Qui connaissait Richard Millet ? Vous et moi, bien sûr, mais encore ? Qui savait que cet homme étrange, qui parle le français avec un accent « indéterminé », écrivait des livres terribles, que hantent la violence et la terreur ? Que savait-on de sa langue travaillée jusqu'à la fibre, jusqu'à la mise au jour effarante du sens, jusqu'à la stupeur ?
Richard Millet était déjà dans… Richard Millet ! Le livre du scandale n'est en rien apologétique, il serait plutôt apocalyptique : il révèle l'homme Millet, il lève le dernier voile qui le tenait caché au yeux du monde. Millet a deux origines, l'une est libanaise, l'autre corrézienne. De celle-ci, un plateau de genêts et de bruyères, près de Viam, il parle avec des mots de larmes et de pluie. Je vois les femmes en noir qui se taisent, et les hommes qui se toisent. De leur maître en chanson, Bernart de Ventadour, ils ont gardé le sens du récit que le vent emporte, que retient puis transforme la mémoire. Bien plus que du Centre, ils sont d'Oc, plus que de la terre, ils sont d'un paysage d'air et d'eau, de landes vastes et de fontaines modestes, de pierres grises, de rivières froides où, quand on s'y baigne, la chair est serrée comme dans un étau limpide. Ils ont la nuque rougie et ridée. Ils sont souvent courts, noueux et rusés. Ainsi furent-ils, ainsi ne sont-ils plus, ainsi soit-il !
L'autre pays de Millet se nomme Liban, le pays des massacres et du miel. Il y passa quelques mois, constitutifs de sa personnalité, de son personnage. Il dit, il rapporte le combat des anges exterminateurs, leurs regards de sang et de feu, chrétiens et musulmans, tous miliciens, les uns contre les autres, acharnés à se nuire, à se détruire, saisis d'hystérie de gâchettes et de lames !
Je reviendrai sur l'« affaire » Millet. Je voulais seulement dire qu'une fois de plus, des femmes et des hommes à la conscience délicate et fine comme une dentelle du Nord, qui poussent des cris d'orfraie dès que se montre un commencement de début de ce qu'ils appellent, en s'étranglant d'indignation, « censure », ont exigé d'Antoine Gallimard qu'il congédie au plus vite Richard Millet. Ils ont par surcroît désigné à la vindicte et à l'opprobre l'un des leurs. Ces gens sont sans vergogne !
Il y a des choses contradictoires et rudes à (se) dire sur le pamphlet de M. Millet, mais que des marquisettes et des fonctionnaires d'édition se comportent, les premières comme des concierges stipendiées, les seconds comme des valets chafouins, voilà bien ce qui signale l'affreuse société d'apparence où nous sommes aujourd'hui !
On lira également : Qui n'est pas contre moi, est contre moi. Ou pas. Et inversement
7 commentaires:
Votre billet m'a replongé dans "Ma vie parmi les ombres", roman que je n'ai guère aimé. (Faut-il dire pourquoi ?)
Je consulte Wikipedia pour retrouver le titre d'un essai de lui que j'avais emprunté à la bibliothèque, je crois que c'est "L'Enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature", où Millet, interrogé par deux journalistes, ou critiques, m'a paru insupportable. Se citant lui-même, immodeste au possible. Et d'un sérieux inébranlable. Ah, ce n'est pas un auteur dans l'air du temps, léger, mondain, pétri d'humour, de gentillesse et d'attentions pour autrui. Voilà un écrivain qui ne devrait pas sortir de ses romans. Son caractère cassant, orgueilleux,(enfin, ce qu'il en donne à voir et à lire) ne le rend pas très sympathique et ne pousse pas au désir d'aller creuser un peu pour comprendre le fond de son raisonnement.
Il devait savoir ce qu'il faisait, tout de même, en écrivant cela. Ce qu'il allait déchaîner.
Suzanne, vous n'avez pas tort sur le sérieux inébranlable, l'immodestie, l'orgueil, mais je ne suis pas sûr que Millet serait affecté par ce genre de critiques. Il s'est composé un personnage, qui ressemble à celui que vous décrivez.
