Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev dansent Le jeune homme et la mort
On nomme ce genre « mimodrame » : imaginée par Jean Cocteau, l'histoire rapporte le suicide d'un homme encore jeune, pour cause de tragédie d'amour. La musique, à l'origine, est de Jean-Sébastien Bach (il s'agit de La Passacaille), adaptée par Respighi. Ce rituel dépouillé, cruel a été crée à l'Opéra de Paris en 1946 : Roland Petit en était le chorégraphe, Wakhévich le décorateur, Jean Babilée et Nathalie Philippart les deux danseurs.
Voici, rapporté par Cocteau lui-même, à propos de ce spectacle, le récit de sa genèse et ce que lui inspira tout ce qui le précéda et le suivit (c'est assez long, bien sûr, mais vous n'en voudrez pas à Cocteau de prendre un peu de votre temps) :
« Notre machine se démembre chaque jour davantage et chaque matin l’homme s’éveille avec une nouvelle entrave. Je le constate. Mes nuits, je les dormais d’une traite. Maintenant, je m’éveille. Je me dégoûte. Je me lève. Je me mets au travail. C’est le seul moyen qui me rende possible d’oublier mes laideurs et d’être beau sur ma table. Ce visage de l’écriture étant, somme toute, mon vrai visage. L’autre, une ombre qui s’efface. Vite, que je construise mes traits d’encre pour remplacer ceux qui s’en vont. C’est ce visage que je m’efforce d’affirmer et d’embellir avec le spectacle d’un ballet, donné hier soir, 25 juin 1946, au théâtre des Champs-Élysées. Je me suis senti beau par les danseurs, par le décor, par la musique, et, comme cette réussite soulève des chicanes qui débordent la satisfaction d’auteur, je me propose de les mettre à l’étude. De longue date, je cherchais à employer, autrement que pour la cinématographique, le mystère du synchronisme accidentel. Car une musique se trouve non seulement des réponses dans chaque individu, mais encore dans une œuvre plastique avec laquelle on la confronte, si cette œuvre est du même registre. Non seulement ce synchronisme est air de famille qui épouse l’aspect général de l’action, mais encore – et c’est là que réside le mystère – il souligne ses détails à la grande surprise de ceux qui en estimaient l’emploi sacrilège. Je connaissais cette bizarrerie par l’expérience des films, où n’importe quelle musique un peu haute intègre les gestes et les passions des personnages. Restait à prouver qu’une danse, réglée sur des rythmes favorables au chorégraphe, pouvait se passer d’eux et prendre des forces dans un climat musical nouveau.
3 commentaires:
MAGNIFIQUE !!! dés les premières lignes ! merci beaucoup !
Oui, c'est magnifique, cher Patrick.
J'espère que vous avez eu l'occasion de visiter Menton récemment. Avec le nouveau musée en bord de mer, devant le marché, la nouvelle salle des fêtes refaite (elle fut fermée pendant 5 ans) de la Mairie etc, etc...Menton semble avoir été bâtie, dessinée, peinte, sculptée par le Maître.
Oui, chers amis, ce texte est magnifique. Et je crois bien qu'il et essentiel à la compréhension de ce qu'on pourrait appeler la modernité. Il nous renseigne également sur les origines d'une œuvre, sur sa conception, sur son évolution ultérieure. C'est passionnant. Plus le temps passe, et plus logiquement toute la personne de Cocteau prend de l'importance dans le monde de la création artistique.
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