mercredi 30 mars 2011

La chair des femmes






































Samedi, exposition Van Dongen, au musée d'Art moderne. La malédiction pèse encore sur ce peintre : il n'attire pas la grande foule, qu'il mériterait. Il fut si heureux, si reconnu, si « couru » de son vivant, qu'il paie l'addition de son succès, augmentée d'un malencontreux voyage en Allemagne, sous l'Occupation ! Or, Van Dongen est un peintre essentiel dans le grand mouvement de fond, qui bouleversa notre vision du monde réel, dès la fin du XIXe siècle. Observez ici son autoportrait : il date de… 1895 ! Naturellement doué pour le dessin, il aurait pu sans difficulté s'offrir une image conventionnelle de son reflet, mais non ! Il trace une vague silhouette dans un contre-jour affolant. Le XIXe siècle n'est pas encore achevé que Van Dongen démontre qu'un autre mode de représentation est possible.
Ensuite, vint l'aventure du fauvisme, des aplats, des traits noirs charbon, l'éblouissement de la couleur brutale, violente. Artiste total, surdoué, insoumis, affamé, il saisit la fureur sensuelle, qui a gagné les parisiens, et ne la lâchera pas, jusqu'à la Seconde guerre. Sa peinture est une célébration des femmes, de l'attraction permanente, du spectacle toujours recommencé de leur chair, de leur corps, vêtu, dévêtu, nu. L'espace tout entier de ses tableaux devient une zone érogène.

Photographies PM (on voudra bien pardonner leur mauvaise qualité ; il fallait photographier « à la sauvette », lorsque les nombreux gardiens regardaient ailleurs)

11 commentaires:

JMT a dit…

Il faudrait ne jamais connaître les biographies. On tombe souvent de haut. Et se réjouir et se contenter d’admirer, de regarder, d’aimer ce qu’on aime. Kees Van Dongen a une vision concupiscente de la femme. Et les femmes qu’il peint sont presque toujours tristes, comme les clowns. Vous nous en proposez, cher Patrick, trois beaux exemples. De femmes, pas de clowns, bien sûr.

Vous photographiez également le cheval cabré. Au risque de votre liberté, voire de votre vie. Je n’ai encore toujours pas compris pourquoi les photos sont interdites. Le tableau qui date de 1895, Van Dongen avait 18 ans ! se trouve à Monaco, où il passa je crois une bonne partie de sa vie. Son titre est La Chimère-pie. Je l’aime beaucoup. On peut en savoir un peu plus avec ce lien que je viens de retrouver : http://www.connaissancedesarts.com/peinture-sculpture/actus/point_de_vue/monaco-rend-enfin-hommage-a-van-dongen-78458.php

Patrick Mandon a dit…

Oui, cher Jean-Michel, il s'agit de la Chimère-pie. Je ne l'ai pas précisé, pressé que j'étais, hier. Je n'ai d'ailleurs pas donné le titre des autres œuvres, et j'ai eu tort. Je réparerai. L'interdiction de photographier est, je crois, justifiée par deux choses : la lumière du flash (pratique stupide, au demeurant) peut nuire à la couleur ; et les tableaux appartiennent à des instituions, ou à des personnes privées. Cela dit, il est excitant de braver les interdits ! Je dois à la vérité de dire que je me suis fait pincer deux fois, samedi dernier : les deux surveillantes m'ont gentiment « grondé », m'ont fait remarquer qu'elle étaient en droit de me réclamer mes photographies, puis, dans un sourire, m'ont laissé poursuivre ma visite.
Au vrai, j'ai éprouvé, une fois de plus devant des tableaux, un choc visuel, une impression de vertige. Depuis l'enfance, parce qu'on m'en a beaucoup parlé alors, j'admire Van Dongen. Or, il y a un certain temps que je n'avais pas visité une exposition à lui consacrée. Et là, samedi, sa force, sa puissance plutôt, sa joie souveraine, primitive m'ont sauté au visage.
Pour ce qui relève de la biographie, je prends toujours soin de différencier l'homme et l'artiste. L'œuvre est ce qui fonde l'artiste, c'est son legs universel.
Mes photographies ne sont qu'un bien imparfait moyen de restituer l'atmosphère de folie sensuelle, d'encanaillement, qui se dégage de certaines toiles. Van Dongen, c'était un marin du Nord un peu ivre, au milieu d'un bal de filles : il ne savait plus où placer ses mains !
Enfin, il y a l'énorme effort artistique de VD. L'autoportrait et la vache-pie datent du XIXe siècle ! Il me semble que c'est une injustice, que de ne pas souligner son audace fondamentale, sa précocité.
La peinture produit chez moi une sorte de transe immobile.

