lundi 31 mai 2010

Dis, Lapaque, sommes-nous loin de Paris ?

Non, nous n'en sommes pas loin, hélas ! Mais ce n'est plus le Paris des Pâques à New York, et la petite Jehanne de France n'a plus les moyens de s'y payer une chambre de bonne. Nous sommes dans l'épouvantable Paris de M. Christophe Girard, maroquinier pro-chinois, et conseiller culturel d'un maire bohème-socialiste. Nous sommes dans le Paris de M. Reza, photographe officiel de la reddition de l'esprit.
Tout a été dit par Jérôme Leroy sur le traquenard dans lequel est tombé Lapaque. Je suis favorable, pour une fois, et parce que les circonstances s'y prêtent admirablement, à un beau procès pour vol d'image. M. Reza a «détourné» le sens des images, et il a lancé une accusation mensongère. Cela se plaide. Nous soutiendrons, même loin de ce blogue !
Note : Lisons à voix haute «Il faut qu'il parte», dans les lycées et collège, en lieu et place de la lettre de Guy Môquet, à l'adresse de MM Sarkozy et Strauss-Kahn
Photographies © PM
Alexandre Dumas, Paris XVIIe

samedi 29 mai 2010

Samson de la nuit

Samson François (1924-1970) suivit les enseignements d'Yvonne Lefébure, d'Alfred Cortot, de Nadia Boulenger. Il fut l'élève de Marguerite Long, au Conservatoire de musique de Paris.

L'un des héros de mon enfance. À Paris, tout le monde connaissait Samson, depuis la loge de la concierge jusqu'à la chambre de bonne. N'aimant pas le jour, il ne sortait que la nuit, prolongeait ses concerts dans un monde parallèle, où se mêlaient la grâce, l'alcool et des souveraines sans royaume. Enfant de Debussy, le maître de la musique moderne, il aimait naturellement le jazz.
Il eut un premier malaise cardiaque sur scène, très peu de temps avant sa mort.

Le voici, sagement assis au piano mais comme isolé de l'orchestre, développant des sortilèges de lui seul connus, dans le "Larghetto» du concerto n° 2 de Frédéric Chopin.



Le même mouvement, par Martha Argerich. Entre les deux, mon cœur balance, mais entre ces deux seuls !



Mon ami Karl-Otto me glisse à l'oreille que j'ai oublié malencontreusement cette magnifique version, par Maurizio Pollini. Où avais-je la tête ?

Les garçons

Le dieu caché
Visconti incarne un temps qui n'appartient plus qu'à quelques mémoires. Ses films, comme ceux de Fellini, d'ailleurs, n'ont même pas le traitement commercial qu'ils mériteraient : on rappellera que le dvd de "Conversation piece” (titre anglais), "Gruppo di famiglia in un interno” (titre italien), stupidement traduit par "Violence et passion”, ne bénéficie pas d'une version française, ni, bien sûr, d'un sous-titrage en français.
Il y a de cela quelques semaines, j'ai découvert les images suivantes, qui montrent la quête viscontienne du visage et de l'allure de celui qui allait prendre le rôle de Tadzio, dans le film Mort à Venise. Je me suis demandé si, aujourd'hui, il serait seulement possible à un cinéaste de procéder ainsi, et même s'il laisserait à ses collaborateurs la liberté de le filmer aussi librement.
Avant de mettre fin à la charmante aventure que fut Tous les garçons s'appellent Patrick, je voudrais vous entretenir de Mario Praz, qui fut sans doute le conseiller et le modèle de Visconti relativement à la décoration de ses principaux films. Mario Praz est un personnage mystérieux, qui envoûta l'Italie. On disait qu'il avait commerce avec le Diable…







vendredi 28 mai 2010

Les femmes

Tantôt, elles ne font que passer, tantôt, je passe devant elles.
Dire qu'un jour, peut-être, parmi celles qui ne sont pas de pierre ou n'ont pas un cœur de bronze, il s'en trouvera une pour me proposer de m'aider à traverser la rue…
Sic transit gloria mandoni !

