vendredi 25 décembre 2015

Laïc et nunc

Il n'y a pas, dans notre calendrier, de « fêtes de fin d'année ». Il y a Noël et Nouvel an. Mes contemporains usent de l'expression « fêtes de fin d'année » pour rassembler ces deux moments dans une unité temporelle parfaitement neutre, qui témoigne d'un langage plus qu'intimidé : servile. Une société lisse, « surveillée et punie » par les esprits forts de la laïcité démocratique, sociale et obligatoire, ne saurait fêter Noël. Je m'exclus des rites, des parades, des formules et de l'épouvante du vivre-ensemble indéterminé, je ris du ridicule accompli que jouent sur une scène branlante, devant une salle désertée, les nouveaux pudibonds.
Et je souhaite à tous ceux qui passeront par ici un heureux Noël.


vendredi 27 novembre 2015

L'homme égaré

« Tu ne sais pas comme est bien ma mort, par une nuit superbe, ma fenêtre grande ouverte sur Paris... » (Dernière lettre de Pierre Drieu la Rochelle à Victoria Ocampo). 
Drieu se suicide le 15 mars 1945. Victoria et Pierre se sont rencontrés au mois d'avril 1929, à Paris, chez Isabel Dato. Sa présence raffinée et sa mise élégante la séduisent, son « éloignement », la distance qui s'établit naturellement entre les autres et lui, tout cela l'intrigue. Il moque son « pull-over de déménageur », elle lui répond que c'est un tailleur de Chanel. Ils deviennent amants. Il tournera mal, il finira mal, ou peut-être apaisé. Elle lui conserva bien au-delà de la mort, un tendre intérêt. Il aura employé le temps que lui laissait la tentation de l'ennui à se rendre odieux. Il n'y parviendra pas. Ses rares amis lui témoignèrent une affection, qui ne se démentit jamais. Plus que tout, sans doute, il aima la solitude et l'égarement dans les songes : il fut un inlassable arpenteur de Paris, nuit et jour.



Et cette chanson, que je replace ici, inspirée à Daniel Darc par Drieu la Rochelle : 



Sur Drieu et sur la Ocampo : La belle argentine et l'homme perdu, L'amour aux enchères, Fin de partie 2 – Avec amitié, 

Tanya from Russia, America and Paris

Le choix d'un frère

Et l'argent de mes cheveux…

L'autre Keyserling

Mensonge d'automne

Bruissement

Drieu via Visconti, Joël H. via Guidoni 


dimanche 22 novembre 2015

Dernier sanglot à Paris

Cela se passait au petit matin du 14 novembre. Une brise fraîche traversait le pont de Bir-Hakeim, que j'empruntais alors, pour rejoindre un appartement situé sur la rive droite du fleuve. Devant moi, marchait un homme de taille moyenne, habillé d'un superbe manteau de cachemire. Je voyais son dos massif et ses cheveux, un peu clairsemés, qui voletaient sous l'effet de l'air. Il avançait lentement, s'arrêtait, semblait hésiter, en proie à une interrogation qui le navrait. Il fit halte, porta ses mains à son visage, en levant les yeux au ciel, dans une posture qui voulait interrompre ou assourdir le fracas qui l'habitait.

















Méfiant mais pressé, je mis quelque distance entre lui et moi avant de le dépasser, puis je me retournai : je fus d'abord frappé par la beauté de son visage, par l'arête brisée de son nez aquilin, ses pommettes hautes, la profondeur de son regard, le dessin blessé de ses lèvres. Il semblait entre deux âges, à ce moment précis où un homme paraît convoquer sa force et son expérience dans l'espoir de différer le moment de son déclin. Et toute sa physionomie révélait un profond désarroi, sentiment qui m'est désormais familier. Je fis alors trois pas vers lui et osai l'aborder. Tout d'abord, il ne me prêta nulle attention ; enfin, il me dévisagea, esquissa un sourire, et dit ceci : « Il a fallu que je revienne à Paris pour voir cela, après tant d'années d'errance ! ». Je l'interrogeai, voulant connaître ce qu'il avait vu : « Quoi, vous n'êtes pas au courant ? Paris à feu et à sang, des morts et des blessés sur les trottoirs, la douleur, l'agonie, la peur. Mais où étiez-vous donc ? ». Je lui dis la vérité : je me trouvais avec une femme, que je venais de quitter, je regagnais le studio que je louais depuis peu. La marche du monde m'indiffère, et je ne dois fidélité qu'à ma mélancolie. Il posa son bras sur mon épaule, dans un geste d'acquiescement, et me fit le récit complet des événements tragiques, survenus dans la soirée du 13. Il passait devant la terrasse d'un café, lorsqu'une fusillade avait éclaté, puis une autre, et une autre encore, plus loin.
Nous arrivions devant mon immeuble, je l'entraînai derrière moi.






















