De tous les grands peintres, Albrecht Dürer (Nüremberg 1471-1528) fut le premier à s'être livré avec un soin particulier à l'exercice de l'autoportrait, ou plutôt, comme on disait alors, à la « peinture de soi-même ». Il s'est représenté avec une minutie fiévreuse, il s'est ausculté, il s'est magnifié, souvent, jusqu'à se donner l'aspect et l'allure du Christ : c'était tout de même faire preuve d'assez d'orgueil ! Et encore, il ne s'est peint qu'en buste !
Il s'est très tôt regardé dans un miroir ; l'objet était très rare à son époque, mais, même sans y penser il réfléchissait suffisamment, puisque le garçon avait à peine treize ans lorsqu'il se vit ainsi :
Le texte, en haut à droite du dessin, de sa main, dit ceci : « J'ai fait ce portrait d'après moi-même, en me regardant dans un miroir, l'année 1484, quand j'étais encore un enfant. (Vienne, Graphishe Sammlung Albertina) »
Le voici encore, en 1493, dans le portrait dit « au chardon ». Il a quelque chose de raide ; cela s'explique par la nécessité tout à la fois de tenir la pose, de s'observer, puis de peindre. C'est un bel homme, avec une chevelure de paille mouvementée, une expression sévère et inquiète, un nez fort, des lèvres comme deux vagues charnues, un cou gracieux, long, une chair aimable. Il a pris conscience de son talent, et saura le faire reconnaître.
Autoportrait ou portrait de l'artiste tenant un chardon (1493), musée du Louvre
Dürer, artiste complet, est un type sérieux, très fin, réservé. En
1493, il poursuit, en Allemagne, sa formation artistique. Un premier
séjour en Italie, assez court (1494-1495), alors qu'il est encore un
inconnu, lui présentera la figure de l'artiste (et du peintre) et son «
emploi » dans la société, dans leur pleine mesure néoplatonicienne : un seigneur de l'esprit (« Pittura e cosa mentale » « La peinture est une chose de l'esprit » écrit Léonard de Vinci)
Sa
piété est sincère : loin d'être menacée par l'accroissement incessant
de ses connaissances, en particulier dans le domaine des mathématiques,
elle s'augmente avec le temps. Il connaît tôt sa valeur, juge son
talent en le comparant à celui des autres, et surtout des Italiens. Il
se produit en Europe, alors, un immense « remuement de compréhension » du
monde.
Il ne cesse de s'observer, en artiste, mais aussi en humaniste, sans complaisance. Ce qu'il voit, c'est un un homme tout entier singulier. Il voit encore et toujours les métamorphoses de son reflet. Il se traque, sans souci autre que celui de se « reproduire ». Dürer exerce ce qu'on pourrait appeler son « droit de circonspection ».
Vers 1505, il se dessine nu, vraiment nu, et encore menacé, attaqué par le temps, mortel. Le miroir est certainement trop petit pour qu'il puisse s'y considérer du haut jusqu'en bas, alors il présente ce qu'il perçoit : le voici incomplet (plume, brosse, lavis et rehauts de craie). Du buste musculeux, sec, de la verge courte et vigoureuse comme une racine, et des testicules, se dégage une impression de vraie force. Cet athlète vieillissant ne se ménage pas. La part d'ombre qui l'environne est égale à celle de la lumière qui le saisit, les deux ensemble révèlent les traits d'un visage inquiet, que la grâce a quitté. Cet homme est résolu à poursuivre un chemin, dont il n'ignore pas l'issue.
Nous retrouverons Dürer prochainement.
Le thème de l'autoportrait, et, plus précisément, de l'éternel et permanent « retour sur soi », m'a inspiré un poème de mirliton, qui ne figurera certes pas dans une anthologie consacrée à la poésie du XXIe siècle, mais qui aurait sa place, au reste fort digne, dans une résurrection de l'Almanach Verts Maux :
Est-ce soi que l'on voit ?
Et ce « soi », est-ce moi ?
Est-ce moi que je vois ?
Et ce « moi », est-ce soi ?
Est-ce toi que je vois ?
Et ce « toi », est-ce moi ?
Soi, moi, toi : en tout trois ;
Trois en un, tous en moi,
Toi, soi, moi : tout cela !
Et sous le même toit !
Moi à tu et à toi
Avec un même soi !
Est-ce à soi que je dois
De tant tenir à moi ?
Et ce moi, quel qu'il soit,
Qu'est-il en soi, ce moi ?
Est-ce bien moi, ce « soi » ?
Qui est ce toi en moi ?
Et puis, ce quant-à-soi,
Que cèle-t-il de moi ?
Que dit-il donc de moi ?
Eh bien, de toi à moi,
Et du vers à la soie :
- Tu es une merde dans un bain de soi ! (1)
1) « Vous êtes de la merde dans un bas de soie », Napoléon à Talleyrand, conseil des ministres, château des Tuileries, 28 janvier 1809.
Dominique A ne cesse de nous séduire. Il vient de produire un superbe disque, dont j'extrais cette chanson, mêlée d'énigme et de mélancolie. Elle ne me semble pas hors-sujet.
jeudi 25 janvier 2018
mercredi 10 janvier 2018
Trève « Pascal »
Que peut-on dire de cette interprétation ? À Canal+, la chaîne de l'humour en chaussettes à clous, et de la rigolardise d'arrondissement, on la trouverait « ringarde », à peine digne d'un sketch de dérision à l'usage des nouveaux petits bourgeois déculturés. Mais, ici, nous dirons qu'elle possède un charme fou. Et nous insisterons sur la qualité générale de cette scène, qui touche également à la manière dont Jean-Claude Pascal est éclairé.
