On a beau dire que tout ici-bas est surtout le résultat du jeu des simulacres que les humains se donnent à eux-mêmes, il est des instants qui nous laissent apercevoir une ombre, qu'on pourrait prendre pour une charmante apparition. Mais il serait vain, et sans doute décevant, d'ouvrir les bras, comme pour l'inviter à s'y réfugier : nous avons plus qu'elle besoin d'un refuge, et ce simple geste la ferait fuir en riant. Plus tard, quand nous hésiterons à pousser un soupir, par crainte qu'il soit le dernier, nous souviendrons-nous qu'il nous fut permis de côtoyer l'illusion de la « belle vie » ?
La Belle Vie, l'un des très grands succès de la chanson, reprise dans le monde par les meilleurs ; Sacha Distel, où il se trouve aujourd'hui, peut être fier.
Sarah Vaughan : l'effet de sa voix est immédiat, elle trace un cercle d'envoutement, qui nous retient captifs, soumis, comblés.
Nancy Wilson (1964 album Today, Tomorrow, Forever) : jeune, elle était délicieuse, puis elle gagna encore en élégance avec la maturité. Artistiquement, elle est du genre accompli, ce que ne sera jamais ni le beuglant du Pays basque, Cali, ni la meuglante des alvéoles publicitaires, Jenifer (je reconnais que ces comparaisons sont nulles et non avenues, mais elles me procurent une joie mauvaise).
Betty Carter : musicienne reconnue, elle a longtemps tourné dans les clubs, et attendit une reconnaissance, que son immense talent lui méritait bien plus tôt. La reconnaissance est une longue patience, elle s'apparente à l'habileté heureuse d'un laveur de carreau, qui résumerait l'incessant mouvement de balancier de tout son corps par cette formule hardie : « Je penche, donc j'essuie ! ».
Ann Margrett : jeune, cette native de Suède était simplement jolie, après trente ans, elle devint telle la vérité chez Platon : éminemment désirable. Son interprétation manque peut-être de perspective, mais non pas d'attrait(s).
Julie London : vouant à la London une reconnaissance illimitée, je déplore ici, de sa part, un côté « chantons pour les aérogares ». Cela dit, je pardonne à Julie.
Gary McFarland (façon bossa nova)
Carmen McRae : quelque chose comme une nuance, une pointe moqueuse vient encore renforcer l'impeccable entreprise vocale de la McRae, qui fut une amie de notre mère à tous et la mère de toutes nos mélancolies, toujours entre chute et rédemption, Billie Holiday.
Marie Fredriksson : la dame eut quelque succès naguère (années 80-90 de 1900) avec le duo « Roxette », constitué pour la promotion de la soupe pop-cuir présentable. Marie a surmonté (mais rechute récente) l'obstacle d'une tumeur au cerveaul. Elle chante seule, et elle a raison. Elle démontre ici une belle énergie, plus crooner énervé que vraiment rock, sexy vraiment : sur un rythme binaire bien marqué, elle « monte » lentement vers un final assez proche de Sinatra (quand il était en forme !).
Oscar Peterson : si vous portez un chapeau, découvrez-vous, inclinez-vous, extasiez-vous ! :
Petula Clack « early years » : une diction d'anglaise oxfordienne et une interprétation acidulée tendant vers le plus que parfait du subjectif !
9 commentaires:
Ah que voilà un billet réjouissant et agréable, d'autant que je ne vais pas vous cacher combien j'adore cette chanson.
Elle a un petit côté double face qui me plaît bien. Faussement gaie, avec une sorte de fond de bouteille de désespoir existentiel.
Quant à la musique, c'est du génie. Une simplicité apparente cachant une grande complexité et une rigueur parfaite, et même plus que parfaite. La version de Gary mac Farland est très étonnante à cet égard, elle met en relief ce rythme de bossa que j'aime énormément et ces accords brésiliens qui me font voyager...
Ma préférée est Sarah Vaughan, à égalité avec Carmen McRae. En revanche je déteste la version de Marie Fredriksson, avec une pointe de culpabilité, au vu ce que vous dites de son état de santé...
Merci pour cette demi-heure de sortilège musical.
La belle vie, quand même ...
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Chère Céletine, votre choix est le mien et vos préférées les miennes : Sarah Vaughan et Carmen McRae. Mais je ne déteste nullement l'interprétation de Marie Fredrikson, si je reconnais sans hésitation qu'elle ne saurait se comparer à nos deux championnes. Fredrikson, c'est de la pop suave, de la facilité, mais avec une touche « croonée », à laquelle je ne suis pas indifférent.
