samedi 29 décembre 2012

Huitre perlière


Il est toujours délicat de qualifier de « meilleure » une interprétation, mais, pour l'aria de Nadir, que Georges Bizet composa (« Les pêcheurs de perles », 1863), je me risque à dire que le grand et méconnu Alain Vanzo, disparu en 2002, en a donné, parmi toutes celles des chanteurs de formation classique, la plus sobre, la plus maîtrisée, la plus mélodieuse, la plus « enchanteresse » (enregistrement de 1962) :



On notera que « Les pêcheurs de perles » est un opéra, qui n'est désormais monté qu'à l'Opéra comique, où, enfant, je le vis depuis la coulisse…

Et l'on ira encore ici  et encore  là

jeudi 27 décembre 2012

L'étrangeté sentimentale

Même si ce message n'est pas sans un certain rapport avec le précédent (Avedon/Noureev), c'est pour rien d'autre, pour la seule raison, très obscure et très fondamentale, de m'enfoncer un peu plus dans l'épais mystère amoureux de cette chanson étrange et sentimentale, et pour le seul plaisir de l'entendre dans cette version :



« Et le plaisir s'accroît quand l'effet se recule », Polyeucte, Corneille.
C'est pourquoi, sans craindre de vous lasser, alors que vous me demandez grâce, je veux rassasier votre ouïe du beau chant que voici :




On entendra aussi Voici Leonard, sortez vos mouchoirs

Le don d'Avedon


Pourquoi n'a-t-on pas consacré le grand Richard Avedon, à Paris, par une exposition dans un lieu prestigieux, alors qu'on l'a fait pour le très surfait Helmut Newton ?
M. Newton, qu'il ne faut pas confondre avec le génial personnage à la pomme, n'aurait jamais imaginé cette image de Rudolf Noureev, car il fallait, pour cela, un sens de la beauté en mouvement dont il était bien incapable.
En 1962, alors que Noureev n'est encore qu'un réfugié politique, à Paris, Richard Avedon le rencontre et le « saisit » dans toute sa grâce musclée de jeune faune.
Voici Noureev par Avedon, en pied, d'abord, c'est à dire en entier, puis en détail, c'est à dire sur un pied !

























Sur Noureev, on en saura plus ici , et  là 

dimanche 23 décembre 2012

Une main tendre et légère

« Ah, vous autres hommes faibles et merveilleux qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu ! Il faut qu'une main, posée sur votre épaule, vous pousse vers la vie… Cette main tendre et légère… »
Margaret à Brick, La chatte sur un toit brûlant, Tennessee Williams

À vous toutes et à vous tous qui passez ici, de temps en temps, je dis simplement « Bon Noël », parce que c'est ainsi, et que je le veux.
Puisse, longtemps encore, une main « tendre et légère » vous pousser vers la vie !

















Illustration : Le Christ au jardin des Oliviers (détail), par Eugène Delacroix (1827). Cette œuvre se trouve à l'intérieur de l'église Saint-Paul-Saint-Louis, à Paris, dans le Marais.
Trois anges apparaissent à Jésus, qui lui montrent les symboles de sa proche Passion. Le Christ esquisse  de la main un geste de découragement, peut-être d'effroi ; il semble repousser l'idée même du terrible supplice qui l'attend. Comment sa main pourrait-elle alors demeurer « tendre et légère » ?



Extrait de l'oratorio de Jean-Sébastien Bach BWV 248, voici le chœur d'introduction Jauchzet, Frohlocket (Jubilez, Réjouissez-vous !), dans l'une de ses plus récentes versions par le chœur Accentus, dirigé par l'excellente Laurence Equilbey (Église Saint Thomas, Strasbourg, 2009).
On retrouvera Laurence Equilbey ici 

mardi 11 décembre 2012

Le dévot laid de Lana

Elle étonna, puis elle déçut. Environnée d'abord de souffre, suscitant une curiosité avide, elle lassa si vite qu'elle passa du statut d'idole fulgurante à la terrible condition de poupée moquée, vilipendée.
Je tombai immédiatement sous son charme fabriqué, je devins son dévot stupide. Consentant à sa beauté de silicone léger, je me sentis parcouru de la volupté d'être laid ; son étrange perfection, loin de m'effrayer, me remplit de la torpeur, de l'alanguissement des adorateurs hébétés.
La fabrique de la beauté ne me choque pas, si l'être ainsi remanié, retouché, démontre plus avantageusement encore que dans son enveloppe naturelle sa force d'envoûtement.
Je contemple comme un voleur sa chair exposée, mal vêtue, son obscène chevauchée en compagnie de gras buveurs de bière, ses postures de soumission heureuse, et j'entends, tard dans la nuit, sa voix de cabaret post-nucléaire.



Elle commence son long et murmuré prologue par ces mots :
« Ma vie traversait un hiver ; les hommes que je croisais sur ma route étaient mes seuls étés. Le soir, je m'endormais sur des visions de moi-même, dansant, chantant et pleurant avec eux. Trois années passèrent ainsi d'une grande dérive, qui semblait ne jamais avoir de fin. Le souvenir de ces hommes fut la seule chose qui m'a soutenu, et ils constituèrent mes vrais, mes seuls instants de bonheur. J'étais alors une chanteuse sans grand succès, qui avait rêvé naguère de devenir poète, mais qui, à la suite de circonstances malheureuses, avait vu son rêve brisé, éparpillé en un million d'étoiles dans le ciel […] »

On ira donc contempler L'atroce beauté d'Aliceet encore Fin de féerie,  Obsessed by Auermann -5-
Obsessed by Auermann -4-, Dans l'ordre du désirJ'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes…J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (2)J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (3)J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes (4)Nico, une allemande dans la FactoryVue de dosOn prend la routeRoucoudouleurLa femme du Pigall"sC'était hier…

jeudi 6 décembre 2012

Dave « Quartet »

D'où lui venait le sens du rythme « brisé », ou plutôt contrarié, qui donna à ses premières compositions  l'étrangeté harmonieuse des musiques fondamentales ? Qu'a-t-il perçu, dans l'air du temps des années cinquante, qui voulait advenir et se manifester de manière radicalement neuve ?
Les années cinquante, le début de la décennie soixante, Dave Brubeck et quelques autres : notre vraie modernité.
Voyez le désastre où nous sommes !

