dimanche 13 septembre 2009

L'hypocondriaque de Meudon 1













À propos de Pol Vendromme, ce qu'il fallait comprendre, et que j'ai mal exprimé, c'est qu'au-delà de leurs choix politiques, des individus avaient fait le choix, essentiel celui-là, de la littérature. Toute leur vie avait été en quelque sorte «modifiée» par ce «vice impuni», orientée par cette passion souveraine qui les engageait totalement. Certains en ont épicé la saveur par des préférences «politiques», qui étaient aussi, parfois, des positions esthétiques. À présent que le continent littéraire se sépare lentement de notre monde et s'en éloigne irrésistiblement, il est bon de rappeler qu'il fut si majestueusement peuplé.
Voici, en complément de notre conversation autour de Céline, deux extraits. Le premier vient de son entretien avec André Parinaud, pour l'émission Voyons voir (1ère chaîne, ORTF, 4 juillet 1958).
Il y apparaît plus roué que jamais, l'hypocondriaque de Meudon. Retour d'exil, il se présente volontiers comme la première grande victime des hommes de son temps. Pourtant, il a tant œuvré pour leur bien, il a même tenté de leur épargner la calamité de la guerre ! Pour le reste, il «fait de la littérature pour gagner sa vie», il est un artisan, qui travaille «sur son établi». Il prend un air lamentable, des plus humbles, mais, au final, il se décrète le meilleur de tous, après avoir qualifié d'insignifiants presque tous ses «confrères»… «Je suis un raffiné. J'ai été élevé dans la dentelle et le bibelot.». Ses justifications sur son «effort publicitaire» (paraître à la télévision, malgré son aversion), afin de complaire à son éditeur, Gaston Gallimard, est un prodige de rouerie. Du point de vue du spectacle, c'est un grand moment.
Le second extrait est tiré de l'émission Apostrophe. Il y est question du violon et des Juifs, on y voit une limpide leçon de violon par l'éblouissant Yehudi Menuhin, une mise au point par Georges Charpak, la réponse de Fabrice Luchini, et le beau visage d'une comédienne un peu oubliée…





Photographie : Louis-Ferdinand Céline avec André Parinaud. L'entretien reproduit ci-dessus est extrait du coffret Céline vivant, Éditions Montparnasse (30 Euros). Contient 2 DVD, dont voici le détail :

DVD 1, les grands entretiens de Louis-Ferdinand Céline

Lectures pour tous, 1957, entretien audiovisuel avec Pierre Dumayet, 19 mn

Céline aborde le succès inattendu de Voyage au bout de la nuit écrit pour payer son loyer, dans l’espoir de retourner ensuite à la médecine, puis les retentissements qui s’ensuivirent, son incompréhension face aux réactions. Pierre Dumayet l’interroge longuement ensuite sur son nouveau roman D’un château, l’autre.

Pierre Dumayet est journaliste, une grande figure de la télévision de l’époque (En votre âme et conscience, Cinq colonnes à la une avec Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et Igor Barrère). C’est pour l’émission Lectures pour tous, à l’occasion de la parution D’un château l’autre, qu’il procède le 17 juillet 1957, dans les studios de la Radio Télévision Française, au premier interview de Céline.

En français dans le texte, 1961, entretien audiovisuel avec Louis Pauwels, 19 mn

Céline nous reçoit dans son étrange maison de Meudon, entre ses chiens et son perroquet, son bureau sur lequel sont posés ses 80.000 feuillets qu’il assemble avec des pinces à linge…

L’auteur revient longuement sur son enfance, sa vie passage Choiseul, à Paris (qui deviendra «le passage des Bérésinas» dans Mort à crédit), sa mère dentellière, son père correspondancier, sa passion pour la médecine, ses souffrances aussi. Il déclare : « Je serai content quand je mourrai, je ne suis pas un être de joie ».

Voyons un peu : Céline, 1958, entretien audiovisuel avec André Parinaud-18 mn

Céline nous parle de son travail d’écriture tel un ouvrier qui travaillerait avec acharnement, tous les jours, il déclare «avoir décidé d’écrire pour acheter son appartement», nous livre sa conception de la littérature, l’importance accordé au style, au «langage parlé à travers l’écriture».

André Parinaud (1924-2006) est agrégé de philosophie. Résistant, il collabore au journal Combat. Après la guerre, il mène une carrière d’écrivain, de journaliste et de critique et se fait remarquer pour ses interviews de Colette, Simenon, Salvador Dali, André Breton, Malraux. C’est en 1953, grâce à Marcel Aymé qui l’introduit à Meudon, qu’il obtient et publie dans le N°1 de La Parisienne (janvier 1953) le premier entretien accordé par Céline à son retour d’exil. En octobre 1958, il réalise un second entretien filmé par Alexandre Tarta, dont la télévision a donné de courts extraits, mais qui n’a jamais été diffusé intégralement. C’est donc l’entretien dans son intégralité que l’on peut ici apprécier.

