samedi 25 février 2012

L'atroce beauté d'Alice

Elle n'a certes pas encore trouvé le rôle qui l'installera à la place qu'elle mérite dans le cinéma français, c'est à dire parmi les premières, mais chacune de ses apparitions constitue une surprise. Très à l'aise dans la comédie, elle ne s'est pas suffisamment éloignée des films de sa génération, qui la retient encore. Elle pourrait étinceler dans des œuvres intemporelles, qui mettraient en valeur son ambiguïté fondamentale, constitutive. Sa beauté n'est pas froide, à la manière d'une Deneuve, à laquelle on la compare hâtivement. D'abord, elle est beaucoup mieux faite que Deneuve au même âge, elle est ardente, colérique, déterminée, on ne lui sent pas de faiblesse, c'est à dire de facilité. Son ironie n'est pas que de façade, mais constitue bien son arme de défense favorite. Or, elle ne déposera les armes que devant son égal. Elle n'a pas d'égal masculin dans le cinéma français.
Elle se nomme Alice Taglioni. Elle a traversé une terrible épreuve personnelle. Il est temps, à présent, que des scénaristes soient hantés par sa présence nerveuse, par son intelligence, par son avidité retenue, et lui donnent les grands rôles qu'elle mérite, qu'elle attend. On ne peut pas laisser une Ferrari au garage, et il est attentatoire à la dignité humaine de la conduire comme une maigre sportive coréenne.
Ses dons naturels, son éducation musicale, son long apprentissage du piano la destinaient à une carrière de soliste. Elle a choisi de devenir actrice (j'emploie ce mot à dessein, parce que nous possédons pléthore de comédiens et fort peu d'acteurs) : il doit y avoir une raison cachée, une tentation, une faille. Cette faille est peut-être la clef de son avenir. Il conviendrait enfin de donner à sa beauté toute l'étendue de son atrocité. En outre, elle joue au poker, et elle aime ça !


Martin Solveig & Alice Taglioni - I Want You... par Innocence-1992

mercredi 22 février 2012

Tranche de vie - 2
























Les animaux l'ont dans le culte !

Qu'un Dieu sanguinaire conduise ma main quand elle tient le grand couteau du sacrificateur, et qu'il me guide jusqu'à la grosse veine chaude d'où jaillira le bouillon ensanglanté, par quoi j'honorerai mon seigneur et maître. Ah que j'aime ce moment où mon Dieu de colère me commande de laisser venir à lui ces tendres agneaux, ces gros taureaux, ces chèvres naines au museau de mousse ! J'obéis ! Il est la loi. Je coupe, je taille, je cisaille aussi. Le fil de ma lame glisse sur la chair offerte des cous qui se tendent. Le sang jaillit, éclabousse l'air, colore le sol, les instruments, les tabliers. La mort est lente, la vie résiste, signale sa persistance par de brusques saccades. J'accomplis les commandements que des hommes enténébrés ont cru tenir du Ciel. Et par ses soubresauts, l'animal semble me dire toute sa joie de souffrir pour apaiser un peu mon Dieu irascible. Il crierait de plaisir, mais comment pourrait-il seulement gémir, puisque je lui ai tranché la gorge ! Ses spasmes sont un langage, une offrande, un consentement muet à mon rituel.  Son martyr est mon salut, il trace sur le sol la piste qui conduit à ma rédemption. Je te salue, Seigneur inapaisé ! Par les plaies que j'ouvre en ton nom, j'alimente le fleuve de sang que tu me réclames et qui jamais ne doit s'assécher.  
Viens mon agneau, viens mon innocent, rassemble-toi avec tes frères, tourne ton regard effaré vers celui qui pend, accroché par une patte à un croc mobile, et s'éloigne, assailli de hoquets d'hémoglobine.
Je suis celui sur qui ton  effroi se fonde. Aide-moi à traverser le désert de ma vie, irrigue de ton sang la terre aride qui me porte, transforme-la en boue.

Illustration : Le sacrifice d'Abraham (1635), par Rembrandt Harmenszoon van Rijn, dit Rembrandt ( musée de Hermitage, Saint-Pétersbourg, Санкт-Петербург, huile sur toile, 193 x 133 cm). On remarquera la main d'Abraham, plaquée sur le visage de fils, geste peu conforme à la manière habituelle d'un peintre qui aimait à s'attarder sur les visages, à en saisir les nuances et les expressions. Horave Walpoole prétend qu'il faut y voir une preuve de la sensibilité du peintre, pour qui la représentation du meurtre d'un fils par son père, même commandé par Dieu, était insupportable.
J'aimerais que les tueurs des abattoirs prissent au moins la précaution d'égorger les animaux hors de la vue de leurs congénères.