J'éprouvai plus qu'un vif intérêt pour le mystère de ce personnage bouleversé, je subissais son envoûtement. Il m'évoquait quelqu'un, que je croyais connaître, et que je ne pus identifier. Quand il fut chez moi, il laissa libre cours à son chagrin, et fondit en larmes. Je voyais, par son récit, les corps mutilés, les crânes éclatés, les poitrines rouges de sang, l'effroi soudain sur ma ville.











 



Il pleurait. La ville, dehors, était silencieuse, comme interrompue, hésitant à reprendre son rythme habituel. Il observait de temps à autre les objets et les meubles précieux, qui me restaient du naufrage financier, que j'avais subi deux ans auparavant. J'habite une sorte de vaste cellule monacale aux murs ocres. C'est là que je me tiens la plupart du temps, immobile, le regard fixe, perdu dans la contemplation abstraite et délicieuse de mon ensevelissement. Sans me regarder, il murmura : « Tu es bien ici, tu peux attendre la fin du monde. Elle arrive. J'ai vu hier son avant-garde. Il est vain de vouloir lui échapper. D'ailleurs, elle a commencé bien avant. Elle était dans la défaite de la pensée, dans le triomphe de la nouvelle bourgeoisie, odieuse, grossière, avide, dans le vocabulaire d'épouvante molle, en usage chez ses prédateurs les plus éminents. Les tueurs d'hier et leurs successeurs achèvent dans le bruit et la fureur la besogne d'anéantissement élaborée par les maîtres de la loi globale.
« Tu es vraiment bien dans cet appartement. J'ai perdu le souvenir des chansons que ma mère me chantait, mais je la revois dans une robe d'été, que le vent soulève, découvrant ses cuisses pleines, Et toi, qu'as-tu fait de ta jeunesse ? ». Sa voix se perdit dans une suite de sanglots syncopés. Qu'en avais-je fait, de cette jeunesse nerveuse et inquiète ? Rien ! Je n'avais pas transformé l'essai. Je ne consentais qu'au temps de mon enfance de m'envahir par ondes successives, qui m'éloignaient un peu plus du centre de mon émotion.
J'allai dans la salle de bain. Lorsque j'en sortis, il n'était plus dans la pièce. Son manteau de cachemire avait disparu. Or, la porte était fermée de l'intérieur !
J'avais conversé avec le fantôme du Pont de Bir-Hakeim.


On retrouvera le fantôme ici et là :

Retour sur le pont, Le fantôme du métro aérien 1 , Le fantôme du métro aérien 2, Le fantôme du métro aérien 3, L'enfance, notre passager clandestin, Le principe de fascination,  L'indésirable 2, Brandobsession (Brando's session), Marlon B, for Lady Tanya, and for all Tous les garçons' ladies

 


samedi 17 octobre 2015

Sous l'empire de Bardot
























Il ne se regardait pas dans les miroirs, elle lui révéla son vrai pouvoir de séduction. Après elle, il fut en quelque sorte débarbouillé, alors il devint beau. Car il acquit avec l'âge une étrange beauté. Le monde entier la désirait, elle défiait les séducteurs, se jouait des play-boys, s'offrait, comme autant de friandises, la chair aimable des jolis minets « sixties ». Il vint à elle timide et « habité d'une folle supériorité » (Bardot dixit). Elle l'a vraiment aimé, il l'a adoré. Ils se retrouvaient chez elle, avenue Paul Doumer (« au Doumer » comme elle dit). Elle était mariée, mais ne suivait que les conseils de son cœur : « trois mois sans ombre, sans nuage, quatre-vingt-dix jours d'amour fou » (Bardot dixit).
Bardot-Gainsbourg, c'est la France dans la mire, dans les mirettes des nations soumises et consentantes.
BB, ce fut l'empire, puis la lente décomposition de l'empire. Bardot a incarné la perfection de l'insolence française, de l'élégante désinvolture française, de l'audace française. Ce qu'elle fit en son temps, seule, ce qu'elle improvisa toujours avec grâce, ce qu'elle refusa au monde réel, rien de cela n'a d'équivalent aujourd'hui.
Hier, nous avions Bardot, aujourd'hui, nous avons Julie Gayet.

Le document illustrant cet article est une photographie de plateau (DR), alors que BB, coiffée d'une perruque brune, et Gainsbourg enregistraient la chanson Comic strip, sous la direction de François Reichenbach pour Brigitte Bardot show, diffusé le 1er janvier 1968.



