vendredi 8 novembre 2013
Le Diable, probablement…
Ci-dessus : Eugène Delacroix (1798-1863), lithographie pour Faust, de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832). Il existe deux versions de cette œuvre ; la première date de 1808, la seconde, posthume, de 1832. En France, Gérard de Nerval (1808-1855) commença la traduction de Faust I dès 1826/1827 ; celle-ci fut publiée en 1828 par Dondey-Dupré, à Paris, avec cette exergue de Germaine de Staël : « [Faust] fait réfléchir sur tout, et même sur quelque chose de plus que tout. ». Germaine savait s'y prendre pour attirer l'attention de ses contemporains sur un livre ou sur un homme, qu'elle admirait…
La première fois que je vis ce Méphisto dans les airs, j'étais adolescent. Je découvrais Baudelaire, et, avec lui, la beauté du Diable.
J'ai immédiatement aimé cette vision d'un démon aérien, semblant danser (voyez ses doigts, animés comme ceux d'un danseur), survolant les toits de la ville, alors que la nuit tombe. Il inspirera les voleurs, il suggérera aux amants les figures les plus adorablement obscènes, et aux autres les complots, les trahisons, les infamies. Or, il ne m'effraya pas. C'est que je lui trouvai une physionomie, sinon bienveillante, tout au moins rieuse et sans méchanceté : il n'a pas la joie mauvaise. En ce temps-là, j'étais en mon adolescence…
J'ai succombé à toutes ses tentations, mais je n'ai signé aucun pacte de sang, ni même de sueur avec lui. Ai-je eu tort ? Ce gracieux Méphisto a été licencié. À force de négocier des contrats avec eux, d'entendre leurs raisons, de surprendre leurs faiblesses, il a aimé les hommes. Il s'est reconnu affaibli par leur propre fragilité. Il ne voulut plus les pousser à la faute : il se surprit même à les assister, à les encourager au bien, à l'honnêteté, à la droiture. Il s'est laissé corrompre en quelque sorte.
Celui qui l'a remplacé est la chute, et il est l'abîme.
Il est l'effroi.
Magnifique mise en scène du « Faust », de Gounod, au MET, à New York. René Pape est un Méphistophélès très convaincant :
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8 commentaires:
Quand ça sent le roussi: Rimbaud n'est jamais très loin.
Salute Alfonso ! Ce « diable » de Rimbaud ? Souvenons du…
…Bal des pendus
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah ! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse !
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !
Belzébuth enragé racle ses violons !
Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Presque tous ont quitté la chemise de peau ;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Arthur Rimbaud
Avant que Le Diable ne s'habille en Prada, il m'était apparu à l'adolescence dans un poème de Baudelaire que je n'ai jamais oublié.
"Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent
Aux objets répugnants nous trouvons des appas
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas
Sans horreur à travers des ténèbres qui puent."
Je crois que ce poème a quelque peu déformé le riche métal de ma volonté...
J'en profite pour vous remercier d'avoir mis en exergue mon petit commentaire.C'est un honneur.
Baudelaire toujours et encore ! Plus que jamais, d'ailleurs, alors que s'étend sur ce pays, qui fut singulier et si léger, la nappe épaisse d'un mensonge d'État, porté, colporté par une affreuse novlangue. Je recommande la visite du beau blogue de Célestine, il y flotte le bon air de la liberté, il y règne les lois heureuses du plaisir simple d'être en vie.
Note : « Je crois que ce poème a quelque peu déformé le riche métal de ma volonté… » (?)
Dois-je vraiment vous expliquer de quelle façon certaines lectures de jeunesse orientent durablement et de manière irréversible notre comportement d'adulte? Je me suis nourrie de lectures sulfureuses et subversives, et de fait, j'ai toujours eu beaucoup de mal à résister aux tentations.D'où l'image du métal un peu émoussé de ma volonté, et le parfum de liberté que vous dites que l'on respire chez moi, ce qui, soyez-en sûr, me remplit d'aise.
«[…] certaines lectures de jeunesse orientent durablement et de manière irréversible notre comportement d'adulte »
Je n'aurais su mieux dire.
Cher Patrick,
J'arrive tardivement et en suis désolé. Quel nouveau délice que votre billet !
ps : quel accès de jésuitisme vous a-t-il piqué en feignant de faire mine de ne pas comprendre les inclinations réjouissantes de votre interlocutrice Célestine lorsqu'elle évoque les effets laissés en elle par Trismégiste ? Faut-il que Célestine soit d'une candeur immaculée pour être tombée dans vos rets et précise avec délicatesse sa pensée que vous aviez fort bien comprise, tss..tss.. ne niez pas !
Prenez garde, mademoiselle Célestine, désormais vous venez régulièrement sur ce blog et c'est une céleste merveille de vous y trouver. Mais de grâce prenez garde, l'hôte est redoutable, à preuve si nécessaire la teneur de sa non-réponse, archétype du jésuitisme des mirlitons altoséquanais.
Ah, ah, c'est excellent ! Une réponse à encadrer. Vous connaissez bien le jésuitisme, semble-t-il ; seriez-vous l'un de leurs anciens élèves ?
À quoi sert de me défendre, vous me condamnez par avance ; il n'y avait nulle malice lorsque je demandais à la Beauregard bis, de me préciser ce qu'elle voulait dire. Croyez-vous capable d'une telle astuce rhétorique un pauvre « mirliton altoséquanais » tel que moi ? Au reste, vous me moquez avec la cruauté rieuse d'un ancien des Jés.
Cela dit, et parce que je ne suis pas rancunier, je me réjouis de vous permettre de croiser ici la Beauregard bis (que devient la Beauregard originelle ?).
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