samedi 29 décembre 2012

Huitre perlière


Il est toujours délicat de qualifier de « meilleure » une interprétation, mais, pour l'aria de Nadir, que Georges Bizet composa (« Les pêcheurs de perles », 1863), je me risque à dire que le grand et méconnu Alain Vanzo, disparu en 2002, en a donné, parmi toutes celles des chanteurs de formation classique, la plus sobre, la plus maîtrisée, la plus mélodieuse, la plus « enchanteresse » (enregistrement de 1962) :



On notera que « Les pêcheurs de perles » est un opéra, qui n'est désormais monté qu'à l'Opéra comique, où, enfant, je le vis depuis la coulisse…

Et l'on ira encore ici  et encore  là

jeudi 27 décembre 2012

L'étrangeté sentimentale

Même si ce message n'est pas sans un certain rapport avec le précédent (Avedon/Noureev), c'est pour rien d'autre, pour la seule raison, très obscure et très fondamentale, de m'enfoncer un peu plus dans l'épais mystère amoureux de cette chanson étrange et sentimentale, et pour le seul plaisir de l'entendre dans cette version :



« Et le plaisir s'accroît quand l'effet se recule », Polyeucte, Corneille.
C'est pourquoi, sans craindre de vous lasser, alors que vous me demandez grâce, je veux rassasier votre ouïe du beau chant que voici :




On entendra aussi Voici Leonard, sortez vos mouchoirs

Le don d'Avedon


Pourquoi n'a-t-on pas consacré le grand Richard Avedon, à Paris, par une exposition dans un lieu prestigieux, alors qu'on l'a fait pour le très surfait Helmut Newton ?
M. Newton, qu'il ne faut pas confondre avec le génial personnage à la pomme, n'aurait jamais imaginé cette image de Rudolf Noureev, car il fallait, pour cela, un sens de la beauté en mouvement dont il était bien incapable.
En 1962, alors que Noureev n'est encore qu'un réfugié politique, à Paris, Richard Avedon le rencontre et le « saisit » dans toute sa grâce musclée de jeune faune.
Voici Noureev par Avedon, en pied, d'abord, c'est à dire en entier, puis en détail, c'est à dire sur un pied !

























Sur Noureev, on en saura plus ici , et  là 

dimanche 23 décembre 2012

Une main tendre et légère

« Ah, vous autres hommes faibles et merveilleux qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu ! Il faut qu'une main, posée sur votre épaule, vous pousse vers la vie… Cette main tendre et légère… »
Margaret à Brick, La chatte sur un toit brûlant, Tennessee Williams

À vous toutes et à vous tous qui passez ici, de temps en temps, je dis simplement « Bon Noël », parce que c'est ainsi, et que je le veux.
Puisse, longtemps encore, une main « tendre et légère » vous pousser vers la vie !

















Illustration : Le Christ au jardin des Oliviers (détail), par Eugène Delacroix (1827). Cette œuvre se trouve à l'intérieur de l'église Saint-Paul-Saint-Louis, à Paris, dans le Marais.
Trois anges apparaissent à Jésus, qui lui montrent les symboles de sa proche Passion. Le Christ esquisse  de la main un geste de découragement, peut-être d'effroi ; il semble repousser l'idée même du terrible supplice qui l'attend. Comment sa main pourrait-elle alors demeurer « tendre et légère » ?



Extrait de l'oratorio de Jean-Sébastien Bach BWV 248, voici le chœur d'introduction Jauchzet, Frohlocket (Jubilez, Réjouissez-vous !), dans l'une de ses plus récentes versions par le chœur Accentus, dirigé par l'excellente Laurence Equilbey (Église Saint Thomas, Strasbourg, 2009).
On retrouvera Laurence Equilbey ici 

mardi 11 décembre 2012

Le dévot laid de Lana

Elle étonna, puis elle déçut. Environnée d'abord de souffre, suscitant une curiosité avide, elle lassa si vite qu'elle passa du statut d'idole fulgurante à la terrible condition de poupée moquée, vilipendée.
Je tombai immédiatement sous son charme fabriqué, je devins son dévot stupide. Consentant à sa beauté de silicone léger, je me sentis parcouru de la volupté d'être laid ; son étrange perfection, loin de m'effrayer, me remplit de la torpeur, de l'alanguissement des adorateurs hébétés.
La fabrique de la beauté ne me choque pas, si l'être ainsi remanié, retouché, démontre plus avantageusement encore que dans son enveloppe naturelle sa force d'envoûtement.
Je contemple comme un voleur sa chair exposée, mal vêtue, son obscène chevauchée en compagnie de gras buveurs de bière, ses postures de soumission heureuse, et j'entends, tard dans la nuit, sa voix de cabaret post-nucléaire.



