J'épuiserai sans doute le sujet avec ce deuxième Intermède. Peut-être ai-je voulu signifier à la fois la marche du temps, la perception rétinienne que fondent durablement des visages associés à des faits négligeables en eux-même. Ils avaient la valeur d'un symbole, mais nous ne pouvions pas le connaître alors. Ce jeune homme aux traits réguliers, mort prématurément, incarne idéalement le bonheur français et la parenthèse heureuse qui va s'ouvrir au milieu des années soixante. Il s'oppose, ainsi, à ce temps d'épouvante que nous connaissons. Il permet, par sa seule grâce, que nous arrêtions les horloges, et que nous mesurions la profondeur d'un abîme… ou d'une illusion?
Mais j'ai cherché à dire autre chose, ou plutôt à dire plus intensément, plus sûrement la même chose, et je n'y parviens pas. Il se mêle à cela l'Histoire, la sociologie, la mode, la rêverie intime, la comédie charmante que se jouent les êtres, l'évidence du désir et ses masques, ses hésitations, ses parades. Je mesure ainsi mes faibles moyens.
Une excellente chanson :
Despax forme un joli duo en compagnie de Marie-France Boyer, actrice fameuse jusque dans les années soixante-dix, et, en outre, excellente photographe.
Et Bardot, encore !
Et Bardot d'abord !
En compagnie d'Olivier Despax (rare !)
Bardot en short : difficile à porter, mais, sur elle, pas une once de vulgarité ;
cherchez bien, vous ne trouverez rien qui contrarie vraiment le goût,
l'élégance, ni l'allure. Dix ans de danse classique, une éducation française, c'est à dire libérale et de bon aloi : d'où ce maintien, cette allure, cette sobriété.
Une choucroute pareille, qui se termine en queue de ragondin tressée, cela nuirait définitivement à n'importe qui ; Bardot n'est pas n'importe qui…
Pour le seul et futile plaisir de voir la beauté passée, dépassée d'un garçon d'autrefois. Tout dans son allure, dans la régularité tendre de sa physionomie, dans la coupe impeccable de sa veste (peut-être signée Renoma), dans sa gestuelle à la fois fluide et empruntée, dans le casque de ses cheveux qu'une vague paisible anime un peu, tout en lui relève d'un charme définitivement absent.
Et même lorsqu'il joue le jeu du chanteur de charme jusque dans la
niaiserie, dans la sucrerie amoureuse, dans le diabète sentimental
(l'époque voulait cela) son visage, la douceur de ses traits, la rupture
avec notre temps que toute sa personne physique incarne, tout cela le
distingue absolument et suffit à signaler un autre monde, englouti
désormais, et qui frémit encore dans ma mémoire.
Et Bardot.
Pourquoi Bardot ? Parce que c'est beau !
Voilà ! C'était un intermède, un moment futile, sans doute un peu vain, un truc qui n'a peut-être pas de sens, ou alors un sens caché.
En quelle année ? 1967 ? 1977 ? 1987 ?
Il y a longtemps.
J'ai suivi Barbara, je l'ai écoutée dans différentes salles parisiennes.
J'ai entendu cette chanson alors que j'étais encore un adolescent - en ce temps-là, j'étais en mon adolescence -, dans des circonstances très singulières. Évidemment, cela paraît difficile de reprendre les chansons de Barbara. Elles sont si intimement liées à sa personne physique, à son personnage aussi. Elles sont également solidaires de notre perception.
Mais enfin, si quelqu'un pouvait s'y risquer, c'était Depardieu. Je crois bien qu'elle l'a aimé.
Nous naissons déchirés, nous mourons en lambeaux.
Quand elle interprète cette chanson, dans le film Huit femmes de François Ozon (2002) (poème de Louis Aragon, musique
de George Brassens parfaitement accordée au texte), elle a plus de
quatre-vingts ans.
Elle n'a jamais « vampé » ses partenaires ni le public, elle les a
toujours subjugués. Elle les a emportés un peu plus loin, avant de les
abandonner, à la fois tristes et comblés.
