, les voyous feront régner leur ordre et leur justice…




La seconde illustration n'est autre que la fameuse chanson, ici interprétée par Marlène Dietrich, Lili Marleen. Il n'est pas inutile de rappeler que Marlène, antinazie convaincue, se déclara sans tarder hostile au régime, et refusa avec mépris les offres que lui fit le Dr Goebbels. Considérée, longtemps après la guerre, comme traître à la patrie par nombre de ses compatriotes, elle vécut et mourut (en 1992) à Paris, dans un appartement qui n'avait rien de somptueux.
Ces images proviennent d'un dvd, devenu rare, An evening with Marlene Dietrich, spectacle enregistré par la télévision anglaise. Marlène apparaît ici dans l'un de ses derniers récitals. Elle est habillé par Jean Louis, le plus prestigieux des couturiers de la galaxie hollywoodienne. Son manteau de zibeline, qui l'enveloppe, tel un serpent amoureux, et lui fait une traîne de volupté, est une pure merveille ! Agée de soixante-dix, elle chante dans une robe fourreau qu'on a fini de coudre sur elle, plus star que jamais, manifestant une totale maîtrise, dominant la salle, séductrice, irréelle, définitivement sophistiquée : c'est Dietrich ultime. Après cela, elle glissera lentement vers la vieillesse et la mort.



Illustrations : en haut, Peter Lorre découvre sa marque d'infamie, le M du maudit. Ci-dessous, le dvd du film M le maudit, de Fritz Lang se vend 3, 49 Euros, sur le site www.2xmoinscher.com.
Le dvd An Evening With Marlene Dietrich, récital enregistré pour la télévision anglaise en 1972. est proposé à 12, 99 Euros par le site Play.com

lundi 21 septembre 2009

Vertige national
















«Ce que nous voulions, nous ne le savions pas, et ce que nous savions, nous ne le voulions pas

1919. Dans les décombres encore fumants d’une Allemagne chaotique et affamée, les troupes allemandes revenant du front découvrent avec effroi un pays en ruines
, ga
ngrené de révolutionnaires avides de prendre leur revanche sur un régime qui les a si longtemps traqués. Hagards et désoeuvrés, les soldats n’arrivent pas à savoir qui croire et quel camp choisir. A ceux qui ont lutté et enduré jusqu’aux pires extrémités possibles les souffrances humaines, la jeune République de Weimar ne propose qu’un avenir petit-bourgeois, entérinant la défaite dans l’humiliation et les abdications successives. Certains n’hésitent pas longtemps, et se regroupent en troupes de choc destinées à ramener l’ordre dans le pays, fussent par les moyens les plus radicaux : les Corps francs (ou Freikorps) sont nés. Une poignée de volontaires qui refusent d’arrêter le combat, résolus à tout pour maintenir un Reich chancelant et des frontières menacées. Ce sont les réprouvés. Ernst von Salomon est l’un d’eux. Né en 1902, cadet formé à la rude éducation prussienne, il a vécu l’Histoire et ne comprend pas la manière dont elle est désormais écrite. Avec ses camarades, ils sont emblématiques de ces jeunes Allemands qui n’acceptent ni l’humiliation de la défaite, ni la République.

Après avoir écrasé l’insurrection spartakiste, assassiné Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, ils s’illustrent dans une geste digne de leurs ancêtres les reîtres du Moyen Âge, avec comme scène de théâtre la côte baltique. La révolution d’Octobre et le reflux des troupes allemandes ont fait émerger de nouveaux pays fragiles, dont la Lettonie qui n’a plus de secret pour les lecteurs de ce blog
(L'européenne délaissée). Ils ne peuvent compter que sur l’appui principalement diplomatique et plus rarement militaire des Alliés, dont le souhait est de créer un glacis entre eux et la Russie bolchevique. Les Corps francs doivent repousser l’invasion rouge tout en évitant aux Alliés une intervention directe avec des troupes renâclant à continuer une lutte qui ne les concernent plus. Ernst von Salomon participe donc à la triste épopée du Baltikum, cette tentative de rassembler sous l’autorité allemande les territoires baltes autrefois occupés par les chevaliers teutoniques. Il nous dresse un portrait glaçant de ces guerriers affluant d’une Allemagne exsangue, dégorgeant son trop-plein de violence à ses frontières.