Photographies © PM















mercredi 26 mai 2010

Les hommes

Sont-ils tous aimables, ou seulement dignes d'être aimés ? Ils relèvent assurément de l'anthropologie banale des plaisirs et des jours…













Photographies © PM

Chanteur maudit

Qui l'aime ? Qui le trouve seulement audible, parmi les gens respectables, de gauche et de droite ? Ah, oui, les refrains de quatre sous, et, pire encore, des chansons pour plateau télé de TF1, il en possède un joli palmarès ! Les nouveaux maîtres de la musique populaire, assistés des anciens rockers vieillis sous leurs lunettes noires, qui se croient encore à la «manœuvre», ne lui dissimulent pas le mépris qu'il leur inspire. Nous ne leur cacherons pas celui dans lequel nous les tenons !
Eh bien, nous aimons à souligner l'appartenance de ce parigot à la tradition de la chanson simple et sentimentale, qui n'a pas de prétention, et qui dispose d'une qualité nécessaire à la survie en milieu hostile : il sait admirer. Ses références ne sont pas des moindres : Villon, Prévert, Gainsbourg, Léo Ferré…
Pour ce dernier, nous savons quel rôle de soutien matériel et moral il joua auprès de Léo, alors que le chanteur, devenu vieux connaissait, en Italie, des moments difficiles.
Didier Barbelivien chante Ferré, et il le fait très bien :



(Le montage photographique ci-dessus possède une esthétique d'intérieur modeste, rapidement irrespirable j'en conviens, et trahit une sentimentalité qui me touchent : je jugerais subalterne de les moquer. Je laisse ce plaisir banal au faux intellectuel nommé André Manoukian).


Paris, la nuit, la pluie : la qualité du faubourg et des grands boulevards !

Bob, chansonnier ; Kaylissa, diariste ; Joan, miséricordieuse

Je me promenais, je suis tombé sur un regard et sur le titre d'une chanson.
La chanson est de Bob Dylan, "Sad-Eyed Lady of the Lowlands”, que l'on pourrait traduire par La fille du Plat-pays au regard triste. Souvenirs en cascade : cette interminable, étrange mélopée, telle qu'en inventait le jeune Dylan, a plongé mon adolescence dans les plus douces contemplations. Elle était à la fois absconse, sentimentale et longue ; c'est assez d'arguments sur quoi s'appuyer pour développer une tactique de prédation amoureuse. Bref, elle constituait un slow présentable, pendant lequel on pouvait se rapprocher tendrement d'une collégienne bien élevée et néanmoins sensible au charme du frotti-frotta !
Le regard est celui d'une jeune femme fort belle, avec l'air très sérieux, presque buté, des filles riches mais sévères, ou de celles qui ont connu des difficultés matérielles et en ont conservé une certaine «conscience de classe». Elle écrit son «diary». J'avoue m'être plus longtemps plongé dans le sombre espoir de ses yeux que dans son texte. Néanmoins, ce que j'en ai lu m'a donné l'impression d'une fraîcheur acide, et d'une certaine lucidité cruelle. J'irai voir plus en détail, et je vous invite à faire de même ; c'est ici : http://kaylyssa.livejournal.com/
Au physique, les deux visages, celui de Joan Baez et celui de Kaylissa ont quelque chose en commun. Les sangs mêlés irlandais, indiens, écossais, anglais ont produit de ces «éblouissants repères» humains.
Voici, par Joan Baez, soprano de variétés, demeurée belle et miséricordieuse, une remarquable version de "Sad-Eyed Lady of the Lowlands”



With your mercury mouth in the missionary times,
And your eyes like smoke and your prayers like rhymes,
And your silver cross, and your voice like chimes,
Oh, who among them do they think could bury you?
With your pockets well protected at last,
And your streetcar visions which you place on the grass,
And your flesh like silk, and your face like glass,
Who among them do they think could carry you?
Sad-eyed lady of the lowlands,
Where the sad-eyed prophet says that no man comes,
My warehouse eyes, my Arabian drums,
Should I leave them by your gate,
Or, sad-eyed lady, should I wait?