Le générique de ses films consistent en une énumération des metteurs en scène et des comédiens qui fondèrent le cinéma depuis qu'il parle (et qu'il chante, car elle aimait la chanson).
Sous la direction d'Henri Decoin, excellent metteur en scène, alors son
ex-mari, elle fut une redoutable Bébé Donge (titre du film et son rôle,1952) auprès de l'infortuné Jean
Gabin, qu'elle fait périr à petit feu ; Max Ophüls lui a sans doute
offert ses plus beaux rôles dans La Ronde (1950), Le Plaisir (1952),
Madame de… (1953).
Depuis quelque temps, elle semblait lasse des choses… et des êtres ? Quelqu'un qui la connassait m'a confié, récemment : « Elle a tout dit, et ce qu'elle n'a pas dit, elle le garde pour elle. ».
Toutes les femmes de sa génération l'ont enviée, copiée, aimée. Elle les incarnait toutes, ces françaises qui avaient pour viatique l'élégance naturelle, le sens de l'équilibre et le goût du chavirement.
Après l'armistice signé le 22 juin 1940, ce pays ne se reconnaît plus dans le miroir qu'on lui tend. On avait dit à ses habitants que leur armée était la plus puissante du monde, qu'elle surpassait toutes les autres par la valeur de ses troupes, par la qualité de ses matériels et de ses armements. En quelques semaines, elle était réduite au silence, encerclée, désarmée, humiliée.
Les français, de peuple du plaisir et du caprice, de l'intelligence vif argent, du bonheur d'être, de peuple de l'arrogance moqueuse, de la vivacité acrobatique, de l'insouciance généreuse, devient le peuple de l'effarement, du désespoir, de la honte.
Le 3 octobre 1940, le gouvernement français -enfin, le gouvernement issu d'une manière de coup d'État « propre », le gouvernement d'un pays abandonné à sa défaite, à son écrasement militaire et moral par une classe politique majoritairement inférieure à sa tâche- sans en être contraint par le vainqueur, promulgue une première loi relative au « statut des Juifs ». Ce statut a pour principal objet d'interdire à ces derniers tout emploi dans la fonction publique et l'accès à d'autres professions. Le scandale judiciaire qu'il constitue ne trouble pas considérablement la société. On ne verra pas nécessairement une preuve d'antisémitisme dans cette indifférence, mais plutôt le signe supplémentaire de l'accablement des français saisis par la débâcle. En ce début de l'Occupation, ils sont encore sous le choc du désastre national.
Le 29 mars 1941 est officiellement créé le Commissariat générale aux questions juives, dirigé par Xavier Vallat (auquel succèdera Louis Darquier de Pellepoix). Le 2 juin 1941, une loi nouvelle, toujours relative au statut des Juifs, remplace la précédente en apportant des précisions particulièrement odieuses et absurdes sur la notion de « race juive ». La menace sur les Juifs, même français, se fait plus évidente.
Du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942, les autorités allemandes, aidées par des propagandistes subalternes (Paul Sézille, par exemple), organisent une exposition gracieusement appelée « Le Juif et la France », au palais Berlitz, dans le IIe arrondissement de Paris (aujourd'hui siège de la BNP).
Je rappelle, très succintement, ces quelques faits dramatiques pour la raison suivante. Le hasard de mes lectures m'a conduit à cette lettre, que je connaissais, mais que j'avais oubliée.
Il s'agit d'une missive adressée à Xavier Vallat par Simone Weil, la jeune philosophe, qui mourra de la tuberculose quelque temps plus tard en Angleterre.