Tranche de vie - 1

Sensiblerie, sensibilité, hypocrisie ? Je prends toutes les accusations, et je m'assois dessus. Je considère que, dans notre société (et dans notre société seulement, ou, si l'on préfère, dans notre « civilisation ») toute mise à mort d'un animal gouvernée par des interdits et des principes religieux est un reliquat de pensée magique, une persistance de religiosité archaïque. Je mange de la viande, je reconnais l'existence et la nécessité des abattoirs, j'exige que leur fonctionnement respecte à la lettre les prescriptions de la république.
D'une manière générale, je réclame une correction de la trajectoire de notre pays : nous nous éloignons à vitesse accélérée des principes universels, qui autorisent le fonctionnement relativement harmonieux de la grande diversité humaine.

Informez-vous, d'abord :




Et maintenant, accrochez-vous ! Je me suis efforcé d'assister à ce spectacle jusqu'au bout, il est d'épouvante.


FBB_Abattage Rituel VF 4-3 QT par FondationBrigitteBardot


Nota benêt : Je sais, Marine Le Pen etc… Je n'ai jamais été, je ne suis pas, je ne serai jamais tenté par le vote de protestation FN !

dimanche 19 février 2012

Fin de partie 10 - Avec mélancolie






Cet homme a l'air accablé, las ; une grande fatigue alourdit sa marche, laisse des empreintes creuses ou gonflées sur son visage. On serait surpris de sa réponse si on lui demandait son âge : « 48 ans » . Il paraît plus. Il fuit. Il est allemand, de culture, de langue, de « civilisation ». Il aime également beaucoup la France et, en France, Paris. Il est juif, aussi, ce qui, à l'époque, est une « origine » plus qu'inconfortable. Mais de quelle époque s'agit-il ? Disons, pour aller à l'essentiel, que Walter Benjamin se suicide le 26 septembre 1940.
Walter est un intellectuel paradoxal, un cérébral sensible, un philosophe sérieux qui fait de la radio à l'adresse des enfants, un marxiste peut-être désenchanté, un piéton poétique qui cherche le sens et les signes du monde.Il est allemand, donc, mais encore européen : sa vie prend tout son sens dans la vieille Europe. Alors, comment pourrait-il se déraciner sans se perdre ? Il s'y essaie pourtant, chassé par les Nazis de son sol, de ses lignes réelles et rêvées. Et c'est ainsi qu'il arrive à Port-Bou, charmante bourgade catalane, proche de la frontière française qu'en compagnie de quelques autres réprouvés il a franchie, le 25 septembre, la veille. En Espagne, il est en sécurité ; peut-être en doute-t-il, mais c'est ainsi : Franco, à ma connaissance, n'a pas livré les réfugiés aux autorités allemandes.
Sur les causes de sa mort, on a parlé d'assassinat : les uns par les fascistes, les autres par des agents de Staline. Quant à moi, qui n'ai aucune légitimité, je crois bien qu'une violente crise de mélancolie lui fit éprouver l'absurdité cruelle de sa situation. Alors, il absorba une forte dose de morphine.
Sur sa tombe, à Port-Bou, on a gravé ces mots, extraits de l'ensemble de ses textes réunis sous le titre « Thèses sur la philosophie de l'Histoire » : " Il n'y a aucun témoignage de la culture qui ne soit également un témoignage de la barbarie ".
C'est bien trouvé, mais cela complique encore les choses…

