mercredi 26 septembre 2012

Semer des jalons…


C'est une affaire qui hantait le palais de justice de Paris depuis dix ans ! Une affaire de « cornecul », en quelque sorte. Le groupe Jalons, animé par le brillant Basile de Koch, produit depuis longtemps des pastiches hilarants de journaux et de magazines : L'Immonde (pour Le Monde), L'aberration (pour Libération), France-Démence (Pour France-Dimanche), Pourri-Moche (pour Paris-Match) etc. En règle générale, les victimes, reconnaissant le talent des pasticheurs, subissent sans broncher ce moment de délire à la fois cruel et drôle. Mais le magazine Entrevue, fondé par Thierry Ardisson et Gérard Ponson en 1992, prit très mal sa parodie Fientrevue, et s'engagea dans une procédure, qui vient donc de se clore. Les plaignants sont déboutés. Je suis heureux pour Basile. Il pourra poursuivre sereinement son entreprise de presse et d'humour nécessaire.

Basile de Koch, Président à vie du groupe Jalons
Paris, le mardi 25 septembre 2012
Affaire Entrevue vs. Fientrevue : LA COUR D’APPEL RELAXE LE GANG DES PASTICHES !
« Joie, joie, pleurs de joie » ! Après dix ans de procédures à rebondis- sements, la décision tant attendue de la Cour d’Appel est enfin tombée, et du bon côté !
Dans son arrêt du 21 septembre, la juridiction du second degré rend pleinement justice au nôtre :
– Oui, confirme-t-elle après les juges de première instance, Fientre- vue était bien une « parodie respectant les lois du genre », et non pas un « plagiat parasite et cannibale», comme le plaidait sans rire M. Gérard Ponson, patron d’Entrevue ;
– Non, statue-t-elle contre les premiers juges, notre parodie n’a même pas « contrefait » la couverture de l’original : si elle en a repris les « éléments caractéristiques», c’est tout bonnement pour les « cari- caturer ».
Bref le droit à la parodie, pour pouvoir s’exercer, inclut nécessairement celui d’imiter le fond et la forme du support pastiché. Cela va sans dire, mais ça va mieux quand c’est la Cour d’Appel qui l’écrit.
Pour ne rien gâter, cette sage décision est motivée en termes savoureux. Selon l’arrêt, « l’observateur averti » disposait en la circonstance de tous les éléments nécessaires « pour comprendre qu’il s’agit d’une parodie des- tinée à se moquer de la revue ENTREVUE ». Il lui suffisait pour cela de lire le simple titre FIENTREVUE, mais aussi l’inscription au-dessus du
titre « Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée JALONS » et en dessous « Toutes les conneries sont bonnes à dire » ainsi que « 3 euros, comme le vrai ».
On ne saurait mieux dire, et c’est un plaisir pour les Jalons, « pasticheurs du Roy depuis 1793 », de voir leurs bons gags cités par la haute juridiction comme exemples d’une parodie réussie.
Résultat des courses : la société Jalons, au capital de 304 euros, est dispensée de débourser les 1,127 million (!) réclamés par les plaignants, et même les 2 500 que leur avaient généreusement alloué les juges de première instance.
On pourrait certes déplorer que la Cour d’Appel ne nous accorde pas de dommages-intérêts, au terme d’une décision qui met pourtant en lumière le caractère manifestement abusif d’un acharnement judiciaire sans objet. Ces procédures interminables autant qu’absurdes nous ont quand même coûté la peau ! ! Mais bon, vu les dettes accumulées par feu la société de Ponson, aujourd’hui liquidée, nous n’avions de toute façon aucune chance de récupérer le moindre centime.
C’est donc d’un cœur aussi léger que le portefeuille que nous fêterons prochainement, en compagnie des personnalités qui nous ont soutenu depuis le début, cette victoire de la liberté d’expression, du droit à la parodie et du bon droit tout court.
Justice et fête ! 

lundi 17 septembre 2012

La perception de soi

Cet homme est beaucoup moins connu que son nom : Serge Lutens. Je l'ai rencontré il y a longtemps, à l'occasion du lancement d'un parfum. C'est dans cette manifestation élégante, que j'avais croisé une égérie de la scène pop anglaise, Anita Pallenberg : elle ne s'en souvient pas, mais, quant à moi, je me le rappelle parfaitement.
Serge Lutens, dans cet entretien, livre des choses fondamentales, sur le ton amusé de la confidence. Son raffinement ne sent pas la fabrique, il en a trouvé la source en lui-même, et, certainement, grâce à son audace morale.
Sur sa mère, sur le maquillage, le noir, les parfums, sur la transformation d'un visage (l'épisode de la coupe des cheveux d'une jeune femme, alors qu'il est apprenti coiffeur), sur l'apparence et l'anti-nature, sur la sophistication baudelairienne… Serge Lutens parle, c'est rare et c'est remarquable.

dimanche 16 septembre 2012

C'était hier…

Allez, laissez-vous faire ! Laissez-vous emporter par ce sentimentalisme de pacotille, cette romance à deux sous, cette scie lacrymale. J'avais envie d'entendre Ingrid Caven. Le Rhin coule sous ma fenêtre, la magie allemande s'est évaporée depuis longtemps, je rêve de fleuves aux eaux mêlées, j'imagine un Danube entreprenant et brutal avec ma Seine capricieuse et garce. Je vois des villes électriques, des passants pressés. Il est tard, plus tard que d'habitude en Europe.
- Tu m'aimeras toujours ?
- C'est jusqu'à quand toujours ?
- Disons… demain !
- Demain : mais c'est l'éternité !