Tout est parfait dans ce Take five, jusqu'à la formation en quartet :  Dave Brubeck au piano, Paul Desmond au saxo alto, Eugène Wright à la basse, Joe Morello à la batterie (enregistré en Belgique, en 1964).

mardi 4 décembre 2012

Ce que sait faire de ses dix doigts Esther, qui ondoie…

Esther ou le quant à soie
Vous connaissez Esther, que je vous ai présentée ici. Elle vient de produire un superbe effet visuel et sonore en ce lieu, qui démontre, une fois de plus, que cette gracieuse personne nous vient du royaume de l'envoûtement. Avec elle, grâce à son habileté technologique supérieure, guidée par un goût très sûr et une perception sensuelle de l'apparence des choses, l'exercice du blogue relève de l'enchantement.
Sur Esther, on lira ceci, et encore  ceci.





samedi 1 décembre 2012

Petite vertu
























Eugène Atget (1857-1927), prostituée devant une maison close à Versailles, 1921, dite « au grand 2 ». Cette photographie a été mise en vente récemment à Drouot, par l'étude Beaussant-Lefèvre ; estimée 5000/6000 €, elle fut adjugée 35 000 € !  Il s'agissait d'un tirage original 21, 9 x 18, 3

Du même Atget, la vente proposait trois autres belles photographies : une vue du Moulin Rouge, boulevard de Clichy, à Paris, sans doute au début du XXe siècle, associée à un cliché du balcon de l'hôtel de Blégny, 12, rue Guénégaud (Paris, VIe arrondissement), les deux ensemble estimées 1500/2000 €, vendues 3200 ; et le portrait d'une orientale, tirage original d'un contretype par Eugène Atget, estimé 600/800 €, adjugé 3200 €.

Le marché de la photographie ancienne, surtout quand il s'agit de grands noms, connaît un succès qui ne se dément pas.
La différence dans les adjudications de ces quatre clichés s'explique peut être par la rareté du premier, mais aussi, je le crois, par son thème, et par la singularité de son sujet. Elle est charmante, et presque étrange, cette « créature », et sa silhouette, fine, fluette, est d'une très jeune fille. Depuis combien de temps est-elle « rompue aux servitudes » ? Par son apparence, elle appartient encore au XIXe siècle, plus précisément à la Belle époque, mais sa jupe à volant, qui découvre ses genoux, ses bottines et ses bas blancs signalent une certaine « modernité » de la ligne.

Cette gracieuse personne, dans sa représentation, paraît très éloignée de l'univers irrégulier, où tentaient de survivre, sous la férule des « julots casse-croûte », la plupart des femmes de la rue. Il est possible que les conditions de travail ait été moins pénibles dans certaines maisons closes, il reste que la réalité sociale, économique, psychologique des prostituées, est très sombre. Mais leurr silhouettes, leur vocabulaire, leur démarche, leur allure (à partir des années trente : cigarette, talons hauts, sac négligemment tenu par-dessus l'épaule), la petite société qui prospère autour d'elles, appartiennent à une sorte de « mythologie » plutôt heureuse, en tous les cas très éloignée des ruelles sordides et sanglantes de Londres, au temps de « Jack the ripper », l'assassin nocturne des misérables « filles de joie ».
























C'est une toute autre vision de la prostitution, que nous fait partager l'école japonaise dite de l'Ukiyo-e (de la fin du XVIIe siècle jusqu'au milieu du XIXe). Les courtisanes du quartier Shin-Yoshiwara, à Tokyo (ou Edo, capitale du shogoun) sont d'adorables jeunes femmes parfumées, superbement parées, entièrement vouées au plaisir et au raffinement qui l'accompagne (ci-dessous ; musée Cernuschi, Paris ).

























Et cette chanson, dont le texte est de Pierre Mac Orlan, interprétée par Germaine Montero : l'histoire d'une fille « perdue », sujette à une puissante mélancolie…

mardi 27 novembre 2012

Les œuvres dont nous avons besoin

On cite souvent des extraits de cette lettre de Franz Kafka adressée à Oskar Pollak, en date du 27 janvier 1904 : la voici dans son entier.
Il me paraît qu'elle est pleine d'une ironie discrète et d'une harmonieuse gravité.


























Cher Oskar !
Tu m’as écrit une lettre charmante qui demandait, soit une réponse rapide, soit pas de réponse du tout ; quinze jours ont passé depuis sans que je t’aie écrit, ce serait impardonnable en soi si je n’avais des raisons. D’abord je ne voulais t’écrire que des choses bien pesées parce que ma réponse à cette lettre me paraissait plus importante que toutes les autres (malheureusement je ne l’ai pas fait) ; ensuite j’ai lu d’un trait le Journal de Hebbel (près de mille huit cents pages), alors qu’autrefois je ne le prenais toujours que par morceaux, auxquels je ne trouvais aucun goût. J’ai quand même commencé de façon suivie, au début en me jouant, pour me sentir finalement comme l’homme des cavernes qui, ayant roulé une grosse pierre devant l’entrée de sa caverne, par jeu et pour rompre l’ennui, est pris d’une sourde frayeur en voyant que la pierre le prive d’air et le plonge dans l’obscurité. Il tente alors avec une étrange ardeur de la déplacer, mais maintenant elle est dix fois plus lourde et, pour retrouver l’air et la lumière, l’homme angoissé doit tendre toutes ses forces. De même je n’ai pas pu toucher une plume de tout ce temps, car à embrasser du regard une telle vie, qui s’élève continuellement sans faille, si haut qu’on peut à peine la suivre avec sa longue-vue, on ne peut pas garder la conscience en paix. Mais il est bon que la conscience porte de larges plaies, elle n’en est que plus sensible aux morsures. Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois (l).
Mais toi tu es heureux, ta lettre rayonne positivement, je crois que tu n’étais malheureux autrefois qu’à cause de ces relations qui ne te valent rien, c’est bien naturel, on ne prend pas de bain de soleil à l’ombre. Mais que je sois responsable de ton bonheur, ne le crois pas. Au mieux, je le verrais ainsi : un sage, dont la sagesse était cachée à ses propres yeux, rencontra un fou et s’entretint un moment avec lui de choses apparemment très lointaines. La conversation finie, comme le fou veut rentrer chez lui — il vivait dans un pigeonnier —, l’autre lui saute au cou, l’embrasse et lui crie : merci, merci, merci. Pourquoi ? La folie du fou avait été si grande qu’elle avait montré au sage sa sagesse…
J’ai l’impression de t’avoir fait du tort et d’avoir à te demander pardon. Mais je n’ai connaissance d’aucun tort.
Ton Franz

(1) Ce passage en italique par mes soins

Franz Kafka, œuvre complète, tome III, collection La Pléiade, Gallimard éditeur
Portrait de Kafka quelque temps avant sa mort. 

dimanche 25 novembre 2012

Explication de texte

Quelques minutes d'un très grand divertissement. Sur le plateau d'une émission « littéraire », Lucchini, soudainement, s'empare du micro et prend le pouvoir. Le très falot animateur, dont j'ignorerai le nom jusqu'à la fin des temps, est  soufflé, comme on le dit d'une bougie devenue inutile, et moi aussi ; je m'efface, je vous laisse, voici Lucchini dans ses œuvres :

jeudi 15 novembre 2012

Comme un adieu dans une langue oubliée…


Toute notre vie, à la fin, se résume à une gare désaffectée, dont les rails se perdent dans le brouillard. Nous discernons des silhouettes imprécises, autrefois familières. Et nous ne savons bientôt plus si nous restons à quai, ou si nous sommes dans le train qui s'éloigne…

Françoise Hardy publie enfin ce roman qu'elle portait en elle depuis si longtemps, si souvent travaillé, délaissé, oublié, « L'Amour fou ». Et elle nous donne un nouveau cd, sous le même titre, plus beau, plus accompli encore que le précédent : paroles, sentiments tendres et tristes, accomplissement des choses et de leur mélodie.
Elle a une volonté de fer, et sa mélancolie est inépuisable.