samedi 18 février 2012

Notre Homais























M. Vincent, Jean-Didier de son prénom, est un savant indiscutable, renforcé d'un raisonneur inébranlable, qui vient régulièrement nous vendre son tas à peine rafraîchi de breloques culturelles et scientifiques. Cet homme occupe le terrain médiatique avec une constance et une suffisance remarquables. Voilà un homme qui pèse de tout son poids sur le monde : ne finira-t-il pas, quelque jour, par provoquer une dangereuse variation de l'angle de l'axe de rotation du globe ? On peut se poser la question.
En attendant ce funeste événement, M. Vincent nous entretient de ses convictions. Il parle en homme éclairé, qui veut non pas partager mais imposer ses points de vue. Il a pour lui la science, il prononce des vérités définitives par quoi se résumerait notre misérable humanité.
M. Vincent, brillant cerveau, m'a toujours profondément déplu. Et je ne peux l'apercevoir sans penser à M. Homais, pharmacien positiviste, modèle français de la respectabilité et du confort intellectuel, installé dans notre paysage depuis 1830, redouté de Baudelaire et de Flaubert, ce dernier l'ayant épinglé un peu plus tard dans le XIXe siècle avec la précision d'un collectionneur de papillons.
Homais, c'est l'homme, c'est tout l'homme, l'humain assermenté, effaré de certitudes, jamais à court d'argument, tranquille comme un démonstrateur de petite mécanique, qui reproduit son mouvement à l'infini, jusqu'à l'usure de ses pièces.

Oh mais, c'est que M. Vincent est considérable ! Neurobiologiste, spécialiste du cerveau, il a écrit de nombreux ouvrages, qui témoignent de sa très vaste curiosité. Oh mais, c'est que M. Vincent est considéré ! Il est membre de plusieurs académies : l’académie de médecine, l’académie des sciences, l’American Academy of Science, l’académie royale de Belgique…

« Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d'enfer ; l'autorité le ménage et l'opinion publique le protège.
Il vient de recevoir la croix d'honneur
. »
C'est ainsi que se clôt, sur le grand triomphateur, « Madame Bovary », de Gustave Flaubert. M. Homais gagne toujours.

Fin de partie 9 - Avec entrain

Cette blonde au bras tatoué et bandé (me semble-t-il) se nomme Nina Persson. Elle est suédoise, comme sont suédois les membres de son groupe, The Cardigans. En 1998, leur album ´Gran Turismo´, connaît un beau succès, en particulier grâce à cette chanson, ´My favourite game´, et à ce clip, qui met en valeur la beauté étrangement rude et sophistiquée de cette « viking girl hero ».
Il y a certes de la convention dans ces images, mais l'idée de lancer sur la route, au volant d'une superbe voiture, une jolie fille froidement déterminée, et non pas un rocker abruti, est intéressante. Le réalisateur de cette brève histoire très sombre s'appelle Jonas Akerlund, qui se spécialisa dans ce genre de production avant de mettre en scène des histoires hollywoodiennes, aussi navrantes que ´Les cavaliers de l'Apocalypse´.
Cette version du clip fut censurée par MTV : on n'y voyait pas le choc frontal entre les deux véhicules, ni le corps de la blonde projeté dans l'air brûlant du désert, puis gisant sur le bitume..



"My Favourite Game"

I don't know what you're looking for
you haven't found it baby, that's for sure
You rip me up and spread me all around
in the dust of the deed of time

And this is not a case of lust, you see
it's not a matter of you versus of me
It's fine the way you want me on your own
but in the end it's always me alone

And I'm losing my favourite game
you're losing your mind again
I'm losing my baby
losing my favourite game

I only know what I've been working for
another you so I could love you more
I really thought that I could take you there
but my experiment is not getting us anywhere

I had a vision I could turn you right
a stupid mission and a lethal fight
I should have seen it when my hope was new
my heart is black and my body is blue

And I'm losing my favourite game
you're losing your mind again
I'm losing my favourite game
I've tried but you're still the same
I'm losing my baby
you're losing a saviour and a saint

samedi 11 février 2012

Sulpicien

Oui, sulpicien ; mais qu'on ne se méprenne pas, je n'entends pas, en usant de ce mot, que l'art de Christophe est conventionnel, mais que sa « convention » est outrée adorablement. Il enfle son sentiment, et, dans ce mouvement, s'enfle aussi l'orchestration proprement symphonique. Son chromo est magnifique, des larmes de cristal pur pourraient bien se former à l'exact point lacrymal. Alors, de mon missel profane s'échappe et choit une image impie.

Ah, au creux de ma paume a jailli ma douleur !
Je suis un cri en croix, un ange de pâleur,
Ce que je vois est flou, et même mes stigmates,
Ainsi paraît le monde à tous les astigmates

Entendez mon tourment, apaisez mon chagrin,
Je paie ma vie du sang que je perds de mes reins,
Ils se moquent de moi et me mettent au supplice,
Mais je serai vaillant, je me nomme Sulpice !