[…]

mardi 25 mai 2010

Arthur, caravanier

«Pourtant je ne puis aller en Europe pour bien des raisons, d'abord je mourrais en hiver, ensuite, je suis trop habitué à la vie errante et gratuire […]» (Arthur Rimbaud, lettre à sa famille, 23 août 1887).
Le 20 mai 1891, il débarque à Marseille. Une énorme tumeur lui dévore le genou. On l'ampute. Il se décrit comme un «tronçon immobile». L'agonie le prend et le délivre de la douleur de vivre le 10 novembre 1891, à Marseille, ville portuaire d'où il espéra jusqu'à la fin embarquer pour Aden.



Le grand voyage de Rimbaud, des Ardennes à l'Ethiopie.
1ère partie : l'Europe aux anciens parapets
2ème partie : Rimbaud d'Afrique
Documentaire réalisé par Jean-Philippe Perrot ; textes lus par Denis Lavant et Etienne Chicot
Production, Circeto films.

samedi 22 mai 2010

La nuit 7

C'est une affaire entendue, je ne dormirai plus. Et je ne mourrai pas. Ou alors, je ne mourrai pas, et je ne dormirai plus.




La mort viendra, et elle aura tes yeux: recueil de poémes écrit à l'attention de l'actrice américaine, Constance Dowling. Cesare Pavese l'aimera, elle le quittera. Il se suicidera (1950).

Verrà la morte e avrà i tuoi occhi
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla sera, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grido taciuto, un silenzio.
Cosi li vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.

Per tutti la morte ha uno sguardo
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi.
Sarà come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti
.

(La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu'au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.)


Léo Ferré a donné une interprétation de ce texte, que voici ; son contexte cinématographique n'est pas si bête.

La nuit 6

«Longtemps, je me suis couché de bonne heure
Vers sept heures du matin.
On traverse Paris. On est las. On a croisé des ombres émouvantes. On sait que le sommeil ne viendra pas, mais, au printemps la fraîcheur du matin, et sa lumière douce nous tiendront la main. On se rappelle la douleur de Sinatra, qui cherchait le reflet d'Ava Gardner jusqu'au fond des verres.
-Et tout de suite, que veux-tu entendre ?
-Une histoire d'ombre
-Ah je vois ! The shadow
-…of your smile
-Je vais t'en faire, moi, des ombres sous les yeux !

jeudi 20 mai 2010

L'amour est un acte asocial

Pas trouvé mieux comme titre ; je n'en suis pas fier. L'essentiel est ailleurs, dans ce film «prodigieux», que j'ai vu cinq ou six fois. On n'aborde jamais au continent de l'amour, on échoue sur son rivage, où l'on parvient épuisé. Voyez cet homme, ce professeur joué par Bruno Cremer : l'une de ses élèves le drague ouvertement, il succombe. Elle a dix-sept ans. Je vous épargne le débat sur la pédophilie, sur le goût du réalisateur pour les jeunes filles, mis en lumière par un procès qui le sanctionna, et pendant lequel il ne bénéficia d'aucun soutien prestigieux… Jean-Claude Brissaud reviendra-t-il derrière une caméra ? Je suis de ceux qui le souhaitent vivement. Si M. Alexandre Arcady, par exemple, peut se dire réalisateur et présenter une œuvre nouvelle tous les deux ou trois ans, on peut espérer que Jean-Claude Brissaud saura réunir les moyens de tourner un autre film capital…
Noce blanche, donc : le professeur de philosophie, marié, n'est pas exactement un «salaud», qui profite sexuellement d'une gamine. Il est simplement banal. Il ne se rend pas compte qu'il s'aventure sur le territoire «ensorcelé» de l'amour. Il perdra son poste, sa femme divorcera, il s'éloignera définitivement de Mathilde.
Mais Mathilde n'est pas de ces gens qui tournent la page. Alors, elle se laissera mourir.
L'amour, parfois, ce n'est pas seulement la «petite» mort, ce peut être aussi la grande faucheuse…



Note : l'amour, c'est l'enfer, mais l'amour entre un homme vieillissant et une très jeune femme, c'est la double peine !