Suggestion éclairée de René Claude :
http://www.franceinter.fr/video-si-vous-n-avez-rien-a-me-dire-francoise-hardy

Et cette version du texte de Victor Hugo, mis en musique par Camille Saint-Saëns, interprété par Marie Devellereau :


On lira  D'elles à lui, lady Dali et l'Hardy,  Mélancouler avant de sombrerUne sorte de grâce

samedi 10 novembre 2012

La fantaisie amoureuse est dans notre nature

























Voici ce que je répondais ce matin à quelqu'un ; j'ai voulu vous en faire profiter : quelle chance avez-vous !


 La sexualité humaine, quand elle développe ses sortilèges, grâce au trésor de fantaisie que nous recèlons, autorise d’admirables combinaisons qui, pour être coquines, malicieuses, audacieuses, voire un peu ridicules (la gymnastique érotique appliquée comporte une part de grotesque), sont fort éloignées du souci de la procréation. Il y a quelque chose de miraculeux, j’oserais dire de divin, dans le spectacle de deux êtres, qui cherchent à s’arracher tout à la fois aux lois de la pesanteur et à leur terrible condition, essentiellement faite de remords, de chagrin, de souffrance et de peur. Dans ces moments-là, où l’on donne tout autant qu’on reçoit, où l’on s’affole sous l’effet du désir, et où l’on se contraint à être un animal aimable à l’autre, où l’on pressent son attente afin d’y répondre avec art, où l’on se fait serviteur de sa volupté, attentif aux frissons qui le parcourent, où l’on soumet sans violence, généreux dans les caresses, tantôt maître, tantôt valet, lascif, égoïste et charitable, dans ces moments-là, vraiment, que nous importent la procréation, la reproduction de l’espèce, la société entière, l’Orient et l’Occident ? Deux êtres qui s’aiment, qui consentent à mêler leur sueur et leurs épidermes dans le grand remuement de leur imagination, dessinent les figures terriblement émouvantes d’une humanité fragile mais obstinée, capable de livrer une tendre guerre, où l’on ne risque que la « petite mort ».

Pour être précis, accordons à la sexualité un rôle de stricte reproduction de l’espèce, et à la merveilleuse fantaisie, qui murmure à l’oreille des amants des figures adorables, la fonction du seul plaisir, soutenu par le désir toujours entretenu et renouvelé, oublieux de la descendance et du renouvellement des générations. 


Illustration : Le verrou (1778-1780, h. 73, l. 93, musée du Louvre), par Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). On s'est interrogé sur le sens qu'il convenait de donner à cette brûlante scène érotique. La femme consent-elle, l'homme la force-t-il, et, en fermant le verrou de la porte, lui interdit-il de s'échapper ? Quant à moi, je la vois déjà pâmer, elle se refuse à peine et s'abandonne déjà. Elle épouse, si j'ose dire, le mouvement général du tableau, qui va de l'huis au lit, où leurs corps creuseront un nid d'ardeur. Cette lourde draperie, qui tombe du plafond en failles harmonieuses, résistera-t-elle aux assauts des corps qui, bientôt, vont se mêler. L'homme, encore très jeune, possède un buste puissant, et l'on voit saillir les muscles de son dos, sa taille se cambrer, ses reins se tendre déjà. Éloignons-nous, ils halètent, ils gémissent et, tantôt, ils paraîtront mieux que nus : ils seront dévêtus.


En prime, ce poème de Robert Desnos, mis en musique par Michel Legrand, chanté par Yves Montand :




On lira « Je t'ai cherchée au bout des chambres…»L'ondoiement d'EstherUn petit val qui mousse de rayons… 

mercredi 7 novembre 2012

L'amour aux enchères

























Pierre Drieu la Rochelle sut-il aimer les femmes qu'il aima ? Il est certains que presque toutes éprouvèrent pour lui une brève passion, suivi d'un sentiment très doux, maternel. Ce fut le cas de Victoria Ocampo. Il apparaît aujourd'hui que cette belle femme, d'un caractère fort, qui aimait les hommes séduisants, bien habillés, et intelligents, les écrivains surtout, ne cessa jamais de considérer Drieu d'un œil tendre, navré aussi. Elle fut charmée en un soir par ce grand gaillard solitaire, qui sentait bon, se montrait attentionné comme un jeune amoureux, mais pouvait disparaître sans laisser d'adresse.  Sur leur rencontre, la séduction immédiate qu'exerça Drieu sur la belle argentine, on en saura plus en lisant La belle argentine et l'homme perdu.
Quoi qu'il en soit, le jeudi 15 novembre, à l'hôtel Drouot, seront dispersés, dans une fort belle vente, des photographies, des livres et des autographes des XIXe et XXe siècles. Et, surprise, il s'y trouve deux lettres d'amour déclaré de Drieu à Victoria. Dans l'une, en date du 6 décembre 1939, l'entretenant de son roman « Gilles », sur le point de paraître, il a ces mots à l'adresse de sa chère argentine : « Il devrait t'être dédié en toutes lettres, en tous cas il l'est dans mon cœur, en tous cas il a été fait, jour après jour, en pensant à toi […] tu a été pour moi le modèle de force  selon lequel je pouvais lancer ma construction simple, hardie et vraie. ». Dans l'autre, non datée, il se reconnaît, une fois de plus, inférieur à son art, pratiquant l'autocritique avec une cruauté très lucide : « […] pourquoi ne suis-je pas un pur artiste ? Il y a cette passion politique […] Je regrette de n'être pas un pur, un plus grand artiste. […] Aime-moi, laisse-moi un peu m'appuyer sur toi. Nourrisons-nous l'un de l'autre […] à travers l'abominable, le vide, l'inhumaine absence, tâchons de tisser une toile réelle, une longue banderole d'un balcon à l'autre, à travers la nuit, à travers la mer […] »

Prix estimé de la première lettre : 1500/2000 € ; de la seconde : 800/1000 €

Vente organisée par maîtres Neret-Minet et Tessier ; expert Éric Fosse (par ailleurs excellent libraire).

