vendredi 31 décembre 2010

Les «avœux»



À l'intention de celles et ceux qui viennent, qui seulement passent, s'attardent, ne font que d'épisodiques stations ici, je forme des vœux de moments intenses, d'étreintes canailles dans l'ombre des portes-cochères, de contacts électriques avec la fourrure des chats, de valses lentes sous les lampadaires, de pas pressés sous les rafales de pluie, d'efforts vains et toujours recommencés. Et, bien sûr, pour tous ceux qui vous sont chers, le bonheur de les réunir souvent autour de vous.

vendredi 24 décembre 2010

Crétins et chrétiens

Une communauté d'élite, diplômée, lettrée, savante, est devenue la cible des terroristes : les chrétiens d'Irak. Ils doivent se préserver, se terrer, fuir : les accueillerons-nous avec l'affection, le respect, la considération qu'ils nous démontrèrent toujours, chez eux ?
Les chrétiens d'Irak sont victimes d'eux-mêmes, sans doute, des musulmans, assurément, et de George Bush, très certainement. Je conchie M. Bush, prédateur de petit bassin, devenu bourreau des chrétiens d'Irak, mes frères admirables d'Orient !
En ce jour de Noël, j'ai une pensée particulière pour les arabes chrétiens, pour les chrétiens de Kabylie, pour les maghrébins chrétiens, pour les Coptes d'Égypte.
La Commission européenne a fait imprimer, à trois millions d’exemplaires, un agenda destiné aux écoles secondaires. Il mentionne les fêtes juives, –nous nous en réjouissons–, hindoues –nous en sommes heureux–, sikhs –cela nous satisfait–, et musulmanes –quelle plaisante initiative ! On cherchera en vain, dans cet agenda «européen», une fête chrétienne ! La commission européenne vient simplement d'effacer une partie constitutive de sa mémoire.
Les députés européens ont toujours été des idiots inutiles ; ils viennent de démontrer qu'ils pouvaient être également des salauds. Et ils me forcent, ces incapables surpayés, saturés de mauvais cholestérol, satisfaits, incarnant tout ce que je détestais, enfant puis adolescent, et que je persiste à mépriser, ils me forcent, donc, ces législateurs arrogants et vains, à prendre le ton de gravité des imbéciles.
Voilà où nous en sommes. Je sens que je vais me faire baptiser une seconde fois…
Vous toutes et vous tous qui passez ici, et qui donnez à ce lieu l'essentiel de sa grâce, je vous espère heureux parmi les vôtres et auprès de ceux que vous aimez.


mercredi 22 décembre 2010

Bernardine…




[…]
«Voir le pays du matin calme
Aller pêcher au cormoran
Et m'enivrer de vin de palme
En écoutant chanter le vent»
[…]

Avec Henri Salvador, qui chantait «dans le souffle», je voudrais saluer l'auteur de ce texte émerveillé : Bernard Dimey,ivre de vin et de rimes, poète délicat, gros homme jovial et perdu, qui hantait les rues de Paris, cherchant quelque chose ou quelqu'un, mais ne le trouvant pas…
(Une chanson de Dimey, c'est une bernardine.)

lundi 20 décembre 2010

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (3)



[…]
Et les villes du Nord répondirent gaiement

Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l'Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Où les ouvriers nus semblables à nos doigts
Fabriquent du réel à tant par heure
Nous te donnons tout cela
[…]

Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez
Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré

Mais je connus dès lors quelle saveur a l'univers

Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers
Sur le quai d'où je voyais l'onde couler et dormir les bélandres

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s'il me plaît l'univers

Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s'achevait lentement
Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine


Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire ((1880-1918), Vendémiaire (extrait), tiré de Alcools (1913)

(Je ne parviens pas à m'arracher à l'attraction qu'exerce sur moi le phénomène qui surgit des vers de Guillaume. Voyez les images de Metropolis : von Harbou et Lang ont suscité des formes qui ne cessèrent d'inspirer le cinématographe. Mais, à l'origine, il y avait la poésie et la littérature.)

vendredi 17 décembre 2010

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (2)

