samedi 31 mars 2018

Le goût de la rengaine et des cabarets

Avec cela, j'ai toujours eu le goût des cabarets. Ils s'ouvrent sur la chaussée comme des portes dérobées. J'aime leur petite salle, dont seule la scène échappe à l'obscurité, les rideaux cramoisis, le raie de lumière qui fait surgir une suspension de poussière.
Je me souviens d'une chanteuse allemande, qui semblait sortir des ruines de Berlin. Elle n'a pas souri de tout son récital. Elle avait un air d'absence implacable. Je tentai de l'approcher, après le spectacle. Je me glissai dans la coulisse. Un malabar à lunettes noires m'interdit toute progression. Il dit quelque chose, que j'entendis comme une mise en garde, une menace même, dans une langue qui m'était tout à fait étrangère. Dégarni largement, jusqu'au sommet du crâne, il avait rassemblé ce que sa calvitie lui abandonnait encore en une queue de cheval tressée. De dos, cela apportait à sa silhouette un détail d'étrangeté comique. Je n'insistai pas.
Dehors, le froid était vif. J'étais un peu décontenancé par mon échec. D'habitude, je réussissais souvent à me glisser auprès des artistes ; sans m'imposer je trouvais une place naturelle d'admirateur tranquille, parfois même de confident fugace.
Je marchai, j'hésitai, j'errai, je revins sur mes pas, j'entrai enfin dans une brasserie. Elle était là, seule, à une place reculée de cet établissement bruyant, presque dans la pénombre. Son regard fixe ne dévisageait personne, ne s'attardait sur rien. Puis elle me regarda :
- Tu as vieilli, mais je te reconnais. Où as-tu laissé ta jeunesse ?
- Je l'ignore. Je ne lui ai prêté aucune attention, elle s'absentait de plus en plus souvent. Un jour, elle a disparu. Mais vous ? Où donc étiez-vous passée ?
- Peu importe ! J'étais ici, j'étais là.
- Étiez-vous aussi la la la ?
- Assieds-toi, écoute : c'est pour toi !




Sur Ingrid Caven  C'était hier…     La femme du Pigall"s


jeudi 22 mars 2018

Mémoire d'autre-tombe…

D'où venons-nous ?
De nos souvenirs, sans doute ? C'est à dire des souvenirs que nous avons fabriqués, souvent à la hâte, avec ce qui nous tombait sous la main. Nous naissons un peu de nous-même, nous sommes l'enfant de notre fantaisie. L'énergie de mémoire que nous avons accumulée nous autorise à tenir le rôle qui nous fut en partie attribué, et que nous avons modifié, dans la comédie des jours.
Où allons-nous ?
Vers notre mémoire résiduelle, qui nous attend, fidèle, ironique mais sans méchanceté, au coin de la rue, comme une vieille maîtresse, lorsque nous aurons joué notre rôle, et que nous aurons consenti à nous dépouiller de notre manteau de comédie.

Ce sera comme de sortir d'un immeuble et de suivre le flot des passants, dans la rue.














Nous n'aurons plus rien à craindre, nous ne ressemblerons plus au double inventé par notre orgueil et notre crainte de l'ennui : enfin libéré de nous-même, nous retournerons à notre lot commun de banalité.















Allons vers ce qui nous attend avec, en tête, une chanson de Françoise Hardy, celle-ci, par exemple :