On ira ici, et , et encore ici, et pourquoi pas là

mercredi 31 octobre 2012

En haut des marches



On connaît les qualités de crooner (swing, diction) de Tony Bennett, on ignorait que Chritina Aguilera fût capable de seulement paraître à ses côtés sans être ridicule. Elle nous étonne, sans atteindre à l'éclatante perfection de Lady Gaga, dans son duo avec le grand Tony.

La même chanson, par Tony Bennett seul, dans un clip noir et blanc d'une parfaite réalisation.



Rappelons que le portrait de Duke Ellington peint par Tony Bennett figure désormais sur une cimaise de la National portrait gallery (Smithsionan institution, Washington)).

On ira voir La nuit 8La nuit 6,  (A)vœux 2



mardi 23 octobre 2012

C'est fini !




Your baby doesn't love you any more. 
Golden days, before they end, 
Whisper secrets to the wind. 
Your baby won't be near you any more. 
Tender nights, before they fly, 
Send falling stars that seem to cry. 
Your baby doesn't want you any more. 
It's over. 

It breaks your heart in two, 
To know she's been untrue. 
But oh, what will you do, 
When she says to you, 
"There's someone new. 
We're through. 
We're through." 
It's over, it's over, it's over. 

All the rainbows in the sky 
Start to weep and say good-bye. 
You won't be seeing rainbows any more. 
Setting suns, before they fall, 
Echo to you, "That's all, that's all." 
But you'll see lonely sunsets, after all. 
It's over, it's over, it's over.
(Roy Orbison, Bill Dees)




dimanche 21 octobre 2012

Le roi Roy

Le meilleur d'entre tous ! Excellent guitariste, compositeur inspiré, chanteur surdoué, Roy Orbison n'a pas eu la carrière que son talent pouvait lui faire espérer. Certes, il a inscrit de très beaux succès dans les « charts », il remplissait aisément les salles, en Amérique et en Europe, mais il n'aura pas connu l'adulation d'un Elvis Presley. Son apparence ne le servait pas, ni sa santé : derrière ses grosses lunettes noires, qui n'avaient même pas le mystère érotique de celles de Ray Charles, très statique sur scène, correct, appliqué, rond de visage et de corps, il servait avec humilité les mélodies que lui soufflait sa belle sentimentalité adolescente.
Il est ici écouté avec bonheur par un auditoire choisi, et accompagné par une fine fleur : on reconnaitra le cher Tom Waits, Elvis Costello, James Burton, musicien légendaire (ici en veste blanche), compagnon du « King » Presley, et le prétendu « boss », chanteur graisseux pour cabine de douche masculine, qui ne peut s'empêcher de faire le malin, Bruce Springteen (oui, c'est entendu, The river est une magnifique chanson !). Parmi les choristes masculins, le beau gosse, qui ressemble plus à un jeune homme d'autrefois qu'à une rock star, se nomme Jackson Brown ; chez les filles, on remarque l'excellente KD Lang, encore jeune et svelte - elle ressemble aujourd'hui à un capitaine au long cours dont le navire serait encalminé depuis longtemps : Orbison enregistra avec elle une version de Crying, qui rendrait lacrymal le plus acharné des salafistes.
Le rock de Roy aura été un moment de l'enchantement du monde.







On ira de ce côté  Dedicated to…

mardi 16 octobre 2012

Pour saluer Dsata


Pour saluer l'arrivée parmi nous d'une exquise Dsata, venue nuitamment inscrire son nom. Ce que j'ai vu chez elle (son blogue Pictures) fait imaginer un grand raffinement.





RITA HAYWORTH - PUT THE BLAME ON ME ("GILDA")

Retour sur le pont

Il n'est pas de désarroi plus grand que celui d'un homme, vêtu d'un manteau de cachemire, marchant sur un pont et sous le métro aérien, à Paris, sur le point d'être dépassé par une jolie jeune femme.



















Il n'est pas de curiosité plus furtive que celle de cette même jeune femme, se retournant sur l'homme vêtu de cachemire.

























Il n'est pas de solitude plus douloureuse que celle de l'homme en cachemire, perdu dans son tourment.
















Il n'est pas d'étreinte plus passionnée, plus brutale que celle de ces deux êtres réunis par le hasard, dans un appartement vide.

















Photographies extraites du film Le dernier tango à Paris, de Bernardo Bertolucci (1972), avec Maria Schneider et Marlon Brando


Ci-après, des images très rares de Marlon Brando, en compagnie de Montgomery Clift. Tous deux sont jeunes, délurés, heureux. Cela ne durera pas ; l'un et l'autre trouveront bientôt une pente « naturelle », qui les mènera à l'inconfort de vivre et au malheur d'être né.





On en saura plus encore ici et là…  Le fantôme du métro aérien 1Le fantôme du métro aérien 2Le fantôme du métro aérien 3Marlon B, for Lady Tanya, and for all Tous les garçons' ladies

Enfin, on écoutera ceci . La voix du grand Marchand a un peu vieilli, mais elle a pris une patine toute de caresse et de satin. On la croirait venue d'un faubourg de Buenos-Aires.

mardi 9 octobre 2012

Au bal en Cristòbal

Il est trop tard, la magnifique exposition Balenciaga a fermé ses portes. Pour le souvenir de la beauté, pour le plaisir des yeux et de la mémoire, quelques photographies volées : Cristòbal Balenciaga admirait les « modistes » du XIXe siècle, ainsi que les formes et les couleurs du costume espagnol traditionnel, voire folklorique. À côté de ses propres créations, se trouvaient ses principales sources d'inspiration.



























De haut en bas :
1) Robe dite Polonaise, vers 1860/1870 : sa partie inférieure constitue une surjupe, pékin de soie beige (armure en taffetas et en satin), doublure en toile de coton écrue. Collection privée de Balenciaga, don de sa famille au musée Galliera.
2) Cristòbal Balenciaga, robe du soir, vers 1960 : robe à bustier baleiné en satin de soie brodé ; bandes se strass en haut du bustier et sur le devant de la jupe, en haut, nœud décoré de strass, jupe froncée formant crinoline projetée, broderie de paillettes, mousseline de soie.
3 et 4) Bottines de Perry, Paris, vers 1880 : en satin noir, douze brides fermées par des boutons boule en passementerie, doublure en toile de coton ; le talon est cerclé à la base d'un fil en métal doré. Ne sont-elles pas particulièrement sexy ?