Noce blanche (1989)
Réalisateur : Jean-Claude Brisseau
Producteur : Margaret Ménegoz
Musique : Jean Musy
Avec Vanessa Paradis (Mathilde Tessier), Bruno Cremer (François Hainaut), Ludmila Mikaël (Catherine Hainaut), Michel Aumont (Doyen)

mercredi 19 mai 2010

Esclave de l'amour 2

Cette chanson, où Annie Girardot et Serge Lama soupirent si tendrement sur la séparation, je la cherchais ; je l'ai trouvée. Et puis, quand on aime le music-hall, cette discipline du spectacle sur fond de velours rouge, on ne s'insurge pas quand un talent suit un autre talent, sur la même scène, et sur le même thème. Lama, Gainsbourg : rideau, applaudissements ! Girardot : on se lève !




mardi 18 mai 2010

Esclave de l'amour

Beaucoup ne voient en lui qu'un «crooner» de baltringue, un artiste de «variémoches», un chanteur pour mémères grassouillettes et peroxydées, un ténor de Quatorze juillet…
Ses chansons en duo sont des pépites, son « Accordeonissi mots» est un si bel hommage au «piano du pauvre». Il est de la scène comme on est d'un pays.
Oublions les petites femmes de Pigalle et voyons plutôt la plainte de l'esclave…






"L'esclave”, extrait de l'album À La Vie, à L' amour (1989)
(Merci à Pat Caza, qui m'a fait connaître le moyen de réduire les dimensions d'une video «embeded».)

dimanche 16 mai 2010

Chère ombre, ralentis ton pas ! (2)

Nous sommes au début de l'année 1982, à Paris, rue Victor-Massé (IXe). Je sonne à la porte d'un appartement. J'attends un peu, puis j'entends un pas hésitant ; la porte s'ouvre et paraît une femme qui fut belle, aux traits fatigués, aux yeux un peu écarquillés. Elle me tend la main, m'observe, me sourit enfin, et me caresse légèrement la joue : «Vous avez un air argentin !». Nous demeurons peu de temps chez elle ; j'ai le souvenir (imprécis) d'un petit appartement, bien tenu, délicieusement suranné dans sa décoration (très Avant-guerre). Mon hôtesse me fait observer que nous sommes dans l'immeuble où se trouvait un prestigieux cabaret, Le Tabarin, dont il ne restait plus rien. Tabarin présentait des spectacles magnifiques de ballets dévêtus, fréquentés par des hommes aux cheveux lustrés et des femmes élégantes, habillées de robes-fourreaux, puis, un peu plus tard, par des officiers allemands… Elle m'entraîne au dehors, elle veut marcher, ou peut-être fuir. Je crois me rappeler qu'elle porte une veste de fourrure défraîchie, mais seyante. Elle me prend le bras. Ses yeux immenses lui donnent un air effrayé. Nous n'allons pas loin : rue Pigalle, dans un bar de quartier, où elle a ses habitudes. Elle commande une bière, me prend la main :
-C'est vrai que vous avez l'air d'un argentin, mais votre mèche est parisienne. Alors, vous vous appelez Patrick !
-Oui, madame, mais tous les garçons s'appellent Patrick, vous savez.
-Oh non ! Moi, j'ai connu peu de Patrick en France. Il est vrai qu'ils étaient nombreux aux USA.
Et nous embarquons pour l'Amérique, où elle reçut des triomphes. Ils étaient fous, là-bas, de cette femme délicate, bien faite, à la voix mélodieuse d'amour murmuré. Ils l'avaient découverte lors de sa première tournée, à Broadway, dans les années Vingt
-C'est "Parlez-moi d'amour” qui leur a donné le béguin définitif. Vous ne pouvez pas imaginer le succès de cette chanson, dans le monde entier ! J'était la femme qui réclamait qu'on lui parle d'amour ! J'étais gracieuse, avec des attaches fines (il me semble qu'elle m'a dit avoir posé pour des peintres connus, dans sa prime jeunesse). J'ai incarné la femme française.

