mercredi 27 juin 2012

Fatalité négative

 



Impossible de me sortir cette tragédie de la tête, impossible de ne pas me représenter la détresse et l'effroi de Marina, morte sous un déchaînement de violence de ses père et mère, laissée agonisante, nue, dans une cave froide, le front ouvert, après avoir été plongée dans plusieurs bains glacés. 
Je n'ai jamais imaginé que la société humaine reposait sur l'aménité naturelle de ses acteurs, je n'ignore pas la dose de cruauté dont chacun de nous dispose, afin de satisfaire au simple plaisir de nuire «aimablement » à son voisin, ou même de se venger d'une offense. Mais le calvaire de Marina relève d'autre chose. Il démontre une fatalité négative qui, manifeste chez quelques-uns, menacerait de surgir chez chacun d'entre nous. La lente mais fatale malédiction barbare que ses parents ont dirigée contre la fillette,  révèle une organisation psychique d'une dangerosité supérieure à toutes celles du règne animale. Quelle fut la part du plaisir que prirent ses bourreaux dans les sévices et les humiliations dont ils accablèrent leur victime ? Le huis clos, savamment maintenu par les parents, a-t-il servi d'abord à prolonger le plus possible l'intense et répétée satisfaction qu'ils éprouvaient au spectacle de la déchéance et de la terreur qu'ils provoquaient chez l'enfant. Répondaient-il au Mal, extérieur à leur conscience, mais habile à les séduire, ou réactivaient-il un processus intérieur, préexistant, qui leur indiquait régulièrement le chemin d'une récompense sadique, à nulle autre pareille ?
Je n'ai pas de réponse. Je n'ai que la voix (inventée) de cette enfant dans la tête, et son visage tuméfié, que six années de traitement d'une brutalité impatiente avaient profondément modifié.


2 commentaires:

anne a dit…

C'est le Mal. Il est difficile de le regarder en face; pour moi c'est quasi impossible, j'esquive, et pourtant cette affaire me hante, aux limites de ma conscience, où j'essaye de la confiner. Ce n'est pas seulement l'homme-brute, puisque d'autres enfants ont été épargnés, je crois, c'est le tortionnaire qui jouit.

Céline, dans "Le Voyage": "Quand ils étaient seuls, le père et la mère, les jours où ça arrivait, ils se disputaient d'abord longtemps et puis survenait un long silence. Ça se préparait. On en avait après la petite fille d'abord, on la faisait venir. Elle le savait. Elle pleurnichait tout de suite.Elle savait ce qui l'attendait."
Le verbe "pleurnichait" est atroce: il contient toute l'extériorité et l'indifférence qui ont dû entourer cette enfant.

Patrick Mandon a dit…

Anne, j'avais oublié ce passage du Voyage, en effet, terrifiant par le seul usage du verbe « pleurnicher ». Actuellement, je remue ciel et terre, non pour « comprendre », ce qui s'est passé (votre explication est la mienne) mais pour entendre enfin la terrible vérité : la récompense des bourreaux, c'était la jouissance, précédée de la réjouissance (d'ailleurs, il semble que, dans ce duo infernal, la femme jouait le rôle moteur). Je veux qu'un « spécialiste » éclaire cet abîme. Et après, que faire ? Alerter, bien sûr, réveiller les instances sociales endormies, et encore ? Cette enfant, voyez-vous Anne, ne me quitte plus. Je lui offre en pensée, non seulement ce qu'elle n'a pas eu, mais aussi ce qu'elle n'aurait pas pu avoir : le ballet de l'Opéra de paris, de l'argenterie à table, le spectacle quotidien de la beauté et de l'harmonie. En lui parlant, je lui restitue sa part légitime d'enchantement.
La violence est constitutive de la société, je reconnais qu'elle ne m'est pas étrangère, je ne refuse pas la bagarre, j'aime la boxe par exemple, mais cette tragédie ne relève pas de la violence « simple », il s'agit d'autre chose, d'une confluence de perceptions intimes et maudites.