mercredi 28 mars 2012

Marchand d'oubli(es)




Oublie-t-on vraiment ? Je ne suis pas certain.
Yvan Dautin est un excellent auteur-compositeur-interprête, que j'ai connu grâce à ce texte de chanson très malicieux, dont, hélas, je n'ai pas trouvé la représentation chez « Ioutioube » :


Kate
Elle est délicate, Kate
Comme une tranche de cake, Kate
Dans son lit petit, trop petit
Jamais elle ne lit Elle & Lui
Elle baise
Avec un chinois nommé Lee

Il assure comme une bête
Cette enfant si délicate, Kate
Dans son lit petit, trop petit
On a le membre épanoui
À l'aise
On se fait des chinoiseries

Mais la vie petite, si petite
Après l'amour se rétrécit
Après l'amour, chien de fusil
Lee, Kate se sont endormis
Gros dodo
Dans le lit de la libido

Elle est délicate, Kate
Comme une tranche de cake, Kate

Paroles et Musique: Yvan Dautin 1992 "Le cœur cerise" © Olivi Music

jeudi 22 mars 2012

« Je t'ai cherchée au bout des chambres…»

Voici encore un peu de la beauté mouvementée, hanchée de Maggie Cheung, un peu de la grâce de son cou de cygne jaune, et encore un peu de l'élégance triste de Tony Leung. Voici encore un peu du lent ballet de leur désir mutuel, de leurs frôlements, de leur effarement mélancolique.

mardi 20 mars 2012

L'ondoiement d'Esther























Comment suis-je parvenu jusqu'à cette adresse mystérieuse, comme retirée du monde atroce qui est le nôtre ? Je ne sais plus ; assurément par ricochet, ou par reflet. J'ai eu l'impression de me glisser à l'intérieur d'une demeure secrète et d'y observer, caché derrière une tenture, les cérémonies familières d'une femme. Or, loin de m'y éprouver tel un voleur d'intimité, un voyeur blafard craignant toujours d'être surpris, j'ai compris que l'on m'observait, et que, loin de me craindre, ou de me dénoncer, on m'y attendait, et qu'on me donnerait volontiers le spectacle de l'attraction féminine. Et je sus alors qu'en ce lieu me serait rapportée, comme on le fait d'un très ancien récit d'émerveillement, l'histoire toujours recommencée d'un fameux « appareil ondoyant ».

Vous irez à cette adresse http://secrete-volupte.blogspot.fr/
Esther y a placé les images de la chair, les traces de l'incarnation la plus tendre, la plus désirable qui soit. Si l'expression “grain de la peau” a un sens, c'est chez Esther qu'il se vérifie. Quelques lignes de Pierre Louÿs vous accueillent, sans indication de leur origine :
"La sensualité est la condition mystérieuse, mais nécessaire et créatrice, du développement intellectuel. Ceux qui n'ont pas senti jusqu'à leur limite, soit pour les aimer, soit pour les maudire, les exigences de la chair, sont incapables de comprendre toute l'étendue des exigences de l'esprit."

Je les connaissais, mais où les avais-je lues ? Après réflexion, le nom d'Aphrodite m'est revenu. Elles sont extraites d'une préface que Pierre Louÿs avait écrite à son Aphrodite.
En voici un plus large extrait :

« C'est que la sensualité est la condition mystérieuse, mais nécessaire et créatrice, du développement intellectuel. Ceux qui n'ont pas senti jusqu'à leur limite, soit pour les aimer, soit pour les maudire, les exigences de la chair, sont par là même incapables de comprendre toute l'étendue des exigences de l'esprit. De même que la beauté de l'âme illumine tout un visage, de même la virilité du corps féconde seule le cerveau. La pire insulte que Delacroix sût adresser à des hommes, celle qu'il jetait indistinctement aux railleurs de Rubens et aux détracteurs d'Ingres, c'était ce mot terrible : eunuques !