Alors, vous me direz : « À quoi cette profusion luxueuse sert-elle, sinon à satisfaire les caprices rapides de grandes bourgeoises névrosées ? ». Je vous répondrai que les grandes bourgeoises ne sont pas nécessairement névrosées, et que « cette profusion luxueuse », pour reprendre votre expression, nous paraîtra nécessaire lorsque toute idée de luxe aura déserté ce pays, ce qui ne saurait tarder.

Photographies PM

On consultera utilement :
Marchand Dabit
Mais encore :
The fair ladyMadame GrèsLes dames dans la vitrine,


mardi 2 octobre 2012

La peste soit du choléra !


La nouvelle de Thomas Mann est brève, dense mais brève. Or, le film que Luchino Visconti a tiré de « La mort à Venise », avec l'aide de Nicola Badalluco pour le scénario, est d'une durée de 135 mn. Chaque image est nécessaire, constitutive de l'histoire qui se développe, et révélatrice du tourment très intime, violent dont le musicien Aschenbach (dans la nouvelle, il s'agit d'un écrivain) est la proie. Toute sa vie, cet homme a cherché la beauté (thème développé longuement dans « Docteur Faustus », du même Thomas Mann), jusque dans la rupture, il a exploré les ressources sonores de l'orchestre, il a voulu de l'inouï. Et le voilà, solitaire, vieilli, usé, sans emploi sentimental, voyageur luxueux à Venise. Le destin l'attend, qui aime à ricaner aux dépens des hommes ; il prend l'aspect d'un jeune garçon, d'un adolescent gracieux, mince, botticellien. Et notre compositeur, qui, toujours, fut comme émotionnellement verrouillé, se découvre une passion dévorante pour cet éphèbe, qui conduit progressivement sa victime vers son « projet » informulé. Pauses gracieuses, sourires esquissés, feintes suggestives du corps, regards soutenus : Tadzio tisse sa toile autour d'Ashenbach (dont le nom signifie ruisseau de cendres), l'envoûte, le paralyse. Alors que l'épidémie de choléra décime les rues de Venise, le musicien, agonisant, connaîtra, dans son costume de lin blanc, une fin sulpicienne.

La beauté des autres n'est pas une fin en soi, mais elle peut être une fin pour soi.



- Entre la Lettre à Élise de Beethoven, jouée dans le salon de l'hôtel et ensuite, guère mieux, par Esmeralda au bordel, quel rapport y avait-il ? 
- Ah, là aussi, cela a été le hasard. Je voulais tourner la scène avec Tadzio au piano et j'ai demandé au petit de m'exécuter ce qu'il savait jouer. Il a donc joué la Lettre à Élise que j'ai reprise dans la séquence qui suit, au bordel. 
- Et ainsi tu as rendu Tadzio un peu prostitué, et la prostituée un peu Tadzio... 
- C'est ce que je voulais. Je désirais en effet, unifier et en même temps, dédoubler l'élément de la « contamination » et de l'attraction des sens, et celui de la pureté enfantine. Par ailleurs, la fille du bordel rappelle un peu Tadzio parce qu'elle a un visage pur de fillette, outre la référence à Docteur Faustus, au moins pour ceux qui l'ont lu, et plus précisément l'allusion à la biographie de Nietzsche que le Faustus contenait. Bref, Aschenbach, en reliant la présence de Tadzio au souvenir de la prostituée, c'est-à-dire à la contamination qui s'était produite des années auparavant, saisit pleinement l'aspect le plus équivoquement « pêcheur » de son attitude à l'égard de Tadzio. Il est donc en proie, comme auparavant avec Esmeralda, à la tentation de céder. Tadzio résume ce qui a constitué un pôle de la vie d'Aschenbach, un pôle qui, représentant la vie - comme alternative et antithèse de l'univers rigidement intellectuel, de cette « vie sublimée » où Aschenbach s'est enfermé - se termine par la mort. Esmeralda et Tadzio ne représentent pas seulement la vie, mais sa dimension spécifique, troublante, contaminatrice, qu'est la beauté. Mann disait dans Sur le mariage, en citant Platen : « Qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort. » Je voudrais, du reste, que ce fût la « phrase de lancement » du film, parce qu'elle contient son sens le plus profond. 
(Extrait d'un entretien entre Visconti et Lino Micciche, dans Luchino Visconti cinéaste, d'Alain Sanzio et Paul-Louis Thirard, Ramsay, 1986.)


Photographie : Visconti règle une scène de Mort à Venise


Sur Visconti, on pourra se promener : 

Gruppo di famiglia Visconti Drieu via Visconti, Joël H. via Guidoni  Le décor d'une vie -1-
Le décor d'une vie -2-  Le décor d'une vie -3-  Luchino est mort !  L'enchanteur du XXe siècle (1)

mercredi 26 septembre 2012

Semer des jalons…


C'est une affaire qui hantait le palais de justice de Paris depuis dix ans ! Une affaire de « cornecul », en quelque sorte. Le groupe Jalons, animé par le brillant Basile de Koch, produit depuis longtemps des pastiches hilarants de journaux et de magazines : L'Immonde (pour Le Monde), L'aberration (pour Libération), France-Démence (Pour France-Dimanche), Pourri-Moche (pour Paris-Match) etc. En règle générale, les victimes, reconnaissant le talent des pasticheurs, subissent sans broncher ce moment de délire à la fois cruel et drôle. Mais le magazine Entrevue, fondé par Thierry Ardisson et Gérard Ponson en 1992, prit très mal sa parodie Fientrevue, et s'engagea dans une procédure, qui vient donc de se clore. Les plaignants sont déboutés. Je suis heureux pour Basile. Il pourra poursuivre sereinement son entreprise de presse et d'humour nécessaire.

