jeudi 30 janvier 2014

Ma correspondance avec la Beauregard, la suite















Illustration : Ron Mueck, Woman in bed




Les choses vont si vite à Paris qu’une nouvelle du matin est ancienne au souper ! Dans le même temps qu’un journal, comme je vous en fis le récit récemment, révélait avec force dessins à l’appui les infidélités « pompières » de François II, il se produisait un embrasement gazetier. Notre roi est-il mécontent de la tournure qu’ont pris les événements ? Au début de son règne, il fut apostrophé dans la rue par une commère, à propos de la Koajélère : « N’épousez pas cette femme, on ne l’aime pas ! ». Il ne répondit pas. Mais n’a-t-il pas suivi le conseil ? Je tiens à vous persuader par ma démonstration que toute l’affaire procède d’une entreprise à laquelle Sa Majesté n’est peut-être pas étrangère. Entendez mon avis, ma coquette, et vous me direz si j’ai tort.
En deux semaines, nos kiosques se couvrirent de couvertures de magazines, montrant la physionomie de Julie Légayée, la théâtreuse dont il s’est toqué, ses traits délicats, sa figure avenante. Il n’y eut pas une feuille d’arrondissement qui n’imprimât un portrait de la nouvelle favorite, qu’on n’a jamais tant vue.
Vous n’ignorez pas que la marquise de Koajélère, avant sa rencontre avec François II, donnait des articles à Paris-Marche, qu’elle continuait d’alimenter en propos sur la littérature parfaitement insipides. Eh bien, ce journal a consacré de nombreuses pages à sa rivale, sur un mode très flatteur ! Appartenant au même personnage, héritier d’un magnat qui portait le nom d’un héros de Paul Féval, Ailes, l’hebdomadaire distribué dans les salons des médecins et des perruquiers ne se trouva pas en reste : la blonde que voilà y connut une vraie consécration. Bref, ma cousine, je prétends que cette affaire d’alcôve n’a pas été rendue publique par la seule indiscrétion d’une gazette à scandale. Elle sert parfaitement les intérêts sentimentaux de notre récent couronné, qui souhaitait mettre définitivement et officiellement fin à sa relation avec la Koajélère. Conduisant un attelage à deux têtes, a-t-il craint l’emballement et l’embardée ?
Décidément, ce roi si falot d’apparence, et si prompt à dire des banalités qu’il mériterait qu’on l’appelât le souverain poncif, est un Barbe-Bleue sans le crime ! on ne comptera bientôt plus derrière lui les femmes abandonnées.
Or, la Koajélère, congédiée sans ménagement, telle une courtisane qu’on choisit au crépuscule, et qu’on fait raccompagner par un valet aux premières lueurs de l’aube, subit une terrible humiliation.
Mon crédit, mon pouvoir ; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule !
1
Elle a souffert, elle a pleuré, elle ne portera pas le deuil de l’amour. Des personnes de son entourage assurent qu’après qu’elle aura soigné ses plaies, elle ne voudra plus que venger l’affront public fait à sa personne :
Ce misérable ! ce misérable ! il trompe une femme, et renie l’autre ! infâme (*)
Pourrons-nous bientôt nous réjouir d’une indiscrétion suavement murmurée ? Rappelez-vous le mot de Mme de Flahaut sur Talleyrand relativement aux choses de l’amour : « Il agissait suaviter in modo, mais nullement fortiter in re » que vous traduiriez en latiniste accomplie par : « Au lit, si sa manière était douce, il manquait de vivacité dans l’exécution »…
Vous savez que, pour s’asseoir sur le trône, notre roi, aidé de ces nouveaux bourgeois arrogants au teint de fraise éclatée, et de quelques viragos très aigres, a feint d’épouser la cause des Partageux. Il allait sur les places publiques, déclarant à qui voulait l’entendre qu’il n’aimait pas les riches, et que son ennemi se nommait Finance. À présent qu’il a un palais, il ne reçoit que les capitaines d’industrie, et sacrifie aux délices de Capoue, fatals aux carthaginois. Il arrache les masques, qui nous celaient son vraie visage.
Je vous quitte, ma désirable, après vous avoir livré une ultime effronterie. La rue parisienne, devant son éternel sourire qui rappelle une sculpture fameuse de la cathédrale de Reims, et sa promptitude à ôter son pantalon en présence d’une dame, l’a surnommé « La braie des anges ».
Je vous baise les mains, et tout ce qu’il vous plaira de me présenter…
Votre dévoué cousin.