Sur Bardot : Faites la moue,  Un « Grello » qui tintinnabule, une tartine qui dégouline, Bardot et ses « frères », Les désirables, Une vitrine pour ma cousine, L'indésirable 3Un brun Olivier

Sur Gunter Sachs (marié à Bardot quand Gainsbourg…) Fin de partie - 11 -

Sur Gainsbourg : Denise, Vous dansez, mademoiselle ?, Dans la peau de Serge,, Les bijoux de Lulu
Le bœuf sous un toit, Et Dieu dans tout ça ? Le beau Serge s'accorde à l'accordéon, L'art de s'étendre Serge en automne, Madame Lulu

jeudi 15 octobre 2015

Mensonge d'automne

 - (Alain) Je ne veux pas vieillir.
- (Dubourg) Tu regrettes ta jeunesse comme si tu l'avais bien remplie.
- (Alain) C'était une promesse et aussi un mensonge. C'était moi, le menteur.
 Pierre Drieu la Rochelle, Le Feu follet

 - Toi non plus, tu ne veux pas vieillir.
 - Je ne voulais pas, mais trop tard !
 - Il n'est jamais trop tard pour vieillir, et puis tu as encore de beaux jours devant toi.
 - Seulement lorsque tu te mets devant moi.
 - À ce propos, je m'en vais.
 - Tu es déjà partie et…
 - … revenue, je sais. mais cette fois-ci, je ne reviendrai pas.
 - Tu ressembles à une fille heureuse qui porte des lunettes noires.






















  - Je ne suis pas heureuse, mais je porte des lunettes noires. Je ne suis pas heureuse de te quitter, mais demain, je serai soulagée. Hier, je portais des lunettes noires pour mettre un écran entre ton mensonge et moi. Demain, derrière mes lunettes noires, je chercherai un autre mensonge.
 - Tu m'a dit un jour que je mentais mieux que les autres.
 - Je t'ai menti.
 - Alors, c'est fini ?
 - C'est fini ! Tu as fini de m'enchanter.
 - Alors, finissons en chanson. C'est l'histoire d'un type, qui entend le murmure du vent et voit les étoiles tomber telles des larmes : « Ta chérie ne seras plus jamais à tes côtés. C'est fini ! ».



- Bon, je pars ! Soigne ton chagrin, il guérira vite. Et tu m'oublieras.
- Il est encore un peu tôt pour le savoir…




 Sur Roy Orbinson, on lira Le roi Roy, Le roi Roy 2
Sur une rupture fameuse, on lira  La nuit 4 et toutes les nuits de la rubrique A man and his music


mercredi 16 septembre 2015

La vie passera comme un rêve



Quelques minutes d'un rêve français, de grâce française, de bonheur français, d'illusion française. Encore un instant, monsieur le bourreau, et vous pourrez faire votre œuvre…