(Ce poème criant de vérité est d'un auteur parisien de la fin du XIXe siècle, mort par inadvertance, en sortant, nu, par l'escalier de service d'un immeuble cossu du XVIIe arrondissement de Paris. Comme il a voulu demeurer anonyme, je respecte sa (dernière) volonté).

jeudi 9 février 2012

Pour saluer Lielia

Heureuse surprise, ravissante image : Lielia est venue nous rejoindre. J'ai cru comprendre qu'elle habitait Saint-Pétersbourg. Je la remercie vivement d'avoir accompli tout ce chemin, et je m'étonne du miracle qui fait apparaître une aussi gracieuse personne, citoyenne d'un vaste pays compliqué, dont je me sens très proche.
Pour la remercier de long périple, je lui dédie cette merveille, qui ne me lasse pas :



La chorégraphie, ici exécutée par Nureyev et Merle Park, est de Marius Petipas, la musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, qui mourut à Saint-Pétersbourg.

mardi 7 février 2012

Fin de partie 8- Avec frénésie






Emma Bovary, née Rouault, aura tout tenté pour trouver l’argent de ses dettes. Aucun de ceux qu’elle a sollicités - jusqu’à Rodolphe, son amant, qui est en grande partie à l’origine de ses folles dépenses -, ne lui aura ouvert sa bourse. Elle se retrouve seule face au scandale prochain de la révélation de ses frasques et de son endettement. Elle n’imagine alors que le suicide comme parade à la situation. Elle se précipite chez le pharmacien, M. Homais, étriqué voltairien, rationaliste épais, chez qui elle dérobe et absorbe une dose massive de cyanure. Revenue dans ses foyers, elle se couche et annonce sa mort imminente au pauvre Charles, que l’effroi empêche d’agir. L’agonie d’Emma n’en finit pas, permettant ainsi l’alternance de l’espoir et de l’accablement chez Charles. C’est alors qu’on entend la voix d’un aveugle errant, connu dans la région, poussant le couplet pour ramasser quelques sous. Emma, encore lucide, comprend les paroles de la chanson de l’aveugle comme l’énoncé de sa misérable destinée. Elle y décèle la vanité de ses amours passées avec Rodolphe, la confusion du sentiment amoureux avec un échange de fluide, un frottement d’épidermes, une pulsion plus avide que comblée. Elle se rêvait en amoureuse romanesque, elle meurt sur l’air entêtant d’un refrain polisson de cabaret. La scène atteint au fantastique.


» […] Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.

Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.

— L’Aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là
Et le jupon court s’envola !

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »
(Gustave Flaubert, Madame Bovary)

Tableau : Madame de Loynes (1862), par Amaury-Duval, Musée d'Orsay

dimanche 5 février 2012

Fin de partie 7 - Avec talent















(Pierre nous a fait parvenir ce commentaire. Je le place aussitôt, sans son accord – mais j'espère qu'il me le pardonnera – dans la série Fin de partie. Je trouve une grande saveur à ces lignes : elles sont d'un homme qui ne se « ratera » pas !)



