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La médiocre provocation d’un subalterne agent mainstream du commerce de l’art, récemment sortie du formol sinon de la pisse, a été l’objet d’un acte de vandalisme. On évoque la responsabilité de catholiques intégristes, sans doute négationnistes, peut-être nazis, assurément sourds aux nuances de la beauté post-moderne… Celui qui joue à touche-pipi avec un crucifix, se dit consterné, inquiet même. Le journal Libération, sentinelle avancée de l’art de vivre en milieu hostile, ne laisse point passer une aussi belle occasion de vitupérer les crispations morales de quelques attardés. Par le truchement de Vincent Noce (de Cana ?), qui gonfle ses plumes, et dans le but d’apaiser l’angoisse de ses lecteurs, il annonçait, hier, un entretien « exclusif » avec André Serrano, l’homme qui murmure à l’urine des cerveaux… En attendant, M. Noce lançait un appel à la vigilance : « […] Le premier principe est de défendre la liberté absolue de l'art. Ensuite, il faut remettre l'œuvre dans le contexte des années 80, avec une montée des provocations au théâtre, dans les arts plastiques, liée notamment à la grande angoisse du Sida. Le résultat a été le déclenchement de ce que l'on a appelé les “guerres culturelles”. La droite évangélique s'est saisie de ces occasions pour demander l'interdiction de tout financement public à ces artistes ou à ces œuvres. Le problème c'est que, en gros, elle a gagné. Donc, en France, il faut faire attention : il peut s'agir d'un incident isolé, ou le début d'une campagne extrêmement dangereuse. ». Bref, l’ordre moral menace notre pays. Comment réparer l’offense faite à Serrano ? Quel Canossa imaginer ? Peut-être un urinoir, rappelant le ready made de Marcel Duchamp, dont la cuvette présenterait, en incrustation dans sa faïence, un portrait de l’artiste : en le compissant, nous verserions ainsi notre obole. Ce serait, en quelque sorte, une fontaine de repentance…
Photographie, en haut : la fameuse « Fontaine » (il s'agit, au vrai, d'une copie, la troisième, en faïence blanche, recouverte de glaçure, peinte, fabriquée sous le contrôle de Duchamp,l'original ayant disparu), que Marcel Duchamp voulut exposer en 1917, mais n'y parvint pas. Cependant, cet urinoir, acheté par Duchamp lui-même, constitua la première grande provocation nécessaire du jeune artiste. Photo X, Centre Pompidou.