mardi 19 avril 2011

Des vessies pour des lanternes




La médiocre provocation d’un subalterne agent mainstream du commerce de l’art, récemment sortie du formol sinon de la pisse, a été l’objet d’un acte de vandalisme. On évoque la responsabilité de catholiques intégristes, sans doute négationnistes, peut-être nazis, assurément sourds aux nuances de la beauté post-moderne… Celui qui joue à touche-pipi avec un crucifix, se dit consterné, inquiet même. Le journal Libération, sentinelle avancée de l’art de vivre en milieu hostile, ne laisse point passer une aussi belle occasion de vitupérer les crispations morales de quelques attardés. Par le truchement de Vincent Noce (de Cana ?), qui gonfle ses plumes, et dans le but d’apaiser l’angoisse de ses lecteurs, il annonçait, hier, un entretien « exclusif » avec André Serrano, l’homme qui murmure à l’urine des cerveaux… En attendant, M. Noce lançait un appel à la vigilance : « […] Le premier principe est de défendre la liberté absolue de l'art. Ensuite, il faut remettre l'œuvre dans le contexte des années 80, avec une montée des provocations au théâtre, dans les arts plastiques, liée notamment à la grande angoisse du Sida. Le résultat a été le déclenchement de ce que l'on a appelé les “guerres culturelles”. La droite évangélique s'est saisie de ces occasions pour demander l'interdiction de tout financement public à ces artistes ou à ces œuvres. Le problème c'est que, en gros, elle a gagné. Donc, en France, il faut faire attention : il peut s'agir d'un incident isolé, ou le début d'une campagne extrêmement dangereuse. ». Bref, l’ordre moral menace notre pays. Comment réparer l’offense faite à Serrano ? Quel Canossa imaginer ? Peut-être un urinoir, rappelant le ready made de Marcel Duchamp, dont la cuvette présenterait, en incrustation dans sa faïence, un portrait de l’artiste : en le compissant, nous verserions ainsi notre obole. Ce serait, en quelque sorte, une fontaine de repentance…

Photographie, en haut : la fameuse « Fontaine » (il s'agit, au vrai, d'une copie, la troisième, en faïence blanche, recouverte de glaçure, peinte, fabriquée sous le contrôle de Duchamp,l'original ayant disparu), que Marcel Duchamp voulut exposer en 1917, mais n'y parvint pas. Cependant, cet urinoir, acheté par Duchamp lui-même, constitua la première grande provocation nécessaire du jeune artiste. Photo X, Centre Pompidou.

mercredi 13 avril 2011

Patrick contre le fantôme et ses créatures associées






























































Bouche d'ombre
Ce matin, en sortant de mon immeuble, je sentis sur mon visage le souffle d'une haleine affreuse. Je détournai la tête, pour me préserver de cette putréfaction, puis regardai autour de moi : le premier passant était loin, et ne m'avait pas croisé. L'odeur pouvait monter du caniveau, je poursuivis mon chemin. Je n'avais pas parcouru cent mètres que je vis un nuage de poussière, un tourbillon de suie pâle, qui venait vers moi. Alors que je levais le bras pour protéger mon visage de cette pluie sèche, le mouvement cessa, et, à la place, il se forma une manière d'entité menaçante. De sa gueule d'ombre émanait l'insupportable odeur, qui m'avait assailli quelques instants auparavant. Je me remémorai alors une très ancienne formule latine, apprise d'un vieux prêtre, qui savait le secret des âmes errantes. Il avait combattu le Démon en maintes occasions d'exorcisme : « Exi, anathema, non remancas nec abscondaris in ulla compagine membrorum aut flatu ejus, nec in ullo angulo domus ejus, neque per ullum augmentum aut calliditatem te celare praesumas, neque quae sunt ejus contingas aut obsideas, non vestimenta ejus, non pecora, non jumenta, sed catenatus et refraenatus per J. C. exsul effugias. »
Je me signai, à la fois horrifié, et résolu à me défendre. Tout en faisant cela, je photographiais la scène, car mon appareil ne me quitte jamais. L'entité gronda, recula, puis revint à la charge. À la place des yeux, elle présentait deux orifices d'épouvante, où je voyais passer des scènes étranges, des visages de cauchemar, des doigts sur des claviers d'ordinateur, une colonie d'êtres navrants : parmi eux, un gros homme aux doigts boudinés, aux chairs soufflées, et un autre, plus petit : de ses lèvres souillées de fiel et d'amertume, coulait une glaire insane. Celui-ci ressemblait à un valet d'ordures, comme on en rencontre chez le poète Petrone, celui-là prétendait avoir été « outrogé »… Il y avait aussi deux femmes : l'une avait un aspect misérable, hébété, l'autre, chevauchant une monture d'apocalypse avortée, s'arrachait les cheveux. La première allait répétant qu'elle « birahimerait » jusqu'à la fin des temps, l'autre, qu'elle ne connaîtrait le repos que lorsqu'elle m'aurait entraîné dans son « ovaires-bloc » ! Je me rappelle parfaitement ces mots, mais n'en compris pas le sens. Je ne le saisis toujours pas. Des figures secondaires, mais hargneuses, passaient dans les prunelles en abîme de mon agresseur. Toutes relevaient de la cryptozoologie, telle cette grosse synthèse des difformités, une mafflue du genre belge (elle disait arriver de Bruxelles), ou encore cette malheureuse efflanquée, qui chantait Yankee doodle à tue-tête.
L'ectoplasme lança encore deux ou trois assauts, puis se déforma lentement, jusqu'à disparaître, dans un bruit de siphon engorgé.
Pour preuves de ma bonne foi, et du grand péril que je connus ce matin, les documents publiés ci-dessus.
(Photographies P. M.)