Très noir, profondément mortifère, j’ai rarement lu un livre si désespéré et si violent, baignant dans une atmosphère de fin du monde. Mais, quand on a dépassé son affreuse substance, son survol des pires crimes de son camp pour mieux souligner ceux du camp d’en face, et le fait qu’il reste le texte culte d'une extrême droite encore plus affreuse, il est ce qu’on a écrit de plus vif et de plus saisissant sur l’atmosphère de chaos et de nihilisme dans laquelle baigne la République de Weimar, dès ses première
s années. Un récit presque monstrueusement envoûtant, une forme d’esthétique de la violence.. Dilemme, cas de conscience : que faire quand on apprécie la plume féroce d’un auteur mais qu’on abhorre ses idées et qu’on déteste ses convictions ? A l'image de Céline, évoqué ici : L'hypocondriaque de Meudon 1, L'hypocondriaque de Meudon 2 , c’est l’éternelle histoire du salaud qui écrivait comme un Dieu.
Des Réprouvés se dégage une tragique vision de fin du monde, annonciatrice des catastrophes du siècle : la fascination pour la violence, la haine de la démocratie, le culte des héros charismatiques, l’affaiblissement des instincts de conservation et de transcendance, la pulsion de mort, la volonté de puissance. Von Salomon est un aventurier, l’homme de toutes les fuites en avant, l’emblème d’une génération perdue dans le chaos de l’Histoire. Ses réprouvés se sentent habités par une mission : achever l’effondrement d’une société corrompue dans tous les sens du terme. On perçoit bien dans cette épopée romantique des plus noires les germes d’une fascination pour la violence et d’un culte de la mort qui seront le terreau du nazisme. Une jeunesse nihiliste s’y est vautrée et a fait le lit de la pire idéologie qui soit.

Après avoir passé cinq ans en prison pour sa complicité dans l’assassinat de Walter Rathenau, politicien social-démocrate abattu en 1922 par des membres de groupes nationalistes, von Salomon publie Les Réprouvés. Ce militant nationaliste avait le profil parfait pour rejoindre le camp hitlérien, comme le firent nombre de ses compagnons. Curieusement, il est resté à l’écart, critiquant l’inculture et la démagogie des dirigeants nationaux-socialistes. Il ne s’est jamais reven
diqué antisémite, et sa compagne était juive.
Je lui laisse la parole pour conclure. En parlant d’Hitler :
«Vous ne pouvez pas avoir idée, il ne savait rien de Hegel, il ne savait rien de rien, rien. La race ça
n’existe pas. Sa race à lui ? Mais regardez-le ! Où est la race ? Où est la figure germanique ? Hess ! Goering ! Où ? Où ? Dans les Waffen SS ! Ah oui, Himmler ?... Les allemands sont devenus fous, fous. Et après, quand les américains sont arrivés, ils sont encore devenus fous.». (Voir également article Effroi et magie d'Allemagne)
Nadia Moscovici

Photographie : Ernst von Salomon (1902-1972), photo DR
Ernst von Salomon,
Les Réprouvés, éditions Bartillat
ISBN : 2-84100-408-9
Parution : 2007
Prix : 22 €
426 pages
Traduit par Andhrée Vaillant et Jean Kuckenburg, préface de
Michel Tournier

dimanche 20 septembre 2009

Perdre le Nord





















Le jeune Dylan, Robert, est maigre comme un clou. Il chante d'une voix de nez, avec un accent du Minnesota corrigé par Greenwich Village. Il s'accompagne à la guitare, dont il fait rouler les accords sous ses doigts, et porte un curieux appareil qui tient son harmonica devant ses lèvres.
Au collège, la discipline est rude. Nous nous levons tôt, nous nous couchons tôt. Un groupuscule, «trois compères sous un révèrebère», tente de sortir du néant de l'adolescence. Pour cela, les insurgés silencieux font circuler des photographies lestes, des dessins cochons, et lisent des lettres d'amour dans les toilettes. Leur vie commence mal. Ils sont navrants, ils ne s'amélioreront pas. Ils introduisent en fraude des disques d'importation, qu'ils font jouer sur un appareil Teppaz, dissimulé dans le local des scouts. D'ailleurs, peu de temps après, Hugues Auffray, l'idole des feux de camp, donnera une superbe adaptation de The girl from the north country far. Et voilà comment trois petits bourgeois français, plus arrogants que la moyenne, s'imaginent qu'au bout de la route du Nord, une fille attend l'un d'eux…
The freewheelin's Bob Dylan est le deuxième disque du rénovateur de la folk music. Bobby encombrera la scène internationale avec le style «engagé» ou «concerné», et suscitera d'assommantes vocations. Mais il y avait cette voix dissonante, adorablement insupportable aux oreilles de nos ennemis. Voici sa version originale, puis en duo, avec un homme très honorable nommé Johnny Cash.









samedi 19 septembre 2009

«Séducswing»

À la demande générale, et en attendant une plus longue présentation de Franck «The Voice» Sinatra, voici un mélange de chansons, par Francky et l'incomparable Dean Martin. L'un et l'autre avaient leur propre show, avec grand orchestre. Si nous n'étions pas si éloignés les uns des autres, j'organiserais des soirées show business. Sur un grand écran en couleurs, vous recevriez l'éblouissement de la musique populaire américaine, celle qui croone et qui swingue ! Il faut avoir une puissante personnalité pour imposer sa voix devant l'orchestre de Count Basie…



En supplément de ces deux lascars surdoués, un duo de pianistes, deux aristos du clavier : Count Basie himself, et Oscar Peterson. Voyez et écoutez ces deux gentlemen !