Mieux encore : il semble que le génie des peuples, comme celui des individus, soit d'être, avant tout, sensuel. Toutes les villes qui ont régné sur le monde, Babylone, Alexandrie, Athènes, Rome, Venise, Paris, ont été, par une loi générale, d'autant plus licencieuses qu'elles étaient plus puissantes, comme si leur dissolution était nécessaire à leur splendeur. Les cités où le législateur a prétendu implanter une vertu artificielle, étroite et improductive, se sont vues, dès le premier jour, condamnées à la mort totale. Il en fut ainsi de Lacédémone, qui, au milieu du plus prodigieux essor qui ait jamais élevé l'âme humaine, entre Corinthe et Alexandrie, entre Syracuse et Milet, ne nous a laissé ni un poète, ni un peintre, ni un philosophe, ni un historien, ni un savant, à peine le renom populaire d'une sorte de Bobillot qui se fit tuer avec trois cents hommes dans un défilé de montagnes sans même réussir à vaincre. Et c'est pour cela qu'après deux mille années, mesurant le néant de la vertu Spartiate, nous pouvons, selon l'exhortation de Renan, “maudire le sol où fut cette maîtresse d'erreurs sombres, et l'insulter parce qu'elle n'est plus” »

Verrons-nous jamais revenir les jours d'éphèse et de Cyrène ? Hélas ! le monde moderne succombe sous un envahissement de laideur. Les civilisations remontent vers le nord, entrent dans la brume, dans le froid, dans la boue. Quelle nuit ! un peuple vêtu de noir circule dans les rues infectes. A quoi pense-t-il ? on ne sait plus ; mais nos vingt-cinq ans frissonnent d'être exilés chez des vieillards.
»

Vous irez également sur les pas d'Esther en vous rendant ici http://esther-des-plumes.blogspot.fr/