Dans ce bistro vraiment banal, Lucienne Boyer me fait le récit éparpillé de sa prestigieuse vie d'artiste du music-hall international. La petite salle grise, où des types en gros cuir jouent à la belote, résonne silencieusement des applaudissements que le public d'une première, en habit de soirée, debout, adresse à une silhouette gracile, qui sourit et s'incline…
–On jouait à guichet fermé. Plus tard, j'y suis retournée avec mon mari, Jacques Pills : même chose, les américains faisaient la queue pour nous entendre.
Elle commande une autre bière, et moi de même, par politesse, pour ne pas la laisser seule avec un demi entre nous. Je n'aime pas la bière. Je resterai des heures ici, dans ce troquet minable, à tenter de la sortir de ses silences et de sa mélancolie. Elle ignore que je n'ai pas d'autre réalité que celle que suscite en moi son récit lent et décousu. Et que de cette réalité, que je ne saurais faire partager, je tire une sorte d'ivresse.

L'établissement se remplit un peu. La rue en pente s'anime, les enfants sont sortis de l'école. Lucienne, fatiguée, commande un café. il y a dans son regard de brume tendre un ancien chagrin qui dérive. Elle me parle de Fréhel, qui habitait tout près. À ce moment précis, la patronne, une dame maigrichonne à la longue figure sans grâce, apporte nos cafés.
-N'est ce pas que Fréhel habitait le quartier ?
Sans sourire, sans marquer de surprise, la patronne se retourne, tend le doigt et dit simplement.
-Là, juste en face, au 4e étage.
Elle porte un tablier fleuri, au ton passé ; ses mains sont fines, parcourue de ridules, et ses doigts noueux.
-Elle était méconnaissable, énorme, dans les dernières années. Quand elle est morte, les employés des pompes funèbres n'ont pas pu descendre son cercueil par l'escalier. Ce sont les pompiers qui l'ont fait, à l'aide de cordes, et en passant par la fenêtre. La rue était noire de monde, des familles entières qui voulaient assister à cette grande manœuvre. Elle buvait énormément, Fréhel, mais elle était restée très populaire par ici. Il paraît qu'elle disait qu'elle n'avait eu qu'un seul amour vrai : Maurice Chevalier. Elle ne se serait jamais vraiment remise de leur séparation.

Lucienne Boyer voulait rentrer chez elle, à présent.
Nous sortîmes, je la raccompagnai. Elle était ralentie mais pressée de retrouver ses fantômes. Elle me dit de revenir la voir. Plus tard, je l'appellerai en vain au téléphone, qui sonnait dans le vide. Je ne la revis jamais.

Le soir tombait. Je revins au pied de l'immeuble de Fréhel, puis je m'en éloignai un peu. J'imaginais l'empressement des pompiers, les ordres secs du capitaine, le lourd et immense cercueil qui descendait le long de la façade, les curieux, les passants, les locataires.
C'est l'histoire d'une chanteuse morte et de son cadavre encombrant, dans une rue en pente, à Paris…





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Chère ombre, ralentis ton pas !

Déposé par un certain anthonyberrot, ce magnifique cadeau, un entretien, dans le studio parisien de la radio de Lausanne, avec une très grande interprète, Fréhel.
Demain, je vous dirai ce que je sais de sa fin, et dans quelles circonstance étonnantes cela me fut rapporté.



Enfin, pour qu'on se souvienne de son émouvante beauté, de la finesse de son chant :

jeudi 13 mai 2010

L'Histoire attendra

Le théâtre de Sacha Guitry, surtout lorsqu'il est mis en scène par Bernard Murat et interprété par des carriéristes de télévision, est démodé, vieilli, et toujours trahi car respecté. Il faudrait un voyou pour lui redonner une vigueur, ou alors un homme d'aussi bel esprit (Jean-Laurent Cochet).
Non, le vrai Guitry est au cinéma, dans ses films, dans ses dialogues, dans ses comédiens, cette troupe de grands et petits rôles qu'il traitait avec le même soin et le même respect. Comme Cocteau, Guitry est d'abord un enchanteur, un bonimenteur éclairé. Il nous fait asseoir, se présente, commence un récit, l'interrompt, feint de s'éloigner, puis revient ; il sent bien que nous accrochons, que nous voulons la suite, alors il la donne, il l'offre avec une pleine et entière générosité. Et l'esprit lui vient avec le cœur. Et nous avons tant besoin de l'un et de l'autre !
Quelque jour, je vous rapporterai mon après-midi chez et avec Arletty, ce qu'elle m'a dit de Sacha…
Vous noterez au passage que Sacha n'abandonne jamais ses amis, ni qu'il n'oublie les offenses et les trahisons dont ils (il) ont (a) été victime(s). Ainsi, au début de cet extrait, prend-il bien soin de rappeler que Charles VII a lâchement abandonné Jeanne d'Arc… Lui aussi, Sacha Guitry, fut trahi, abandonné, sali à la Libération ! Ceux qu'il avait aidés dans les années noires, soudain, souffraient de trous de mémoire.
Extrait délicieux, avec Paul Colline en Charles VII et Danielle Darrieux en Agnès Sorel.







