Il est des nuits où je m’absente
Discrètement, secrètement,
Mon image seule est présente,
Elle a mon front, mes vêtements.
C’est mon sosie dans cette glace,
C’est mon double de cinéma.
À ce reflet qui me remplace,
Tu jurerais que je suis là.
Mais je survole en deltaplane
Les sommets bleus des Pyrénées,
En Andorre la catalane
Je laisse aller ma destinée.
Je foule aux pieds un champ de seigle
Ou bien, peut-être, un champ de blé,
Dans les airs, j’ai croisé des aigles
Et je croyais leur ressembler.
Le vent d’été, parfois, m’entraîne
Trop loin, c’est un risque à courir.
Dans le tumulte des arènes,
Je suis tout ce qui doit mourir,
Je suis la pauvre haridelle
Au ventre ouvert par le taureau,
Je suis le taureau qui chancelle,
Je suis la peur du torero.
Jour de semaine ou bien dimanche,
Tout frissonnant dans le dégel,
Je suis au bord de la mer blanche,
Dans la nuit blanche d’Arkangelsk.
J’interpelle des marins ivres
Autant d’alcool que de sommeil.
Cet éclat blême sur le givre
Est-ce la lune ou le soleil ?
Le jour pâle attriste les meubles,
Et voilà, c’est déjà demain.
Le gel persiste aux yeux aveugles
De mon chien, qui cherche ma main.
Et toi, tu dors dans le silence
Où, sans moi, tu sais recouvrer
Ce calme visage d’enfance
Qui m attendrit, jusqu’à pleurer.
Il est des nuits où je m’absente
Discrètement, secrètement,
Mon image seule est présente,
Elle a mon front, mes vêtements.
C’est mon sosie dans cette glace,
C’est mon double de cinéma.
À ce reflet qui me remplace
Tu jurerais que je suis là.
(Jean Roger Caussimon, Nuit d'absence)
Ce poème de Caussimon me paraît être un fort beau texte, d'une inspiration baudelairienne.
Léo Ferré l'a mis en musique. Son interprétation est tout de même noyée dans les violons, qui pèsent, certes, leur poids de cérémonie mélancolique. Je vous la laisse apprécier et la fait suivre par celle de Jean-Louis Murat, très dénudée, puissante. Je n'ai pas assez souvent vanté les mérites de Murat, personnage courageux et artiste très doué. Il est d'Auvergne, terre de granit et de mystère.
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