Photographie : © Esther

dimanche 18 mars 2012

Lifar aux enchères -3-



(Article paru chez Causeur.fr)
La mémoire aux enchères
La mémoire et le commerce sont souvent associés dans cette étrange cérémonie qui a pour cadre une salle des ventes. Mardi, 13 mars, un long cortège d'ombres - des fantômes de peintres, de décorateurs, de danseurs, de musiciens, de poètes - a hanté la ville de Genève : Michel Fokine, Vaslav Nijinsky, Leonide Massine, Léon Bakst, Alexandre Benois, George Balanchine, Pablo Picasso, Jean Cocteau, Igor Stravinski, Michel Larionov, De Chirico, Natalia Gontcharova, Jacques Rouché… Tous étaient convoqués dans le plus beau catalogue d'œuvres musicales pour la danse qui se puisse imaginer : Le sacre du printemps, Les Sylphides, Pétrouchka, L’Après-midi d’un faune, Daphnis et Chloé, Parade, Le Tricorne, Le Train bleu, Apollon Musagète …
Ce jour-là, en effet, la vie de Serge Lifar a été dispersée, et, avec elle, emportée par le tourbillon d'une vente internationale, une grande partie des archives de Serge de Diaghilev, créateur des Ballets russes, qu'à la mort de ce dernier il avait partagées avec Boris Kochno. Il y avait foule, à 17 h, quand s'ouvrit à Genève, sous le marteau de Bernard Piguet, commissaire priseur, la première adjudication des documents et objets personnel de Serge Lifar, danseur célèbre, fameux chorégraphe, russe de Paris, parisien de Suisse : des amateurs, des collectionneurs, des marchands, de simples curieux. On a battu des records, on a renchéri follement sur des lettres autographes, des dessins, des photographies. Une lettre de Coco Chanel adressée à Serge Lifar, avec deux portraits de la couturière dédicacés, l'ensemble estimé entre 350 € et 450 € a été adjugé plus de 350 000 € ! Une photographie de Pablo Picasso, vers 1910, signée de sa main, est partie à 10 000 €. Le libraire parisien Jean-Claude Vrain a remporté avec lui 48 dessins d'Opium, par Jean Cocteau, estimés 50 000 €, pour la somme de 830 000 € ! Au delà de la spéculation qui touche actuellement ce genre, et de l'origine certifiée des lots, l'emballement genevois témoigne d'un intérêt soutenu, persistant, légitime pour les figures et les épisodes d'un événement majeur et pourtant bref (dix ans) : les Ballets russes.
C'est à l'hôtel Saint-James & Albany, sous les arcades de la rue de Rivoli, que Serge Lifar (1905-1986), de passage à Paris, m'avait donné rendez-vous, un matin de 1983. À la demande de mon plus vieil ami, Michel-Georges Michel, mort à l'âge de 102 ans (1883-1985), Serge Lifar avait accepté de m'accorder un entretien. La veille, Michel-Georges Michel avait réuni tout son monde, à l'occasion d'une fête. J'y approchai Boris Kochno, autre figure centrale des Ballets russes. En cette même année 1983, Rudolf Nureyev avait pris la direction de la danse, à l'Opéra de Paris. Son règne fut éblouissant. Bref, Paris, alors, était russe, et peu importait qu'on y dansât sur une chorégraphie de Marius Petipa ou de Nijinski, ce « fou de Dieu » magnifié par Maurice Béjart en 1971, qui, d'un bond, semblait atteindre aux cintres.
Je me rappelle avoir interrogé Lifar sur le temps de l'Occupation, qui lui valut de sérieux ennuis à la Libération, et sur la période des Ballets russes, qui représentent pour moi l'un des événements culturels majeurs du XXe siècle. Je connaissais l'aventure des Ballets russes, grâce à Michel-Georges Michel, qui avait été le secrétaire de Serge de Diaghilev. Michel, centenaire à la mémoire intacte, vouait à Diaghilev la même admiration fervente que, jeune homme, il avait éprouvé pour cet être d'exception. Celui-ci mérite en effet tous les hommages : avec un bout de mèche neuve et une puissante imagination, il produisit une étincelle qui embrasa tout le décor de son époque, l'abolit tout à fait, et imposa une perspective capricieuse, d'une affolante modernité. Il ne fut pas seulement un animateur, un chef de troupe, mais aussi et surtout un visionnaire, capable de mobiliser le talent de tous et le génie de quelques-uns. Avec eux, grâce à eux, il produisit le mouvement initial qui mit en marche les décennies suivantes, et leur fournit des échantillons de formes, de couleurs et de mouvements. Il révéla aux yeux d'un monde charmé, très différent du nôtre, sa troublante vision du ballet en théâtre total. Il n'a pas eu de successeur, il n'eut pas d'alter ego.
Ce jour-là, donc, Serge Lifar, pressé par le temps, comme détaché, me fit des réponses rendues plus brèves encore par son accent “de russe en exil ” ainsi qu'il se définissait. Ses propos, d'une grande précision, résumaient une vie d'artiste éblouissante. Venu à la danse grâce à Bronislava Nijinska, sœur de Nijinski, qui le présenta à Diaghilev, séduit par sa beauté physique, il ne se considérait pas comme un grand danseur, mais, à juste titre, comme un chorégraphe, et comme un patron de troupe, emploi où il excella en effet à l'Opéra de Paris. Maître de ballet et directeur de la danse, de 1930 à 1945, rappelé en 1947, il y demeura jusqu'en 1958, réglant une centaine de ballets, dans son style néo-classique. Reconnaissant volontiers tout ce qu'il devait à Diaghilev, sa conversation animait ce dernier d'une vie impériale, lui rendait non seulement son prestige, mais encore sa vitalité, jusqu'à la crise qui l'emporta, alors qu'il se trouvait, comme chaque année, à Venise.
Diaghilev dépose ses bagages au Grand hôtel des bains le 8 août 1929. Souffrant d'un sévère diabète, il dépérit rapidement. Convoqués à son chevet, les médecins diagnostiquent des rhumatismes ! Il meurt le 19, alors que le soleil se lève sur la lagune, lui offrant une apothéose romantique, ainsi que l'a rapporté Misia Sert, née Marie Sophie Olga Zénaïde Godebska, présente et témoin de ses derniers instants. Deux jours plus tard, une gondole mortuaire emporte sa dépouille, depuis un quai du Lido, jusqu'au cimetière de San Michele. Suivent dans une embarcation Coco Chanel, Boris Kochno, Serge Lifar, la baronne Catherine d'Erlanger.
Après la cérémonie, Misia règlera la facture des funérailles, Coco celle de l'Hôtel des bains. C'est ainsi, grâce à la ferveur et à l'audace d'une riche et généreuse mondanité, que se constitua et grossit la vague des Ballets russes. Menacés toujours de disparaître, telle une avant-garde fragile, il fallait bien que quelques personnes fortunées, sensibles aux métamorphoses de la beauté, leur donnent une chance de se représenter. Au fond, Diaghilev, « mécène désargenté », consentit à quelques-uns de ses riches contemporains le privilège de l'entretenir et de faire vivre ses danseurs, ses décorateurs et ses compositeurs. En retour, il leur offrit de les associer à sa magie, dont il demeura, jusqu'à la fin, l'irrésistible sorcier.
Or, le temps passait rapidement. Serge Lifar s'inquiéta du taxi qu'il avait commandé. Je l'interrogeai à la hâte sur le ballet Phèdre, créé par lui (1950, musique de Georges Auric, décors et costumes de Jean Cocteau) ; il griffonna, sur une feuille de papier, un dessin, d'ailleurs d'un trait sûr, par lequel il illustra le mouvement de danse qu'il avait imaginé et baptisé « la pose B ». Il parlait, puis, soudain, il signa ce précieux croquis et me le tendit, en disant, avec un bref sourire : « Gardez-le, il faut tout garder ! Plus tard, vous verrez combien les souvenirs comptent. ». On l'avertit que son taxi l'attendait ; il se leva, me salua avec chaleur, et disparut. “ Plus tard ! ” avait-il dit. Plus tard est advenu, et c'est aujourd'hui !

