mardi 2 avril 2024

Fruits de la Passion

Les Pâques sont venues, les Pâques s'en vont. Elles reviendront. Ce temps pascal a une grande signification pour certains, ne signifie rien pour d'autre. Un homme est mort, quel intérêt ? Il en meurt tant !
Celui-ci s'est donc rendu au royaume des morts, qui n'est pas exactement l'Enfer. Dans l'Antiquité grecque, ce royaume est « gouverné» par le dieu Hadès, lequel, convoitant la splendide Perséphone, l'avait enlevée, emportée dans son monde souterrain. Ce même royaume avait accueilli Thésée, héros impeccable, prisonnier du dieu souterrain (pour cette raison, Hadès et Perséphone sont des divinités dites chthoniennes ; la menace chthonienne, venue d'un terrifiant inframonde, est omniprésente dans l'œuvre de Howard Philipps Lovecraft). Mais, comme d'habitude, je m'égare, je fais le malin, je sème l'ennui : reprenons au début.
Les Pâques sont un héritage direct des Juifs (sur ce que le Nouveau testament doit à l'Ancien, ce joli mot de l'excellent abbé Arthur Mugnier (1853-1944), jésuite pauvre et commensal des tables parisiennes les plus recherchées, avec cela simple et modeste comme un curé de campagne, plein de compassion pour ses frères humains et non dénué d'humour : invité à passer du salon à la salle à manger d'un appartement du faubourg Saint-Germain, il s'efface devant l'un des convives, le Grand Rabbin de France, en lui glissant à l'oreille « Passez le premier, monsieur, vous êtes mon grand-père. » (Abbé Mugnier, Journal, coll. Le Temps retrouvé, Mercure de France). Pessah est la fête religieuse, qui rappelle au peuple juif la fin de son esclavage par sa sortie d'Égypte sous la conduite de Moïse. Les «démélés» de Sigmund Freud avec Moïse -qu'il voit comme un prince égyptien fasciné par la personne du pharaon Akhénaton, lequel est à l'origine d'une profonde réforme du culte religieux puisqu'on a pu y voir la première ébauche du monothéisme- constituent l'un des grands moments de la psychanalyse.
Cependant, pour la Pâques des chrétiens, il est question d'un homme, enfin du Dieu qui s'est fait homme, de son martyr consenti, de sa mort, puis de sa résurrection.
Les Pâques à New York, de Blaise Cendrars.
Ce poème (1ère édition en 1912) est fondamental. Il produit son énergie dans le même temps qu'il la diffuse. Avec sa forme d'écriture, son récit empreint d'une puissante miséricorde et baignée de mélancolie, plein de l'obscurité comme de la lumière du monde réel, Blaise Cendrars a inauguré une centrale assez puissante pour installer l'électricité sur tout le réseau de la poésie française et mondiale. Cendrars, c'est l'électricien en chef. Avec Les Pâques, le grand Blaise donne le récit de la soudaineté des formes, de l'irruption des images, des visages, ces êtres et des choses. C'est un long poème cubiste, le premier du genre. Si le mot « modernité» a un sens, ce texte est le premier poème moderne du XXe siècle. Et tout cela est plein de pitié pour la condition des hommes, qui sont pitoyables, certes, et misérables, et admirables aussi.
Et Dieu dans tout cela ? Dieu est partout dans ces lignes «à haute tension».
(Sur le même sujet, voyez Saint Blaise et http://touslesgaronssappellentpatrick.blogspot.com/2017/04/httpswww.html


Par Serge Reggiani :


Par Serge Reggiani toujours, la suite :



Les Pâques à New York, oratorio de Blaise Mettraux :





On ne peut pas dire de la Passion qu'elle fut une partie de plaisir pour Celui qui en fut le « héros ». Voici, parmi d'autres, le récit, sanglant, violent, de ce long calvaire : Charles Péguy l'a écrit, Pierre Hiegel (père de la comédienne Catherine Hiegel) est le récitant. Ce n'est pas précisément de tout repos, mais c'est à la mesure de l'événement.




Enfin, cette manière, très réussie, de placer le texte de Cendrars dans le rythme et le flux du rap, par Ekoué. Cette version m'avait été signalée, il y a quelque temps déjà, par Mr PM, un jeune homme très doué, qui fréquenta ces lieux.


vendredi 29 mars 2024

Trois fois rien et la chose

-Tu ne dis jamais rien.
-Ça ne me dit rien.
-Ou alors peu de choses, trois fois rien.
-Ça ne me dit pas grand-chose.
-Dis-moi donc quelque chose.
-Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?
-Trop de choses ne sont rien.
-Ce sont les petits riens qui font les choses
-Quelque chose c'est mieux que rien.
-Je pense à autre chose.
-Tu ne manques de rien.
-Je pense à quelque chose.
-Une chose de rien.
-Ce n'est pas rien, la chose.
-Tu veux dire…
-La chose !
-Ah, mais, l'air de rien…
-Je me sens toute chose.
-Plutôt la chose que rien !
-Alors fais-moi la chose, et ne dis plus rien.
-Je suis un bon à rien.
-Tu es bon à la chose !


