mardi 21 juin 2011

Chez le moscovite



Vous irez, d'un seul clic, chez Lettres de Moscou (adresse ci-contre), et vous serez, comme je le fus, saisi par sa traduction d'une suite de poèmes du polono-russo-judéo-arménien (il n'était point d'Arménie, mais il connut et aima ce pays mélancolique, qu'on a martyrisé), Ossip Mandelstam (1891-1938).
Je trouve admirable le choix et le rythme du vocabulaire de Vincent, pour sa traduction de textes que je ne connaissais pas. Décidément, ce garçon est plein de ressources. Nous avons eu des débuts difficiles, mais j'ai appris à connaître et à apprécier ses nombreux talents. Il me plaît de savoir que des personnalités, si différentes de la mienne, et parfois rudes, existent et prospèrent intelligemment. La fréquentation des blogues m'aura conforté dans cette idée simple : nous sommes des individus, des êtres uniques, à la fois vains et nécessaires. Ce qui fait notre humanité n'est peut-être pas ce qui nous unit aux autres, et nous rend semblables à tous, mais ce qui nous en sépare et révèle notre lueur pâle. (Tout cela est bien sérieux ! Veuillez m'excuser de cette soudaine séquence « gravité ». Je finirai boursouflé !)
Autre chose étrange : hier, je marchais, lorsque le nom et le visage de Mandelstam me sont revenus. Il y a bien longtemps que je n'avais songé à ce grand poète, romantique et moderne (il n'appartient pas au mouvement futuriste). Je l'ai retrouvé, tout à l'heure, chez Vincent. Ce n'est pas exactement le hasard objectif, mais c'en est une variante.
Une dernière chose : j'avais lu un récit des dernières années de Mandelstam, par Robert Littell (le père de Jonathan). Celui-ci l'avait écrit après après avoir rendu visite à la veuve d'Ossip, Nadejda*, à Moscou (il était correspondant de Times ou de Nesweek, je ne sais plus).

Voici une traduction, sans doute discutable, d'un texte fameux de Mandelstam, qui lui fut fatal. Après l'avoir lu à un cercles d'amis, Mandelstam, connut la geôle, la torture, la déportation, et la mort solitaire, atroce.
Portrait de Staline :

Nous vivons sans sentir sous nos pieds de pays,
Et l'on ne parle plus que dans un chuchotis,
Si jamais l'on rencontre l'ombre d'un bavard
On parle du Kremlin et du fier montagnard,
Il a les doigts épais et gras comme des vers
Et des mots d'un quintal précis: ce sont des fers!
Quand sa moustache rit, on dirait des cafards,
Ses grosses bottes sont pareilles à des phares.
Les chefs grouillent autour de lui, la nuque frêle.
Lui, parmi ces nabots, se joue de tant de zèle.
L'un siffle, un autre miaule, un autre encore geint...
Lui seul pointe l'index, lui seul tape du poing.
Il forge des chaînes, décret après décret!
Dans les yeux, dans le front, le ventre et le portrait.

De tout supplice sa lippe se régale.
Le Géorgien a le torse martial.

(Tristia et autres poèmes)

* « Contre tout espoir », et « Fin de l’espoir », témoignages de Nadejda Mandelstam, parus aux éditions Gallimard

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est que vous êtes adepte des débuts rugueux, comme une forme d'épreuve initiatique ! Vous testez votre monde, avec malice et causticité. Pour celui (celle) qui ose la confrontation sans malveillance ni complaisance, une amitié rare est au bout de l'audition.