vendredi 8 avril 2011

Les dames dans la vitrine












































Nous parlions précédemment de Coco Chanel, la voici, dans la vitrine de Galignani, la plus belle librairie de Paris, sous les arcades de la rue de Rivoli (ci-dessus). Les décorations de Galignani sont toujours remarquables, et l'accueil que l'on fait au client efface les mauvais souvenirs des vendeurs maussades, qui sévissent dans les rayons des supermarchés culturels.
Et encore, cette surprise (ci-dessous) : une œuvre de Louise « Loulou » de Vilmorin, dans la vitrine de la galerie Au bonheur du jour, à l'angle des rue Chabanais et Cherubini, dirigée par Nicole Canet, une femme pleine de ressource et d'audace, que je vous ai déjà présentée, dont l'esprit de curiosité ne nous lasse pas.
(Louise de Vilmorin, Femme au repos, aquarelle, 1937)
























Photographies P. M.

Addicted to…





















































































Grandeur et décadence
Passant chaque matin devant la boutique Galliano, dans un bel immeuble, à l'angle des rues Duphot et Saint-Honoré, aménagée par l'inévitable Jean-Michel Wilmotte, je constate que le lieu est déserté par la clientèle. En revanche, les touristes l'observent d'un peu loin, puis s'en approchent, avec un mélange de prudence et de curiosité. Ils mesurent la représentation d'un scandale. Les faits reprochés à Galliano se sont produits loin d'ici, mais c'est ici que l'ex petit-maître des élégances conserve une vitrine parisienne. C'est ici qu'il est en quelque sorte « incarné », puisque Dior l'a congédié, comme un serviteur indélicat. On vantait naguère encore son sens de la « provoc », les magazines féminins pâmaient à la moindre de ses apparitions, les rédactrices de mode chantaient ses louanges. Cependant, il se disait que ses derniers défilés n'avaient pas suscité l'engouement habituel des acheteurs. On murmurait qu'il avait perdu beaucoup de son inspiration, que ses oripeaux hors de prix, destinés aux bimbos peroxydées, n'étaient plus dans l'air du temps. On le savait à la dérive. Je n'aimais pas son style, mais, relativement à l'«affaire», navrante, je suis persuadé que le bonhomme est tombé dans une sorte d'embuscade. Dire que le plus bel exemple de la durée, dans l'art délicat de la mode, Coco Chanel, vivait à un jet de pierre de ses vitrines !
Balzac, la-haut, sourit au spectacle de notre comédie humaine.

Photographies P.M.

vendredi 1 avril 2011

Le son de la vie

« Nous la perdîmes enfin. Je la vis expirer. Sa vie avait été celle d'une femme d'esprit et de sens; sa mort fut celle d'un sage. Je puis dire qu'elle me rendit la religion catholique aimable, par la sérénité d'âme avec laquelle elle en remplit les devoirs sans négligence et sans affectation. Elle était naturellement sérieuse. Sur la fin de sa maladie elle prit une sorte de gaieté trop égale pour être jouée, et qui n'était qu'un contrepoids donné par la raison même contre la tristesse de son état. Elle ne garda le lit que les deux derniers jours, et ne cessa de s'entretenir paisiblement avec tout le monde. Enfin, ne parlant plus, et déjà dans les combats de l'agonie, elle fit un gros pet. Bon! dit-elle en se retournant, femme qui pète n'est pas morte. Ce furent les derniers mots qu'elle prononça. »

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Livre II (il est entré en qualité de laquais, au service de la comtesse de Vercellis, à Turin. Elle meurt.)


Et, pour illustrer cette charmante incongruité, un « morphing » très réussi.