Tout va mal, c'est bien. Demain, ce sera pire. Il pleuvra, nous irons au cimetière, nous chasserons les cailloux du bout de nos souliers. La pluie fera onduler nos cheveux après qu'ils seront secs. Ils sont blancs, mais c'était le même phénomène quand ils étaient noirs. Enfant, tu aimais les façades grises des immeubles. Quelque chose nous tient par les épaules depuis l'enfance, mais, bien sûr, nous ne verserons pas une larme.
Un grand bain de mélancolie en passant par l'Italie, où mènent tous nos chemins, depuis Léo Ferré jusqu'à Hubert Félix Th.


Hubert-Félix, on vous écoute, on est bien :


Et cette version, à faire pleurer des rivières :





Et celle-ci, par un mâle blanc du sud de l'Italie :





Léo Ferré, d'Italie :


dimanche 24 mars 2024

Grâce suffisante



- Accorde-moi ta grâce amnistiante
- Tu n'es plus dans mes bonnes grâces
- Tu digresses
- Je te dis «grâce !»
- Tu es disgracieux
- Tu me disais gracieux
- Je ne te fais plus grâce.

Le clip réalisé pour cette chanson d'Alain Chamfort n'est pas désagréable, malgré la présence de quelques artistes encombrants. Heureusement, on y découvre chez lui, à Paris, le grand Rezvani.
Ce curieux hiver n'en finit plus de ressembler à un automne manqué, or j'aime l'hiver et plus encore l'automne. J'ai laissé de nombreux automnes derrière moi, et autant d'hivers, en faire l'addition augmenterait le produit de ma soustraction.

Encore ceci, absolument splendide, pour célébrer le froid, pour qu'il règne enfin et que la terre gèle, pour qu'adviennent le givre et la brume.



lundi 1 janvier 2024

Mes (A)vœux 2024 (1) Bon début pour une Apocalypse





































Le Déjeûner d'huîtres (1735); son auteur, Jean-François de Troye(1679-1752), représentait remarquablement les faits d'Histoire et les scènes dites « de genre », avec un beau souci du détail vrai, insolite, banal qui donne un air d'observation amusée, presque savante à l'ensemble représenté. Dans ce « déjeuner », on voit des gentilshommes attablés, heureux de se retrouver dans une ambiance de réjouissance élégante. La table est superbement dressée, le lieu est splendide, d'un baroque mesuré, sans être, semble-t-il, par destination une salle à manger (un pavillonn de chasse ?). Voilà pour l'impresson générale. Mais voici quelques détails, qui ne manquent pas d'intérêt.

1) Le saut du bouchon :
Suivez le regard de trois des personnages : ils lèvent les yeux vers… le bouchon qui, venant de jaillir d'une bouteille de champagne (ventrue), s'élève dans les airs. Trouvez le bouchon, il conduit à la bouteille !






































2) Huîtres pour quelques-uns et champagne pour les mêmes :
Au pied d'un convive, un valet ouvre les huîtres destinées au jeune homme qui l'observe. Le gracieux petit meuble de style Louis XV nommé rafraîchissoir contient des assiettes en argent et deux bouteilles de champagne, qui espèrent qu'une main secourable les sortira de leur bain de glaçons, et leur feront connaître, enfin, la volupté d'être bues. Le transport des huîtres par ceux qu'on nommait chasse-marée (Littré recommande cette orthographe au pluriel) jusqu'à Paris, Lyon, Grenoble, enfin vers les villes les plus éloignées de leurs élevages, devait absolument s'accomplir dans les plus brefs délais. Nombre d'ânes et de chevaux mouraient d'épuisement. On notera l'absence de femmes. Serait-ce parce qu'il s'agirait d'une scène de retour de chasse ? Les femmes chassaient rarement, à l'exception de l'admirable princesse Palatine qui suivait son idole, Louis XIV, dans toutes les chasses où il acceptait sa présence.

























Note : Pour contempler ce Déjeuner d'huîtres, on ira au château de Chantilly, dans le beau musée de Condé. Il faut absolument faire ce voyage si l'on veut, ensuite, attendre paisiblement la fin du monde. La beauté est sans doute une illusion, mais enfin il est des lieux, en France (et, par exemple, en Italie) qui nous autorisent à croire que cette illusion est éblouissante.
J'adresse à tous ceux qui passent encore ici et s'y attardent mes vœux d'espérance mesurée, de bonheur partagé autour d'un repas fin ou d'un pot-au-feu bourgeois, dans une modeste cuisine ou dans un palais de marbre.

dimanche 24 décembre 2023

Ça sent le sapin ! Dernier Noël avant la Troisième Guerre Mondiale ?