<

Ce n'est que par la postérité que Metropolis fut enfin considéré. En Allemagne, en Europe (à l'exception des milieux artistes et intellectuels français), puis en Amérique, on ne l'aima guère. Pour les studios de la UFA, qui y avaient engagé une fortune, ce fut une déroute commerciale. Film muet à gros budget, sa distribution coïncida presque avec l'avènement du cinéma parlant.
On dit que c'est lors d'un voyage en Amérique du Nord que Fritz Lang (1890-1976), devant le spectacle des villes gigantesques, fortement illuminées, formant ainsi des nuits électriques, imagina les premières scènes de son film. Nous pensons, pour notre part, que Jules Vernes est l'une de ses sources d'inspiration.
Quoi qu'il en soit, on doit le scénario de Metropolis à Thea von Harbou (1888-1954), une femme exceptionnelle, un caractère, qui écrivit d'abord la nouvelle au titre éponyme, puis le scénario du film, avec son mari, Fritz Lang. Le nom de Thea von Harbou est indissociable du cinématographe allemand, entre les deux guerres.
Ils se séparèrent ; Fritz Lang, infidèle et fuyant les nazis, Théa s'en rapprochant… dangereusement.
Le destin contrarié (contrariant) de Thea, est celui d'une femme allemande, née prussienne, possédant tous les dons et l'éducation qui permet de les exploiter, ardente, libre comme on ne l'est plus, offerte à toutes les idées, même les plus folles, même les plus dangereuses.
Mais voici la suite : Thea se consola des infidélités de Fritz dans les bras d'un amant magnifique (voir photographie ci-dessous), d'origine indienne, nommé Ayi Tendulkar (?-1975). Ce dernier était venu en Allemagne afin d'y achever un doctorat en statistiques. Sur les conseils de Thea, qui prévoyait la fin prochaine de la domination anglaise sur l'Inde, il entreprit également des études d'ingénieur en mécanique, se préparant ainsi à servir son pays.



Thea von Arbou et Ayi Tendulkar, vers 1936


De retour en Inde à la fin de 1938, il y commença une grande carrière, comme l'avait prévu Thea. Il se lia d'amitié avec Gandhi, qui fut témoin à son mariage. Sa fille, Laxmi Dhaul, écrivain, a témoigné de l'attachement de son père pour Thea, et du souvenir qu'il gardait de sa générosité. Après la guerre, Thea von Harbou paya les conséquence, logiques, de sa compromission auprès des nazis. Et puis, elle mourut, car, à la fin, on meurt.









Metropolis
Allemagne, 1927
Mis en scène par Fritz Lang : images de Karl Freund et Günther Rittau
Scénario : Fritz Lang et Thea von Harbou, d'après la nouvelle de Thea von Harbou «Metropolis»
Avec Brigitte Helm, Alfred Abel, Gustave Froehlich, Rudolf Klein-Rogge, Fritz Rasp, Theodor Loos

Ceux qui ne l'ont pas encore vu, seront vraiment étonnés par la maîtrise de la mise en scène, par l'inquiétante imagination qui déploie sa fantaisie.

mercredi 15 décembre 2010

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes…




La dame avait une robe
En ottoman violine
Et sa tunique brodée d'or
Était composée de deux panneaux
S'attachant sur l'épaule

Les yeux dansants comme des anges
Elle riait elle riait
Elle avait un visage aux couleurs de France
Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges
Elle avait un visage aux couleurs de France

Elle était décolletée en rond
Et coiffée à la Récamier
Avec de beaux bras nus

N'entendra-t-on jamais sonner minuit

La dame en robe d'ottoman violine
Et en tunique brodée d'or
Décolletée en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d'or
Et traînait ses petits souliers à boucles

Elle était si belle
Que tu n'aurais pas osé l'aimer

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
Le fer était leur sang la flamme leur cerveau
J'aimais j'aimais le peuple habile des machines
Le luxe et la beauté ne sont que son écume

Cette femme était si belle
Qu'elle me faisait peur

Guillaume Apollinaire, 1909, poème extrait de Alcools




Photographies : Metropolis, film de Fritz Lang, 1927
















mardi 14 décembre 2010

Montand d'un autre temps

Piaf lui fit abandonner ses chansons de cow boy, elle le «déniaisa», scéniquement parlant. Il était doué, il comprit la leçon et devint rapidement un grand interprète. Au cinéma, ce fut plus lent ; longtemps, il joua faux, emprunté, appliqué, puis il trouva son équilibre et des rôles adéquats.
Aujourd'hui, il est au purgatoire des artistes, on le néglige, on l'oublie. Pourtant, il avait une présence et une science de la scène exceptionnelles.
La chanson est de Francis Lemarque.


dimanche 12 décembre 2010

L'autre…

L'autre, elle a le temps de se manucurer, de s'arroser de parfum français, de se rendre désirable ; elle ne s'occupe pas des enfants, elle, l'autre femme…
Deux versions, grandioses :



La mémoire qui flanche

http://www.musicme.com/Patachou/albums/Les-Feuilles-Mortes-autumn-Leaves-5099750534625.html?play=21

La chanson Il n'y a pas si longtemps, est de Danyel Gérard, qui la chante, mais elle est beaucoup mieux interprétée par Patachou, qui rendrait harmonieux un horaire de ligne aérienne.
Pour le reste, eh bien, mon Dieu, il s'agit d'une ritournelle sentimentale ! La tragédie ordinaire des amours mortes.