Elle commence son long et murmuré prologue par ces mots :
« Ma vie traversait un hiver ; les hommes que je croisais sur ma route étaient mes seuls étés. Le soir, je m'endormais sur des visions de moi-même, dansant, chantant et pleurant avec eux. Trois années passèrent ainsi d'une grande dérive, qui semblait ne jamais avoir de fin. Le souvenir de ces hommes fut la seule chose qui m'a soutenu, et ils constituèrent mes vrais, mes seuls instants de bonheur. J'étais alors une chanteuse sans grand succès, qui avait rêvé naguère de devenir poète, mais qui, à la suite de circonstances malheureuses, avait vu son rêve brisé, éparpillé en un million d'étoiles dans le ciel […] »

On ira donc contempler L'atroce beauté d'Aliceet encore Fin de féerie,  Obsessed by Auermann -5-
Obsessed by Auermann -4-, Dans l'ordre du désirJ'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes…J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (2)J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (3)J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes (4)Nico, une allemande dans la FactoryVue de dosOn prend la routeRoucoudouleurLa femme du Pigall"sC'était hier…

jeudi 6 décembre 2012

Dave « Quartet »

D'où lui venait le sens du rythme « brisé », ou plutôt contrarié, qui donna à ses premières compositions  l'étrangeté harmonieuse des musiques fondamentales ? Qu'a-t-il perçu, dans l'air du temps des années cinquante, qui voulait advenir et se manifester de manière radicalement neuve ?
Les années cinquante, le début de la décennie soixante, Dave Brubeck et quelques autres : notre vraie modernité.
Voyez le désastre où nous sommes !

Tout est parfait dans ce Take five, jusqu'à la formation en quartet :  Dave Brubeck au piano, Paul Desmond au saxo alto, Eugène Wright à la basse, Joe Morello à la batterie (enregistré en Belgique, en 1964).

mardi 4 décembre 2012

Ce que sait faire de ses dix doigts Esther, qui ondoie…

Esther ou le quant à soie
Vous connaissez Esther, que je vous ai présentée ici. Elle vient de produire un superbe effet visuel et sonore en ce lieu, qui démontre, une fois de plus, que cette gracieuse personne nous vient du royaume de l'envoûtement. Avec elle, grâce à son habileté technologique supérieure, guidée par un goût très sûr et une perception sensuelle de l'apparence des choses, l'exercice du blogue relève de l'enchantement.
Sur Esther, on lira ceci, et encore  ceci.





samedi 1 décembre 2012

Petite vertu
























Eugène Atget (1857-1927), prostituée devant une maison close à Versailles, 1921, dite « au grand 2 ». Cette photographie a été mise en vente récemment à Drouot, par l'étude Beaussant-Lefèvre ; estimée 5000/6000 €, elle fut adjugée 35 000 € !  Il s'agissait d'un tirage original 21, 9 x 18, 3

Du même Atget, la vente proposait trois autres belles photographies : une vue du Moulin Rouge, boulevard de Clichy, à Paris, sans doute au début du XXe siècle, associée à un cliché du balcon de l'hôtel de Blégny, 12, rue Guénégaud (Paris, VIe arrondissement), les deux ensemble estimées 1500/2000 €, vendues 3200 ; et le portrait d'une orientale, tirage original d'un contretype par Eugène Atget, estimé 600/800 €, adjugé 3200 €.

Le marché de la photographie ancienne, surtout quand il s'agit de grands noms, connaît un succès qui ne se dément pas.
La différence dans les adjudications de ces quatre clichés s'explique peut être par la rareté du premier, mais aussi, je le crois, par son thème, et par la singularité de son sujet. Elle est charmante, et presque étrange, cette « créature », et sa silhouette, fine, fluette, est d'une très jeune fille. Depuis combien de temps est-elle « rompue aux servitudes » ? Par son apparence, elle appartient encore au XIXe siècle, plus précisément à la Belle époque, mais sa jupe à volant, qui découvre ses genoux, ses bottines et ses bas blancs signalent une certaine « modernité » de la ligne.

Cette gracieuse personne, dans sa représentation, paraît très éloignée de l'univers irrégulier, où tentaient de survivre, sous la férule des « julots casse-croûte », la plupart des femmes de la rue. Il est possible que les conditions de travail ait été moins pénibles dans certaines maisons closes, il reste que la réalité sociale, économique, psychologique des prostituées, est très sombre. Mais leurr silhouettes, leur vocabulaire, leur démarche, leur allure (à partir des années trente : cigarette, talons hauts, sac négligemment tenu par-dessus l'épaule), la petite société qui prospère autour d'elles, appartiennent à une sorte de « mythologie » plutôt heureuse, en tous les cas très éloignée des ruelles sordides et sanglantes de Londres, au temps de « Jack the ripper », l'assassin nocturne des misérables « filles de joie ».
























C'est une toute autre vision de la prostitution, que nous fait partager l'école japonaise dite de l'Ukiyo-e (de la fin du XVIIe siècle jusqu'au milieu du XIXe). Les courtisanes du quartier Shin-Yoshiwara, à Tokyo (ou Edo, capitale du shogoun) sont d'adorables jeunes femmes parfumées, superbement parées, entièrement vouées au plaisir et au raffinement qui l'accompagne (ci-dessous ; musée Cernuschi, Paris ).

























Et cette chanson, dont le texte est de Pierre Mac Orlan, interprétée par Germaine Montero : l'histoire d'une fille « perdue », sujette à une puissante mélancolie…