dimanche 14 juin 2015

Un grand résistant

Christophe Girard, homme de conviction
Qui connaît Christophe Girard ? Les parisiens, assurément, puisqu'il fut adjoint à la culture de Bertrand Delanoé, et qu'il est maire du IVe arrondissement. Naguère, il sut, dans un récit sensible, trouver les mots pour évoquer un drame intime, le suicide de sa mère, peut-être accablée d'une mélancolie inconsolable. Sa réussite sociale est exemplaire : elle l'a conduit vers les honneurs de la cléricature municipale, ainsi qu'au sommet de la maroquinerie de luxe (1). Au reste, quand il se contemple, on croirait qu'il se tient à la base d'une pyramide. On dit que cet édile maroquinier voulait être ambassadeur. Il l'est assurément devenu… de lui-même. C'est un homme influent dans le monde de l'art contemporain, et un esprit « avancé ». Il s'avance d'ailleurs souvent. Parfois, il recule. 
Il s'était avancé très loin, lorsqu'il avait plus que suggéré que le théâtre de la Gaîté-Lyrique, alors en piteux état, abritât une bibliothèque, dont une part serait affectée à des œuvres et des documents « gays et lesbiens, comme à San Francisco ». Ce projet souleva l'approbation des mêmes, et l'interrogation des autres : qu'allait-on placer dans les rayons ? Et pourquoi instituer un lieu de lecture public strictement orienté, au risque d'en faire une place forte, exclusivement fréquentée par une communauté sexuelle ? Il y avait là quelque chose d'inquiétant. Il était (il demeure ?) certes délicat, voire impossible, à un jeune homme d'avouer son homosexualité à sa famille ; il apprenait tôt à jouer la comédie des apparences, et à taire son attirance. Mais, plus généreusement qu'ailleurs, la belle contribution au rayonnement de notre pays des nombreuses personnalités homosexuelles a toujours été reconnue. Cependant, les temps ont changé. Il s'agit désormais de crier haut et fort ses racines, ses origines, ses particularités. On est d'une ethnie, d'un genre, d'une coterie, d'une tribu, comme d'un club. La France a perdu, les lobbies ont gagné. Les guichets sont ouverts, les plaignants s'y précipitent.
Nous étions en 2001. L'initiative de Christophe Girard s'inscrivait dans le grand mouvement de fracture de la nation française, qui devait réaliser son émiettement en micro-sociétés soutenant des mémoires et des intérêts divers et variés. Or, son projet de « Gayté »-Lyrique souleva un tollé, même à gauche : M. Girard recula.
Récemment, il a manqué une occasion de rompre avec la langue des maîtres, dont il use abondemment, et avec le suivisme d'opinion, qu'il incarne jusqu'à la caricature. 
Voici l'affaire : en mai 2013, meurt Henri Dutilleux compositeur célébré dans le monde entier sauf en France (2). Le pouvoir socialiste, qui sort son 49, 3 dès qu'il entend le mot culture, si prompt à s'émouvoir des malheurs de sophistes, ne lui rend aucun hommage. Au mois de novembre, Jean-Pierre Plonquet, candidat UDI aux élections municipales dans le IVe arrondissement, demande qu'une plaque soit posée sur la façade de l'immeuble, 12 rue Saint-Louis-en-l'Ile, où logeait le musicien. Christophe Girard, lui aussi candidat, opposé à M. Plonquet, apporte son soutien à cette proposition. Le Comité d'histoire de la ville de Paris est alors saisi, comme il se doit.
En juillet 2014, ce comité fait connaître son avis favorable, accompagné d'une précision biographique : « Henri Dutilleux, alors qu'il était chef de chant de l'Opéra de Paris, a composé la musique du film de propagande Forces sur le stade (1942) ». Cette œuvre impérissable invitait les français à pratiquer un sport, conformément aux vœux du maréchal Pétain. Le même comité précisait qu'il s'agissait, à sa connaissance, du seul exemple d'« implication de Henri Dutilleux dans une politique active de collaboration ». Et pour cause : on apprit qu'il avait adhéré dès 1942 au Front national des musiciens, mouvement de résistance à l'ennemi, mais encore d'assistance aux compositeurs persécutés par les nazis, et qu'il avait, par surcroît, composé clandestinement la musique de La Geôle, poème que Jean Cassou, personnalité irréprochable de cette sombre période, imagina dans sa cellule en 1943, alors qu'il ne disposait ni de papier ni de crayon !
Que décida, finalement, le maire du IVe arrondissement, qui s'était pourtant avancé ? Avec l'appui de Karen Taïeb, conseillère, et celui de la mairie de Paris, il jugea qu'il était urgent d'attendre. Il évoqua le contexte « marqué par les attentats de janvier et la commémoration de l'anniversaire de la libération des camps de concentration d'Auschwitz et Birkenau […] J'avais souhaité qu'on apaise tout et qu'on laisse passer un peu le temps dans l'émotion actuelle […] On mettra la plaque, mais le temps n'est pas opportun […] entre les manifestations, le plan Vigipirate, le mémorial de la Shoah qui est sous surveillance dans l'arrondissement, il n'est pas question d'avoir des manifestations devant la rue d'Henri Dutilleux contre la pose d'une plaque, ce serait d'une violence inouïe, donc Anne Hidalgo et son cabinet m'ont réitéré que ça n'était pas opportun pour le moment, lorsque j'ai posé la question. ». 

Christophe Girard, une fois de plus, s'était avancé. Puis il a reculé. Il s'agissait simplement de rendre hommage à un artiste remarquable, parfaitement honorable, et l'on a convoqué Pétain, Auschwitz, la collaboration, les frères Kouachi, Coulibaly ! 
Si l'on voulait peindre le conformisme de M. Girard, il faudrait le voir en buste, car, en pied, on aurait le vertige ! 

Ci-dessous : M. Girard offrant son propre portrait à la contemplation de ses contemporains










1) Il était encore récemment directeur de la stratégie mode du groupe LVMH
2) L'auteur de ces lignes admirant l'œuvre de Dutilleux, manque d'objectivité. Mme Filipetti, alors ministre de la culture, et un certain Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris chargé de la culture, étaient présents aux obsèques de Georges Moustaki, mais absents à celles de Henri Dutilleux, le même jour. Les socialistes de pouvoir honorent et ignorent à la manière des petits bourgeois flaubertiens.