  1. Victor Hugo, Ruy Blas, acte I, scène première. 



À cette lettre, ma cousine Émilie, depuis sa province reculée, répond par une missive, qui me parvient par la diligence de la nuit. 


In cauda venenum !
   In cauda venenum, mon cher cousin, et  dans tous les sens du terme ! « La braie des anges » ! Que je vous reconnais bien là  dans ce trait cinglant et sanglant qui donne à voir le comique quasi troupier de notre souverain angéliste dans ses œuvres viriles !
Voilà de quoi me réjouir de bon matin et me faire réfléchir, comme certaines de vos remarques m’y incitent, au sort réservé dans cette affaire à la condition féminine ! La cause des partageux égalitaristes est bien mise à mal, dites-moi, par ceux-là mêmes qui en ont fait un cheval de bataille ! Avec cet étalon de cirque au pouvoir, qui donne plus dans la goujattitude que dans l’élégance et la noblesse auxquelles son rang devrait le contraindre,  le rouge ne devrait-il pas leur monter au front ? Que fait et que pense donc la propagandiste de la théorie du genre, la très onctueuse et soporifique porte-parole Nagitjamaistracassée, de cet affront fait aux femmes en la personne de la de Koajélère, elle si prompte à  administrer  ses leçons de morale à la manière d’une déléguée-défenseuse (orthographe de gôche !) des élèves en conseil de classe? La voilà soudain devenue bien inerte , muette et sourde à cette répudiation choquante ! Avouez que c’est étonnant !
 J’ai lu dans La Gazette ardéchoise d’hier (car je me suis retirée quelques jours au Château de Chambonas et de ce fait, n’ai pu vous lire que ce matin ) que notre foufounologue royal, non content d’avoir proclamé sa libération en un communiqué laconique et brutal, où se révèlent sans fard sa goujaterie et sa froideur, ose badiner et se railler (et sans doute mirlitonne-t-il grassement)auprès de ses ministres de la femme qu’il a si cruellement blessée !
 Mon bien-aimé cousin, vous connaissez ma pruderie et ma défiance à l’égard des hommes,  eh bien, avouez que ce comportement de butor et de pignouf de basse-cour ne peut que me donner raison de me garder de tout commerce avec eux ! Surtout lorsqu’ ils se disent modernes et progressistes ! Mais en vérité, ne devrait-on pas davantage dire que , c’est parce qu’ils croient moderne de renverser cul par-dessus tête toutes nos valeurs, que ces si bien nommés par vous « partageux », s’autorisent de tels écarts, sans le moindre état d’âme ? Ces benêts doctrinaires, ces stupides commissaires de la pensée conforme s’imaginent que la modernité est une valeur en soi, une qualité à part entière, car tout ce qui est nouveau doit forcément être bon pour l’humanité ! Je rends grâce à Dieu de m’épargner, dans ma campagne, le commerce de ces gens-là qui grouillent chez vous à Paris et que vous êtes contraint de fréquenter : cette caste médiatico-politique bouffie de boboïtude, truffée de bienpensance et tartuffiée de préjugés, qui veut (et n’a pas peur du ridicule !) « produire des possibles » et « faire France » !
 A vrai dire, comme vous , je subodore que la maîtresse répudiée prépare une vengeance à la mesure de l’outrage et je ne la condamnerai en rien pour cela, au contraire, je l’y exhorterais si je le pouvais, car notre bien aimé Beaumarchais l’a dit : « lorsque le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi » ! Je jubile à la pensée qu’elle pourrait, elle aussi, offrir à la presse un communiqué carnassier et à la première personne, qui révèlerait en quelques mots au pays tout entier et à tout jamais, le visage sinistre et glauque de notre triste sire à la morale de pacotille !
 Je vois aussi que depuis la révélation des cinq à sept de François, le bandeur magnifique  ,  la starlette Légayée,  se fait bien discrète ! Peut-être préférait-elle le temps où elle pouvait jouer les back street, rue du cirque, lorsqu’elle attendait impatiemment l’entrée en scène du clown casqué, de cet improbable héros libidineux et masqué ! «  Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes n’y sont que des acteurs » ! Shakespeare, mon cher cousin !
 Vous aussi, mon cousin préféré, vous êtes un coquin et aimez plus que de raison à courir le guilledou, souvent j’ai eu à vous le reprocher, mais je sais que jamais vous ne pourriez afficher autant de mépris pour les femmes qui vous accordent leurs faveurs. Vous avez trop de délicatesse et de noblesse d’âme pour vous vautrer dans cette fange, vous aimez trop les femmes pour consentir à les avilir  un seul instant !
 Et comme d’habitude, cher cousin, c’est avec gourmandise que j’attends de vos nouvelles !
 Émilie de Beauregard