Simone Weil est proprement exceptionnelle (c'est de famille, car son frère, André Weil, membre fondateur du fameux groupe dit Bourbaki, est l'un des grands mathématiciens du siècle dernier). Née dans une famille de la bourgeoisie juive, agrégée de philosophie, hantée par la question de la vérité, profondément imprégnée de la pensée des philosophes de la Grèce antique, et encore de la Baghavad Gita (texte fondamental du Vedanta et de l'hindouisme), par le souci des plus déshérités, ainsi que par la personne du Christ (elle se convertira au christianisme), elle est évidemment touchée par ce statut scélérat. Paradoxalement, elle ne se « sent » nullement juive. Néanmoins, elle s'adresse directement au responsable de cette infamie dans des termes d'une ironie, d'une intelligence joueuse, d'une cruelle lucidité, mêlant à cela un sens de l'absurde éblouissant et parfaitement maîtrisé.
Je veux préciser une chose : je n'établis aucun parallèle entre l'époque à laquelle fut écrite la présente lettre et la nôtre. Des « insoumis » de préau scolaire, des frappeurs de casseroles, des défileurs patentés le feraient peut-être… moi non plus !
18 octobre 1941
Monsieur,
Je dois vous considérer, je suppose,
comme étant en quelque sorte mon chef ; car, bien que je n’aie pas
encore bien compris ce qu’on entend aujourd’hui légalement par Juif, en
voyant que le ministère de l’Instruction publique laissait sans réponse,
bien que je sois agrégée de philosophie, une demande de poste déposée
par moi en juillet 1940 à l’expiration d’un congé de maladie, j’ai dû
supposer, comme cause de ce silence, les présomptions d’origine
israélite attachée à mon nom. Il est vrai qu’on s’est abstenu également
de me verser l’indemnité prévue en pareil cas par le statut des Juifs ;
ce qui me procure la vive satisfaction de n’être pour rien dans les
difficultés financières du pays. — Quoi qu’il en soit, je crois devoir
vous rendre compte de ce que je fais.
Le gouvernement a fait savoir qu’il
voulait que les Juifs entrent dans la production, et de préférence
aillent à la terre. Bien que je ne me considère pas moi-même comme
juive, car je ne suis jamais entrée dans une synagogue, j’ai été élevée
sans pratique religieuse d’aucune espèce par des parents
libres-penseurs, je n’ai aucune attirance vers la religion juive, aucune
attache avec la tradition juive, et ne suis nourrie depuis ma première
enfance que de la tradition hellénique, chrétienne et française,
néanmoins j’ai obéi.
Je suis en ce moment vendangeuse ; j’ai
coupé les raisins, huit heures par jour, tous les jours, pendant quatre
semaines, au service d’un viticulteur du Gard. Mon patron me fait
l’honneur de me dire que je tiens ma place. Il m’a même fait le plus
grand éloge qu’un agriculteur puisse faire à une jeune fille venue de la
ville, en me disant que je pourrais épouser un paysan. Ignoré, il est
vrai, que j’ai du seul fait de mon nom une tare originelle qu’il serait
inhumain de ma part de transmettre à des enfants.
J’ai encore à faire une semaine de
vendange. Ensuite je compte aller travailler comme ouvrière agricole au
service d’un maraîcher chez qui des amis m’ont procuré une place. On ne
peut pas, je pense, obéir plus complètement.
Je regarde le statut des Juifs comme
étant d’une manière générale injuste et absurde ; car comment croire
qu’un agrégé de mathématiques puisse faire du mal aux enfants qui
apprennent la géométrie, du seul fait que trois de ses grands-parents
allaient à la synagogue ?
Mais, en mon cas particulier, je tiens à
vous exprimer la reconnaissance sincère que j’éprouve envers le
gouvernement pour m’avoir ôtée de la catégorie sociale des
intellectuels et m’avoir donné la terre, et avec elle toute la nature.
Car seuls possèdent la nature et la terre ceux à qui elles sont entrées
dans le corps par la souffrance quotidienne des membres rompus de
fatigue. Les jours, les mois, les saisons, la voûte céleste qui tournent
sans cesse autour de nous appartiennent à ceux qui doivent franchir
l’espace de temps qui sépare chaque jour le lever et le coucher du
soleil en allant péniblement de fatigue en fatigue. Ceux-là
accompagnent le firmament dans sa rotation, ils vivent chaque journée,
ils ne la rêvent pas.