Et puis, «The Lady» herself, la Dame du blues, leur mère à toutes : Billie Holyday, encore une fois accompagnée par «The Count» Basie


Alors, heureux(ses) ?

vendredi 18 septembre 2009

Lady D. and other


















Elle est à Paris pour quelques jours, où elle donne trois concerts à l'Olympia
(15, 16 et 17 septembre). On lit dans la presse, ici et là, des articles à tonalité boudeuse : elle n'est plus la même, elle a perdu de sa prestance, elle parle trop, elle qui restait de glace…
Alors, une fois pour toutes, Diana Krall est unique, son «toucher» de piano n'a pas d'égal aujourd'hui dans son genre. Aux y
eux (et aux oreilles) de ceux qui demeurent sensibles à sa qualité de voix, que seuls possèdent les grands crooners, la princesse Diana est entrée au Panthéon, et n'en sortira plus : qu'on se le dise ! Elle pourra même y demeurer avec son mari, Elvis Costello.
Alors, certes, les mêmes adorateurs de Lady Diana ne sauraient demeurer insensibles au charme très acidulé, et à l'authentique groone (entre groove et croone) de Melody Gardot. Mais jamais au grand jamais, ils ne penseront que celle-ci pousse celle-là vers la sortie !




Ci-dessus : Diana Krall chante Fly me to the moon
Ci-dessous : Melody Gardot


Portrait en creux



















Ne rentrons pas dans le détail de la vie mouvementée du baron de Besenval (1721-1791), cela ferait leçon d'Histoire, et l'on s'ennuie à cette seule perspective. Rappelons simplement qu'il connut fort bien et servit sincèrement deux cours de France : sous Louis XV et sous Louis XVI. On ne s'étonnera pas de savoir que Charles-Joseph de Ligne fut de ses amis : comme le prince, le baron était séduisant, bien né, soldat, cultivé, fin lecteur, et il aimait beaucoup la conversation ainsi que la compagnie des femmes. Il se crut, un instant, assez proche de Marie-Antoinette pour espérer… Il se trompait. On dit qu'elle se chargea elle-même, non sans cruauté, de le lui faire savoir. Quoi qu'il en soit, il incarne parfaitement l'esprit de son siècle, avec une acuité de vue qui lui fit observer, bien avant qu'elles n'apparaissent aux yeux de tous, les premières heures du crépuscule…
Il a laissé des Mémoires pleines de vivacité, d'observation, de rebondissements, et peuplées des créatures de son temps. On y observe le ballet des caractères, leurs stratégies mises en œuvre afin d'obtenir des postes ou des privilèges, on y voit l'incessant mouvement que produisent les favoris, les habiles, les importuns, les intrigants, les coquettes et les rouées. Et l'on y comprend que deux mondes, le peuple et l'aristocratie, vivaient sur un même territoire, mais en s'évitant le plus possible, nourrissant l'un pour l'autre des sentiments élémentaires : la peur, l'envie, la méfiance. Ils seront donc rares, à Versailles, ceux qui découvriront sans effarement, une faille de néant s'ouvrir sous leurs pieds…
Avant de céder la parole au baron, deux délicieuses et très révélatrices anecdotes, rapportées par Ghislain de Diesbach (compagnon idéal de tout amateur du XVIIIe siècle) : d'un tempérament colérique, Besenval s'emporte vivement contre un vieux serviteur, après que ce dernier a fait tomber un vase, qui s'est brisé. Le lendemain, Besenval, étonné de ne pas voir son valet, l'envoie chercher. L'homme se désole, reconnaît qu'il est trop vieux à présent pour être utile, et prétend qu'il ne servira plus le baron, afin de ne plus provoquer sa colère. Mais Besenval lui répond alors :

- «[…] Vous étiez à mon père, votre femme m'a nourri, vous êtes plus ancien que moi dans la maison, c'est donc à moi de m'en aller. […] Je reviendrai quand vous pourrez supporter mes défauts.» !
Le 2 juin 1791, il a organisé un dîner pour une vingtaine de personnes, chez lui. Déjà gravement malade, il ne peut participer à la fête, et demeure dans sa chambre. À la fin du repas, cependant, il paraît, décharné, livide, flottant dans une robe de chambre blanche. Vision de suaire ! Et lui de dire, dans un souffle mais non sans malice : «C'est l'ombre du Commandeur qui vous fait sa visite !». Il meurt dans la nuit.