lundi 27 janvier 2014

Un rat, un chinois, une fille

C'est une chanson dont l'étrangeté m'a immédiatement intrigué. J'étais petit garçon, je voyais un rat impressionnant se comporter comme un dur, déjouer toutes les apparences, brouiller le sens et les pistes, même cyclables. Et ce couteau rouge sans spécialité, que j'aurais voulu mettre dans ma poche…
J'aimais l'atmosphère « bastringuée », le son piano mécanique, la rengaine de port et de brume.

Par Germaine Montero




Par Catherine Sauvage


Voici à présent au « piano à bretelles », le compositeur de la musique de la chanson précédente, V. Marceau (1902-1990), qui apprit à jouer avec son père, et sortit premier prix du conservatoire de musique de Lille. On notera que le V de son patronyme complet, qui semble la première lettre de son prénom, est à la vérité la première de son nom, car, il fut enregistré à l'état civil comme Verschueren, prénommé Marceau. On ne le confondra pas avec un autre accordéoniste, André Verchuren. Son nom, qui commence par un V, est phonétiquement identique à Verschueren, lequel, comme on l'a vu, usa de son prénom pour se faire un nom. Cela paraît compliqué, mais c'est assez simple : le nom d'artiste du second est son prénom, alors que celui du premier est bien son nom d'artiste. Celui-ci et celui-là ont un nom semblable, mais le V. de Marceau est trompeur, il paraît annoncer son prénom, qui est Marceau en réalité, alors que le prénom de l'autre est André… Avete capito ?
Quoi qu'il en soit, V. Marceau est un artiste, il transforme ce qu'il joue, tire de son instrument des effets éclatants.



Pour le plaisir des uns, et au grand dam des autres, que l'accordéon exaspère, cet air fameux signé Hamel, « Perles de cristal ». C'est une polka, une danse de bohémien, très graphique et plutôt sportive. On pense qu'elle vient du pays naguère nommé Tchécoslovaquie, mais elle doit sa renommée à Paris, sous le Second empire. Toute la France se mit à la polka : les lustres des salons de la bourgeoisie tremblèrent, les granges des campagnes résonnèrent, et les couples se formèrent en marquant le pas de cette danse circulaire très « enlevée »



Quant au « piano du pauvre », Léo Ferré, alors très inspiré, en parle fort bien :




Sur pierre Mac Orlan, on verra Petite vertu
Quant à l'accordéon, on ne perdra pas son temps à se rendre à Nouvelles de la brumeMusique à bretellesRequiescat in pace !
Et sur Carco, proche de cet univers, on consultera Frère de nuitFrère de nuit 2Fantaisie pour une autre foisLoin de Paris 1


vendredi 17 janvier 2014

Ma correspondance avec la Beauregard


















Illustration : Big man, sculpture de Ron Mueck (australien d'origine), Hirshhom museum and sculpture garden, Washington DC.