Le gouvernement, que vous représentez à
mon égard, m’a donné tout cela. Vous et les autres dirigeants actuels du
pays, vous m’avez donné ce que vous ne possédez pas. Vous m’avez fait
aussi le don infiniment précieux de la pauvreté, que vous ne possédez
pas non plus.
J’aurais hésité à vous écrire, sachant
votre temps pris par d’innombrables soucis, mais vous ne recevez
certainement pas beaucoup de lettres de remerciements de ceux qui se
trouvent dans ma situation. Cela vaut donc peut-être pour vous les
quelques minutes que vous perdrez à me lire.
Veuillez recevoir, Monsieur, l’assurance de ma haute considération.
Simone Weil
(Ci-dessous : portrait de Simone Weil en 1921)
Et moi, qui suis la caricature de l'esprit superficiel, j'aurais été
très admiratif des êtres profonds ! La profondeur de vue, l'abnégation,
l'étude patiente, attentive, le beau souci des autres, l'héroïsme : ces
qualités, que je ne possède nullement, je les loue chez ceux qui les
incarnent !
- Alors, c'est décidé, tu t'en vas !
- En effet, je pars.
- Tu retournes chez ta mère.
- Ma mère est morte.
- Je le savais, je voulais simplement reprendre une vieille formule.
- Garde donc tes vieilles formules pour toi.
- Auparavant, quand une femme quittait un homme, elle allait chez ses parents. On disait : chez sa mère.
- Eh bien, c'est fini, à présent !
- C'était mieux avant.
- Rien n'était mieux avant !
- Si, moi par exemple, j'étais mieux avant.
- C'est vrai, j'ai vu des photographies de toi. Tu valais le détour, et même le détournement de mineur.
- Moi, je t'ai connu majeure… et je t'ai retournée !
- Tu ne m'as pas retournée, c'est moi qui y ai consenti.
- Disons que tu m'en as prié. D'ailleurs, tu t'es mise à genoux.
- Salaud, goujat !
- Mais voyons, chacun sait que l'amour est un sacrement qui se reçoit à genoux !
- Oh, je ne t'entends plus, je ne te vois plus, je t'ai déjà oublié !
- Déjà ? Alors, c'est Alzheimer !
- Au contraire, c'est de l'hygiène mentale ! D'ailleurs, tu es aisément oubliable.
- Tu n'as pas toujours dit cela.
- Je l'ai toujours pensé.
- Tu pensais à moi pour n'y plus songer ? Étrange manière de m'oublier !
- Je te conseille de faire de même.
- Non, je ne changerai rien à ma façon d'être et de penser. Je serai comme j'ai toujours été, comme avant.
- Dommage, on est déjà après !
- Après quoi ?
- Après qui, plutôt ! Tu l'as dit toi-même, tu étais mieux avant, bien mieux, je ne t'ai connu qu'après.
- Tu es venue trop tard.
- Oui, mais je pars à temps.
- Comment peut-on partir à temps quand on est arrivé trop tard ?
- Jolie formule ! Oh, mais c'est vrai qu'il est tard.
- Tu devrais rester.
- Rester ici ? Pour aller où ?
- Je l'ignore, je sais seulement qu'on va parfois plus loin à genoux qu'à pied…
- Salaud, goujat !
Il y a peu de temps, l'exquise Anne me suggérait d'entendre une chanson italienne, par Fausto Mesolella (voyez À nul autre pareil, le plaisir de déplaire). Celui-ci, me précisait-elle, venait de mourir : il avait le cœur faible… et tendre assurément. Ce fut une découverte et un grand plaisir, dont je la remercie vivement.
J'ai trouvé cette chanson, interprétée par le même, à la guitare, et Toni Servillo au chant. J'aime beaucoup Toni Servillo, qui me fut vraiment révélé dans La Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino (2013).