Si Paris nous était conté ( 1956)
Réalisation, scénario, adaptation, dialogues : Sacha Guitry
Réalisateur adjoint : Eugène Lourie, assistants réalisateur : Jean Vivet, Daniel Aubry
Images : Philippe Agostini
Opérateur : Jean-Marie Maillols Raymond Letouzey, assistés de Barsky
Musique : Jean Françaix
Direction musicale : Marc Lanjean
Décors : René Renoux, Henri Schmitt, assistés de Pierre Tyberghein
Costumes : Monique Dunan, Jacques Cottin
Robes : Maggy Rouff
Montage : Paulette Robert, Nadine Marquand
Son : Joseph de Bretagne, Emile Lagarde
Maquillage : Simone Knapp, Monique Archambault
Coiffure : Alex Archambault
Photographe de plateau : Jean Klissak
Chef de production : Clément Duhour, Alain Poiré, Henry Deutschmeister
Directeur de production : Gilbert Bokanowski
Administrateur de production : Pierre Aubart
Production : C.L.M - Gaumont - Franco London Films (France)
Distribution :Gaumont

mercredi 12 mai 2010

Alain, sors de ce corps !

Il y a quelques années, j'assistai, invité par un ami journaliste, au «retour» d'Alain Delon au théâtre Marigny, à Paris, dans une pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt : Variations énigmatiques. La salle était celle des grands soirs. Je me souviens très bien de cette sorte de bourdonnement léger lorsque Delon parut, qui succédait à la nuit et au silence. Il remporta un triomphe, ses admirateurs du petit peuple, sagement rangés sur un côté de la scène, attendaient qu'on les autorisât à venir lancer leurs bouquets de fleurs. J'ai beau aimer Delon, j'ai le souvenir d'un ennui pesant, avec des moments ridicules. Francis Huster se tirait honorablement du rôle d'«accompagnateur» du maître. La pièce n'était pas bonne, mais, par surcroît, Delon avait pris les choses en main. Loin de le contraindre, de l'éloigner de sa statue, le metteur en scène lui avait laissé la bride sur le cou. Résultat : Delon fixant l'horizon de ses yeux durs, Delon bondissant «tel un félin», Delon solitaire serrant les mâchoires à l'évocation d'un chagrin ancien. Bref, le bel Alain comme au cinéma, mais sans la rigueur d'un Melville, l'esthétique d'un Visconti, sans la caméra…
Cette histoire m'a tout de même permis de découvrir les Variations énigmatiques, auxquelles la pièce emprunte son titre.
Je me tais et vous laisse écouter…

Nimrod, Extrait de Enigma variations, d'Edgar Elgar, ce moment comme produit par le souffle de l'air et la fantaisie d'un dieu tranquille. Daniel Barenboim dirige l'Orchestre symphonique de Chicago, en 1997. Il était légitime que Barenboim succédât à Georg Solti, après le décès de celui-ci : qui d'autre ?

jeudi 6 mai 2010

La nuit 5

«J’étais le roi du monde libre. L’Amérique avait permis ce miracle : un type malingre, qui portait au cou, profondément gravé dans sa chair, les traces du fer par quoi il avait été accouché, un ritalo-amerloque nourri aux pâtes, promis à un emploi de liftier dans un grand magasin ou de loufiat dans un bar d’hôtel, ou encore au destin précaire de porte-flingue d’un parrain de quartier, recruté à sa sortie de prison, pleuré par sa mère et ses sœurs le jour de son enterrement, eh bien, ce garçon maigre à la carrure de haricot dominait de ses talonnettes les plus grandes scènes des États Unis, était adulé des foules et choisissait chaque soir dans un catalogue vivant les dix filles qui allaient partager sa nuit et celle de ses copains !