dimanche 14 juin 2015

Un grand résistant

Christophe Girard, homme de conviction
Qui connaît Christophe Girard ? Les parisiens, assurément, puisqu'il fut adjoint à la culture de Bertrand Delanoé, et qu'il est maire du IVe arrondissement. Naguère, il sut, dans un récit sensible, trouver les mots pour évoquer un drame intime, le suicide de sa mère, peut-être accablée d'une mélancolie inconsolable. Sa réussite sociale est exemplaire : elle l'a conduit vers les honneurs de la cléricature municipale, ainsi qu'au sommet de la maroquinerie de luxe (1). Au reste, quand il se contemple, on croirait qu'il se tient à la base d'une pyramide. On dit que cet édile maroquinier voulait être ambassadeur. Il l'est assurément devenu… de lui-même. C'est un homme influent dans le monde de l'art contemporain, et un esprit « avancé ». Il s'avance d'ailleurs souvent. Parfois, il recule. 
Il s'était avancé très loin, lorsqu'il avait plus que suggéré que le théâtre de la Gaîté-Lyrique, alors en piteux état, abritât une bibliothèque, dont une part serait affectée à des œuvres et des documents « gays et lesbiens, comme à San Francisco ». Ce projet souleva l'approbation des mêmes, et l'interrogation des autres : qu'allait-on placer dans les rayons ? Et pourquoi instituer un lieu de lecture public strictement orienté, au risque d'en faire une place forte, exclusivement fréquentée par une communauté sexuelle ? Il y avait là quelque chose d'inquiétant. Il était (il demeure ?) certes délicat, voire impossible, à un jeune homme d'avouer son homosexualité à sa famille ; il apprenait tôt à jouer la comédie des apparences, et à taire son attirance. Mais, plus généreusement qu'ailleurs, la belle contribution au rayonnement de notre pays des nombreuses personnalités homosexuelles a toujours été reconnue. Cependant, les temps ont changé. Il s'agit désormais de crier haut et fort ses racines, ses origines, ses particularités. On est d'une ethnie, d'un genre, d'une coterie, d'une tribu, comme d'un club. La France a perdu, les lobbies ont gagné. Les guichets sont ouverts, les plaignants s'y précipitent.
Nous étions en 2001. L'initiative de Christophe Girard s'inscrivait dans le grand mouvement de fracture de la nation française, qui devait réaliser son émiettement en micro-sociétés soutenant des mémoires et des intérêts divers et variés. Or, son projet de « Gayté »-Lyrique souleva un tollé, même à gauche : M. Girard recula.
Récemment, il a manqué une occasion de rompre avec la langue des maîtres, dont il use abondemment, et avec le suivisme d'opinion, qu'il incarne jusqu'à la caricature. 
Voici l'affaire : en mai 2013, meurt Henri Dutilleux compositeur célébré dans le monde entier sauf en France (2). Le pouvoir socialiste, qui sort son 49, 3 dès qu'il entend le mot culture, si prompt à s'émouvoir des malheurs de sophistes, ne lui rend aucun hommage. Au mois de novembre, Jean-Pierre Plonquet, candidat UDI aux élections municipales dans le IVe arrondissement, demande qu'une plaque soit posée sur la façade de l'immeuble, 12 rue Saint-Louis-en-l'Ile, où logeait le musicien. Christophe Girard, lui aussi candidat, opposé à M. Plonquet, apporte son soutien à cette proposition. Le Comité d'histoire de la ville de Paris est alors saisi, comme il se doit.
En juillet 2014, ce comité fait connaître son avis favorable, accompagné d'une précision biographique : « Henri Dutilleux, alors qu'il était chef de chant de l'Opéra de Paris, a composé la musique du film de propagande Forces sur le stade (1942) ». Cette œuvre impérissable invitait les français à pratiquer un sport, conformément aux vœux du maréchal Pétain. Le même comité précisait qu'il s'agissait, à sa connaissance, du seul exemple d'« implication de Henri Dutilleux dans une politique active de collaboration ». Et pour cause : on apprit qu'il avait adhéré dès 1942 au Front national des musiciens, mouvement de résistance à l'ennemi, mais encore d'assistance aux compositeurs persécutés par les nazis, et qu'il avait, par surcroît, composé clandestinement la musique de La Geôle, poème que Jean Cassou, personnalité irréprochable de cette sombre période, imagina dans sa cellule en 1943, alors qu'il ne disposait ni de papier ni de crayon !
Que décida, finalement, le maire du IVe arrondissement, qui s'était pourtant avancé ? Avec l'appui de Karen Taïeb, conseillère, et celui de la mairie de Paris, il jugea qu'il était urgent d'attendre. Il évoqua le contexte « marqué par les attentats de janvier et la commémoration de l'anniversaire de la libération des camps de concentration d'Auschwitz et Birkenau […] J'avais souhaité qu'on apaise tout et qu'on laisse passer un peu le temps dans l'émotion actuelle […] On mettra la plaque, mais le temps n'est pas opportun […] entre les manifestations, le plan Vigipirate, le mémorial de la Shoah qui est sous surveillance dans l'arrondissement, il n'est pas question d'avoir des manifestations devant la rue d'Henri Dutilleux contre la pose d'une plaque, ce serait d'une violence inouïe, donc Anne Hidalgo et son cabinet m'ont réitéré que ça n'était pas opportun pour le moment, lorsque j'ai posé la question. ». 

Christophe Girard, une fois de plus, s'était avancé. Puis il a reculé. Il s'agissait simplement de rendre hommage à un artiste remarquable, parfaitement honorable, et l'on a convoqué Pétain, Auschwitz, la collaboration, les frères Kouachi, Coulibaly ! 
Si l'on voulait peindre le conformisme de M. Girard, il faudrait le voir en buste, car, en pied, on aurait le vertige ! 

Ci-dessous : M. Girard offrant son propre portrait à la contemplation de ses contemporains










1) Il était encore récemment directeur de la stratégie mode du groupe LVMH
2) L'auteur de ces lignes admirant l'œuvre de Dutilleux, manque d'objectivité. Mme Filipetti, alors ministre de la culture, et un certain Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris chargé de la culture, étaient présents aux obsèques de Georges Moustaki, mais absents à celles de Henri Dutilleux, le même jour. Les socialistes de pouvoir honorent et ignorent à la manière des petits bourgeois flaubertiens.