Anema e core (anima e cuore, Âme et cœur) est une chanson napolitaine, composée, dans les années cinquante, pour la musique, par Salve D'Esposito, et, pour les paroles, par Tito Manlio (pseudonyme de Domenico Titomaglio. On notera que Tito Manlio est le titre d'un opéra moins connu de Antonio Vivaldi).
Il est question de quelqu'un qui perd le sommeil, de lèvres (de bouches) qui ne veulent pas de baisers, d'appels qui demeurent sans réponses…
Nuje ca perdimmo 'a pace e 'o suonno
Nun 'nce dicimmo, maje pecchè?...
Vocche ca vase nun ne vonno,
Nun so' 'sti vvocche, oj né!
Pure, te chiammo a non rispunne
Pe' ffà dispietto a mme...
Toni Servillo et Fausto Mesolella, Anema e core
Roberto Murolo, Anema e Core
Voici encore Mi votu e mi rivotu, écrite dans les années 1880 par Paolo
Frontini (1860-1939), originaire de Catane, très connu et apprécié
au-delà de sa terre natale. Le texte original, dans la langue siclienne, dit à peu près ceci en français (pour les premières strophes):
Je me tourne et me retourne en soupirant
Je passe la nuit entière sans sommeil
J'imagine ta beauté
Ainsi va ma nuit jusqu'au jour
À cause de toi je ne trouve pas le repos
Mon pauvre cœur ne trouve pas le repos…
La voici par Carmelo Zappulla :
Enfin, pour mon plaisir (le plaisir est la manifestation la plus aboutie de l'égoïsme aimablement partagé), cet extrait du film La Grande Bellezza :
Un homme (Toni Servillo, napolitain d'origine)) contemple l'arrogante bêtise de certaines choses contemporaines (dont l'art du même nom). Il s'en console en déambulant dans l'incroyable beauté de la ville de Rome et de quelques autres paysages. Il fut un mondain fameux, naguère, un critique d'art courtisé, mais aussi, finalement, soumis et conformiste. Il a vieilli, son esprit, sans s'aigrir, observe avec une distance de sévérité amusée la comédie, à laquelle il accordait tant d'importance. Il n'est pas encore las des êtres et des choses, mais il n'est plus la dupe de lui-même. Il n'a rien perdu de sa séduction, mais il n'en joue plus de la même manière. Bientôt, il n'accordera plus la moindre part au théâtre des apparences, mais, déjà, il ne convoite plus, il ne possède plus : il s'attarde, il contourne, il circonvient. Il ne craint pas la solitude, qui l'attend ; il a anticipé ses plaisirs comme ses désagréments. Il a consenti à s'avouer qu'il avait vécu. Rome est toujours dans Rome, et lui, un jour, n'y sera plus.
Nous sommes les passagers d'un véhicule immobile. Le brouillard qui environne notre course stationnaire et rapide ne nous interdit pas, cependant, de distinguer des formes et des visages adorables, qui peuplent nos souvenirs. C'est ainsi qu'un jour, allégés du chagrin ou de la ferveur qu'ils nous causèrent, ils viennent nous solliciter de ce service intime qu'on appelle la mémoire, par quoi ils survivent encore un peu et nous permettent de durer honorablement.
Dix minutes de la France d'avant, dix minutes qui semblent venir d'un autre monde, d'une exoplanète, dix minutes pendant lesquelles un personnage raisonnablement délirant, culturellement accompli, maître de lui-même comme de son univers, offre à la délicieuse Denise Glaser le spectacle de son extravagance très contrôlée, de sa provocante supériorité. Tout cela paraît si loin : qui pourrait-on mettre à la place de la belle Denise, et qui à la place de Salvador Dali ? Quelle chaîne de télévision pourrait concevoir une telle émision, consentir seulement à sa diffusion ?
Quand j'étais un adolescent, j'aimais beaucoup Denise Glaser. À présent je ne suis plus un adolescent, j'aime toujours autant Denise. Elle incarne l'élégance des femmes françaises, leur esprit de curiosité, leur subtile audace. Denise fut écartée des plateaux de télévision par une coalition banale d'imbéciles et de pleutres. Elle est morte oubliée, après quelques années de mélancolie tranquille. Moi aussi, je suis mélancolique, et moi aussi je mourrai. C'était mieux avant, et moi aussi j'étais mieux avant.