La version "chantons pour les aérogares" de Julie London me plaît justement pour sa production vintage acratopège. Ma compagne se moque régulièrement de mes goûts pour les divas contrariées - ici par son producteur ? - mais que voulez-vous, j'aime ça. (Les reprises en allemand de Cole Porter par la troublante Hildegard Knef font mon bonheur.) C'est une belle chanson qui a résisté aux reprises les plus improbables. J'aime assez celle de Tony Bennett. Je vous donne le bonjour et vous souhaite, si vous faites le pont, un bon ouikend prolongé.
Deux sur trois ça fait du 66% à la louche ça...
Qui peut se vanter de faire un tel score de nos jours ? :-)
Célestine : « Deux sur trois ça fait du 66% à la louche ça...
Qui peut se vanter de faire un tel score de nos jours ? »
Réponse : vous, vous feriez 99, 9% ! Mais « votre » président ramassera à peine 12%
René Claude : Je comprends parfaitement votre penchant « vintage acratopège » (jolie formule !), qui signale un raffinement d'une intéressante sinuosité.
Tony Bennet : l'une des meilleures versions de la chanson, peut-être même supérieure à celle du grand Francis Albert Sinatra : Tony, Frank and others coming soon !
Quant à Hildegarde K. en « diva contrariée », je partage votre engouement : sa voix (voie) rauque la destinait tout autant à chanter les « avancées remarquables de l'armée allemande » qu'à émettre la plainte troublante d'une femme délaissée. Je parle quelque part de la Knef, qui surmonta le chagrin d'avoir quitté son amant nazi un peu avant la fin du régime. Elle ne se voyait pas en veuve…
L'album "Hildegard singt Cole Porter" qu'elle enregistra à New York n'est pas indigne, au contraire. J'ai surpris des invités en le jouant. Sur certains titres, elle a un sourire dans la voix et sa sensualité élégante me réchauffe l'âme. A propos de von Demandovsky, son amant encarté au parti nazi (sans doute par opportuniste), j'ai appris dans un documentaire allemand qu'il avait été exécuté par les Soviétiques puis réhabilité (?) Je viens de recevoir l'autobiographie de Hilde traduite sous le titre "A cheval donné..." chez R. Laffont en 1970. Je suis curieux de découvrir comment elle rapporte l'affaire. Hilde fut aussi la première actrice à se montrer entièrement nue dans un film allemand au milieu des années 50. Gros scandale. Quelle vie ! Je suis ravi de pouvoir en parler un peu car sur mon coin de banquise genevoise, les amateurs de Hilde ne courent pas les igloos.
René Claude, j'ai parlé (un peu) de la pétrifiante Hildegarde (plus belle encore à quarante ans qu'à vingt, comme c'est souvent le cas chez les belles femmes) dans l'article Tous les garçons s'appellent Patrick: Inoubliable ! (j'ai mal programmé mes liens, au début de la construction de ce blogue, les articles sont donc éparpillés et, parfois, difficilement repérables).
Bien sûr, la Knef est fascinante ! Sa « reconstruction » après l'effondrement du régime « nazillard » et le suicide de l'oncle Adi (© Geli Raubal), est un chef d'œuvre à la fois d'énergie, d'amnésie volontaire et souriante, d'initiative « survivaliste », de tempérament « fin d'un monde adieu, bonjour le nouveau ! Ma peau est douce, viens te frotter contre elle, j'ai du savon pour deux ! ».
Vous avez raison pour Demandovsky, personnage plus que trouble et séduisant : un opportuniste plus qu'un convaincu. Il a démontré, je crois, un vrai sentiment pour son Hidegarde. Mais elle voulait vivre, triompher : quel appétit, la Knef !
La prochaine fois que vous dite « votre » président, je me fâche.
Et vous ne me connaissez pas quand je suis fâchée... ;-)
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Si « votre » Hollande est réélu, je demande le statut de réfugié politique à « ma » Hollande. Car celui-là n'est pas celle-ci : qui est ici anti-hollandais peut, là-bas, espérer quelque jour devenir hollandais. Si je n'aime ni Hollande ni les hollandais, j'aime la Hollande et les hollandaises. C'est ainsi que les hollandais nous plaisent, quand les hollandais nous lèsent.
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