La guerre des sexes

Pas mal !






















Pas mieux !



















Photographies PM

mercredi 8 décembre 2010

Quelqu'un qui nous ressemble…

http://www.musicme.com/Felix-Leclerc/albums/Felix-Leclerc-0731454291521.html?play=18
(Le titre de cette simple splendeur, crépusculaire, est Ailleurs, de Félix Leclerc)

Lennon incest

De passage


























Photographies PM

dimanche 5 décembre 2010

«L'ardente obligation du plan»
















































































Lost in translation ?

Rexiste




























































Dans les années soixante-dix, on décréta que les grandes salles de cinéma avaient fait leur temps. On les détruisit donc (tel le superbe Gaumont-Palace, place de Clichy).
Heureusement, le Grand Rex, boulevard Poissonnière, à Paris, fut épargné. Il a même prospéré. On y donne des spectacles, des récitals et, bien sûr, on y projette des films sous sa voûte étoilée. En 2009, sa façade a reçu le renfort d'un éclairage proprement hollywoodien.
Photographies PM

Le Printemps en hiver
































On dira que tout cela n'est qu'illusion, n'est-ce pas ? Que ce n'est qu'une des nombreuses manipulations du commerce, au moment de Noël, pour éblouir, aveugler les citoyens, les précipiter dans la folle course marchande… On aura sans doute raison. Il n'empêche : enfant, je défilais, émerveillé, devant les vitrines du Printemps et des Galeries Lafayette. Les purs et durs trouvent cela odieux, insultant pour les plus pauvres d'entre nous. Les petits marquis à talons rouges se moquent de cette manifestation électrique, qu'ils jugent kitsch.
Quant à moi, je m'en émerveille encore.
Photographies PM

La ville d'Ève
























Muhammed IV, sultan du Maroc (1859-1873), rendu curieux par les récits que lui faisaient les voyageurs sur la France et sur sa capitale, dépêcha, en 1860, un jeune lettré, fort bien de sa personne, du nom de Idriss al' Amraoui.
La surprise de l'émissaire est totale, ses déconvenues nombreuses. Il s'émerveille de notre chemin de fer, de nombre de nos paysages, s'étonne de n'y voir nul campement de nomades, trouve les français très laids, à l'exception d'un habitant d'Auxerre «[…] jeune homme de belle apparence […], le cheveux et les yeux noirs ; sa physionomie respirait l'agrément et l'amabilité, et l'on eût dit un Arabe.». À Paris, sous la conduite des diplomates, il visite l'imprimerie et la bibliothèque nationales, quelques théâtres, les Invalides, et le château de Versailles.
Or, si le distingué émissaire du Sultan s'enflamme pour le progrès technique, il se navre de la condition des chevaux (maltraités par des cochers brutaux, capables de tuer leur bête tombée sur la chaussée à coups de bâton !), et, surtout, s'effraie du comportement des femmes, qui jouissent d'une liberté insupportable à ses yeux.
Le récit de son voyage en France a été publié pour la première fois en 1909, sous le titre, emprunté à un passage d'un livre fameux dans le monde arabe, écrit par l'égyptien Tahtâwi : Le paradis des femmes et l'enfer des chevaux

Photographie PM

samedi 4 décembre 2010

J'ai péché encore une fois !

Déjà vu et entendu ici, mais qui se lasserait de cet enchantement ?

Par David Gilmour, qui lui apporte une étonnante précision, soutenue par son petit orchestre pop, à la fois sensible et détaché (la violoncelliste est si charmante !)



Et par le ténor Roberto Alagna, avec frémissement qu'on ne trouve pas chez les autres chanteurs «sérieux» :



Et voici, une fois de plus, les paroles :

Je crois entendre encore
Caché sous les palmiers
Sa voix tendre et sonore
Comme un chant de ramiers.
O nuit enchanteresse
Divin ravissement
O souvenir charmant,
Folle ivresse, doux rêve!

