samedi 24 décembre 2016

Noël avant la fin (de l'année).

- Tiens, te voilà de retour !
- Eh bien oui, c'est moi ! Mais comment avez-vous fait pour me reconnaître, j'ai tellement changé ?
- Tu n'as pas changé, tu as seulement vieilli.
- Mais vieillir, c'est changer !
- Pas exactement, vieillir, c'est finir par se ressembler.
- Certainement pas ! jeune, on me disait charmant ; mûr, on m'a trouvé séduisant, mais, aujourd'hui… 
- Aujourd'hui, on ne te remarque même pas.
- C'est cela, je suis devenu transparent. Je n'entre plus dans le calcul de personne.
- De toute façon, que d'erreurs ils ont commises ! Quand ils pensaient t'avoir additionné, tu te hâtais de te soustraire.
- Je me suis multiplié.
- Sans te reproduire !
- Je ne suis pas un multiple de deux.
- Tu est plutôt une division de toi.
- Deux fois moi ne font qu'un.
- Deux fois toi ne font rien.
- À la fin, qui êtes-vous pour me juger ? Et comment m'avez vous reconnu, alors que je ne vous ai jamais vue ?
- Je te l'ai dit : tu as fini par te ressembler. Qui suis-je ? La dernière de ta liste, celle que tu ne pourras barrer d'un trait, mais qui t'effacera sans regret.
- Allez-vous en !
- J'allais partir, on m'attend ailleurs, mais tôt ou tard, nous nous retrouverons.
- Je n'en ai nulle envie.
- Qu'on me désire ou pas, j'accomplis toujours ma besogne à l'heure dite.
- Mais qui êtes-vous à la fin ?
- C'est à la fin, précisément, que tu le sauras, en attendant, retiens ceci : je suis l'inconnue qui passe et te fera passer !

Et, à tous ceux qui passeront peut-être par ici, je souhaite non pas de bonnes fêtes de fin d'année, comme le proclament les journalistes de France-inter et Laurent Joffrin, arrogant « kaputaine » de Libération, journal comptant bientôt plus de pages que de lecteurs, rafiot rafistolé, radeau des médusés, je souhaite, disais-je, avant d'être grossièrement interrompu par ces fâcheux, un joyeux Noël !




Et, pour le plaisir, ce bref extrait d'un livre de souvenirs sur un égaré qui s'est perdu, et dont l'ombre maudite et amicale me suit depuis l'adolescence : 

« Drieu était charmant, intelligent, décadent, pervers, réticent, imprudent, timoré, ni tout à fait bourgeois, ni tout à fait antibourgeois, cérébral et risque-tout, généreux avec profondeur, vulnérable, perpétuellement disponible, noble, écœuré, dévoué, égoïste, inquiet, solitaire, délicat, lucide, aristocrate, sceptique, enthousiaste, désespéré, malade de la volonté, ambitieux et résigné, clairvoyant et naïf, vibrant et paresseux, homme nouveau et homme attardé, bon camarade, mais toujours prêt à se fâcher, et enfin, ajoutons-le, en dépit de ses manières accueillantes, secret, très secret, comme tous les êtres systématiquement sincères. Plus que secret, indéchiffrable, esclave, sur un rythme déconcertant, de toutes les tentations intellectuelles, des moindres données immédiates de sa conscience agitée. En même temps il allait paresseusement à la recherche de quelque impassibilité enfin définitive. Mais quel délicieux compagnon de flânerie, quel voisin de table ! »
André Beucler De Saint Petersbourg à Saint-Germain-des-Prés, Gallimard

7 commentaires:

Nuagesneuf a dit…


Que voici un dialogue qui décoiffe!
Quelle joie de retrouver ici votre délicate verve, votre amour torturé pour ce monde ondoyant - amour qu'on vous envie!

Que la naissance que vous fêtez ce soir vous rassérène
Le bonsoir vous va, ami!

Patrick Mandon a dit…

C'est vrai, Nuage, qu'elle me rassérène, mais la messe de minuit à laquelle je viens d'assister m'a profondément navré. Il y avait un évêque, que sa crosse aurait pu remplacer avantageusement. Si cela continue, je me convertirai à l'Orthodoxie russe : le rite orthodoxe est admirable ! J'ai bu du champagne en rentrant, pour oublier.
Je vous salue, irremplaçable J. M.
(« amour torturé pour ce monde ondoyant » : bien vu !)

Jérôme Leroy a dit…

Quel beau dialogue, mon ami!
Et cette citation de Beucler! Quel cadeau! Je me mets en chasse du livre.
Fidèlement.
J

Florence a dit…

Cher Patrick, il est tout simplement bon de vous savoir à nouveau là.

Patrick Mandon a dit…

Florence, qu'il est agréable de lire cela ! Votre photographie vous fait paraître en ange d'un chœur renaissant, enfin quelque part entre Botticelli et François Truffaut…
Mon cher Jérôme, vous ne serez pas déçu, je vous l'assure, par la lecture des mémoires de Beucler (je crois qu'elles existent en trois volumes). Né en Russie, élevé en Français, parisien d'esprit, fin connaisseur de la grande Europe, cet homme fut de ces intrépides personnages du siècle dernier, curieux des êtres et des choses, jamais las de rencontrer, d'échanger, de partager. À bientôt, J.L. !

Célestine ☆ a dit…

Alors comme cela, vous apparaissez soudain comme un lapin tiré d'un chapeau, et ma « liste de lecture » ne m'en avise pas...
Quel monde cruel et décadent : on ne peut plus compter sur rien.
En revanche, vos jeux de mots arithmétiques m'ont bien divertie ! J'ai pas mal fréquenté la dame de votre dialogue, ces temps-ci. Je reviens doucement parmi les vivants, en me battant contre quelques fantômes, qui n'ont pas tous la délicieuse allure de celui de Brassens...Et je suis heureuse de vous retrouver tel qu'en vous même.
¸¸.•*¨*• ☆

Patrick Mandon a dit…

Chère Célestine, les fantômes reviennent toujours, mais on peut faire en sorte que les bons chassent les importuns… lesquels s'éloignent momentanément. Notre vie, c'est l'éternel retour du même.