Au reste, j'ai toujours été mieux avant.
Si le lien ne fonctionne pas, allez à cette adresse, elle vous conduit à dix minutes de jouissance égoïste :
Faites vos jeux, en effet, pour que M. Macron, la créature de Hollande, puisse rafler la mise. Il a réussi son coup, le Bobonaparte de l'Amiénois ! Il convient de saluer son coup d'état tranquille : en quelques mois, il nous aura débarrassé de ce qui flottait encore de la médiocrité socialiste, et il aura pris dans ses filets le menu fretin comme les gros poissons paresseux du fleuve politicien. Hier, l'ineffable Manuel Valls, toreador pour salle de bain, arrogant et dominateur quand il est entouré de garde du corps, contrit et modeste dès qu'il est seul, petit bonhomme dans tous ses états qui se voudrait homme d'État, Manuel Valls, donc, l'avait chassé, avec cet air ulcéré de Jupiter sur talonnettes qu'il prenait pour se pousser du col. À présent, il se déclare prêt à le servir humblement. Ils iront nombreux à Canossa : la génuflexion les fait encore paraître plus grands qu'ils ne sont ! Grâce à lui, les extrémistes du centre-droit et les léninistes du centre-gauche, tous augmentés des girouettes émotives, auront connu une nouvelle jeunesse. Il est jeune, ils sont vieux et il les prolonge un peu ; il virevolte, ils bougent encore.
Emmanuel Macron les aura humiliés, c'est à dire qu'il aura soulevé le rideau de scène, qui dissimulait leurs ficelles de coulisse. Un jour, il faudra analyser ce phénomène français.
Il faudra aussi revenir sur l'écœurante propagande de la France dominante, avec ses alliés de circonstance, journalistes, intermédiaires divers, « intellectuels organiques d'État » ; cette propagande s'est mise, comme naturellement, par soumission naturelle à ce qui la récompensera selon ses vœux, au service de M. Macron. Celui-ci la soumet, d'ailleurs, avec cet air angélique et triomphant des séducteurs de petite envergure, qui connaissent par avance et par expérience le point faible de leur proie. L'acmé de ces manifestations d'allégeance restera sans doute l'accueil réservé par Mme Ernotte, patronne de la télévision publique, aux deux candidats, avant leur affrontement devant les caméras. La scène eut lieu à l'extérieur du studio, qui allait accueillir leur ultime rencontre avant le vote des français. Mme Le Pen est saluée courtoisement d'une poignée de main par Delphine Ernotte, puis pénètre dans les locaux. Arrivent M. Macron et son épouse. Mme Ernotte serre la main du prétendant, puis, se présentant devant Brigitte Macron, l'embrasse, affirmant ainsi non seulement une forme d'intimité, mais encore de connivence et d'allégeance. Même si les deux femmes se connaissaient suffisamment pour s'autoriser cette privauté, on pouvait s'attendre à une retenue dans cette circonstance. J'ai vécu en direct cette séquence avec stupeur : ces gens s'autorisent absolument tout. Ils ont la morgue de certains personnages de l'Ancien régime, ils jouissent de privilèges plus grands encore, et sans contrôle, mais ils n'en ont pas la légitimité, ni la simple noblesse sinon d'origine, tout au moins d'allure.