Récemment, j'écrivis pour le site causeur.fr un article relatif à la récente aventure d'alcôve, qui a fait trembler le régime et brouillé un peu plus le reflet de François Hollande dans l'esprit des français. Notre peuple, au contraire de celui d'autres pays, ne juge pas les hommes politiques sur leurs amours parallèles ou, pour reprendre le terme sartrien, « contingentes ». Mais, dans le cas présent, ils sont étonnés par la situation inédite : une prétendue première dame, installée comme telle à l'Élysée, une autre maîtresse, ou présentée ainsi, des rendez-vous galants où l'on se rend casqué… 
Bref, j'en fis un article dans l'esprit des missives à ma cousine (voyez Delon ne mégote pasUn peu de beurre dans un monde de brutesFerveur et marquisatLa marquise est de retour !Au galop de son cheval, la BeauregardLa marquise perd le nord et le sudLa marquise perd le nord et le sud (suite)
Pour le plaisir des unes et des autres, et sans rapport nécessairement avec le sujet, je recommande à celles et à ceux qui sont sensibles à l'incroyable présence d'Elvis Presley, et surtout à celle, magnétique pour moi, de Marlon Brando, de visiter Retour sur le pontPrès du corpsMarlon B, for Lady Tanya, and for all Tous les garçons' ladiesLe fantôme du métro aérien 3Le fantôme du métro aérien 2Le fantôme du métro aérien 1Brando sur le trottoir
Ma délicieuse cousine Émilie de Beauregard, se souvenant de nos échanges passés, m'a fait parvenir  sa réponse, qui est un bijou d'esprit. Je la place à la suite de l'article de causeur. 



L'article de causeur.fr.

Ma très aimable et très chère cousine,
Par la présente, je viens vous confier une nouvelle, que vous ne connaîtrez, dans votre lointaine et sauvage province, que dans plusieurs semaines, si jamais elle vous parvient ! Voilà bien longtemps déjà qu'elle circulait à Paris, sous la forme d'une rumeur mondaine. Partie du faubourg Saint-Germain, où se délient les langues les plus acérées et les moins charitables, elle se propagea, tel un feu d'herbes sèches, du faubourg au boulevard, après un saut à la Chambre, une station au Sénat, et une halte à l'Opéra. On en parlait dans tous les salons et jusqu'à la Cour et, bien sûr, dans les rédactions ; elle circulait dans le monde, et l'on en riait aux éclats. Vous savez combien l'on goûte, ici, les abandons d'alcôve, qui s'augmentee viens vous confier une nouvelle, que vous ne connaîtrez, dans votre lointaine et sauvage province, que dans plusieurs semaines, si jamais elle vous parvient ! Voilà bien longtemps déjà qu'elle circulait à Paris, sous la forme d'une rumeur mondaine. Partie du faubourg Saint-Germain, où se délient les langues les plus acérées et les moins charitables, elle se propagea, tel un feu d'herbes sèches, du faubourg au boulevard, après un saut à la Chambre, une station au Sénat, et une halte à l'Opéra. On en parlait dans tous les salons et jusqu'à la Cour et, bien sûr, dans les rédactions ; elle circulait dans le monde, et l'on en riait aux éclats. Vous savez combien l'on goûte, ici, les abandons d'alcôve, qui s'augmentent régulièrement de détails croustilleux. Ce matin, une gazette, qui a fait sa spécialité des révélations les plus indélicates sur les gens en vue, l'a livrée au bon peuple. J'en viens au fait, car je sens votre impatience, laquelle vous met habituellement dans les transes d'une exaltée de la religion. 

