mercredi 22 août 2012

Péché de chair…




















Ils sont partout, voraces, agressifs voire intransigeants, et peu enclins au dialogue des espèces. Les surfeurs, à la Réunion, semblent être devenus leur hors d'œuvre favori. 

D'abord, cessons une fois pour toutes de généraliser lorsque nous considérons cette famille de poissons si variés, admirables, quoique parfois imprévisibles. On les décrit comme des machines à tuer, brutales et stupides. Nous allons voir qu'il n'en est rien.

En Australie, au mois de juillet, un surfeur a été attaqué, puis dévoré par un grand blanc d'au moins 4 m de long. Nous avons un témoin de la scène dans la personne d'un amateur de jet-ski : « Il y avait du sang partout. Le squale tournait autour du corps ». Observons en préambule que ce poisson n'était pas dépourvu d'un solide bon sens : plutôt que de s'épuiser à tenter de rattraper le jet-skieur, il a choisi le surfeur immobile, dans l'attente d'une vague ! Au vrai, le grand blanc avait cisaillé l'infortuné jeune homme ; on peut donc déduire des déclarations du témoin que le squale hésitait entre le buste et les jambes, avant d'avaler le tout, puisqu'on n'a rien retrouvé ! Ce requin avait sans doute déjà gouté et apprécié la chair de l'homme. Il arrive que le carcharodon carcharias (1), après avoir mordu, avec plus ou moins de sauvagerie,  un surfeur, s'en détourne, sans pousser plus avant sa curiosité d'appétit. La victime meurt souvent des suites d'une hémorragie massive, mais au moins, elle ne finit pas dans l'estomac de son agresseur. On  l'enterre dignement, en présence de ses proches et de ses fiancées (car ces jeunes gaillards ont une femme dans chaque spot). Notons que le fréquent dédain des requins pour la chair humaine ne plaide pas en faveur de la qualité gustative de celle-ci : on n'a jamais vu, par exemple, un grand blanc négliger un phoque après l'avoir attaqué, au contraire, il s'empresse de le dévorer ! Mettez un grand requin blanc en présence d'un homme et d'un phoque, dans presque tous les cas, il choisira le phoque. Seuls les vicieux, ou les esthètes choisiront l'homme. Or, il est peu d'esthètes parmi les requins.

Les requins pratiqueraient-ils la dévoration positive ? En Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, leurs victimes étaient exclusivement, ou presque, des surfeurs, plongeurs ou nageurs blancs. On m'objectera qu'il y avait une bonne raison à cela : les Noirs demeuraient sur le rivage, ne sachant pas nager. En outre, ils n'avaient qu'un accès limité aux plages, où ils vendaient des glaces et apportaient des parasols. Ils préféraient gagner leur vie au sec, plutôt que de la perdre mouillés : on peut les comprendre. Néanmoins, à ma connaissance, le rapport ne s'est nullement inversé en faveur (si j'ose dire) des « coloured people » depuis la fin du développement séparé. Les grands blancs s'offrent toujours, de préférence, un fémur de « white people ». 

À la Réunion, dimanche dernier, Didier Derand, pharmacien à Saint-Joseph, délégué de la fondation Brigitte Bardot, a nagé pendant plus d'une heure sur le lieu même d'une attaque, afin de rassurer la population : « Depuis 45 ans, je nage en pleine mer tous les jours, je plonge en bouteille, en apnée, je fais du bodysurf […], je n'ai vu que trois fois des requins » […] A chaque fois ce fut la panique et la débandade dans leurs rangs, impossible de les approcher ! ». 

J'ai beaucoup d'admiration pour Brigitte Bardot, et pour l'inlassable combat qu'elle mène en faveur de la protection animale, mais je lui dis, avec toute l'amitié que je lui porte, que M. Derand n'était pas la personne idéale pour l'opération « Croquez la mer à belle dent en compagnie de nos amis les requins ». Ces derniers, en effet, dont j'ai assez démontré qu'ils étaient capables de réflexion, de déduction, et même de conclusion, sont pourvus d'un appareil sensoriel ultra-développé, et d'un odorat « directionnel » très efficace. Didier Derand, pharmacien, sentait… la pharmacie ! Rien de tel pour faire fuir les squales ! Rappelons-nous qu'un seul cachet d'aspirine effervescent éloigne un grand blanc d'une tonne ! 
Alors, quel conseil pour rasséréner les populations, et les « remettre à l'eau » ? Très simple : les réunionnais pratiquent une pêche au requin particulière : ils se servent d'un chat vivant, ou d'un chien, comme d'un appât,  l'hameçon profondément enfoncé dans la gueule. Je leur suggère, exceptionnellement, une variante à leur gentille coutume : qu'ils usent d'un surfeur au lieu d'un animal domestique.Trois situations se présenteront : les requins s'approchent, mais ne déclenchent pas d'attaque, au contraire, ils filent vers d'autres clapotis ; on conclut sans risque d'erreur que le ou les mangeur(s) d'homme ne se trouve(nt) pas parmi eux. Les poissons décrivent des cercles autour du bonhomme, le frôlent, la frénésie gourmande les saisit : s'ils veulent rendre le surfeur sain et sauf à ses nombreuses fiancées (voir plus haut), nos pécheurs le sortiront immédiatement de la mer ; s'ils souhaitent leur remettre un tas  d'os broyés, et, par surcroît, pécher un squale, qu'ils attendent un peu ! Dans ces deux derniers cas de figure, ils auront démontré que la menace rôde au large !
Mais alors, si nul squale, malgré le sang qui s'écoule de la face transpercée du surfeur et laisse une longue trace odorante, malgré ses cris de douleur et d'effroi, malgré sa gesticulation affolée qui crée des ondes d'adorable panique, si nul requin, donc, ne vient prendre place à ce banquet inespéré, que faudra-t-il en conclure ? Une chose irréfutable absolument, qui n'était hier qu'une hypothèse : les requins sont solubles dans l'eau de mer !

