mercredi 13 juillet 2011

Gabrielle et Georges





























































Georges Pompidou était un homme très raffiné, un dilettante, avec cela ombrageux, autoritaire, volontiers cassant, et le plus aimable des promeneurs. Il connaissait les poèmes les plus rares de langue française, et pouvait reprendre le ministre des finances, Valéry Giscard d'Estaing, lorsque ce dernier commettait une erreur dans une addition. À l'époque où cela avait encore un sens, il soutenait l'art contemporain.
Alors qu'il était président de la République, une jeune femme nommée Gabrielle Russier, professeur, amoureuse de l'un de ses élèves, fut accusée de détournement de mineur et condamnée. Elle se suicida. L'affaire fit grand bruit.
Le 10 juillet 1969, fraîchement élu président, Georges Pompidou tient sa première conférence de presse. Un excellent journaliste, Jean-Michel Royer, l'interroge sur ce terrible drame. Pompidou reste coi pendant un long moment, puis répond sobrement :
« Je ne vous dirai pas tout ce que j'ai pensé sur cette affaire. Ni même d'ailleurs ce que j'ai fait. Quant à ce que j'ai ressenti, comme beaucoup, eh bien :
Comprenne qui voudra !
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d'enfant perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.

C'est de l'Éluard. Mesdames et Messieurs, je vous remercie ! »

Or, ce poème, Éluard l'avait écrit dans la tourmente de la Libération, pour dire son dégoût des procédés odieux, que les héros « empinardés » de la dernière heure, cocufiés par leurs femmes avec les vainqueurs, faisaient subir aux infortunées « collaboratrices horizontales ».

La dernière année de sa vie fut une manière d'agonie publique. Il souffrit en silence, montrant un visage et un corps soufflés par l'action de la cortisone. Il n'aimait que la compagnie des artistes et des écrivains.


Photographies PM : Statue de Georges Pompidou, par Louis Derbré, avenue Gabriel, à un jet de marbre du parc de l'Élysée, Paris, VIIIe arrondissement.

7 commentaires:

Nuagesneuf a dit…

Très beau texte et hommage appuyé à un homme d'une génération dont peu se souviennent. A toutes fins utiles, voici le lien vers le site de l'Ina qui permet de voir cette scène in extenso :
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I00006240/pompidou-cite-eluard.fr.html

N'eut-il pas les meilleurs maîtres de l'époque ? Le Général d'un coté, les Rothschild de l'autre.

Quant au poème de Paul Eluard, extrait du recueil "Au Rendez-vous Allemand", j'ai prévu de publier l'entièreté fin août, dnas le cadre de billets sur la libération de Paris.

Amitiés et encore bravo pour cette brillante évocation

Anonyme a dit…

La France pompidolienne, des films de Claude Sautet, des dialogues de Jean-Loup Dabadie sur une musique de Philippe Sarde. Il y a cent ans, il y a mille ans.

Patrick Mandon a dit…

Oui, Nadia, les années Pompidou sont si éloignées qu'elles semblent suscitées par un autre pays que la France. Mon état d'esprit, alors, était tout entier fondé sur la « révolte », et je me souviens de mes sarcasmes contre l'image dégradée de cet homme enflé, au pas hésitant, harassé. Je me rappelle l'avoir vu sortir d'une automobile officielle venant de l'Élysée, devant son domicile privé, un bel appartement d'esthète dans le quartier bohème de l'Île-Saint-Louis. Ses yeux disparaissaient presque sous les chairs de son visage bouffi, et ne figuraient plus que deux traits horizontaux. Il parvint à grand peine à s'extraire du véhicule, puis il fit quelques pas, qui parurent lui coûter une immense fatigue.
Les gaullistes ont considéré qu'il avait trahi le Général, en déclarant, le 17 janvier 1969, alors qu'il se trouve à Rome, en réponse à une question du correspondant de l'AFP : « Si le Général de Gaulle venait à se retirer, je me porterais candidat à sa succession. […] Ce n'est, je crois, un mystère pour personne […] mais je ne suis pas du tout pressé. ».
Il avait subi une terrible attaque contre sa vie privée, dont il crut jusqu'au bout qu'elle était menée par une officine gaulliste. Des photographies circulaient, évidemment truquées. Son nom fut accolé à celui d'Alain Delon, lors de l'affaire de l'assassinat du garde du corps de ce dernier, un certain Markovic. Les mœurs politiques de cette époque n'étaient pas plus pures, ni plus tendres que celles d'aujourd'hui.
Il y aurait encore des choses à dire, à propos de Pompidou. Par exemple, ceci : petit-fils d'un paysan, fils d'un instituteur devenu professeur, il fut un normalien très doué, si doué même, qu'il donnait l'impression de travailler très peu. Or, ce petit-fils de paysan devint président de la République ! En ce temps-là, l'ascenseur social fonctionnait parfaitement.
Pendant la guerre, il n'avait point montré d'héroïsme, mais ne s'était pas compromis. Il refusa la médaille de la Résistance, qu'on voulait lui attribuer. Au final, cet homme fut très honorable.
Mais alors, il a contribué à massacrer Paris, ma ville ! Je lui reproche surtout la destruction des anciennes Halles, et l'aménagement de tout le quartier dit de l'Horloge. Une catastrophe !
Bon, je ne sais si vous lirez mon pensum interminable ; si cela se produit, ami ou ennemi, qui que vous soyez, je vous salue !

Patrick Mandon a dit…

Nadia, encore ceci : votre dernier portrait photographique est l'exact reflet de votre beauté roumaine, si brune et si piquante. Elle est augmentée d'un regard interrogateur, qui semble pouvoir soutenir toutes les malveillances comme tous les hommages.
Quant à moi, c'est avec plaisir et empressement que je vous présente mes hommages.

Euréka a dit…

Cher Patrick

Mon arrière-grand oncle, mort à 101 en 1981, a voulu voir Beaubourg. Mon père a fait le chauffeur. Mon arrière-grand oncle et mon père en sont arrivés à la conclusion que c'était affreux et mon père d'ajouter, il faut le démolir. Alors d'une petite voix sentencieuse, mon arrière-grand oncle a répondu : on voulait bien détruire la Tour Eiffel. Si c'était fait maintenant on manifesterait pour qu'elle reste et pourtant elle n'est pas tellement mieux que ce Beaubourg.
Bon été à tous et toutes.
Une fan pressée.

Patrick Mandon a dit…

Chère Euréka,
Votre grand-père avait sans doute raison pour le centre d'art Beaubourg, auquel je ne suis pas hostile. En revanche, j'ai regretté la disparition des Halles, dont on pouvait faire quelque chose, et, surtout, la destruction du quartier, ainsi de son aménagement et de sa reconstruction. Cette opération urbaine est un ratage absolu.
Je vous salue, Eurékà !

Anonyme a dit…

Mon cher Patrick, la photo n'est guère souriante, c'est que je n'étais pas d'humeur badine !
Sinon vous savez à quel point les malveillances glissent sur moi comme l'eau sur les plumes de l'aigrette du Delta, tant que certains témoignages d'amitié vive, dont le vôtre, me parviennent...