Photographie : La scène, visiblement, se situe sur la plage du Lido, à Venise. Serge de Diaghilev est assis sur l'embarcation, Serge Lifar est le plus jeune des trois, debout. L'autre personnage est peut-être Boris Kochno ? Misia Sert, présente à l'agonie et à la mort de Diaghilev, rapporte que les deux hommes, qui ne s'aimaient guère, en vinrent aux mains.

samedi 17 mars 2012

Lifar aux enchères -2-










En ce temps-là, le monde moderne était en son adolescence. Il se faisait, ici et là, des sons inouïs, des formes inédites, des figures incomparables. Des femmes, des hommes, désignés par le destin pour être dépositaires d'un talent particulier, d'une grâce singulière, se retrouvaient dans une même audace. Par ailleurs, ni meilleurs ni pires que tous les autres, mais différents. Igor Stravinsky, Serge de Diaghilev, Coco Chanel, Jean Marais, Serge Lifar, dans le désordre, sont présents sur ces documents :saurez-vous les identifier ? Réponse prochainement.

mardi 13 mars 2012

Lifar aux enchères






















Elle, c'est Coco Chanel, lui, Serge Lifar. Ces deux-là étaient faits pour s'entendre, et ils s'entendirent à merveille. Leur Seconde guerre ne fut pas glorieuse, certes ! Je vous ai parlé de Serge Lifar ( rubrique DE L'UN À L'AUTRE, article Pas de deux). Aujourd'hui, on dispersait sa vie aux enchères. Une vente exceptionnelle dont je vous entretiendrai prochainement.

vendredi 9 mars 2012

Madeleine reviendra-t-elle ?
