À ceux qui passent encore ici, je souhaite un joyeux Noël.


Montage photographique : PM

vendredi 1 décembre 2023

Projection


























- Vous m'avez fait peur, qui êtes-vous ?
- Je ne suis personne, mais j'étais à quelqu'un.
- Mais encore…
- J'étais sa compagne silencieuse, d'une fidélité à toute épreuve.
- Une sorte d'esclave, voulez-vous dire ?
- Je lui étais soumise,certes.
- Pourquoi vous mettez-vous au féminin, vous semblez être un homme, votre voix est grave.
- J'appartenais à un homme, en effet. Je l'ai adopté dès qu'il est sorti des entrailles de sa mère, et je ne l'ai plus quitté, jusqu'à ce jour funeste où il m'a congédiée.
- Un valet ? Un homme de main ?
- Ni l'un ni l'autre.
- Écoutez, je ne comprends rien à votre affaire.
- Laissez-moi vous expliquer. J'étais une sorte de doublure, le tracé exact d'un homme, une forme animée, pleine et sombre.
- ?
- J'étais toujours présente, mais je n'apparaissais que sous certaines conditions.
- Quand il vous appelait ?
- Je ne dépendais pas de sa seule volonté, mais aussi de la lumière et de sa position par rapport à la source de cette lumière.
- Quoi ! Vous seriez…
- Je suis…
- Une ombre !
- Son ombre.
- Mais, je ne vois personne alentour ; une ombre n'existe que par la personne qu'elle projette.
- C'est aussi ce que je pensais.
- Allons-donc, vous êtes obligatoirement suscitée par qulqu'un. Mais… C'est vrai, il n'y a personne. Oh, il y a un truc derrière tout cela : ce que je vois est produit par un appareil dissimulé quelque part.
- Cherchez, vous ne trouverez rien. Je suis son ombre, vous dis-je. (à suivre)




Note : Notre ami René Claude, épatant genthilomme suisse qui possède un goût très sûr et gouverne le blog https://pour15minutesdamour.blogspot.com/ indispensable à la survie en milieu durablement hostile, m'a révélé l'existence de cette jeune femme, qui interprète ci-dessus le Concerto pour violon et orchestre de ludvig van …. Ce fut un choc adorable, une découverte dont je le remercie vivement (Voyez nos échanges dans les commentaires de l'article précédent).

mercredi 12 juillet 2023

Subjonctivité




















-Ta beauté est atrocement mélancolique
-Ne me prends pas en photo !
-Comment veux-tu que je te prenne ?
-Je ne veux pas être prise !
-Tu ne dis pas toujours cela.
-Imbécile !
-Ton beau visage voilée de tristesse…
-Niaiserie ! Et cesse de tourner autour de moi avec ton téléphone portable !
-Je lis mes messages.
-Menteur ! Tu cherches à me photographier à mon insu.
-À te prendre par derrière en quelque sorte.
-Goujat !
-Te souviens-tu ?
-J'ai perdu la mémoire.
-J'avais mis mes pas dans les tiens.
-J'aurais dû marcher plus vite.
-Au contraire, tu as ralenti.
-Je ne comprenais pas ce que tu cherchais.
-Nous avions parlé toute la soirée.
-Tu ne m'avais pas semblé stupide.
-Je t'avais trouvée intelligente.
-Mais arrogant.
-Et mélancolique.
-Tu m'avais irritée.
-Tu m'avais séduit
-Je ne voulais rien.
-Dis plutôt que tu ne savais pas ce que tu voulais.
-Ce n'est pas vrai.
-Tu ne savais pas qui tu voulais.
-Ce n'est pas faux.
-Je te cherchais.
-Je me fuyais.
-Je t'ai trouvée.
-Je t'ai giflé.
-Tu m'a tendu tes lèvres.
-Pour me faire pardonner.
-Et je t'ai embrassée.
-Et je t'ai pardonné.
-Tu as caressé ma joue…
-Et ton cou.
-Avec suspicion !
-Je craignais que tu muasses.
-Tu me croyais serpent ?
-J'en étais tentée.
-Je n'espérais pas que tu te lassasses.
-C'est maintenant que je m'en lasse.
-Mais tu veux toujours que je t'enlace !
-Prends-moi donc dans tes bras.
-Bref, je t'ai suivie.
-Si j'avais su !
-Tu aurais pressé mon pas.
-Peut-être…
-Alors, comme au commencement…
-En amour, le début est toujours bien.
-Comme au commencement, disais-je…
-Donnons-nous une fin.
-J'ai bien trop d'appétit.
-J'ai grand faim moi aussi.
-Alors,comme au commencement…
-Ne dis rien, hâte-toi!
-Tu me vois haletant.
-Hâte-toi lentement.

-Et ton portrait ?
-Rends-moi floue.
-Tu me rends fou.


Un peu de beauté mélancolique et européenne en attendant les barbares :