«À quarante ans, je possédais des actions dans les principaux établissements de Vegas. D’ailleurs, cette ville électrique bâtie sur le sable au milieu du désert était à ma mesure. Né d’un rêve de maffieux, elle défiait la réalité, allumait le vice dans la prunelle des culs-terreux pentecôtistes et ruinait les derniers espoirs de fortune des cow boys endimanchés. J’ai toujours aimé le désert ; on n’y voit personne, et surtout pas ces red necks rougeauds, qui chantent leur chagrin en s’accompagnant à la guitare. J’ai horreur de leur confrérie pataude, de leurs danses de migrants balourds. Je change de chemise quatre fois par jour et, le soir, je dîne en black tie modèle tuxedo ; j’applique à la lettre la règle de Marion Maneker : "Formal wear's black and white outward simplicity is elegant beyond improvement.”. Cette formule-là, je l’ai apprise par cœur, le lendemain du jour où je me suis juré de devenir riche et célèbre.

«Ava Gardner, je l’ai connue lorsqu’elle était la femme de cet abruti de Mickey Rooney. Je me souviens de lui avoir glissé à l’oreille : "Je suis arrivé trop tard !” ou quelque chose d’approchant. Elle a ri, mais m’a répondu qu’elle était fidèle. Et c’est vrai qu’Ava ne pouvait aimer qu’un seul homme, celui auquel elle se dévouait : "One bed, one man, one mind !”.
Je l’ai croisée à plusieurs reprises, elle a divorcé, a épousé Artie Shaw (un nom qui fait rire les français), elle a encore divorcé. À vrai dire, elle me hantait, elle habitait mon regard comme une persistance rétinienne. À un moment donné, j’ai eu l’impression qu’elle attendait quelqu’un, un type dans mon genre, arrogant, capable de tirer à coup de chevrotines sur les réverbères et de signer un autographe aux flics qui le verbalisaient. Je me suis mis dans la tête que j’étais l’homme de sa vie. Je voyais juste, mais, bon sang, ce que cette conviction a pu me faire souffrir ! Étrangement, je dois reconnaître que je l’ai passionnément aimée sans m’en apercevoir. Ce n’est qu’après que j’ai compris, mais trop tard ! Son absence a duré une éternité. Quand on sonnait à la porte, je me précipitais, je croyais toujours qu’on allait fêter son retour. Ava, elle m’a vraiment appris ce qu’était un homme seul…»


FRANK SINATRA - Love's been good to me par samba56


«Oui, vraiment, après la Gardner, longtemps tout m'a paru fade. Avec elle, j'avais connu un autre monde, celui d'Ava…»