JMT a dit…

Oui, il est excitant de braver les interdits. Surtout les sens. Interdits. Mais je m'égare. Pour en revenir à la peinture et à V.D., j'éprouve toujours dans les expositions une sorte d'étouffement : trop de toiles, trop de pas assez de recul, trop d'émotions à contenir, trop de gens, trop de mixité, trop de mélanges et d'effluves nauséabonds de parfums et eaux de toilette, trop de bruits et de jacasseries, trop de trop ! Combien de fois ai-je rêvé d'une expo. absolument vide avec les toiles rien que pour mon regard tout étonné et mon coeur effarouché. Cela m'arrivera quand je serai Nicolas Sarkozy ou Jean-Paul II.

"Van Dongen, c'était un marin du Nord un peu ivre, au milieu d'un bal de filles : il ne savait plus où placer ses mains !" Superbe, Patrick !

ps : je dois rentrer le mot de contrôle pour valider ce message. Le mot est "sulami". Comme Sulamith, chez Celan. Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des retards.

Corinne a dit…

J'aime beaucoup les regards charbonneux de ses femmes. Sous le fard, elles ont des regards d'enfant.
Un dernier tango ? http://domi33.blogs.sudouest.fr/media/00/01/627808950.jpg

Jean-Michel, figurez-vous qu'à Ravenne vous auriez pu exaucer vos voeux : le musée était désert. Des oeuvres de De Chirico et des peintres italiens de l'après-guerre y étaient exposées. J'ai beaucoup aimé, mais j'avoue que m'y trouver seule avait un je-ne-sais-quoi d'angoissant.. Surtout que certaines toiles étaient très chargées, émotionnellement.

Patrick Mandon a dit…

Chère Corinne, cette toile de Van Dongen, Le Tango de l'archange, commencée en 1922, achevée en 1935, présente à l'exposition du musée d'Art moderne, est révélatrice de la joyeuse perversion de ce peintre. On pourrait lui trouver une inspiration surréaliste ; à mon sens, on aurait tort. Son érotisme, très troublant, ne doit rien au lyrisme, et peu au rêve : elle est une célébration de la chair féminine, mieux que nue, vêtue à peine, gainée de soie, chaussée… En outre, la scène n'est nullement alourdie par une petite intention provocatrice, à vocation subversive. Van Dongen est un jouisseur doué, un artiste : il peint sa fantaisie, son fantasme même, il peint son désir. L'archange épouse le corps de la femme, qui l'entraîne dans son désir. Le tango, dit-on, est une cérémonie de soumission féminine. Ici, c'est la femme qui conduit la danse. L'archange ira au paradis, mais pas seul !
JMT : « Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des retards. ». Vous aussi, Jean-Michel, pour cette phrase-là, vous irez au paradis !
Je vous souhaite à tous deux, dans les plus brefs délais, un semblable tango : en compagnie d'un archange pour l'une, d'une danseuse à la tendre carnation pour l'autre…

Anonyme a dit…

Ah ! Merci Patrick, mais les archanges sont très volatiles.. J'adore cette toile, c'est tout ce que vous dites ! Il est heureux que les meilleurs peintres n'aient eu votre talent de narration, ils auraient alors pu dire ce qu'ils n'ont pu que peindre, et nous aurions manqué tant de chefs d'oeuvre !
Je vous embrasse tous les deux.

ps: je rejoins JMT sur son observation des facétieux 'mots de contrôle' le mien ici est "redled" !!! Le rouge est mis ! :-)

Joël H. a dit…

Combien de fois ai-je rêvé d'une expo. absolument vide avec les toiles rien que pour mon regard tout étonné et mon coeur effarouché. Cela m'arrivera quand je serai Nicolas Sarkozy ou Jean-Paul II.

Ne pas fréquenter les expos, s'en tenir à nos Musées des Beaux-Arts de province, à des heures improbables, les jours de grand beau termps : des heures ainsi, à Lyon, seul devant un Jawlensky ou certain Gauguin.

Anna Valenn a dit…

Distraite par des soucis, assez lourds, échangés. Je n'ai retenu que les regards. Chargés. Et le bas du visage d'Andalucia.

Et sinon, Patrick, Bravissimo pour les photos ! Enfreindre la règle pour la bonne cause.

anna

PS - Je crois que je vais y retourner.

Patrick Mandon a dit…

Certes, M. Jo, mais, pour ce qui est de l'exposition Van Dongen, il n'y avait pas grand monde, et puis, l'essentiel de son œuvre, sa trace d'artiste, les preuves de son talent, tout est rassemblé en un lieu.
Anna, moi aussi, j'y retournerai.

Anonyme a dit…

Patrick, vous êtes connu de tous les gardiens de Paris. Quand ils voient arriver votre élégance silouette féline, ils détournent pudiquement les yeux.
Cher Jean-Michel, je vous souhaite d'être ni Nicolas Sarkozy, ni Benoit XVI... JMT vous va très bien.
Je vous embrasse tous.

j.d.l.l a dit…

Patrick, Anna Valenn à l'aire d'être une femme très fréquentable, bon, je disait cela sans aucune arrière pensé, en plus, elle coach l'amour ?, houa tout un programme! (rire)