« A l'instar du cyclisme et de l'amour qui sont des sports individuels pouvant se pratiquer en équipe, le suicide est une activité solitaire mais à laquelle on peut jouer également à plusieurs.
Souvenons-nous des gais-lurons de la bande à Jim Jones et des rigolos du temple solaire qui ont transformé le suicide en une activité de plein air et cela avec des résultats très compétitifs.
Mais le suicide n'est pas un transport en commun bien qu'on puisse réserver sa place à l'avance. C'est un tête à tête avec soi-même. Un bilan, un point final et une révérence.
Donc, le suicide comme les réussites, se pratique seul dans son coin. Si il nous arrive de rater nos réussites, en revanche, un suicide bien mené ne rate que très rarement.
C'est qu'en général, le candidat au suicide est un type décidé qui ne laisse que peu de chose au hasard. On ne se suicide pas sur un coup de tête par exemple, c'est extrêmement douloureux.
Les suicides les plus beaux sont le plus souvent dus à un chagrin d'amour, à une âme mélancolique, à une blessure secrète ou encore une sensibilité si forte qu'elle ne laisse voir au suicidé que le côté absurde de sa vie. Un exemple de mauvais suicide est celui d'un banquier qui sauterait par la fenêtre de son buldingue après une faillite. Un autre exemple de suicide raté est celui d'Adolf Hitler. Aldolf Hitler n'avait pas une âme mélancolique et il ne voyait pas le côte absurde de sa vie. Il aurait mieux fait de se suicider en 1920 par exemple, après une critique de ses tableaux.
Les candidats au suicide sont des gens comme vous et moi mais ils n'ont plus le coeur à rire. Ce qui n'exclut pas pour autant les rieurs comme étant des candidats possibles au suicide.
Bernard Loiseau aimait bien rigoler et ses plats étaient un hymne à la vie, au partage et aux copains. Mais il avait en lui une blessure secrète, un poids si lourd qu'il ne pouvait pas partager et qui rendait sa cuisine si légère, car le suicide comme le rire est le propre de l'homme.
Le suicidé laisse en général une lettre qui explique son acte. Ces lettres sont presque toujours très belles, poignantes, empreinte d'une douleur si vive qu'elles nous font oublier notre propre peine et rendent aux suicidés ce qui n'appartient qu'à eux: leurs vies. Les banquiers qui se défenestrent ne laissent pas de lettres poignantes mais un arrêté-comptable. Adolf Hitler n'a pas laissé non plus de lettre poignante mais un grand désordre dans son salon.
La religion catholique interdit aux suicidés l'accès du paradis et c'est bien dommage, car si quelqu'un mérite un bon fauteuil au paradis, c'est bien le suicidé car il en a bavé des ronds de chapeaux. Le suicidé n'est pas un lâche, c'est même le contraire. Sauf le banquier qui se défenestre et le petit moustachu. »

Fin de partie 6 - Avec fureur








"Les enfants sont merveilleux. Sans aide, ils s’aident eux-mêmes, dans ces conditions plus que primitives. Dormir par terre, pouvoir ou non se laver, avoir ou non à manger ne suscite pas une plainte ou une larme. Les explosions secouent le bunker. Les plus grands protègent les plus petits et leur présence ici est une bénédiction, ne serait-ce que du fait qu’ils provoquent, de temps en temps, un sourire chez le Führer. Hier soir, le Führer a enlevé son insigne d’or du parti et l’a épinglé sur moi. Je suis fière et heureuse. Puisse Dieu m’accorder la force d’accomplir l’acte final, le plus dur. Nous n’avons plus d’autre but que la loyauté envers le Führer jusqu’à la mort et le fait que nous puissions finir nos vies avec lui est une bénédiction du destin que nous n’aurions jamais osé espérer.".

Par cette dernière lettre à son fils Harald, né d'un premier mariage avec le riche industriel Günther Quandt, Magda Gobbels annonce clairement ses intentions. Le 30 avril 1945, son dieu à moustache abat sa fraîche épousée avant de s'expédier lui-même ad patres. Le 1er mai, Magda glisse une ampoule de cyanure dans la bouche de chacun de ses enfants, puis les aide à la briser. Elle se rêvait mère de famille nombreuse, elle finit tueuse en série ! Alors, avec son mari, elle gravit l'escalier du bunker qui mène à la sortie. Un soldat les accompagne (ou les a précédés). Le couple fait quelques pas au-dehors, s'arrête ; le soldat exécute l'ordre de les « suicider ». Une autre version possible : Joseph tue Magda, puis retourne l'arme contre lui. Enfin, une dernière possibilité : Magda tire sur Joseph en criant « Bon débarras ! », puis se suicide. Bref, ils sont morts !

jeudi 2 février 2012

Fin de partie 5 – Avec détermination






« Mon chéri,
Je suis en train de sombrer dans la folie à nouveau, j'en suis sûre : je sais que nous n'arriverons pas à bout de ces horribles crises. Et cette fois je ne guérirai pas. Je recommençe à entendre des voix, et n'arrive pas à concentrer mes pensées.
Aussi vais-je faire ce qui semble la meilleure chose à faire. Tu m'as rendue parfaitement heureuse. Tu as été pour moi ce que personne d'autre n'aurait pu être. Je ne crois pas que deux êtres eussent pu connaître si grand bonheur, jusqu'à ce que je souffre de cette affreuse maladie. Je ne peux plus lutter d'avantage, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et je sais que tu le feras. Tu vois, je n'arrive même pas à écrire correctement. Je n'arrive pas à lire. Ce que je veux dire, c'est que je te dois tout le bonheur de ma vie. tu t'es montré d'une entière patience avec moi et indiciblement bon. Tout le monde le sait. Si quelqu'un avait pu me sauver, c'eût été toi. Tout m'a quitté excepté la certitude de ta bonté. Je ne veux pas continuer à gâcher plus longtemps ta vie. Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été... »

(Dernière lettre de Virginia Woolf à son mari)

Le 28 mars 1941, elle emplit ses poches de pierres, puis elle entre dans l'eau de la rivière Ouse, qui coule près de sa maison, à Rodmell. Et elle se noie.