Aux clartés des étoiles
Je crois encor la voir
Entr'ouvrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir.
O nuit enchanteresse
Divin ravissement
O souvenir charmant
Folle ivresse, doux rêve!

Charmant Souvenir!
Charmant Souvenir!

Air de Nadir, Les pécheurs de perles, musique de Georges Bizet/

L'italien absolu

«Ce qui m'ennuie c'est de ne plus être vivant, pas d'être mort
Quelques jours après cette déclaration nécessaire et suffisante, Mario Monicelli, né en 1915, gravement malade, avant de sombrer dans une lente agonie, se jeta dans le vide, le 29 novembre dernier, depuis la fenêtre de sa chambre, à l'hôpital San Giovanni, à Rome.
Il y aurait tant à dire sur cet homme prodigieux, sur le cinéma italien et l'Italie qu'il incarnait, que je me contenterai, pour aujourd'hui, d'un bref salut, plein d'admiration et de reconnaissance.

Feinte






Le sommeil ne vint pas, - mais cette douce ivresse
Qui semble être sa soeur, ou plutôt sa maîtresse;
Qui, sans fermer les yeux, ouvre l'âme à l'oubli;
Cette ivresse du coeur, si douce à la paresse
Que, lorsqu'elle vous quitte, on croit qu'on a dormi;
Pâle comme Morphée, et plus belle que lui.


Alfred de Musset, Namouna (1831, extrait)

Photographie PM

Suburbanité : le mouvement et la ligne













Photographies PM

Suburbanité : jeux de jambes






























































Photographies PM

Suburbanité : brève rencontre



Photo PM

vendredi 3 décembre 2010

Amoureusement baroque



Mais pour qui donc, pour quel(le) cruel(le), se languit, ici, Luciano Pavarotti ?


Caro mio ben,
credimi almen,
senza di te

languisce il cor,
caro mio ben,
senza di te

languisce il cor
Il tuo fedel
sospira ognor

Cessa, crudel,
tanto rigor!
Cessa, crudel,

tanto rigor,
tanto rigor!
Caro mio ben,

credimi almen,
senza di te
languisce il cor,

caro mio ben,
credimi almen,
senza di te

languisce il cor


On attribue ce moment musical délicieux au compositeur italien Giuseppe Giordani. Si d'aucuns murmurent qu'il naquit à Naples en 1751, d'autres prétendent qu'il fut arraché à l'affection des siens et aux griffes de ses créanciers en 1798. On ne sache pas que Caro mio ben soit tiré d'un opéra ; il s'agirait plutôt d'un aria, mot italien que Maurice Chevalier traduisit, autrefois, par Un p'tit air.

Les musicologues, souvent, qualifient de mineure l'œuvre de Giuseppe Giordani. En son temps, Don Giuseppe Giordaniello, ainsi qu'on l'appelait, était fameux. Goethe, de passage à Naples s'est montré peu sensible, sinon à cet air, tout au moins à l'une de ses œuvres :
«[…] Le sommet du Vésuve ne s’est pas découvert depuis que j’y suis monté. Ces dernières nuits, on l’a vu quelquefois jeter des flammes. Maintenant il est redevenu tranquille ; on s’attend à une éruption plus forte. […] La nature est le seul livre dont chaque page présente un grand sens. En revanche, le théâtre ne me fait plus aucun plaisir. On joue ici pendant le carême des opéras spirituels, qui ne se distinguent des opéras mondains que par l’absence de ballets dans les entr’actes. Au reste, ils sont aussi extravagants que possible. On joue au théâtre Saint-Charles la Destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor. C’est pour moi une grande lanterne magique : il semble que j’ai perdu le goût de ces choses.»
Johann Wolfgang von Goethe, Voyage en Suisse et en Italie, lettre du 7 mars 1787, traduction Jacques Porchat

Mais voici sans doute la plus belle interprétation de Caro mio ben, celle de Nicholas Spanos, injustement oublié dans l'engouement récent dont sont l'objet les voix de contre. L'Europe baroque s'enflamma pour les sons étranges, les variations d'ange que produisaient alors les castrats. Grâce à Dieu, si l'on ose dire, il n'est plus nécessaire à un homme de sacrifier une partie de lui-même pour conserver cette tessiture.
(Le son n'est pas excellent, bien sûr, mais auprès de qui se plaindre ?)





Et puis cette curiosité, la voix, enregistrée vers 1900, du dernier «vrai» castrat italien, Alessandro Moreschi :