À présent, un extrait du portrait qu'il laissa de son ami le duc de Choiseul (1719-1785). Celui-ci dut à Mme de Pompadour de connaître les honneurs (secrétaire d'État très avisé aux Affaires étrangères, puis à la Guerre, et enfin à la Marine), et à Mme du Barry… de partir en exil ! :
«Il y a des gens qui ont toujours l'à-propos : il y en a même qui en ont jusque dans leur existence. M. de Choiseul est de ce nombre. Jamais homme n'arriva plus à temps pour son bonheur et son éclat. Louis XV, par son caractère, sa faiblesse, et par quelques qualités, fut précisément le monarque nécessaire à la gloire de son ministre. Sous Louis XIV, M. de Choiseul eût paru mesquin : tout n'est que comparaison ; et le siècle et le monarque étaient trop imposants pour lui. Sou
s Louis XV, au contraire, tout s'étant amoindri, jusqu'au trône même, il se trouva dans son cadre. Il n'aurait, sous d'autres rapports, nullement convenu à Louis XVI, qui le rappela de son exil, sans s'en servir. Il n'arriva donc, ni trop tôt, ni trop tard. Savoir naître à temps, est souvent le secret et la cause réelle de beaucoup d'existences brillantes qui nous éblouissent

Document : portrait du baron de Besenval, par Nattier

Mémoires du baron de Besenval sur la cour de France, introduction et notes de Ghislain de Diesbach, Mercure de France, collection Le temps retrouvé

mardi 15 septembre 2009

La princesse de grand poids



















La femme de Monsieur
Quelques mots sur Elisabeth-Charlotte de Bavière
(Heidelberg 1652, Saint-Cloud 1722), princesse Palatine, laquelle, quoique célèbre, gagne à être connue.
Elle ne fut certes pas la plus belle femme de la cour, sous Louis XIV, mais assurément l’un de ses esprits les plus perspicaces. Après avoir épousé le duc d’Orléans, dit Monsieur, frère du roi, elle s’installe à Versailles, qui lui fait immédiatement horreur, où elle demeure pourtant presque jusqu’à sa mort. Sous les ors d’un palais qu’elle traverse de son pas d’ours, irritée par la plus sévère étiquette d’Europe, elle garde la nostalgie de sa petite province, mise à sac ultérieurement par Louis XIV. Elle conserve cependant à son beau-frère une affection très grande, qui s’exprima sans fard à la mort du roi de France. Son mari, qui lui préférait les mignons, ne la serra que rarement d’un peu près. Mais enfin, si rapide et rare qu’aient été les «hommages» de Monsieur, elle mit au monde le duc de Chartres, son fils tant aimé, qui devint Régent de France. Délaissée par son mari, elle se consacra à quelques amis, dont l'étrange et sulfureux abbé de Choisy, à la chasse en compagnie du roi Soleil, et à l'observation cruelle des mœurs et des caractères. Elle nous a laissé une passionnante correspondance, dont nous reparlerons prochainement.

Lettre du 9 novembre 1709, à la Raugrave Louise :
[...] Est-il possible que vous n'ayez jamais vu de chasse à courre ? J'ai vu prendre certainement plus de mille cerfs et fait mainte bonne chute à la chasse. Sur les vingt-six que j'ai faites, je n'ai eu de mal qu'une seule fois... Dans une demi-heure, nous allons assister à la musique. Ce ne sont que des rabâchages, car on chante uniquement les vieux opéras de Luli. Il m'arrive souvent de m'endormir en les écoutant... [...]. »

La Palatine, son œil moqueur, hypercritique, son effarement, son bon cœur et son mauvais esprit !


Document : La Princesse Palatine, portrait par Nicolas de Largillière, Château de Chantilly

lundi 14 septembre 2009

L'hypocondriaque de Meudon 2

Voici la suite, et la fin, de l'entretien accordé par Louis-Ferdinand Céline à André Parinaud, qu'on retrouvera dans le coffret Céline vivant, édité par les éditions Montparnasse, et dont on connaîtra le détail sous la première partie (voir L'hypocondriaque 1).


dimanche 13 septembre 2009

L'hypocondriaque de Meudon 1













À propos de Pol Vendromme, ce qu'il fallait comprendre, et que j'ai mal exprimé, c'est qu'au-delà de leurs choix politiques, des individus avaient fait le choix, essentiel celui-là, de la littérature. Toute leur vie avait été en quelque sorte «modifiée» par ce «vice impuni», orientée par cette passion souveraine qui les engageait totalement. Certains en ont épicé la saveur par des préférences «politiques», qui étaient aussi, parfois, des positions esthétiques. À présent que le continent littéraire se sépare lentement de notre monde et s'en éloigne irrésistiblement, il est bon de rappeler qu'il fut si majestueusement peuplé.
Voici, en complément de notre conversation autour de Céline, deux extraits. Le premier vient de son entretien avec André Parinaud, pour l'émission Voyons voir (1ère chaîne, ORTF, 4 juillet 1958).
Il y apparaît plus roué que jamais, l'hypocondriaque de Meudon. Retour d'exil, il se présente volontiers comme la première grande victime des hommes de son temps. Pourtant, il a tant œuvré pour leur bien, il a même tenté de leur épargner la calamité de la guerre ! Pour le reste, il «fait de la littérature pour gagner sa vie», il est un artisan, qui travaille «sur son établi». Il prend un air lamentable, des plus humbles, mais, au final, il se décrète le meilleur de tous, après avoir qualifié d'insignifiants presque tous ses «confrères»… «Je suis un raffiné. J'ai été élevé dans la dentelle et le bibelot.». Ses justifications sur son «effort publicitaire» (paraître à la télévision, malgré son aversion), afin de complaire à son éditeur, Gaston Gallimard, est un prodige de rouerie. Du point de vue du spectacle, c'est un grand moment.
Le second extrait est tiré de l'émission Apostrophe. Il y est question du violon et des Juifs, on y voit une limpide leçon de violon par l'éblouissant Yehudi Menuhin, une mise au point par Georges Charpak, la réponse de Fabrice Luchini, et le beau visage d'une comédienne un peu oubliée…