Notre roi entretiendrait une liaison avec une comédienne, et, pour la rejoindre, le soir venu, se glisserait nuitamment hors du Louvre, déguisé en pompier ! Une caricature le représente, un casque sur la tête, et tenant à la main une manière de tuyau souple. Une autre le montre, qui surgit dans la chambre d'une femme, dont le lit est embrasé ; elle ouvre les bras à son sauveur, qui lui dit : « Apaisez-vous, madame, je viens éteindre votre feu ! ». D'autres encore circulent sous le manteau, nettement plus grivoises, dont je ne vous parlerai pas. Non pour préserver votre imagination, que vous prétendez chaste afin d'édifier votre entourage et avoir la paix, mais pour exciter votre curiosité jusqu'à ma prochaine visite, où j'aurai le plaisir de vous les montrer et de constater l'effet qu'elles produiront sur vos joues et sur l'ensemble de votre adorable personne. Au reste, si votre trouble s'accentuait alors, si votre nature et vos sens impétueux réclamaient soudainement un soin attentif, vous savez pouvoir compter sur mon ardent dévouement…
Décidément, pour ce roi bourgeois, que le peuple surnomme affectueusement « Pépère 1er », les femmes auront été une source de tracas renouvelés ! C'est aussi qu'avec son air bonhomme, son allure un peu gauche, sa mine souvent ravie ou comiquement contristée, et ses manières de simplicité, il dissimule un redoutable prédateur du beau sexe, un Don Juan d'envergure. De ce point de vue, il fait honneur à la France, ce pays que Casanova en personne vénérait comme nation de la galanterie. Eh quoi ! notre souverain démontre au déduit des qualités si évidentes, et nous n'en serions point légitimement fiers ?
Néanmoins, ce tableau réjouissant des frasques amoureuses de notre bon François-à-la-lance-dressée, pourrait se compliquer rapidement de scènes moins plaisantes. Sa concubine officielle, l'impérieuse Mme de Koajélère, qui s'est maintes fois signalée par son humeur belliqueuse, supportera-t-elle longtemps d'être la dinde d'une telle farce ? Il se peut, dès demain, que les portes du palais claquent, et qu'emportée pas sa fougue, la Koajélère, bafouée, regagne son logis dans l'état de chagrin et de furie qu'on imagine. Mais alors, la nouvelle favorite deviendra-t-elle à son tour, comme disent les républicains de la Bourse et les mégères de la rue, la « première dame de France » ? Vous vous rappelez, cousine à la taille si bien prise, le tour que joua Louis-Henri marquis de Montespan, mari cocufié par le roi Soleil : il se rendit à la cour de Louis XIV dans un carrosse orné de quatre bois de cerfs de belles proportions, pour signifier, non sans quelque courageuse arrogance, sa déconvenue. 
On m'assure que Mme de Koajélère possède des yeux de biche…
Je vous informerai tantôt de la suite de cet événement.

En attendant de vous en murmurer les détails les plus audacieux à l'oreille, et de tirer de votre émoi un parti intéressant, je vous prie de me reconnaître comme votre fidèle et dévoué cousin.


