lundi 3 juin 2013

L'ivresse et le flacon…



« Lourdes comme des ventres d’abeilles, comme le vent paresseux, comme le souvenir, comme la couleur de l’orage, comme les yeux clairs, comme une promesse qui sera tenue. Gonflées de lait, de miel et de sucre. Le lait d’en haut, crémeux, pour apaiser les oursons voraces et téteurs. Le lait du milieu, le meilleur, entre les crevasses un peu roses, un peu mauves, un peu brunes. Juste une petite giclée d’opale liquide, envoyée par un invisible compte-gouttes. [...] On en boirait des tonnes, en direct, avec une paille ou à la petite cuiller. Et elle rue, en dessus, geint, délire, vous encourage, secoue ses teignes de désespoir. Vous, la tête à l’étau, brouteur patient, le groin dans la truffe au parfum jamais mis en flacon, vous méprisez votre propre plaisir : c’est le sien qui compte. Catcheuse ruisselante, elle va vous étrangler d’un ciseau de ses cuisses. Vous haletez, tout à votre besogne salée, artisan des basses régions. [...]
Lourdes, et lentes. Prenant bien leur temps pour reluire et faire reluire. Nourrices, mères, soeurs. Pleines de lait, de sécrétions, d’organes mous. Les autres, les maigres, les rapides, retournez à vos enfers étroits. 
Elle dort ; vous n’avez pas joui. Quelle importance ? Vous regardez la rue où défilent des hommes qui vous ressemblent, qui paraissent vous ressembler. “ Je t'aime ” : qu’est-ce que cela signifie sinon ce don sans échange, sans contre-valeur ? »

André Hardellet (1911-1974), Lourdes lentes, coll. L'imaginaire, Gallimard, édité, à l'origine (1969), par Jean-Jacques Pauvert, interdit pour outrage aux bonnes mœurs en 1973. André Hardellet est mort l'année suivante.

Illustation : Nu allongé, Mario Szantho, peintre hongrois (1897-1998).

À propos d'André Hardellet, on rendra volontiers visite aux  Cœurs croisés, cœur gravés

4 commentaires:

Nuagesneuf a dit…


Vos connaissances littéraires, cher Patrick, ne manquent pas de me combler et rappeler cet ouvrage ne me rajeunit pas. Il évoque toutefois des réminiscences douces qui ont parfait à l'époque mon étude appliquée et du mot et de la chose. Au passage, mercis aux courageux Losfeld, Pauvert et cie.

Je découvre avec plaisir que ce même Hardellet est l'auteur de Bal chez Temporel ! Décidément, c'est une chose bien étrange que le talent. Amitiés et merci pour ce partage.

Patrick Mandon a dit…

Le mot et la chose…
Cher Jean-Michel, voyez combien Hardellet est attentif au plaisir de sa partenaire, au point de négliger le sien propre. Les temps ont changé, la pornographie agressive a remplacé ce genre de littérature très audacieuse et si… amoureuse. Quant à Losfeld, Pauvert et quelques autres, on n'oublie pas l'immense travail qu'ils ont accompli en faveur de la liberté d'expression, à une époque où tout cela avait un autre sens, et souvent au péril de leur porte-monnaie, car ils étaient parfois condamnés à de lourdes (et lentes!) amendes (j'allais écrire amandes…).

Nuagesneuf a dit…


Les temps ont changé, c'est indéniable cher Patrick. Il n'empêche que l'attention de Hardellet m'apparait être la moindre des 'choses', en ce que j'y trouve une totale similitude avec mon comportement en cette occurrence.

Patrick Mandon a dit…

Ah, cher Jean-Michel, vous avez le mot exquis ! C'est vous avez fait exquisément la chose . On le sait, qui donne le mot juste, fait la chose plaisamment. Dans cette affaire, il est vrai, la langue dit le mot comme elle fait bien la chose. Alors, on a le mot et sur la langue et sur la chose.