Photographie : Louis-Ferdinand Céline avec André Parinaud. L'entretien reproduit ci-dessus est extrait du coffret Céline vivant, Éditions Montparnasse (30 Euros). Contient 2 DVD, dont voici le détail :

DVD 1, les grands entretiens de Louis-Ferdinand Céline

Lectures pour tous, 1957, entretien audiovisuel avec Pierre Dumayet, 19 mn

Céline aborde le succès inattendu de Voyage au bout de la nuit écrit pour payer son loyer, dans l’espoir de retourner ensuite à la médecine, puis les retentissements qui s’ensuivirent, son incompréhension face aux réactions. Pierre Dumayet l’interroge longuement ensuite sur son nouveau roman D’un château, l’autre.

Pierre Dumayet est journaliste, une grande figure de la télévision de l’époque (En votre âme et conscience, Cinq colonnes à la une avec Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et Igor Barrère). C’est pour l’émission Lectures pour tous, à l’occasion de la parution D’un château l’autre, qu’il procède le 17 juillet 1957, dans les studios de la Radio Télévision Française, au premier interview de Céline.

En français dans le texte, 1961, entretien audiovisuel avec Louis Pauwels, 19 mn

Céline nous reçoit dans son étrange maison de Meudon, entre ses chiens et son perroquet, son bureau sur lequel sont posés ses 80.000 feuillets qu’il assemble avec des pinces à linge…

L’auteur revient longuement sur son enfance, sa vie passage Choiseul, à Paris (qui deviendra «le passage des Bérésinas» dans Mort à crédit), sa mère dentellière, son père correspondancier, sa passion pour la médecine, ses souffrances aussi. Il déclare : « Je serai content quand je mourrai, je ne suis pas un être de joie ».

Voyons un peu : Céline, 1958, entretien audiovisuel avec André Parinaud-18 mn

Céline nous parle de son travail d’écriture tel un ouvrier qui travaillerait avec acharnement, tous les jours, il déclare «avoir décidé d’écrire pour acheter son appartement», nous livre sa conception de la littérature, l’importance accordé au style, au «langage parlé à travers l’écriture».

André Parinaud (1924-2006) est agrégé de philosophie. Résistant, il collabore au journal Combat. Après la guerre, il mène une carrière d’écrivain, de journaliste et de critique et se fait remarquer pour ses interviews de Colette, Simenon, Salvador Dali, André Breton, Malraux. C’est en 1953, grâce à Marcel Aymé qui l’introduit à Meudon, qu’il obtient et publie dans le N°1 de La Parisienne (janvier 1953) le premier entretien accordé par Céline à son retour d’exil. En octobre 1958, il réalise un second entretien filmé par Alexandre Tarta, dont la télévision a donné de courts extraits, mais qui n’a jamais été diffusé intégralement. C’est donc l’entretien dans son intégralité que l’on peut ici apprécier.

Céline au travail ». Relecture et correction d'un extrait de Nord par l'auteur,1960.
11 mn

Enregistrement sonore inédit, réalisé par Renée Canavaggia, soeur de la secrétaire de L.-F. Céline.

Document totalement inédit, ne figurant dans aucune des anthologies consacrées aux enregistrements de Céline. Céline qui dicte à sa secrétaire Marie Canavaggia un extrait de Nord, aurait été enregistré à Meudon par Renée, la sœur de cette dernière. Ce passage correspond aux pages 237-238 de l’édition originale de 1960 parue chez Gallimard. Il s’agit du seul enregistrement connu à ce jour de Céline lisant un texte.

DVD 2, Autour de Louis-Ferdinand Céline

En marge du prix Goncourt 1932, À propos de la non-attribution du prix à Céline, 1 mn

Lucien Descaves (1861-1949) est membre de la première académie Goncourt. En 1932, lorsque, à la suite d’une manœuvre, le prix, promis à Céline pour Voyage au bout de la nuit, échoit au roman Les loups de Guy Mazeline, il quitte avec fracas le jury et s’en explique.

D’un Céline à l’autre, 2 parties. 115 mn environ. 1969, de Y. Bellon et Michel Polac.

Portrait de L.-F. Céline avec les témoignages de Madame Destouches, Michel Simon, le Dr Villemain, Me Gibault, René Barjavel, Gen Pol, Dominique de Roux, Michel Audiard...