( Article publié par http://www.causeur.fr, sous le titre « Fabius, le combat de trop » )

Qui donc a conseillé à Laurent Fabius d'aller affronter Nicolas Sarkozy, mardi soir, à la télévision ? Son entourage ? Celui du candidat socialiste à l'élection présidentielle ? Ou bien s'est-t-il dit à part soi qu'il pouvait fort bien relever ce défi, et qu'il constituerait même - car il ne doutait pas qu'il en sortirait triomphant - un excellent levier pour ses prochaines manœuvres, après la victoire de M. Hollande ?
Fabius est assez grand, solidement bâti sans qu'il y paraisse ; ses mains de pianiste manient fort bien la raquette de tennis et la bride d'un cheval. Il s'entretient. Or, quand il a paru à l'écran, l'autre soir, on l'a vu alourdi, le visage soufflé, le corps pesant. Mieux habillé, certes, que Nicolas Sarkozy, lequel paraissait avoir dérobé sa veste à un roulottier roumain, mais dissimulant mal une forme de malaise, une crainte : Sarkozy l'attendait à sa table, et l'accueillit, comme un joueur tranquille invite à le rejoindre un ancien partenaire, depuis longtemps éloigné des tapis. Et c'est bien cela qui fut fatale à Laurent, autrefois magnifique : une trop longue absence. On le signale ici, on le cite là, mais jamais dans une grande circonstance et dans un premier rôle. Voilà combien d'années que cet homme si brillant est devenu si atrocement vain ? Fallait-il qu'il fût désespéré pour qu'il choisît de rallier M. Strauss-Kahn, personnage secondaire de la scène politique, dont il dit aujourd'hui, sans rire, qu'il l'a déçu ! Quelles ne furent pas ses affres, lorsqu'il dut reconnaître la victoire de François Hollande, et lui offrir ses services ! Son intelligence erratique n'est plus vouée qu'aux servitudes hollandaises. Il s'est loué pour rien au prétendant socialiste, il boira le calice jusqu'à la lie.
Il se risqua bien à quelques assauts, mais ils venaient de trop loin, ils s'annonçaient en quelque sorte : Nicolas Sarkozy les attendait avec l'assurance des généraux qui connaissent par avance les plans de l'ennemi. L'actuel président de la République avait retiré tous ses masques et présentait ses plaies. Tendu à l'extrême et cependant maître de ses nerfs, impérieux sans être arrogant, il s'est avancé sans crainte, offert aux critiques, voire aux offenses de ses contemporains, mais refusant à l'un de ses pairs le droit de le punir. Il était en sang, ses genoux laissaient sur le sol des traces rouges et des lambeaux de chair, mais il dominait Fabius, il écartait d'un revers négligeant de la main l'homme qui ne serait jamais président de la République.
Par un curieux phénomène de rétro-téléportation, Fabius s'est à la fois incarné dans le couple Elkabach-Duhamel de Cartes sur table, et dans le premier ministre outragé qu'il fut, face à un Jacques Chirac narquois. C'est assez dire qu'il parut démodé. Son entourage lui avait préparé des répliques, des formules susceptibles de faire mal, de déstabiliser, voire d'offenser … 30 ans de retard ! Autre grave erreur : les références à deux prédécesseurs de l'actuel président de la République, Charles De Gaulle et François Mitterrand. Les rassembler dans une perspective commune, la providence et l'Histoire, relève dans le meilleur des cas de la myopie, dans le pire, de la mauvaise foi. D'une part il n' y a aucune commune mesure entre ces deux-là ; d'autre part, Nicolas Sarkozy ne se soucie guère de la postérité. Pour cette raison, s'il n'est pas réélu, il quittera définitivement la scène : on ne l'imagine pas en sénateur ! Il ne connaît que le temps immédiat, revendique l'aveu fulgurant et numérisé. Fabius, politicien de la Ve république, avait en face de lui un avatar post-moderne, un compte twitter, un abonné de facebook, informant en temps réel ses « amis » de ses états d'âme et d'humeur. Insaisissable, reconnaissant ses erreurs, ses fautes et fournissant aussitôt les moyens d'y remédier ! Le candidat-président produit des vagues d'oubli successives, qui recouvrent ses images anciennes et en découvrent d'autres, neuves, qui le montrent contrit et, aussitôt après, déterminé, prêt à bondir, à servir. Trop fort, trop rapide ! Innocent !