Mon petit billet porte sur autre chose, vous l'avez compris : Millet est allé, cette fois-ci, assez loin dans le pamphlet et le scandale pour ne pas espérer autre chose que des réponses vigoureuses, voire de fulgurantes contre-attaques. Sa posture est de pure provocation, il est donc normal que cela lui attire des ennemis plus nombreux encore qu'auparavant. Il n'empêche : je ne supporte pas que des écrivains demandent la tête d'un autre écrivain, ce n'est pas leur rôle. On peut choisir son camp, sans revêtir les habits du procureur, et ceux du juge d'application des peines !
"Il s'est composé un personnage"
"Sa posture est de pure provocation"
Vous en êtes certain ? Et si ce personnage, c'était lui ? Et s'il était dans la profession, plus que dans la provocation ?
Et oui pour les haines d'écrivains, les accusations, les procès, les "choisis ton camp camarade" et tout le reste.
Suzanne, tout un chacun « se compose » un personnage et une personnalité. La question est de savoir si ce personnage et cette personnalité coïncident avec les moyens (intellectuels, psychologiques…) dont dispose l'individu. Cette fabrication ne relève pas nécessairement, ou pas seulement, de la parade sociale, mais aussi d'une sorte de logique intérieure, de cohérence intime. Richard Millet est hanté par la perte (perte de la langue, du territoire, de l'« identité »), et par la violence, qui ne résout pas les choses, les difficultés, les contradictions mortelles, mais qui les met au jour. Il assume parfaitement d'être celui par qui le scandale arrive.
Depuis quand, Suzanne, les haines d'écrivains, devraient-elles aboutir à la demande officielle, par voie de presse, de licenciement d'un homme ? Si ces belles âmes se sentent mal à l'idée de siéger auprès de Millet, ou si elles redoutent d'avoir des vapeurs en le croisant dans un couloir, eh bien mais, qu'elles démissionnent !
Je n'ai pas le temps, dans l'immédiat, de vous rapporter une partie de la conversation que j'ai tenue, ce matin, avec l'un de mes proches amis, de retour d'un séjour de trois semaines au Japon. J'en parlerai plus tard.
"Depuis quand, Suzanne, les haines d'écrivains, devraient-elles aboutir à la demande officielle, par voie de presse, de licenciement d'un homme ? Si ces belles âmes se sentent mal à l'idée de siéger auprès de Millet, ou si elles redoutent d'avoir des vapeurs en le croisant dans un couloir, eh bien mais, qu'elles démissionnent !"
Il me semble avoir lu dans le Journal de Léautaud que Drieu recevait bien des jaloux qui se livraient à de jolies dénonciations accompagnées de contorsions et courbettes pour évincer tel ou tel auteur. (Ou était-ce dans les entretiens avec Mallet ?) Et à l'époque, les primes de licenciement étaient payées cash d'une façon définitive.
Si Renaud Camus avait eu une petite situation dans le monde de l'édition au moment de son affaire, imaginez un peu... Et quels efforts pour déboulonner Finkielkraut de Répliques...
Non, je ne crois pas que ce soit nouveau, ou qu'il y ait une sorte de fraternité ou de neutralité de milieu chez les écrivains
C'était prévisible, mais je suis d'accord avec vous néanmoins.
Ce qui est nouveau, c'est la petite réunion « morale » de gens de lettres et d'éditeurs, qui demande à un patron de licencier l'un de ses salariés.
Vous conviendrez, Susanne, qu'il y a plus qu'une nuance entre Paris sous l'Occupation et, en effet, le défilé des délateurs et des plaignants odieux dans le bureau de Drieu (qui n'en a d'ailleurs jamais tenu compte) et l'« affaire » Richard Millet, à Paris, aujourd'hui aujourd'hui. À propos de Léautaud, chose curieuse, j'ai mis de côté, récemment, les disques qu'il a enregistrés avec le recteur Mallet, afin de les réécouter (quelle vivifiante méchanceté, chez le vieil ami des chats !).
Cela dit, pour Renaud Camus, vous avez parfaitement raison : s'il avait eu un emploi, nul doute qu'on aurait fait pression sur son employeur, comme on a fait pression sur son éditeur.
Je n'appelle pas à la fraternité, le monde des lettres est le plus cruel de tous, après celui de la politique, je m'interroge sur ces pratiques mesquines, que les circonstances ne justifient.
Quant à « choisir son camp », cela m'a toujours été très difficile : je choisis des individus, et non pas des camps.
Hello Dous !
moi, je connais un Patrick, ben il est mort.
an tchou-aw.
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