Une émission Bibliothèque de poche, dédiée à Céline et présentée par Michel Polac. Le principe était celui d’un rendez-vous littéraire public autour d’un Livre de poche. L’introduction est filmée passage Choiseul à Paris, où Céline vécut dans son enfance. Polac propose gratuitement des livres de Céline aux passants, qui les refusent et s’écartent effrayés. Avec les témoignages de Lucette Destouches (sa femme), René Barjavel, Michel Simon, Michel Audiard, Jean Renoir, Pierre Lazareff, le Dr Willemin (son médecin)…

Témoignage d'Elisabeth Graig, Entretien avec Jean Monnier, 3 mn environ.

Ce témoignage de Elisabeth Craig (1902-1982) à qui Louis-Ferdinand Céline dédia Voyage au bout de la nuit est extrait de l’émission Ex Libris du 9 novembre 1988. Huit ans de vie commune, elle fut probablement la seule femme jamais aimée par l’auteur. Retrouvée 55 ans après leur rupture, elle explique à Jean Monnier pourquoi elle choisit de rompre, malgré leur attachement réciproque.

samedi 12 septembre 2009

La trace de Pol













Il est mort au mois de mai dernier. Les gazettes n'ont pas bronché, ou si peu. Ce n'était, après tout, qu'un belge brillant, aimant à la folie la littérature française, et «de droite» par surcroît. Il s'appelait Pol Vendromme. Il plaçait le style au-dessus de tout, qu'il voyait comme l'allure d'un écrivain, sa trace persistante dans l'air et le sable, où pourtant tout s'efface. L'expression «droite buissonnière» lui convient parfaitement ; il fut très proche de Dominique de Roux, un bretteur aux dons multiples, qui n'avait peur de rien et surtout pas d'être mal vu des nouveaux censeurs issus de Mai 68, qui allaient devenir grassouillets, autoritaires, cyniques et moralisateurs. De la droite, il avait la vivacité, la liberté de ton, l'arrogance amusée ; il pratiquait la fraternité des minoritaires, la solidarité des exclus. Mais il était vacciné contre les mauvais virus de sa vieille famille de pensée. Et puis, il ne portait pas d'œillères, ainsi a-t-il parlé avec ferveur de Roger Vailland. 
Voici les extraits d'un entretien, très lucide, qu'il accorda à la Revue célinienne, en 1979 :

[…]

- Dans l'avenir, l'œuvre de Céline ne risque-t-elle pas de devenir quelque peu hermétique, ou, en tout cas, difficile d'accès ? Pour comprendre et apprécier pleinement l'œuvre, il faut posséder la connaissance d'événements historiques guère répercutés dans les manuels scolaires (la collaboration, Sigmaringen, etc). De même, toutes les références que Céline fait dans ses derniers livres à l'actualité de l'époque ne risquent-elles pas d'entraver une bonne compréhension ?
À la limite, pour savourer pleinement Céline, il conviendra de le lire dans l'édition de la Pléiade. Assez paradoxalement, Céline risquerait de devenir difficile d'accès pour une autre raison que stylistique...

Les allusions à l'actualité de l'époque ne rendent pas une grande œuvre illisible. Sinon, il y a déjà longtemps que l'on aurait délaissé, par exemple, la correspondance de Voltaire ou Les Châtiments de Victor Hugo. Une grande œuvre romanesque existe par elle-même, indépendamment de l'anecdote qui l'a inspirée. Vous pouvez lire Saint-Simon ou le Léon Daudet des mémoires sans être un familier de la cour de Louis XIV ou des parlements de la troisième République. De même pour Céline : il importe peu de savoir qui était à Sigmaringen ; seuls comptent les portraits au fusain, l'intensité du regard du portraitiste, l'atmosphère d'apocalypse, le chaudron des sorcières.

[…]

- Dans une étude intitulée Les Romanciers de droite, vous mentionnez Céline. Ne pensez-vous pas que Céline échappe à ce type de classification ? Il me semble que l'on retrouve chez lui autant d'éléments pouvant le rattacher à la gauche qu'à la droite.
Dans 
Les beaux draps, il se déclare partisan d'un partage absolu des biens, avec une devise "l'égalitarisme ou la mort". Si l'on ajoute à cela ses invectives contre la famille, l'armée ou la religion, il me paraît difficile de le cataloguer une fois pour toutes à droite. Des arguments différents existant pour ne pouvoir non plus le cataloguer à gauche.

Paul Sérant notait : est de droite celui que la gauche a classé à droite. C'est dans ce sens-là que j'ai introduit Céline dans mon panorama. Mais il va de soi que le génie sauvage de Céline ne s'accommode pas de nos pauvres et insignifiantes étiquettes. Trop singulier, trop nihiliste pour qu'un parti organisé puisse s'accaparer de lui. L'individualisme forcené de Céline le protège des entreprises d'annexion ou de racolage de toutes les sectes.