Et la version « originale » : le même Charles Dumont (auteur et compositeur), la même chanson, avec Edith Piaf :



Si l'on veut en savoir plus sur Ingrid Caven et quelques autres femmes bien dignes d'être aimées, on ira d'un clic ici 

mercredi 12 septembre 2012

Piano triste

Un ami m'apprend la mort d'une jeune pianiste de jazz nommée Shimrit Shoshan, que j'avais découverte il y a un an. Cette jolie jeune femme, née en Israël, n'avait que 28 ans : elle serait décédée d'une crise cardiaque.
Les femmes sont rares dans l'art du piano jazz, et exceptionnelles les artistes, telle Diana Krall, qui savent « crooner » tout en s'accompagnant superbement. Shimrit Shoshan ne chantait pas, son talent était ailleurs, sans doute dans la composition et une forme d'improvisation, que l'expérience et la pratique tempéreraient, enrichiraient. Elle résidait à New York, où elle s'était frottée aux musiciens de nuit, à l'atmosphère des clubs.
La voici :


En hommage à Shimrit Shoshan, quelques instants en compagnie de Thelonious Monk…



… Et dans la compagnie de Champian Fulton, qui nous démontre avec éclat ce qu'une femme sait faire d'un simple « five o'clock ».



J'augmente le salut à la jolie pianiste disparue de cet hommage d'Oscar Peterson.



On tirera un certain profit à se rendre ici

jeudi 6 septembre 2012

Dépôt de bilan

- Qu'est ce que tu croyais ? Que tout allait continuer comme avant ? Que le moment n'arriverait pas où tu devrais rendre des comptes ?
- Non, bien sûr, mais c'est un peu tôt, je m'attendais à une addition plus tardive… et moins salée !
- Tu as trop longtemps été épargné, à présent, c'est fini ! Tu vas comprendre enfin ce que c'est que de vivre. Mon pauvre ami, la ballade solitaire est terminée, rejoins tes semblables !
- Ils sont si nombreux ! Je me croyais unique.
- Illusion, folie, arrogance d'enfant gâté, épargné ! Tu es comme les autres… en pire.
- Je veux bien être pire, si c'est être différent !
- Cesseras-tu, à la fin ? Tu ne pensais tout de même pas que ça allait durer toujours !
- Toujours ne veut rien dire, disons longtemps encore.
- Longtemps ne signifie pas plus. Assez perdu de temps : viens !
- Pour aller où ?
- Ailleurs. Dis-moi une chose : à quoi crois-tu ?
- Je crois au mystère, aux sources, aux ombres errantes, aux villes énormes ; je crois au train du soir, aux grilles qu'on ferme après le dernier métro, aux êtres qu'on frôle et aux âmes qu'on étreint.



dimanche 2 septembre 2012

Écrivains : bureau des dénonciations



Qui connaissait Richard Millet ? Vous et moi, bien sûr, mais encore ? Qui savait que cet homme étrange, qui parle le français avec un accent « indéterminé », écrivait des livres terribles, que hantent la violence et la terreur ? Que savait-on de sa langue travaillée jusqu'à la fibre, jusqu'à la mise au jour effarante du sens, jusqu'à la stupeur ?
Richard Millet était déjà dans… Richard Millet ! Le livre du scandale n'est en rien apologétique, il serait plutôt apocalyptique : il révèle l'homme Millet, il lève le dernier voile qui le tenait caché au yeux du monde. Millet a deux origines, l'une est libanaise, l'autre corrézienne. De celle-ci, un plateau de genêts et de bruyères, près de Viam, il parle avec des mots de larmes et de pluie. Je vois les femmes en noir qui se taisent, et les hommes qui se toisent. De leur maître en chanson, Bernart de Ventadour, ils ont gardé le sens du récit que le vent emporte, que retient puis transforme la mémoire. Bien plus que du Centre, ils sont d'Oc, plus que de la terre, ils sont d'un paysage d'air et d'eau, de landes vastes et de fontaines modestes, de pierres grises, de rivières froides où, quand on s'y baigne, la chair est serrée comme dans un étau limpide. Ils ont la nuque rougie et ridée. Ils sont souvent courts, noueux et rusés. Ainsi furent-ils, ainsi ne sont-ils plus, ainsi soit-il ! 
L'autre pays de Millet se nomme Liban, le pays des massacres et du miel. Il y passa quelques mois, constitutifs de sa personnalité, de son personnage. Il dit, il rapporte le combat des anges exterminateurs, leurs regards de sang et de feu, chrétiens et musulmans, tous miliciens, les uns contre les autres, acharnés à se nuire, à se détruire, saisis d'hystérie de gâchettes et de lames !
Je reviendrai sur l'« affaire » Millet. Je voulais seulement dire qu'une fois de plus, des femmes et des hommes à la conscience délicate et fine comme une dentelle du Nord, qui poussent des cris d'orfraie dès que se montre un commencement de début de ce qu'ils appellent, en s'étranglant d'indignation, « censure », ont exigé d'Antoine Gallimard qu'il congédie au plus vite Richard Millet. Ils ont par surcroît désigné à la vindicte et à l'opprobre l'un des leurs. Ces gens sont sans vergogne !
Il y a des choses contradictoires et rudes à (se) dire sur le pamphlet de M. Millet, mais que des marquisettes et des fonctionnaires d'édition se comportent, les premières comme des concierges stipendiées, les seconds comme des valets chafouins, voilà bien ce qui signale l'affreuse société d'apparence où nous sommes aujourd'hui !


Illustration : Honoré Daumier
On lira également : Qui n'est pas contre moi, est contre moi. Ou pas. Et inversement