1) Nom savant du grand requin blanc


Requin chagrin par sonia205

lundi 20 août 2012

Didier Goux n'habite pas ici



Au vrai, je le connais peu, et mal. Je lui rends visite trop rarement ; pourtant, il me paraît qu'il conduit une « entreprise d'écriture numérisée » fort ambitieuse et de belle facture. Il se pourrait - mais il faut tout de même étudier la chose plus attentivement - qu'il fût un authentique écrivain et que son « œuvre » constituât la première tentative proprement littéraire, usant du support numérique (outre son blogue, il tient son Journal). Je m'avance beaucoup, certes, et je plaide la vaste ignorance de l'ensemble de son travail. Il est de la race des grognons, des atrabilaires, des ironistes, des « diaristes » fatigués du monde, des êtres et des choses en apparence, mais qui leur gardent malgré tout plus qu'un semblant d'intérêt. Il aime les animaux ; il a pour eux, ces être souvent aimables que nous terrorisons, des mots d'une belle compassion. Avec cela, il manie contre lui-même l'ironie féroce des hommes lucides. Et c'est une vraie plume !
Nos deux univers sont très différents, et le romantique vieillissant que je suis ne se satisferait pas totalement de son paysage de laboureur, raffiné certes, mais alourdi de prosaïsme. Il a écrit deux ou trois articles remarquables sur Nathalie Sarraute (que je persiste à trouver admirable, et très éloignée du naufrage du Nouveau roman), ainsi qu'une irrésistible réflexion sur le thème « rester jeune ou se faire vieux ». Il semble, par ailleurs, hanté par la menace que ferait peser l'Islam sur la France : cela lui inspire des textes discutables, mais très efficaces. Bref, je vous conseille d'aller lire le blogue de Didier Goux, afin de vous faire votre propre jugement (Didier Goux habite ici). En revanche, si j'en crois une photographie de son salon, je trouve à ce Goux un goût, dans la décoration intérieure et, surtout, dans le choix du mobilier, détestable.
Voici un exemplaire de son style et de son inspiration, L'homme passé par profil et perte :
« Depuis hier, lorsque je suis devant mon écran levalloisien, je semble être devenu brusquement étranger à moi-même. C'est-à-dire à ce blog. Si je puis encore créer de nouveaux billets – la preuve –, je ne parviens plus à écrire de commentaires sous eux, pour cause de perte de profil. Quelqu'un a-t-il déjà songé à ce que peut avoir de dramatique et de dérisoire le fait de perdre son profil ? On a glosé à l'envi sur les hommes qui se retrouvent privés de leur ombre, on a bien dû, même, en faire des livres ; mais un profil ? En dehors du côté désagréable, dépossédant, du phénomène, on sent vaguement qu'il y a là quelque chose qui ne va pas : si j'ai effectivement perdu un profil (soit ! je pense être capable de m'accoutumer à cela), il devrait bien me rester le second. Et il me vient des envies de saisir cet ordinateur par ses côtés verticaux, de le secouer un peu, tout en lui présentant ma joue gauche et ma joue droite alternativement :
« Enfin, regarde-moi, Robert (cet ordinateur amnésique se prénomme Robert : je viens de le baptiser à l'instant pour tenter de l'attendrir, de l'humaniser un peu) : je suis toujours le même, quoique amputé d'un profil ! C'est bien moi, ton seigneur et ton servant ! Fais un effort, bon sang de bois ! »
Mais non, rien ; impavide, l'œil borgne et stupide, il n'a même pas un éclair de curiosité pour ma face changée, pour le demi-moi que je lui présente, avec pourtant beaucoup d'humilité et de bon vouloir.
Je ferais peut-être mieux de rentrer à la maison : mon second profil, celui qui est encore opérant, doit bien y traîner quelque part… ».

J'ai également découvert Le Merle Moqueur, d'une certaine Suzanne : son humanité toute « française » ne m'a pas laissé indifférent.

Illustration prise dans le blogue de Didier Goux, qui se dit joliment « écrivain en bâtiment ».

mardi 14 août 2012

Un peu de moiteur dans la pénombre


Le slow ! Deux minutes où l'on alterne l'hésitation et l'audace, où se succèdent la tentative infructueuse et l'équivoque entendue, deux minutes de consentement différé ou de suggestion vaine. Le slow est une tragédie banale ou un bonheur commun, qui tous deux se dansent. S'approchera-t-ton, se rapprochera-t-on, et, si l'on se touche, que touchera-t-on ? Des épaules, passera-t-on à la poitrine, puis au bassin ? Les corps, lentement balancés d'une jambe sur l'autre, oseront-ils, enfin, vaguement représenter ce que les esprits imaginent. 
Le slow, parade sentimentale, annonce ou interdit l'échange des fluides.
Voici deux slows d'enfer, du temps déjà ancien, où l'on se risquait à l'aimable péril d'une sentimentalité foraine.

D'où je suis, loin d'ici, loin de tout, je vous salue, vous qui passez.