Basile de Koch, Président à vie du groupe Jalons
Paris, le mardi 25 septembre 2012
Affaire Entrevue vs. Fientrevue : LA COUR D’APPEL RELAXE LE GANG DES PASTICHES !
« Joie, joie, pleurs de joie » ! Après dix ans de procédures à rebondis- sements, la décision tant attendue de la Cour d’Appel est enfin tombée, et du bon côté !
Dans son arrêt du 21 septembre, la juridiction du second degré rend pleinement justice au nôtre :
– Oui, confirme-t-elle après les juges de première instance, Fientre- vue était bien une « parodie respectant les lois du genre », et non pas un « plagiat parasite et cannibale», comme le plaidait sans rire M. Gérard Ponson, patron d’Entrevue ;
– Non, statue-t-elle contre les premiers juges, notre parodie n’a même pas « contrefait » la couverture de l’original : si elle en a repris les « éléments caractéristiques», c’est tout bonnement pour les « cari- caturer ».
Bref le droit à la parodie, pour pouvoir s’exercer, inclut nécessairement celui d’imiter le fond et la forme du support pastiché. Cela va sans dire, mais ça va mieux quand c’est la Cour d’Appel qui l’écrit.
Pour ne rien gâter, cette sage décision est motivée en termes savoureux. Selon l’arrêt, « l’observateur averti » disposait en la circonstance de tous les éléments nécessaires « pour comprendre qu’il s’agit d’une parodie des- tinée à se moquer de la revue ENTREVUE ». Il lui suffisait pour cela de lire le simple titre FIENTREVUE, mais aussi l’inscription au-dessus du
titre « Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée JALONS » et en dessous « Toutes les conneries sont bonnes à dire » ainsi que « 3 euros, comme le vrai ».
On ne saurait mieux dire, et c’est un plaisir pour les Jalons, « pasticheurs du Roy depuis 1793 », de voir leurs bons gags cités par la haute juridiction comme exemples d’une parodie réussie.
Résultat des courses : la société Jalons, au capital de 304 euros, est dispensée de débourser les 1,127 million (!) réclamés par les plaignants, et même les 2 500 que leur avaient généreusement alloué les juges de première instance.
On pourrait certes déplorer que la Cour d’Appel ne nous accorde pas de dommages-intérêts, au terme d’une décision qui met pourtant en lumière le caractère manifestement abusif d’un acharnement judiciaire sans objet. Ces procédures interminables autant qu’absurdes nous ont quand même coûté la peau ! ! Mais bon, vu les dettes accumulées par feu la société de Ponson, aujourd’hui liquidée, nous n’avions de toute façon aucune chance de récupérer le moindre centime.
C’est donc d’un cœur aussi léger que le portefeuille que nous fêterons prochainement, en compagnie des personnalités qui nous ont soutenu depuis le début, cette victoire de la liberté d’expression, du droit à la parodie et du bon droit tout court.
Justice et fête ! 

lundi 17 septembre 2012

La perception de soi

Cet homme est beaucoup moins connu que son nom : Serge Lutens. Je l'ai rencontré il y a longtemps, à l'occasion du lancement d'un parfum. C'est dans cette manifestation élégante, que j'avais croisé une égérie de la scène pop anglaise, Anita Pallenberg : elle ne s'en souvient pas, mais, quant à moi, je me le rappelle parfaitement.
Serge Lutens, dans cet entretien, livre des choses fondamentales, sur le ton amusé de la confidence. Son raffinement ne sent pas la fabrique, il en a trouvé la source en lui-même, et, certainement, grâce à son audace morale.
Sur sa mère, sur le maquillage, le noir, les parfums, sur la transformation d'un visage (l'épisode de la coupe des cheveux d'une jeune femme, alors qu'il est apprenti coiffeur), sur l'apparence et l'anti-nature, sur la sophistication baudelairienne… Serge Lutens parle, c'est rare et c'est remarquable.

dimanche 16 septembre 2012

C'était hier…

Allez, laissez-vous faire ! Laissez-vous emporter par ce sentimentalisme de pacotille, cette romance à deux sous, cette scie lacrymale. J'avais envie d'entendre Ingrid Caven. Le Rhin coule sous ma fenêtre, la magie allemande s'est évaporée depuis longtemps, je rêve de fleuves aux eaux mêlées, j'imagine un Danube entreprenant et brutal avec ma Seine capricieuse et garce. Je vois des villes électriques, des passants pressés. Il est tard, plus tard que d'habitude en Europe.
- Tu m'aimeras toujours ?
- C'est jusqu'à quand toujours ?
- Disons… demain !
- Demain : mais c'est l'éternité !



Et la version « originale » : le même Charles Dumont (auteur et compositeur), la même chanson, avec Edith Piaf :



Si l'on veut en savoir plus sur Ingrid Caven et quelques autres femmes bien dignes d'être aimées, on ira d'un clic ici 

mercredi 12 septembre 2012

Piano triste

Un ami m'apprend la mort d'une jeune pianiste de jazz nommée Shimrit Shoshan, que j'avais découverte il y a un an. Cette jolie jeune femme, née en Israël, n'avait que 28 ans : elle serait décédée d'une crise cardiaque.
Les femmes sont rares dans l'art du piano jazz, et exceptionnelles les artistes, telle Diana Krall, qui savent « crooner » tout en s'accompagnant superbement. Shimrit Shoshan ne chantait pas, son talent était ailleurs, sans doute dans la composition et une forme d'improvisation, que l'expérience et la pratique tempéreraient, enrichiraient. Elle résidait à New York, où elle s'était frottée aux musiciens de nuit, à l'atmosphère des clubs.
La voici :


En hommage à Shimrit Shoshan, quelques instants en compagnie de Thelonious Monk…



… Et dans la compagnie de Champian Fulton, qui nous démontre avec éclat ce qu'une femme sait faire d'un simple « five o'clock ».



J'augmente le salut à la jolie pianiste disparue de cet hommage d'Oscar Peterson.



On tirera un certain profit à se rendre ici

jeudi 6 septembre 2012

Dépôt de bilan

- Qu'est ce que tu croyais ? Que tout allait continuer comme avant ? Que le moment n'arriverait pas où tu devrais rendre des comptes ?
- Non, bien sûr, mais c'est un peu tôt, je m'attendais à une addition plus tardive… et moins salée !
- Tu as trop longtemps été épargné, à présent, c'est fini ! Tu vas comprendre enfin ce que c'est que de vivre. Mon pauvre ami, la ballade solitaire est terminée, rejoins tes semblables !
- Ils sont si nombreux ! Je me croyais unique.
- Illusion, folie, arrogance d'enfant gâté, épargné ! Tu es comme les autres… en pire.
- Je veux bien être pire, si c'est être différent !
- Cesseras-tu, à la fin ? Tu ne pensais tout de même pas que ça allait durer toujours !
- Toujours ne veut rien dire, disons longtemps encore.
- Longtemps ne signifie pas plus. Assez perdu de temps : viens !
- Pour aller où ?
- Ailleurs. Dis-moi une chose : à quoi crois-tu ?
- Je crois au mystère, aux sources, aux ombres errantes, aux villes énormes ; je crois au train du soir, aux grilles qu'on ferme après le dernier métro, aux êtres qu'on frôle et aux âmes qu'on étreint.



