vendredi 29 novembre 2013

C'est ainsi qu'un soir, on cherche à savoir…


C'est une chanson très ancienne de Tom Waits. Elle date de 1973, et figurait dans l'album « Closing time ».
Il demande à l'opérateur un numéro de téléphone, et s'interroge, en attendant d'obtenir la communication : « Il y a si longtemps, se souviendra-t-elle seulement de ma voix ? Allo ! allo ! C'est Martha ? Ici, Tom, j'appelle de très loin… »
Il lui rappelle une époque très ancienne, « pleine de roses, de poésie et de littérature », où il était tout pour elle, comme elle était tout pour lui. Il n'avait qu'elle, elle n'avait que lui. Demain n'existait pas. Mais voilà, aujourd'hui, il se sent vieux. Et son mari, ses enfants, comment vont-ils ? Il est marié, lui aussi. Il lui rappelle sa jeunesse ardente. Que reste-t-il de tout cela ? Quel souvenir leur amour a-t-il laissé à Martha ? 


Quelle inquiétude absurde et insurmontable nous pousse, un soir, à interroger un souvenir enfoui ? Alors qu'il n'est pas de réponse possible, ni même souhaitable.

Et cette version « live » :


Pour Tom Waits, si le cœur vous en dit, rendez-vous iciou làou encore ici

dimanche 24 novembre 2013

Les oncles d'Amérique…

Georges Lautner est mort. Il était très lié à sa mère, connue à la scène sous le nom de Renée Saint-Cyr. Comme leurs deux domiciles n’étaient pas éloignés l’un de l’autre, on pouvait aisément  rendre visite au premier et saluer celle-ci. J’ai rarement vu autant de plaisir et de désir de séduire chez une femme, à un âge avancé. Elle était remarquablement belle et d’une élégance parfaite. Elle vous recevait en vous donnant le sentiment que vous étiez intéressant, alors que, fort heureusement, vous n’aviez presque rien dit : elle possédait le don de faire de sa vie un récit piquant, charmant, déluré, plein d’observations justes. C'était une artiste « à l'ancienne », et de son temps. Georges Lautner se garda bien de confier publiquement tout le mépris amusé que lui inspiraient les éloges tardifs. Il avait une excellente mémoire et un esprit très caustique, mais le succès de ses films, la reconnaissance universelle de son style (1), son amour de la vie le mirent à l’abri de tout ressentiment. Il citait, en riant, des extraits de critiques, parues dans la presse… Se souvient-on, par exemple, que Jean-Louis Bory a écrit, à propos de Michel Audiard, co-auteur des dialogues des « Tontons flingeurs » : « J’ai marché dans de l’Audiard du pied gauche, et cela ne m’a pas porté bonheur ! ». Pauvre Bory ! Enfin, il fut aussi un bon découvreur de talents. Je ne saurais omettre de nommer Mireille Darc, véritable inspiratrice de Michel Audiard et de Georges Lautner, qui s'est parfaitement intégrée à leur univers de « mecs ». Ces trois-là étaient unis par des liens d'amitié et de joie très forts.
Mise au point  
On voit  très souvent des photographies de plateau, illustrant « Les Tontons flingueurs », dans la presse. Elles sont soit signées Gaumont, soit d’un nom inventé, ou encore de celui d'un voleur de documents. Pour Gaumont, c’est en partie vrai, puisque cette société a produit la plupart des films de Lautner. Mais pour les autres, il s’agit d’une usurpation. Toutes les photographies des « Tontons » sont de mon ami Jean-Louis Castelli, hélas décédé trop tôt, alors que nous préparions l’édition de l’ensemble de son travail de photographe de plateau On aperçoit Jean-Louis dans le rôle du photographe du mariage, dans « Les Tontons », et son cousin, Philippe Castelli, dans celui du tailleur de Ventura.
 