La politique aura réduit à rien cet homme plus surement qu'un puissant vice, ou qu'une atroce passion amoureuse. Son père, André Fabius, sut autrefois identifier dans un fouillis de l'hôtel Drouot une œuvre de Georges de la Tour, Madeleine pénitente, également connue sous le surnom de Madeleine Fabius, que possède la Galerie nationale de Washington. Elle montre une femme assise à sa table, plongée dans une sorte de contemplation accablée, caressant un crâne humain. La lueur d'une bougie dissimulée saisit la scène plus qu'elle ne l'éclaire, elle la distribue par séquences dramatiques, inonde un bras, une épaule, dessine une main en ombre chinoise, affleure le visage de profil, rejette tout le reste dans un noir d'encre. Les doigts de la main ombrée sont posés sur un crâne, ils établissent de cette manière un contact avec l'essentiel.
Laurent Fabius, mardi soir, a fait son dernier tour de piste. C'est ailleurs qu'il trouvera sa petite madeleine.

(Document : Madeleine pénitente ou Madeleine Fabius, National gallery of art, Washington).

dimanche 4 mars 2012

Pourquoi votre fille est muette














Le menton est un peu agressif, la bouche aux lèvres minces, rétractées, figure un quant-à-soi amère ; les yeux, autrefois rieurs, se réduisent par instant à une fente d'ironie suspicieuse. Longtemps erratique, il semble que la coiffure ait trouvé son style : courte, la nuque dégagée, une mèche collégienne sur le front. La face, très ouverte, paraît humer le bon air des prairies. Les membres sont puissants, les épaules solides : madame Voynet possède un physique campagnard d'autrefois. Le sait-on assez, cette chlorophyllienne athlétique est la porte-parole d'Eva Joly ?
À quoi pense-elle, Mme Voynet ? Candidate des Verts à l'élection présidentielle, en 2007, il serait inélégant de qualifier le pourcentage des voix qui se portèrent sur son nom de misérable, mais il ne paraît pas faux de le considérer comme négligeable. Désignée de justesse par ses compagnons, elle repoussa plus d'électeurs qu'elle n'en attira : si ce ne fut pas la « catastrophe du siècle », on frisa tout de même le désastre. Évalue-t-elle la prochaine compétition à l'aune de sa propre défaite ? Pressent-elle l'humiliant fiasco ? Veut-elle s'en préserver en se faisant si discrète qu'on ignore souvent son titre auprès de la championne d'Europe-écologie-les-verts ? Il est vrai que cette dernière, après avoir lancé quelques suggestions plus fantaisistes les unes que les autres, a choisi une tactique muette. Elle ne se signale plus par aucun éclat, ne propose plus de transformer l'Arc de triomphe en jardin suspendu, ou la nuit de Noël en cérémonie nationale du souvenir des crimes français contre les espèces potagères disparues.
Mais peut-être cette ombre qui passe sur le regard de Dominique Voynet signale-t-elle désormais son accablement et sa résignation, après que M. Hollande n'a marqué aucune hostilité de principe à l'exploitation des schistes bitumineux. Qu'en dira la capricante franco-norvégienne, déjà peu suspecte de bienveillance envers les socialistes ? La porte-parole s'attend-elle à une riposte cinglante de la part de l'ancien et redouté juge d'instruction, par exemple à son refus explicite d'appeler à voter pour le candidat « normal » ? Par les temps qui courent, et surtout par ceux qui s'annoncent, un peu de voix peut concourir à faire le plein des voix.
Les semaines qui viennent devraient apporter leur lot de surprises et de rebondissements dans la vie exaltante des adorateurs du veau bio.
(Photographie DR)