dimanche 2 septembre 2012

Écrivains : bureau des dénonciations



Qui connaissait Richard Millet ? Vous et moi, bien sûr, mais encore ? Qui savait que cet homme étrange, qui parle le français avec un accent « indéterminé », écrivait des livres terribles, que hantent la violence et la terreur ? Que savait-on de sa langue travaillée jusqu'à la fibre, jusqu'à la mise au jour effarante du sens, jusqu'à la stupeur ?
Richard Millet était déjà dans… Richard Millet ! Le livre du scandale n'est en rien apologétique, il serait plutôt apocalyptique : il révèle l'homme Millet, il lève le dernier voile qui le tenait caché au yeux du monde. Millet a deux origines, l'une est libanaise, l'autre corrézienne. De celle-ci, un plateau de genêts et de bruyères, près de Viam, il parle avec des mots de larmes et de pluie. Je vois les femmes en noir qui se taisent, et les hommes qui se toisent. De leur maître en chanson, Bernart de Ventadour, ils ont gardé le sens du récit que le vent emporte, que retient puis transforme la mémoire. Bien plus que du Centre, ils sont d'Oc, plus que de la terre, ils sont d'un paysage d'air et d'eau, de landes vastes et de fontaines modestes, de pierres grises, de rivières froides où, quand on s'y baigne, la chair est serrée comme dans un étau limpide. Ils ont la nuque rougie et ridée. Ils sont souvent courts, noueux et rusés. Ainsi furent-ils, ainsi ne sont-ils plus, ainsi soit-il ! 
L'autre pays de Millet se nomme Liban, le pays des massacres et du miel. Il y passa quelques mois, constitutifs de sa personnalité, de son personnage. Il dit, il rapporte le combat des anges exterminateurs, leurs regards de sang et de feu, chrétiens et musulmans, tous miliciens, les uns contre les autres, acharnés à se nuire, à se détruire, saisis d'hystérie de gâchettes et de lames !
Je reviendrai sur l'« affaire » Millet. Je voulais seulement dire qu'une fois de plus, des femmes et des hommes à la conscience délicate et fine comme une dentelle du Nord, qui poussent des cris d'orfraie dès que se montre un commencement de début de ce qu'ils appellent, en s'étranglant d'indignation, « censure », ont exigé d'Antoine Gallimard qu'il congédie au plus vite Richard Millet. Ils ont par surcroît désigné à la vindicte et à l'opprobre l'un des leurs. Ces gens sont sans vergogne !
Il y a des choses contradictoires et rudes à (se) dire sur le pamphlet de M. Millet, mais que des marquisettes et des fonctionnaires d'édition se comportent, les premières comme des concierges stipendiées, les seconds comme des valets chafouins, voilà bien ce qui signale l'affreuse société d'apparence où nous sommes aujourd'hui !


Illustration : Honoré Daumier
On lira également : Qui n'est pas contre moi, est contre moi. Ou pas. Et inversement

mercredi 22 août 2012

Péché de chair…




















Ils sont partout, voraces, agressifs voire intransigeants, et peu enclins au dialogue des espèces. Les surfeurs, à la Réunion, semblent être devenus leur hors d'œuvre favori. 

D'abord, cessons une fois pour toutes de généraliser lorsque nous considérons cette famille de poissons si variés, admirables, quoique parfois imprévisibles. On les décrit comme des machines à tuer, brutales et stupides. Nous allons voir qu'il n'en est rien.

En Australie, au mois de juillet, un surfeur a été attaqué, puis dévoré par un grand blanc d'au moins 4 m de long. Nous avons un témoin de la scène dans la personne d'un amateur de jet-ski : « Il y avait du sang partout. Le squale tournait autour du corps ». Observons en préambule que ce poisson n'était pas dépourvu d'un solide bon sens : plutôt que de s'épuiser à tenter de rattraper le jet-skieur, il a choisi le surfeur immobile, dans l'attente d'une vague ! Au vrai, le grand blanc avait cisaillé l'infortuné jeune homme ; on peut donc déduire des déclarations du témoin que le squale hésitait entre le buste et les jambes, avant d'avaler le tout, puisqu'on n'a rien retrouvé ! Ce requin avait sans doute déjà gouté et apprécié la chair de l'homme. Il arrive que le carcharodon carcharias (1), après avoir mordu, avec plus ou moins de sauvagerie,  un surfeur, s'en détourne, sans pousser plus avant sa curiosité d'appétit. La victime meurt souvent des suites d'une hémorragie massive, mais au moins, elle ne finit pas dans l'estomac de son agresseur. On  l'enterre dignement, en présence de ses proches et de ses fiancées (car ces jeunes gaillards ont une femme dans chaque spot). Notons que le fréquent dédain des requins pour la chair humaine ne plaide pas en faveur de la qualité gustative de celle-ci : on n'a jamais vu, par exemple, un grand blanc négliger un phoque après l'avoir attaqué, au contraire, il s'empresse de le dévorer ! Mettez un grand requin blanc en présence d'un homme et d'un phoque, dans presque tous les cas, il choisira le phoque. Seuls les vicieux, ou les esthètes choisiront l'homme. Or, il est peu d'esthètes parmi les requins.

Les requins pratiqueraient-ils la dévoration positive ? En Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, leurs victimes étaient exclusivement, ou presque, des surfeurs, plongeurs ou nageurs blancs. On m'objectera qu'il y avait une bonne raison à cela : les Noirs demeuraient sur le rivage, ne sachant pas nager. En outre, ils n'avaient qu'un accès limité aux plages, où ils vendaient des glaces et apportaient des parasols. Ils préféraient gagner leur vie au sec, plutôt que de la perdre mouillés : on peut les comprendre. Néanmoins, à ma connaissance, le rapport ne s'est nullement inversé en faveur (si j'ose dire) des « coloured people » depuis la fin du développement séparé. Les grands blancs s'offrent toujours, de préférence, un fémur de « white people ». 

À la Réunion, dimanche dernier, Didier Derand, pharmacien à Saint-Joseph, délégué de la fondation Brigitte Bardot, a nagé pendant plus d'une heure sur le lieu même d'une attaque, afin de rassurer la population : « Depuis 45 ans, je nage en pleine mer tous les jours, je plonge en bouteille, en apnée, je fais du bodysurf […], je n'ai vu que trois fois des requins » […] A chaque fois ce fut la panique et la débandade dans leurs rangs, impossible de les approcher ! ». 