Céline au travail ». Relecture et correction d'un extrait de Nord par l'auteur,1960.
11 mn

Enregistrement sonore inédit, réalisé par Renée Canavaggia, soeur de la secrétaire de L.-F. Céline.

Document totalement inédit, ne figurant dans aucune des anthologies consacrées aux enregistrements de Céline. Céline qui dicte à sa secrétaire Marie Canavaggia un extrait de Nord, aurait été enregistré à Meudon par Renée, la sœur de cette dernière. Ce passage correspond aux pages 237-238 de l’édition originale de 1960 parue chez Gallimard. Il s’agit du seul enregistrement connu à ce jour de Céline lisant un texte.

DVD 2, Autour de Louis-Ferdinand Céline

En marge du prix Goncourt 1932, À propos de la non-attribution du prix à Céline, 1 mn

Lucien Descaves (1861-1949) est membre de la première académie Goncourt. En 1932, lorsque, à la suite d’une manœuvre, le prix, promis à Céline pour Voyage au bout de la nuit, échoit au roman Les loups de Guy Mazeline, il quitte avec fracas le jury et s’en explique.

D’un Céline à l’autre, 2 parties. 115 mn environ. 1969, de Y. Bellon et Michel Polac.

Portrait de L.-F. Céline avec les témoignages de Madame Destouches, Michel Simon, le Dr Villemain, Me Gibault, René Barjavel, Gen Pol, Dominique de Roux, Michel Audiard...

Une émission Bibliothèque de poche, dédiée à Céline et présentée par Michel Polac. Le principe était celui d’un rendez-vous littéraire public autour d’un Livre de poche. L’introduction est filmée passage Choiseul à Paris, où Céline vécut dans son enfance. Polac propose gratuitement des livres de Céline aux passants, qui les refusent et s’écartent effrayés. Avec les témoignages de Lucette Destouches (sa femme), René Barjavel, Michel Simon, Michel Audiard, Jean Renoir, Pierre Lazareff, le Dr Willemin (son médecin)…

Témoignage d'Elisabeth Graig, Entretien avec Jean Monnier, 3 mn environ.

Ce témoignage de Elisabeth Craig (1902-1982) à qui Louis-Ferdinand Céline dédia Voyage au bout de la nuit est extrait de l’émission Ex Libris du 9 novembre 1988. Huit ans de vie commune, elle fut probablement la seule femme jamais aimée par l’auteur. Retrouvée 55 ans après leur rupture, elle explique à Jean Monnier pourquoi elle choisit de rompre, malgré leur attachement réciproque.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est fort effectivement le bougre, il est très fort. Du pur "touchez ma bosse monseigneur". Mais l'immense écrivain ne peut masquer longtemps le répugnant personnage qui affleure dans cet entretien. A la décharge de Céline, je dirais toutefois que sa vie et son caractère sont passés au scalpel et la moindre de ses mimiques décortiquée précisément à l'aune de ce que nous savons de lui et de ses engagements. Nombre d'écrivains sont sans doute hommes et femmes tout aussi médiocres mais nous l'ignorons simplement. Il leur a manqué de croiser Pétain et Laval sur leur route.
Comme dit Agnès Sorel dans cette phrase qui ne cesse de me toucher tant elle est humaine "c'est peu de chose et vile et fétide que notre fragilité".

Patrick Mandon a dit…

Agnès Sorel a raison.
Je ne peux dissimuler mon admiration pour l'écrivain Céline. Et je n'aime pas qu'on fasse le tri, entre ses «grands livres» et ses maudits pamphlets. Il est, à l'image de la France, une chose énorme, encombrante, pleine de terribles secrets et rayonnante malgré tout. Je prends l'ensemble. Le Caravage fut sans doute l'une des pires crapules de son temps. Mais voyez la force de son œuvre !
Quant à moi, je ne suis point mauvais bougre, et n'aime guère causer du chagrin à mes amis. Pourtant, cela m'arrive plus souvent qu'à mon tour, non par ma volonté, mais par mon tempérament. Ma tête n'entend pas toujours ce que mon cœur lui dit ; elle est accablée de ses reproches, mais il est trop tard !
Il n'empêche, notre discussion est féconde, et je vous remercie, chère roumaine, de lui donner cette belle hauteur.

Jérôme Leroy a dit…

Le génie est scandaleux. Il faut tout prendre. La morale voudrait que les pamphlets soient moins bien écrits, ce n'est pas le cas.