Fin de partie 4 – Avec plaisir



















[…]
L'intrépide Cébès penché sur notre ami,
Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore,
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore :
«Dors-tu ? lui disait-il ; la mort, est-ce un sommeil ?»
Il recueillit sa force, et dit : «C'est un réveil !
- Ton oeil est-il voilé par des ombres funèbres ?
- Non ! je vois un jour pur poindre dans les ténèbres.
- N'entends-tu pas des cris, des gémissements ?
- Non ! J'entends des astres d'or qui murmurent un nom !
- Que sens-tu ? - Ce que sent la jeune chrysalide
Quand, livrant à la terre une dépouille aride,
Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux,
Le souffle du matin la roule dans les cieux.
- Ne nous trompais-tu pas ? réponds : l'âme était-elle... ?
- Croyez-en ce sourire, elle était immortelle !...
- De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir ?
- J'attends, comme la nef, un souffle pour partir.
- D'où viendra-t-il ? - Du ciel. - Encore une parole...
- Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole !»
[…]
Alphonse de Lamartine, La mort de Socrate

En 399 avant Jésus-Christ, Socrate, accusé de corruption de la jeunesse et de négligence envers les dieux d’Athènes au profit de nouvelles divinités, se résout à boire un bol de ciguë. Son suicide s’accomplit au milieu de ses fidèles, qui le pleurent.

mercredi 1 février 2012

Fin de partie 3 – Avec soulagement






« […] cette gueule de jouisseur qui sent que la jouissance va devenir de plus en plus aléatoire. […] Montherle il pense que son corps se détraque… que la bête est usée […] qu’on lui vole son corps et son plaisir… et que c’est un scandale ! […] cette colère grondante… cette totale insoumission… comme […] les adolescents […] mais faudra pas monter sur le lit, sur la table, sur la chaise et crier : Je meurs de la France ! … non, Henry […] toi tu meurs authentique… tu meurs de ne plus pouvoir vivre… ça a l’air con […] Dépend quelle passion on a pour la vie… »
(extrait de Hosto Blues, de Victoria Thérame.). Infirmière, Victoria avait soigné Henry de Montherlant, arrivé dans son service, après une bagarre, dans la rue, en mars 1968. Elle en fait un portrait saisissant, très éloigné du personnage compassé et du père noble qu’on se plaît encore à peindre faussement. On notera également que les petits précieux et les nouveaux censeurs « corrects » de la Comédie française ont décidé de ne plus jouer Montherlant.


Quatre ans après cet événement, la santé physique de l’écrivain s’est encore dégradée. Il n’y voit presque plus. Et puis, il a des pertes de mémoire, des hésitations de vocabulaire. Il arrête la date du 21 septembre 1972, à 16 h, pour se tuer, ce qu’il accomplit, avec la précision d’un homme s’appliquant à lui-même la ponctualité qu’il demandait aux autres. Il se tire une balle dans la gorge, sans doute en direction du cervelet. Cependant, son agonie durera plusieurs minutes.

« Mon cher Claude,
Je deviens aveugle.
Je me tue.
Merci de tout ce que tu as fait pour moi.
Ta mère et toi sont mes héritiers uniques.
Affectueusement.
Montherlant. »
(Cette lettre, adressée à Jean-Claude Barat, se trouvait sur une table, près de lui. )

Source : La dernière journée de Montherlant, par Christian Lançon

Fin de partie 2 – Avec amitié







« Je me tue […] parce que vous ne m’avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés. Je me tue parce que nos rapports furent lâches, pour serrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tache indélébile. Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, eh bien, vous ne m’oublierez jamais. »

Pierre Drieu-la-Rochelle, Le Feu-Follet

Nombre d'écrivains, de moralisateurs et d'épurateurs des lettres auraient bien aimé lui faire la peau. Il ne leur a pas donné ce plaisir. Désespéré de tout, et de lui-même surtout, ne trouvant plus, parmi sa garde-robe, de quoi renouveler sa « panoplie littéraire », il a ouvert le gaz, le 15 mars 1945.