J'ai beaucoup d'admiration pour Brigitte Bardot, et pour l'inlassable combat qu'elle mène en faveur de la protection animale, mais je lui dis, avec toute l'amitié que je lui porte, que M. Derand n'était pas la personne idéale pour l'opération « Croquez la mer à belle dent en compagnie de nos amis les requins ». Ces derniers, en effet, dont j'ai assez démontré qu'ils étaient capables de réflexion, de déduction, et même de conclusion, sont pourvus d'un appareil sensoriel ultra-développé, et d'un odorat « directionnel » très efficace. Didier Derand, pharmacien, sentait… la pharmacie ! Rien de tel pour faire fuir les squales ! Rappelons-nous qu'un seul cachet d'aspirine effervescent éloigne un grand blanc d'une tonne ! 
Alors, quel conseil pour rasséréner les populations, et les « remettre à l'eau » ? Très simple : les réunionnais pratiquent une pêche au requin particulière : ils se servent d'un chat vivant, ou d'un chien, comme d'un appât,  l'hameçon profondément enfoncé dans la gueule. Je leur suggère, exceptionnellement, une variante à leur gentille coutume : qu'ils usent d'un surfeur au lieu d'un animal domestique.Trois situations se présenteront : les requins s'approchent, mais ne déclenchent pas d'attaque, au contraire, ils filent vers d'autres clapotis ; on conclut sans risque d'erreur que le ou les mangeur(s) d'homme ne se trouve(nt) pas parmi eux. Les poissons décrivent des cercles autour du bonhomme, le frôlent, la frénésie gourmande les saisit : s'ils veulent rendre le surfeur sain et sauf à ses nombreuses fiancées (voir plus haut), nos pécheurs le sortiront immédiatement de la mer ; s'ils souhaitent leur remettre un tas  d'os broyés, et, par surcroît, pécher un squale, qu'ils attendent un peu ! Dans ces deux derniers cas de figure, ils auront démontré que la menace rôde au large !
Mais alors, si nul squale, malgré le sang qui s'écoule de la face transpercée du surfeur et laisse une longue trace odorante, malgré ses cris de douleur et d'effroi, malgré sa gesticulation affolée qui crée des ondes d'adorable panique, si nul requin, donc, ne vient prendre place à ce banquet inespéré, que faudra-t-il en conclure ? Une chose irréfutable absolument, qui n'était hier qu'une hypothèse : les requins sont solubles dans l'eau de mer !

1) Nom savant du grand requin blanc


Requin chagrin par sonia205

lundi 20 août 2012

Didier Goux n'habite pas ici



Au vrai, je le connais peu, et mal. Je lui rends visite trop rarement ; pourtant, il me paraît qu'il conduit une « entreprise d'écriture numérisée » fort ambitieuse et de belle facture. Il se pourrait - mais il faut tout de même étudier la chose plus attentivement - qu'il fût un authentique écrivain et que son « œuvre » constituât la première tentative proprement littéraire, usant du support numérique (outre son blogue, il tient son Journal). Je m'avance beaucoup, certes, et je plaide la vaste ignorance de l'ensemble de son travail. Il est de la race des grognons, des atrabilaires, des ironistes, des « diaristes » fatigués du monde, des êtres et des choses en apparence, mais qui leur gardent malgré tout plus qu'un semblant d'intérêt. Il aime les animaux ; il a pour eux, ces être souvent aimables que nous terrorisons, des mots d'une belle compassion. Avec cela, il manie contre lui-même l'ironie féroce des hommes lucides. Et c'est une vraie plume !
Nos deux univers sont très différents, et le romantique vieillissant que je suis ne se satisferait pas totalement de son paysage de laboureur, raffiné certes, mais alourdi de prosaïsme. Il a écrit deux ou trois articles remarquables sur Nathalie Sarraute (que je persiste à trouver admirable, et très éloignée du naufrage du Nouveau roman), ainsi qu'une irrésistible réflexion sur le thème « rester jeune ou se faire vieux ». Il semble, par ailleurs, hanté par la menace que ferait peser l'Islam sur la France : cela lui inspire des textes discutables, mais très efficaces. Bref, je vous conseille d'aller lire le blogue de Didier Goux, afin de vous faire votre propre jugement (Didier Goux habite ici). En revanche, si j'en crois une photographie de son salon, je trouve à ce Goux un goût, dans la décoration intérieure et, surtout, dans le choix du mobilier, détestable.
Voici un exemplaire de son style et de son inspiration, L'homme passé par profil et perte :
« Depuis hier, lorsque je suis devant mon écran levalloisien, je semble être devenu brusquement étranger à moi-même. C'est-à-dire à ce blog. Si je puis encore créer de nouveaux billets – la preuve –, je ne parviens plus à écrire de commentaires sous eux, pour cause de perte de profil. Quelqu'un a-t-il déjà songé à ce que peut avoir de dramatique et de dérisoire le fait de perdre son profil ? On a glosé à l'envi sur les hommes qui se retrouvent privés de leur ombre, on a bien dû, même, en faire des livres ; mais un profil ? En dehors du côté désagréable, dépossédant, du phénomène, on sent vaguement qu'il y a là quelque chose qui ne va pas : si j'ai effectivement perdu un profil (soit ! je pense être capable de m'accoutumer à cela), il devrait bien me rester le second. Et il me vient des envies de saisir cet ordinateur par ses côtés verticaux, de le secouer un peu, tout en lui présentant ma joue gauche et ma joue droite alternativement :
« Enfin, regarde-moi, Robert (cet ordinateur amnésique se prénomme Robert : je viens de le baptiser à l'instant pour tenter de l'attendrir, de l'humaniser un peu) : je suis toujours le même, quoique amputé d'un profil ! C'est bien moi, ton seigneur et ton servant ! Fais un effort, bon sang de bois ! »
Mais non, rien ; impavide, l'œil borgne et stupide, il n'a même pas un éclair de curiosité pour ma face changée, pour le demi-moi que je lui présente, avec pourtant beaucoup d'humilité et de bon vouloir.
Je ferais peut-être mieux de rentrer à la maison : mon second profil, celui qui est encore opérant, doit bien y traîner quelque part… ».

J'ai également découvert Le Merle Moqueur, d'une certaine Suzanne : son humanité toute « française » ne m'a pas laissé indifférent.

Illustration prise dans le blogue de Didier Goux, qui se dit joliment « écrivain en bâtiment ».

mardi 14 août 2012

Un peu de moiteur dans la pénombre


Le slow ! Deux minutes où l'on alterne l'hésitation et l'audace, où se succèdent la tentative infructueuse et l'équivoque entendue, deux minutes de consentement différé ou de suggestion vaine. Le slow est une tragédie banale ou un bonheur commun, qui tous deux se dansent. S'approchera-t-ton, se rapprochera-t-on, et, si l'on se touche, que touchera-t-on ? Des épaules, passera-t-on à la poitrine, puis au bassin ? Les corps, lentement balancés d'une jambe sur l'autre, oseront-ils, enfin, vaguement représenter ce que les esprits imaginent. 
Le slow, parade sentimentale, annonce ou interdit l'échange des fluides.
Voici deux slows d'enfer, du temps déjà ancien, où l'on se risquait à l'aimable péril d'une sentimentalité foraine.

D'où je suis, loin d'ici, loin de tout, je vous salue, vous qui passez.