- Céline était antisémite. Quelque séduisante que soit la thèse selon laquelle l'antisémitisme n'était pour lui qu'un jeu littéraire et le Juif un fantôme représentant non un être déterminé mais l'ensemble des terreurs et des obsessions de l'écrivain, il est impossible de l'accepter autrement que comme un simple élément d'appréciation." Cette opinion exprimée par Jacqueline Morand ¹ est assez en opposition avec votre interprétation des pamphlets. À la lumière des documents (lettres, etc.) qui sont apparus depuis la publication de votre livre, pensez-vous toujours pouvoir dire que les pamphlets ne constituent pas une œuvre antisémite (quand bien même ils ne seraient pas QUE cela et quand bien même la motivation serait entachée de noblesse, à savoir : empêcher à tout prix un nouveau conflit dans lequel son pays serait entraîné et dont il sortirait vaincu) ?

Je voulais faire entendre ceci : que le mot "Juif" chez Céline, comme plus tard le mot "Chinois", était l'expression des hantises et des terreurs d'un écrivain obsédé. Un peu comme le mot "imbécile" chez Bernanos. Ceci dit, il est indéniable qu'une passion antisémite, horrible et démentielle, habite les pamphlets. N'ayons pas peur des mots : il y a du fol chez Céline, avec les phobies d'un Français moyen de l'espèce la plus stupide et la plus hargneuse.

- Je me permettrai de vous soumettre une autre observation, celle exprimée par Jean-Louis Curtis : "À l'extrême gauche, on a toutes les peines du monde à reconnaître qu'il est un grand écrivain, malgré son hideux et stupide antisémitisme. À l'extrême droite, on voudrait le justifier de tout, y compris d'avoir été antisémite ; et c'est tout juste si on ne le fait pas passer pour un martyr. Des deux côtés, l'imposture est égale" ²
Partagez-vous cette opinion ?

Oui, je la partage. Il faut renvoyer dos à dos l'imposture de gauche et l'imposture de droite. Dans son dossier Belfond, Frédéric Vitoux ³ s'y est appliqué avec le plus rigoureux et le plus équitable des discernements. Il nous propose quelques pages de salubrité publique, au-delà des équivoques des propagandes et des routines de la haine.

(Entretien réalisé par Marc Laudelout)

Notes : (1) Jacqueline Morand. Les idées politiques de L.-F. Céline, Pichon & Durand-Auzias, 1972, p. 79. (2) Jean-Louis Curtis. Questions à la littérature, Éd. Stock, 1973, p. 112. (3) Frédéric Vitoux. Dossier Céline, Éd. Belfond, 1978.

Photographie : Pol Vendromme, Le bulletin célinien, DR

jeudi 10 septembre 2009

Attalouvard et Mincuchet



















« Sacré nom de Dieu ! il faut se raidir et emmerder l'humanité qui nous emmerde ! Oh ! je me vengerai ! je me vengerai !»
(Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, le 28 juin 1853)


JACQUES A DIT, ALAIN AUSSI : Deux génies sous cloche
Jacques Attali et Alain Minc réunis, c’est la puissance du Rhin alliés à la force du Danube. Leurs eaux mêlées transportent des alluvions qui font les vallées vertes et les rives grasses, où s’épanouissent l’agriculture, l’élevage, les sauterelles et les baigneuses impudiques, allongées dans la prairie. De la grande crise économique qui nous ravage, ils tirèrent d'abord une nouvelle légitimité. On ne voyait qu’eux, séparément ou réunis dans un excitant duo «Rhin&Danube». Le premier disait : «Je l’avais prédit», le second allait répétant : « Je l’ai dit en premier !». Mais les scènes où ils se produisaient accueillent à présent d’autres numéros que celui qu’ils nous offraient bénévolement. Puis, on ne les entendit plus. Alain Minc se tut, après avoir vitupéré, et de quelle façon ! les patrons français. Leur montrant au doigt les bénéfices qu’ils accumulaient dans la coulisse, il leur fit honte !
Et M. Attali ? On rappellera qu’il fut nommé directeur de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement). Hélas ! le siège en était en Angleterre, pays où les journalistes sont teigneux au possible. Ils lui reprochèrent de se meubler trop richement, de faire venir du marbre de carrare et des poignées de portes d’un coût mirobolant. Ils appuyèrent leur étonnement accusateur sur le fait que l'établissement avait été fondé, en principe, pour remettre sur pied l’économie des anciens pays satellites de la défunte URSS, ravagés par soixante ans de bon et loyal servage communiste. Car, après avoir été un idéal, et avant d’alimenter la nostalgie des meilleurs d’entre nous, le communisme traversa l’épreuve dite «du réel» : tragique erreur pour une utopie ! Quoi qu’il en soit, lassé des assauts lancés contre lui, chaque fois plus violents, harassé sans doute aussi, M. Attali se fâcha tout rouge. Il quitta sans délai une île aussi ingrate, humide par surcroît, et, pour son malheur, peuplée d’Anglais !