La réponse d'Émilie




 Ah , mon fripon de cousin, je languissais de vous lire ! Ce n’est pas que je m’ennuie dans mon château de Provence, où, comme vous savez, je vis en solitaire, dans le souvenir de mon cher époux disparu, entre les écuries où j’ai mes étalons et l’église où j’ai mes œuvres de charité, mais j’aime que vous me racontiez la cour et ses intrigues, car vous savez comme personne trouver les mots qui m’amusent et mettent  ma curiosité en émoi ! 
Dans notre lointaine province, nous sont parvenus toutefois quelques échos des ébats royaux et de leurs imprévisibles conséquences, tant ils sont burlesques voire grotesques ! Mais j’ignorais, mon cousin, que notre monarque, afin d’assurer sa sécurité, fût contraint, pour rejoindre sa belle, logée à cent mètres du château,  de circuler incognito… dans une charrette à percheron et coiffé d’un casque ! Il est vrai que s’il avait dû parcourir cette courte  distance à pied et avec un casque sur la tête, gageons que cet accoutrement eût aussitôt alerté les passants ! 
Moi qui n’ai pu aimer que de très beaux hommes pleins d’esprit (vous avez connu mon époux le Marquis de Beauregard), je ne m’explique pas le succès auprès des femmes de ce roi au physique de roturier, sans charme ni esprit. Le pouvoir attire et enflamme l’esprit et les cœurs des belles comme une drogue. Il leur fait parer l’homme, qui est derrière le roi, de perfections chimériques qui n’existent que dans leur imagination ! Et il en a ainsi trompé beaucoup, le bougre ! Souvenez-vous, mon cousin, de votre ami Paul de Bitenfeu, qui me fit une cour assidue. Quel gentilhomme, né pour séduire, on lui pardonnait tout ! Mais là, à l’heure où le pays suffoque et s’écroule, notre Casanova en scooter, tête en l’air (et pas que… ) n’a d’autre souci  que de rejoindre  la couche de sa deuxième favorite, une actrice de seconde zone. Cette image ridicule et sans panache prête au fou rire vaudevillesque, il faut bien le reconnaître. Inconsistance et inconséquence sont les deux mots qui  résument -hélas, je le crains !- celui qui nous gouverne. 
Si j’ai bien compris, la concubine en titre jusque là, n’a pas supporté le choc du cocuage royal, ni d’avoir été supplantée par une plus jeune qu’elle. Si elle avait été l’épouse du roi, les choses eussent sans doute été différentes, mais n’être que la favorite ne donne aucune prérogative. Notre François, bien que défenseur du mariage pour tous, n’a jamais épousé personne. C’est  là sa force et sa faiblesse. Le pays tout entier retient son souffle : le roi doit choisir et élire la vraie première dame. De ce concours de Miss qui sortira victorieuse ? Qui fera ses valises ? Et pour quelle destination ? Oh, mon cher cousin, la suite de ce feuilleton va nous régaler, je le sens ! En effet, un ami allemand (les Allemands sont romantiques !)  m’a raconté la visite qu’il a faite à Valérie de Koajélère, le jour de son hospitalisation. Elle a fait fermer les rideaux de son lit, et défend à quiconque d’approcher. « Was für eine unglaubliche Geschichte ! » s’est-il écrié. Ce ne sont que transports violents, cris, convulsions et c’est , on le croit volontiers, effrayant ! Orage… ô désespoir ! Son état est tel qu’on s’étonne à la cour qu’elle n’y ait pas déjà succombé. Il semble que, malgré le secours d’un prêtre mandé auprès d’elle, sa vanité blessée ait aigri encore son caractère déjà difficile, et enfanté la haine ! Il y a quelques mois, elle dansait en Afrique, il y a quelques jours, elle découpait la galette du roi en son château, il faut craindre aujourd’hui, une vengeance effrayante et  spectaculaire ! 
Quel est votre sentiment, mon cousin, dites-moi ? Bien que cette affaire soit fort affligeante, elle révèle toutefois une chose qui a de quoi nous réjouir et nous combler d’aise : les traditions ne se perdent pas, même dans une république socialiste, qui, en cette occasion, a pris un sérieux coup d’Ancien Régime ! Venez donc me visiter en mon château, mon cher cousin, le temps est beau et doux, j’aime votre conversation et nous avons encore tant de choses à nous dire ! 
Marquise Émilie de Beauregard

dimanche 12 janvier 2014

C'est difficile ! (suite)

Voici la suite de mes « adieux au music-hall » (comme les vieilles gloires de la chanson, je dis adieu chaque nouvelle année). Pour l'occasion, je vous offre ceci, un bijou d'une grande simplicité apparente, qui met parfaitement en évidence le talent de Reynaldo Hahn, pour la musique, et celui de Sacha Guitry, pour les paroles. Faut-il préciser que la voix « de lèvre et d'œil » » (comme on dit de tête), d'Arletty sert admirablement nos deux incomparables compagnons de divertissement ?
À ceux qui, cette année, furent amoureux, et en furent heureux, et à ceux, aussi, qui en furent malheureux, à ceux qui passèrent à côté de l'amour sans le voir, à ceux qui l'aperçurent, mais de loin, à ceux qui le trouvèrent, à ceux qui le « troubadourent » ; à celles et ceux qui passent sans me voir, à ceux et celles que je vois en passant, je dédie ce délicieux moment de fantaisie française.
Et c'est ainsi que je vous « vœux » toutes et tous !



Extrait de la comédie musicale en trois actes « Ô mon bel inconnu », créée en 1933 aux Bouffes Parisiens, avec Arletty, René Koval, Simone Simon, Suzanne Dantès (livret de Sacha Guitry, musique de Reynaldo Hahn)

Ci-dessous : René Koval, Arletty, et, penché, Jean Aquistapace


vendredi 10 janvier 2014

C'est difficile !

Comment se (vous) dire adieu ? En (se) vous disant au-revoir ?
En attendant, je vous « vœux » toutes et tous.