(1) À propos de son style, il faudrait l’examiner sous l’angle de la loufoquerie, et des possibilités narratives fondées sur les ruptures brutales, incohérentes, et l’irruption de l’improbable, qu’offre le dessin animé américain, dit cartoon. Lautner avait un faible pour le récit noir, qui finit mal. « Le Pacha » est une réussite, qui vieillit très bien et a renouvelé le genre. La première partie de « La Route de Salina » est excellente…


Ci-dessous : Lino Ventura, Francis Blanche, Robert « Bob » Dalban,  Bernard Blier, Jean Lefebvre : extraite de Les Tontons flingueurs, il s'agit d'une photographie de plateau signée Jean-Louis Castelli, et non pas Rue des archives ! Il est inadmissible qu'on tolère une telle dépossession d'un travail artistique !


samedi 16 novembre 2013

Équipe de rances

J'apprends que l'équipe de France de football a été vaincue par les ukrainiens. Quelle joie, quel bonheur ! Il paraît que non seulement ils ont été médiocres dans leur jeu, comme d'habitude, mais que, par surcroît, ils se sont montrés vindicatifs, mauvais perdants. L'un des joueurs a agressé un ukrainien. Qui s'en étonnera ? Ce qui est étonnant, c'est que cette bande de millionnaires, de parvenus mal élevés, infantiles, puisse encore trouver des français pour la suivre, avoir foi en elle ! Je suppose que des braves types ont amputé sévèrement leurs maigres revenus, pour s'offrir le voyage en Ukraine, afin de soutenir ces individus, qui les méprisent. On dit qu'il y aurait encore une chance pour que ces mercenaires maladroits et déplaisants se qualifiassent. J'espère vivement qu'ils échoueront, et qu'ils quitteront la compétition humiliés, sous les crachats et les ordures. Que leur importe, d'ailleurs ! Seul compte le club qui les emploie, et les rétribue grassement. Certains commentaires assurent qu'une simple sélection pour la compétition redonnerait un peu d'espoir au peuple français, accablé, désespéré. C'est possible, mais, alors,  c'est effarant ! 
L'actuelle équipe de France de football est notre reflet dans un miroir brisé, notre reflet dans un œil de boue ; il renvoie de nous-mêmes une image, que nous ne supportons pas, parce que nous croyons qu'elle nous ressemble, alors qu'elle en est le mensonge effronté. Nous sommes les dupes d'une mauvaise représentation, donnée par des comédiens calamiteux. 
« Tirez le rideau, la farce est jouée ! » (*)

* Ces mots, Rabelais les aurait prononcés sur son lit de mort



vendredi 8 novembre 2013

Le Diable, probablement…





















Ci-dessus : Eugène Delacroix (1798-1863), lithographie pour Faust, de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832). Il existe deux versions de cette œuvre ; la première date de 1808, la seconde, posthume, de 1832. En France, Gérard de Nerval (1808-1855) commença la traduction de Faust I dès 1826/1827 ; celle-ci fut publiée en 1828 par Dondey-Dupré, à Paris, avec cette exergue de Germaine de Staël : « [Faust] fait réfléchir sur tout, et même sur quelque chose de plus que tout. ». Germaine savait s'y prendre pour attirer l'attention de ses contemporains sur un livre ou sur un homme, qu'elle admirait… 

La première fois que je vis ce Méphisto dans les airs, j'étais adolescent. Je découvrais Baudelaire, et, avec lui, la beauté du Diable.

J'ai immédiatement aimé cette vision d'un démon aérien, semblant danser (voyez ses doigts, animés comme ceux d'un danseur), survolant les toits de la ville, alors que la nuit tombe. Il inspirera les voleurs, il suggérera aux amants les figures les plus adorablement obscènes, et aux autres les complots, les trahisons, les infamies. Or, il ne m'effraya pas. C'est que je lui trouvai une physionomie, sinon bienveillante, tout au moins rieuse et sans méchanceté : il n'a pas la joie mauvaise. En ce temps-là, j'étais en mon adolescence…

J'ai succombé à toutes ses tentations, mais je n'ai signé aucun pacte de sang, ni même de sueur avec lui. Ai-je eu tort ? Ce gracieux Méphisto a été licencié. À force de négocier des contrats avec eux, d'entendre leurs raisons, de surprendre leurs faiblesses, il a aimé les hommes. Il s'est reconnu affaibli par leur propre fragilité. Il ne voulut plus les pousser à la faute : il se surprit même à les assister, à les encourager au bien, à l'honnêteté, à la droiture. Il s'est laissé corrompre en quelque sorte.
Celui qui l'a remplacé est la chute, et il est l'abîme.
Il est l'effroi.














Magnifique mise en scène du « Faust », de Gounod, au MET, à New York. René Pape est un Méphistophélès très convaincant :