Jacques Attali persiste à dire qu’il avait annoncé la crise. Il veut bien convenir qu’il situait l’événement dix ans plus tard, mais qu’est-ce donc que dix ans pour un homme aussi prodigieux ? Et, en effet, quand on prétend qu’il finira par pleuvoir, on fait figure de prophète le jour où vient la pluie ! Il se déclara de gauche, il souhaita la formation d’un gouvernement mondial, composé de sages qui consulteraient les plus brillants parmi les conseillers. Il se prédit donc, dans cette perspective, un brillant avenir. Karl Marx en personne n’appelait-il pas à la formation d’un syndicat mondial ? Jacques est un penseur sévère, un bûcheur. Il nous informa que la crise était «devant nous», que le pire s’avançait. Il ajouta que, «à force de globaliser les marchés sans globaliser l’état de droit, on arrive à la catastrophe» et que l’«on crée la demande par la dette». Il y avait du vrai dans cette évidence.
Il faut convenir que la Chine, par exemple, n’est pas un état de droit. Elle s’en soucie peu, puisqu’elle s’est donné le droit d’être un état. Or, cette année maudite encore, la Chine, sous le knout, remplira son contrat PIB à sept ou huit pour cent ! Elle ne se soucie pas de «globaliser l’état de droit» par exemple ! D’ailleurs, son Politburo apporte un soutien sans faille au dollar, lequel, en se dépréciant avec lenteur, nuira suffisamment à l’Euro pour éponger une partie du déficit américain.
Le grand Jacques parle de la «classe dominante», qui n’accorde que de faibles revenus aux employés, et, pour compenser, les autorise à faire d’énormes dettes. Bref, d’après le clairvoyant M. Attali, dans notre «monde global» les pauvres vivent comme des riches, mais sans argent, alors que les riches vivent comme des très riches, avec beaucoup d’argent.

Alain Minc, quant à lui, s’amuse follement. D’abord, il est servi par la malicieuse apparence d’un hôte des sous-bois et des clairières, l’un de ces petits êtres moqueurs qui se faufilent sous les herbes, habitent dans un champignon et font résonner leur rire sarcastique à l’orée des forêts, le soir venu. Il a de la répartie, et, quand il a contré un adversaire, il laisse percer la joie furtive mais intense d’un lépidoptériste plaçant dans une boîte vitrée un papillon, qui survivra longtemps, le corps et les ailes traversés d’épingles… En 1995, il vit dans le placide et amusé M. Balladur, qui est un Sénat à lui seul, le grand homme énergique dont la France avait besoin pour accomplir parfaitement sa métamorphose anglo-saxonne.. Il rêve d’une France apaisée, d’une France entièrement «sous contrôle», administrée par des gouverneurs libérés des passions humaines, gérée par des commissaires au compte, eux-même surveillés par un congrès de sages, une élite autoproclamée. Pour le reste, à l’exception de Nicolas Sarkozy, il méprise le personnel politique. Il possède, dit-on, une belle plantation de noyers, dans le Cantal. On imagine qu’il ne doit pas lui déplaire de se saisir d’une grande gaule, et de faire tomber des noix en même temps qu’il les nomme : «Chirac !», «Villepin !», «de Benedetti !». On l’aurait même entendu s’écrier, après que l’une se fut écrasée lourdement au sol : «Attali !».
Jacques A. et Alain M. se ressemblent sur bien des points. Ainsi ont-ils accumulé les diplômes prestigieux et connu la réprobation publique pour avoir plagié des auteurs, ou seulement omis d’ouvrir puis de fermer les guillemets… Bref, ces hommes de lettres ne négligent point le progrès que représente le photocopieur !
Jacques a dit, Alain répète : celui-là, dans le secret de son cabinet, se satisfait-il de n’être interrompu que par lui-même, entouré de ses précieux sabliers, par où s’écoule le temps, telle une plaie qui ne suture jamais ? Celui-ci, devenu conseiller du Prince, alors que les grondements du peuple, toujours ingrat, jamais repu, se font entendre, connaît-il quelque inquiétude ?

Il semble que passe fugitivement, sur le visage d’Attali, dans les propos de Minc, l’ombre du désenchantement, de la lassitude. Les français les déçoivent. En son temps, le cher Jean-Jacques Servan-Schreiber vida ses coffres et ruina sa santé à vouloir nous convaincre que nous n’étions pas à la hauteur de ses ambitions. Nos deux amis ne connaîtront point ce funeste sort. Néanmoins, comme ils incarnent notre échec collectif, il n’est pas certain que ceux qui nous succéderont les consultent encore.

PM

En haut : Renommée sur la boule du monde que supportent trois amours, dessin à la plume rehaussé de lavis de bistre par Lucas Cambiaso (Moneglia 1527-Madrid 1585)
Ci-dessous : Bouvard et Pécuchet, Gustave Flaubert, Le livre de poche,