samedi 14 juillet 2012

Chanteur populaire

En mars 2004, Hervé Villard donne une série de concerts au théâtre de Dix Heures, à Pigalle. Dans le même temps, un nouveau disque de lui, « Cris du cœur » fait sensation ; les textes, splendides, et parfois méconnus, sont signés Louis Aragon, Bertolt Brecht, Bernard Dimey, Marguerite Duras, Jacques Prévert… On ne s'attendait pas à cela de la part d'un chanteur « populaire », qu'on vouait aux tournées provinciales voire campagnardes, destinées à un public de mémères à cheveux bleus et de chefs de gare délaissés. Son public ne l'a pas abandonné : par surcroît, il ne fut ni troublé ni même étonné par ce choix de chansons. Au contraire, il lui fit un accueil triomphal. Et il s'augmenta de quelques suiveurs d'opinion. Un mois auparavant, un soir d'hiver, il présentait son nouveau répertoire dans l'amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne ! Concert gratuit et quelque peu confidentiel, qui lui valut une ovation !


Je n'ai pas eu l'occasion de saluer l'arrivée parmi nous, au tableau des abonnés, de Nicolas Raviere, jeune homme bien fait de sa personne, qui fait tanguer les mots à la manière des matelots de Jean Genet. Ce garçon a quelque chose de sulpicien, les clous qu'il s'enfonce dans la chair, les flèches qu'il paraît se (nous) décocher, composent d'étranges figures de martyrs obstinés : 
NICOLAS RAVIERE : Carnets Aviaires
Pour Nicolas, qui ressemble un peu à la Jeanne d'Arc (Renée Falconetti) de Carl Theodor Dreyer, et pour vous toutes et tous, ces fleurs du « mâle », dont la précieuse écriture sert admirablement l'esprit 
féodal, Le Condamné à mort, de Jean Genet :




Rappelons que le scénario du film de Dreyer fut également l'œuvre de Joseph Delteil, styliste sans pareil :
« O petite nébuleuse rose encore prise dans la légère matière, déjà chair et encore éther, amas de vie toute tremblotante dans tes glaires, masse d'hydrogène ivre de condensation, doux grammes de plasma ravis à l'impondérable Substance, structure venue du fond des Siècles, lignes émanées du grand Tout, ô enfant d'homme, ô fleur
de son péché, ô signe de son immortalité !
Oui, corps encore corselet, chair encore incarnadine, enfant encore enfantelette, mais déjà créature pourvue de son noyau, départagée entre l'Esprit et la Matière, accessible de toutes parts à l'Assimilation, âme sanguinolente et déjà femme éternelle, ô Être déjà et déjà Vie !
Hé quoi ! nul encore n'a songé à considérer Jeanne dans sa source de chair ! Nul n'a compris que Jeanne, c'est par excellence l'Enfant, et que l'Enfant, c'est de l'humain à l'état pur ! Hypnotisés par une armure de fer, ils ont omis l'essentiel : l'éclosion simultanée, le parallèle agrandissement de l'âme et du corps dans le moule de la nature. Or, les plus fortes, les plus sûres racines de l'homme plongent dans les mollesveines de bébé.Pour moi, c'est dans ton berceau, Jeanne, qu'il me plait de rechercher les signes de ta vie ; c'est dans ta naturelle enfance que je place le sens et la base et la raison de ta surnaturelle grandeur !


(Joseph Delteil, « Jeanne d'Arc »)

3 commentaires:

Pierre a dit…

C'est un bonheur de lire une page de Delteil. Alors ne boudons notre plaisir et lisons une autre page, puis une autre. C'est toujours drôle, vif, émouvant. Joseph Delteil, dont un écrivain qui vous est cher disait: Chauves, lisez "Choléra", vos cheveux repousseront!"

Patrick Mandon a dit…

Bonjour, Pierre ! En effet, Drieu la Rochelle, dont la calvitie, élégante, fut précoce, aimait beaucoup Delteil. Il faudrait présenter de manière conséquente ce personnage et cet écrivain tout à fait remarquables. Je vais y songer sérieusement. Il faut reconnaître que la « delteillerie »est une affaire complexe. Ce qu'il a pu aimer la langue, cet homme !
Pour ce qui est de ses relations avec Dreyer, les deux hommes ne s'entendaient pas.

Nicolas Raviere a dit…

Bonjour. Je ne sais que dire, je suis flatté par votre présentation (que j'avais manqué, hélas) et de cette improbable association d'Hervé Villard (dont j'ignorais totalement l'aspect présenté dans votre billet) et de Jean Genet (un de mes écrivains favoris), sans compter le clin d'oeil à Jeanne d'Arc. C'est une étrange synthèse qui sonne juste. Voilà qui fait vraiment plaisir.
A bientôt et encore merci !