dimanche 8 juillet 2012

La soirée du paradoxe


Offenbach - La Valse de Paris - Fortunio par RioBravo

Vendredi, soirée délicieuse dans la compagnie de quelques esprits très vifs, dont j'étais le moins brillant. La conversation, collective d'abord, au restaurant, s'est poursuivie, très tard dans les rues de Paris, et s'est achevée entre trois personnes, fort différentes par leurs origines, leur âge, leurs goûts. Nous étions trois, donc, dans la nuit parisienne. Avant de quitter mes compagnons, j'ai tenté, sans doute maladroitement, d'expliquer ce qui, à mon sens, fondait le « sentiment » français. J'ai développé l'idée du paradoxe, un paradoxe constitutif de l'« appartenance », qui autorise les êtres à se reconnaître français, quelles que soient les nuances et même, et surtout, les fractures qui ont bouleversé ce pays. J'ai pris pour exemple de ce paradoxe l'image des jésuites et de leur enseignement : lorsqu'on entre chez les jésuites, ces derniers vous avertissent qu'ils vous enseigneront tout à la fois, et dans le même élan, les moyens de croire en Dieu et les manières de le réfuter. Le paradoxe, ici, c'est le risque majeur de perdre la foi, mais d'avancer malgré tout dans la connaissance. Je me rappelle également avoir affirmé que la France était un pays « sexy » (avec le recul, je trouve cela faible et prosaïque, mais, dans le feu de la conversation, ce mot n'a paru ni stupide ni « court »). Or, ce qui le rend sexy, tentais-je d'expliquer, c'est précisément le goût pour les oppositions, pour les complications de l'esprit, pour ses constructions fragiles, et pour l'audacieuse architecture qui les maintient dans un équilibre précaire, émouvant. Le paradoxe français assume, sur le mode d'une fantaisie parfois insupportable, ses échecs et ses trahisons « nationales ». Si ce pays perd son paradoxe, il se perd. De la France, il faut tout dire, tout prendre et, finalement, consentir à la transfiguration à laquelle elle nous invite. Le sentiment français relève du principe de séduction accepté et « objectif ». On ne peut pas jouir de ceci et rejeter cela, et le tout ne forme pas un « bloc identitaire  », mais une pièce d'identité, dont l'avers est avenant, le revers, déplaisant, et vice-versa ! Les français ont toujours joué à pile ou face.
Fondamentalement, nous n'avons aucune disposition pour l'accablement durable, ni, bien sûr, pour la culpabilité. La France est « innocente », enfin, elle l'était ; elle faisait le mal par inadvertance, voire par coquetterie négligente. Au final, elle demeurait sexy…
Je ne sais si cela est très clair ; j'y reviendrai.
Pour illustrer ce billet un peu ennuyeux, la grâce d'Yvonne Printemps, qui interprète devant l'homme de sa vie, Pierre Fresnay (ici en Jacques Offenbach), un poème d'Alfred de Musset. Offenbach, qui est à lui seul l'esprit de Paris, sa gaité entraînante,  revenait de son théâtre, pourtant plein chaque soir, et qui lui assurait des triomphes, la tête basse et souvent accablé. Cet homme si doué, si aimable, était neurasthénique ! Paradoxe parisien !
De Musset, que j'aime infiniment, ses contemporaines plus graves se lassèrent rapidement. Les romantiques « sérieux » le trouvaient superficiel. Il n'ouvrait pas, comme Hugo, des abîmes sous ses pas, mais il perça comme nul autre le mystère douloureux de l'amour.

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