Patrick Mandon a dit…

«La morale voudrait…». En effet, cher Jérôme, la morale veut, mais l'art désire,impose, bouscule, ravage. Le génie, c'est… dégueulasse ! «Qu'est-ce que c'est, dégueulasse ?»…
Au fait, j'ai bien aimé votre célébration du chandail, dans Bande à part. Un type qui aime Bande à part, qui visite une école dans la brousse (les mômes ont des bouilles épatantes !), qui salue le style «de droite» de Jacques Perret, et qui vitupère «les Béria» du goût, eh bien, ce type-là ne peut pas être infréquentable !

Jérôme Leroy a dit…

C'était plus qu'une visite, cher Patrick, mais près d'un mois de travail avec eux.
Vingt ans dans les banlieues EN Occident: je prévois les vingt prochaines années dans les banlieues DE l'Occident.
Le Mali et la Mauritanie sont au programme, et encore le Sénégal.
J'ai dans mon sac en général Cendras, de la malarone, et une chemise repassée quand les autorités locales reçoivent.

nadia a dit…

Je vous entends, tous les deux, surtout vous deux. Mais quand je lis "De quelles volées d’étrivières faudra-t-il labourer ces chiens pour les guérir des gognos juifs ? pour les redresser à la hauteur d’homme ? À leur affaire qu’au fond des boîtes ! Fouinant, rampants unanimes ! Je veux parler des journaux et des lecteurs et des romans, des radios, du reste. Tout pourri juif et contre youtre, charlatans, canailles et consorts, à la grande curée du cheptel, chiens maçons et lopes associés. Tartufes paysans à triangles, tartufes notaires, grands auteurs.", j'admire certes la forme qui claque et les mots admirablement choisis, mais le fond m'accable et me désespère. Je crois qu'il ne souhaitait pas voir ces pamphlets publiés, peut être aurait-on du effectivement les ensevelir à jamais tant ils peuvent faire mal.
Sinon Jérôme, n'oubliez pas le Burkina dans vos errances africaines, le "pays des hommes intègres" et son expérience sankariste unique en Afrique. J'y ai effectué mon stage de fin de formation. 2 mois inoubliables sous les arbres à palabre.

Patrick Mandon a dit…

Nadia, je suis heureux que vous reveniez sur le sujet des pamphlets de Céline. C'est nécessaire. il va de soi que ce torrent excrémentiel, ce bloc de haine, cet agrégat de ressentiments, de lieux communs, d'ignorance et de jalousie, terriblement français, hélas, est proprement insupportable ! Oui, il existe une chiennerie française, une manière torve de penser, d'agir. Pol Vendromme n'exonère pas Céline de ce pêché national (voir l'article qui lui est consacré ici). Il me paraît que cette chiennerie, dans le meilleur des cas littéraires, se situe au même niveau que le génie de ce pays. Les deux font la France, pays funambule, toujours menacé de tomber du côté de la résignation ou du côté du courage. Il se manifeste dans cet exercice d'acrobatie morale, sublime ou déplaisant, la personnalité d'un pays «élu», désigné (par lui-même, par l'interprétation des faits), chargé, par la force supérieure des nations, d'incarner à l'extrême leurs vertus comme leurs abandons.
Mais, me direz-vous, pourquoi s'opposer aux vomissures des blogs prétendument néolibéraux, et aux reinçures de ces autres blogs ethnocentrés ?
La seule réponse qui s'impose est celle-ci : les auteurs de ces blogs sont tous des plumitifs, des besogneux, des épiciers de l'ennui et de la médiocrité. Alors que Céline a accompli une œuvre puissante, totale. Il a fondé un univers. Dans cet univers, il a déposé des étrons. S'en détourner, refuser de les voir, c'est amputer l'homme et son œuvre de leur part maudite, de leur mugissement de ténèbres dont ils sont la chambre d'écho. Il ne s'agit nullement de lui pardonner, ni d'oublier sa monstrueuse part de chiennerie. Il faut simplement admettre que, même si elle se tourne contre nous, cette part entre dans notre terrible, dans notre émouvant héritage.
Je ne sais si j'ai été clair, et j'ai peur d'avoir été ennuyeux. Si j'avais dissimulé mon admiration pour Céline, cela eut été bien plus grave.
Note : Les pamphlets de Céline me lassent très rapidement. Ils sont, plutôt que pamphlétaires, les révélateurs d'une maladie chronique de l'esprit. L'art du pamphlet, c'est autre chose. Il creuse un sujet, le développe, l'expose à la lumière crue de sa colère nécessaire (voyez, par exemple «Pamphlet contre les catholique de France» de Julien Green, très réussi.).