mardi 4 mai 2010

La nuit 4

















Ava Gardner (1922-1990), droits réservés

- Ava, quand elle vous a quitté…
- Atroce ! Ce fut comme si la foudre me tombait dessus. Je ne dormais plus, je me traînais lamentablement, chez moi, sale, en pyjama. J'étais lamentable.
- Pourtant, votre relation…
- … fut agitée, passionnée. Ava, quand elle tombait amoureuse, se vouait entièrement à son homme. Elle en devenait même encombrante. Quelle femme, vraiment ! Une perfection de la nature, avec cela un tempérament ! Mais ces salopards d'Hollywood ont massacré sa carrière. Ils l'ont enfermée dans le rôle d'une belle plante. Tous ses grands rôles, elle les a eus grâce à des réalisateurs prestigieux, qui insistaient auprès des «moguls» pour lui faire signer un contrat : John Huston, Robert Siodmak, Albert Lewin, George Cukor, Joseph Mankiewicz…
- C'est un peu à cause de ce dernier que vous l'avez perdue.
- Mais non, c'est à cause de moi. Je l'avais vraiment dans la peau, la Gardner, mais je suivais tous les jupons qui croisaient ma route. On s'engueulait comme des chiffonniers, on se battait au couteau, puis on se réconciliait au lit. Elle était liane, ventouse, volcan, elle était océan, rivière. Elle était tout au lit, sauf le désert !
- Oui, mais, en Espagne, pendant le tournage de La comtesse aux pieds nus, elle a fait la connaissance du bel hidalgo Luis Miguel Dominguín, le type qui affrontait les taureaux.
- Je n'étais pas jaloux de Dominguin, je savais que notre histoire était achevée, mais j'ai compris qu'elle allait s'éloigner définitivement. J'ai essayé de lui parler, mais rien à faire. Vous savez, je lui devais beaucoup ; nous nous sommes mariés en 1951. Quand je l'ai rencontrée, en 1949, ma carrière prenait l'eau. J'étais passé de mode. Elle m'a remis sur scène et m'a imposé auprès de Hollywood. Oui, vraiment, quand j'ai su que j'avais perdu, j'ai brûlé. Je peux dire que j'ai connu l'enfer.
- Ava, c'était la plus belle ?
- La plus belle de toutes, oui ! Une beauté foudroyante. Une vraie femme, avec un mode de vie d'homme : elle buvait sec, traversait la nuit sans dormir, fumait le cigare, s'endormait sur une épaule, rentrait toujours accompagnée… J'ai mis du temps à cicatriser.
- Elle ne s'est jamais remariée, vous si.
- C'est vrai. Et figurez-vous qu'en 1987 ou 1988, un soir, alors que je venais de donner un récital à Londres, au Royal Albert Hall, je prends une communication dans ma chambre d'hôtel. J'ai reconnu sa voix. J'ai tout revu. Elle était dans la salle, mais ne s'est manifestée qu'au téléphone. Ce fut notre dernière conversation. Elle est morte en 1990. Sur mon lit de mort, je murmurerai le prénom Ava. Et si j'ai pu chanter Love's been good to me, c'est parce que j'ai connu Ava Gardner.

Voici, par Frank ”The Voice" Sinatra et par le très talentueux Johnny Cash, "Love's Been Good To Me"



La nuit 3

Tout va de mal en pis pour Frankie ; les femmes l'adorent, mais, bien vite, ne songent qu'à l'abandonner. Prenez la plus belle femme du monde, Ava Gardner. Elle pâme à la seule évocation de son nom. Et elle évoque ses mensurations de son air canaille et coquin de fille de la campagne ; 24 cm ! Pas mal pour un gringalet !
En 1981, il donne ce disque très réussi, à l'atmosphère désenchantée, qui porte en titre celui de l'une des chansons : She shot me down.
- Oui mais moi, ce soir, je voudrais écouter l'autre, celle que tu trouves… comment déjà ?
- Crépusculaire.
- Oui, c'est ça, crépusculaire. J'adore le crépuscule.
- Moi aussi.
- Dis, après, tu voudras bien étendre sur moi ton crépuscule ?

dimanche 2 mai 2010

La nuit 2

- C'est une femme qui ressemblerait à…
- À qui ?
- Mais si, tu sais, cette vedette d'Hollywood. Oh, c'est trop bête, je ne connais qu'elle !
- Peut-être, mais tu ne te rappelles plus son nom.
- Je l'ai sur le bout de la langue.
- Non, au bout de ta langue, c'est moi !
- Eva… Ava Gardner !
- Tu perds la mémoire.
- C'est vrai : la mémoire et le goût. Je ne me souviens même plus du goût de tes lèvres.
- Fais un effort
- Il faudrait que tu m'aides.
- Approche-toi, Alzheimer !
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
- Ah oui, ça me revient.
- Tu vois, c'est facile de retrouver la mémoire. Il suffit que je sois près de toi.
- C'est vrai qu'avec toi, je me sens plus jeune.
- Mets-nous Sinatra et viens plus près !



Franck Sinatra : You make feel so young, musique Josef Myrow, paroles Mack Gordon
(voir également Frankie from Hollywood)

You make me feel so young
You make me feel like spring has sprung
Every time I see you grin
I'm such a happy individual

The moment that you speak
I want to go and play hide-and-seek
I want to go and bounce the moon
Just like a toy balloon

You and I, are just like a couple of tots
Running across the meadow
Picking up lots of forget-me-nots

You make me feel so young
You make me feel there are songs to be sung
Bells to be rung, and a wonderful fling to be flung

And even when I'm old and gray
I'm gonna feel the way I do today
'Cause you make me feel so young