Barbara connaissait cet enregistrement : au reste, J. C. Pascal a contribué à faire connaître la dame en noir. À propos de Jean-Claude Pascal (et de quelques autres) : Connaît-on la chanson ? suite
Des fantômes familiers
mardi 2 janvier 2018
Un peu de désir dans l'eau froide
À Charleville, dans le beau pays d'Ardenne, le nom de Patti Smith est prononcé avec respect. Patti a toujours manifesté une grande admiration pour Arthur Rimbaud. Elle a donné plusieurs documents, dont un dessin, au musée Rimbaud de la ville (que le jeune Arthur qualifiait de « supérieurement idiote entre toutes ». La cité est magnifique : la place ducale est, selon moi, plus accomplie que la place des Vosges à Paris ). Il y a quelque temps, elle a fait l'acquisition d'une maison, sans grand charme d'ailleurs, située à Roche, une sorte de lieu-dit dans la campagne éloignée de Charleville. Aux yeux de Patti, qui souhaitait depuis longtemps acheter un bien dans cette région, cette bâtisse possède une qualité majeure : elle a appartenu à la mère du poète, une femme d'aspect revêche, abandonnée par son mari, crainte et profondément respectée par ce voyou d'Arthur, enfant colérique et imprécateur pour l'éternité des jours.
Jeune, Patti Smith avait un corps flexible d'adolescent. Elle fit la connaissance du photographe Robert Mapplethorpe en 1966. Leur couple fut de l'espèce fusionnelle, augmentée de l'effet « Enfants terribles » de Jean Cocteau : la relation est comme une île ; l'océan qui la cerne, pourtant immense, n'est qu'un décor ignoré. Il se peut que le monde existe, mais il n'aura jamais la consistance, la saveur, l'intensité, la grâce du désir qui nous fonde …
Robert Mapplethorpe et Patti Smith au Chelsea hôtel, en 1969, par Norman Seeff
De 1969 à 1974, ils occupèrent souvent une chambre du fameux Chelsea hôtel, à Manhattan, où vivait à l'année, pour des loyers dérisoires, toute l'Amérique de la bohème. Ils se séparèrent amoureusement en 1974, mais demeurèrent très liés. Mapplethorpe, mort du sida en 1989, laisse une œuvre passionnante, profondément marquée par son origine catholique et par l'admirable exploration charnelle, sensuelle, la transgression vraie, violemment poétique, la foudroyante inconvenance qu'autorise cette sublime religion des corps et des cœurs « intelligents ».
Dans un récent entretien qu'elle accorda au journal La Croix, Patti fit part de son admiration pour Simone Weil, la jeune philosophe, que nous avons évoquée ici.
Portrait de Patti Smith, sur un balcon du Chelsea hôtel, 7 mai1971, par David Gahr/Getty Images
Patti Smith chante Because the night :
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to lust
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to us
Sur Jean Cocteau : L'enchanteur du XXe siècle (1) L'enchanteur du XXe siècle (2)
Jeune, Patti Smith avait un corps flexible d'adolescent. Elle fit la connaissance du photographe Robert Mapplethorpe en 1966. Leur couple fut de l'espèce fusionnelle, augmentée de l'effet « Enfants terribles » de Jean Cocteau : la relation est comme une île ; l'océan qui la cerne, pourtant immense, n'est qu'un décor ignoré. Il se peut que le monde existe, mais il n'aura jamais la consistance, la saveur, l'intensité, la grâce du désir qui nous fonde …
Robert Mapplethorpe et Patti Smith au Chelsea hôtel, en 1969, par Norman Seeff
De 1969 à 1974, ils occupèrent souvent une chambre du fameux Chelsea hôtel, à Manhattan, où vivait à l'année, pour des loyers dérisoires, toute l'Amérique de la bohème. Ils se séparèrent amoureusement en 1974, mais demeurèrent très liés. Mapplethorpe, mort du sida en 1989, laisse une œuvre passionnante, profondément marquée par son origine catholique et par l'admirable exploration charnelle, sensuelle, la transgression vraie, violemment poétique, la foudroyante inconvenance qu'autorise cette sublime religion des corps et des cœurs « intelligents ».
Dans un récent entretien qu'elle accorda au journal La Croix, Patti fit part de son admiration pour Simone Weil, la jeune philosophe, que nous avons évoquée ici.
Portrait de Patti Smith, sur un balcon du Chelsea hôtel, 7 mai1971, par David Gahr/Getty Images
Patti Smith chante Because the night :
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to lust
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to us
Sur Jean Cocteau : L'enchanteur du XXe siècle (1) L'enchanteur du XXe siècle (2)
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Arthur R.,
Encore un peu d'amour,
Le lien caché
lundi 1 janvier 2018
Mes (A)vœux ou Tous mes vœux vous accompagnent !
En 2018, tout ira mieux. Les hommes ne mourront pas sans raison ; les lions épargneront les gazelles trop rapides ; les jihadistes présenteront des excuses aux familles de leurs victimes ; les socialistes français feindront avec une plus grande habileté de paraître de gauche ; M. Mélanchon ressemblera, de loin, à une manière de Lénine outrecuidant : de près aussi ; les néo-féministes se feront poser une ceinture de chasteté dont elles jetteront la clef, puis elles regretteront ce geste ; Harvey Weinstein ne produira plus que des documentaires animaliers, mais les femelles mammifères de ces films porteront plainte contre lui ; la délation numérique sera la règle ; les dieux grecs ressusciteront, et ils ne seront pas contents ; dans les abattoirs, on séparera les animaux qui seront tués dans d'atroces souffrances de ceux qui seront massacrés avec entrain ; les comiques français, conduits par Kev Adams, accablés de honte, comprendront enfin qu'ils ne sont pas drôles.
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Il est plus tard que je ne crois
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