Je ne voterai pas pour Marine Le Pen : des « fidélités », à la fois heureuses et encombrantes, à des épisodes de ma jeunesse et à des personnes estimables me l'interdisent, mais je comprends que d'autres le fassent. et je me sens solidaire de ce peuple des oubliés, qui a trouvé dans les discours de Mme Le Pen un réconfort passager. Les socialistes de pouvoir, constamment à la recherche d'une clientèle électorale, qui leur garantira des places et des honneurs, ont délaissé le peuple, au profit des nouveaux possédants, de cette récente bourgeoisie urbaine, plus habile à dissimuler son appétit de possessions que les bon bourgeois de Flaubert, dodus et naïfs (leur ancêtre, le Bourgeois gentilhomme, a la naïveté des enfants qui s'émerveillent devant un jouet). Les socialistes de pouvoir ont également « considéré » les immigrés, ils ont cherché à rassembler sous leur bannière et à guider vers leurs bulletins de vote cette masse hésitante, voire indifférente. Pour cela, ils ont agité la menace d'un racisme agressif, qu'ils ont prétendu latent dans la société française.
Enfin, je trouve ignoble ce « mantra » des imbéciles de gauche, qui va répétant qu'il faut faire « barrage au fascisme ». Le fascisme premier, dans son origine italienne, a produit des idées et des œuvres, qui le place très au-dessus des pseudo-résistants du boulevard Saint-Germain. Le futurisme n'est certes pas le fascisme tout entier, mais il le frôle, l'inspire en partie, jusqu'à sa récupération, qu'il ne souhaitait pas nécessairement. Ce fut un mouvement culturel très nerveux, d'une grande ambition, certes dangereux dans sa volonté farouche de tout abolir de ce qui venait du monde ancien, mais passionnant et jeune à jamais. Alors, bien sûr, frotté de politique et d'ambition totalitaire, il fut en quelque sorte « contaminé » par une idéologie, laquelle sombra dans la comédie absurde, puis dans le crime et la tragédie.
Emmanuel Macron est une énigme, dont la solution nous sera peut-être révélée, quelque jour, par une bouche d'ombre. M. Macron est un effaceur. Il installera dans ses meubles IKEA une république sans mémoire, un pays 2.0, affolé de selfies, morcelé, divisé comme jamais.
En attendant, il est là pour liquider la France, telle que je l'ai connue, telle qu'elle m'a séduit, irrité, émerveillé. M. Macron me liquidera.
Faites vos jeux, rien ne va plus !
- M'accorderez-vous cette danse, mademoiselle ?
- C'est quoi comme danse ?
- Une valse, la Valse des regrets.
- Non !
- Pourquoi ?
- Je regrette déjà de vous avoir répondu, vous ne voulez pas qu'en plus je regrette d'avoir dansé avec vous !
(La Valse des regrets a été composée par Johannes Brahms, vers 1865. C'est une mélodie simple, avec des accents de douceur et de mélancolie viennoises, qu'aimaient beaucoup Brahms. Louis Poterat a posé des mots sur cet air, dans les années quarante, et Georges Guétary en a fait une chanson. En 2006, Françoise Hardy a conservé l'air, mais a légèrement modifié les paroles).
La Valse des regrets : Françoise Hardy chante, Hélène Grimaud pianote…
- Mademoiselle, vous êtes assise sur des morceaux qui m'appartiennent.
- Et vous, monsieur, vous marchez sur des morceaux qui sont à moi.
- C'est pourtant vrai ! Si vous le vouliez, nous pourrions nous rejoindre.
- À quoi bon ! Il est déjà si malaisé de se rassembler !
- Vous n'avez pas tort !
Françoise Hardy murmure an compagnie d'Alain Delon, Modern Style :
La même chanson par son créateur, Jean Bart, qui se consacre désormais au théâtre :
Le lien que je donne ci-dessous devrait mener à un enregistrement. Il s'agit d'un extrait des Pâques à New York, de Blaise Cendrars. Ce n'est pas le ton qu'il convient de mettre dans la diction de ce texte magnifique, j'en ai bien conscience. J'ai cherché, enregistré plusieurs versions, aucune ne m'a satisfait. Il me paraît que la difficulté d'« interprétation » trouve son origine dans la manière, le style si l'on veut, choisie par Cendrars : on y entend l'art poétique médiéval, la maîtrise strictement classique, et la plus grande modernité du siècle de la vitesse.
Pour entendre cet enregistrement, il suffit de placer le code suivant http://ahp.li/2585537bcccbe1125b02.mp3
dans la barre d'adresses de son ordinateur. Il mène directement au fichier MP3.
C'est une chose indiscutable, aujourd'hui, et pour moi depuis toujours, Blaise Cendrars a installé l'électricité sur tout le réseau poétique. Cela ne nuit nullement à Guillaume Apollinaire, cela n'attente pas à sa grâce, à l'enchantement qu'il produit à chaque instant, mais Blaise fut le premier dans l'ordre des sorciers électriques. Quelque chose est venu avec lui, quelque chose des villes, des automobiles, des enseignes, de la rumeur ininterrompue, des rythmes neufs, de la saccade urbaine, de sa splendeur, de ses misères.
Aujourd'hui, lundi de Pâques : voici la prière qu'il adresse à un Dieu de miséricorde, une prière kaléidoscopique, une sorte de litanie précieuse (Cendrars est un raffiné). Tout est vision, surgissement, comme révélé par une rampe de lumières, un clignotement publicitaire : une forme jaillit, puis disparaît dans la pénombre, déjà remplacée par une autre, qui lui fait une rude concurrence émotionnelle. Ainsi, la face sacrifiée de Jésus suit l'obscénité misérable (le cul des prostitués). La fée électricité est une sorcière atrocement belle…
Blaise Cendrars
Pâques à New York
Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom,
J’ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion, Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans le livre, doucement monotones. Un moine d’un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d’or Dans un missel, posé sur ses genoux. Il travaillait pieusement en s’inspirant de Vous. À l’abri de l’autel, assis dans sa robe blanche,
il travaillait lentement du lundi au dimanche. Les heures s’arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s’oubliait, penché sur votre portrait. À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c’était son amour Ou si c’était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère. Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet Attend derrière la porte, attend que je l’appelle!
C’est Vous, c’est Dieu, c’est moi, — c’est l’Éternel. Je ne Vous ai pas connu alors, — ni maintenant.
Je n’ai jamais prié quand j’étais un petit enfant.
Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix;
Mon âme est une veuve en noir, — c’est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l’a peinte Carrière. Je connais tous les Christs qui pendent dans les musées;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés. Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le coeur ridé, l’esprit fébrile. Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d’étincelles. Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang, D’étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies. Votre sang recueilli, elles ne l’ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul. Les fleurs de la Passion sont blanches, comme des cierges,
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge. C’est à cette heure-ci, c’est vers la neuvième heure,
Que votre Tête, Seigneur, tomba sur votre Coeur. Je suis assis au bord de l’océan
Et je me remémore un cantique allemand, Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs,
La beauté de votre Face dans la torture. Dans une église, à Sienne, dans un caveau,
J’ai vu la même Face, au mur, sous un rideau. Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,
Elle est bossuée d’or dans une châsse. De troubles cabochons sont à la place des yeux
Et des paysans baisent à genoux Vos yeux. Sur le mouchoir de Véronique Elle est empreinte
Et c’est pourquoi Sainte Véronique est Votre sainte. C’est la meilleure relique promenée par les champs,
Elle guérit tous les malades, tous les méchants. Elle fait encore mille et mille autres miracles,
Mais je n’ai jamais assisté à ce spectacle. Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté
Pour voir ce rayonnement de votre Beauté. Pourtant, Seigneur, j’ai fait un périlleux voyage
Pour contempler dans un béryl l’intaille de votre image. Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains
Y laisse tomber le masque d’angoisse qui m’étreint. Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma bouche
N’y lèchent pas l’écume d’un désespoir farouche. Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,
Peut-être à cause d’un autre. Peut-être à cause de Vous. Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices. D’immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons. Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols. Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens. C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance. Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des Juifs
Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs. Je le sais bien, ils t’ont fait ton Procès;
Mais je t’assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais. Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,
Vendent des vieux habits, des armes et des livres. Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques.
Moi, j’ai, ce soir, marchandé un microscope. Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques!
Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques. Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha,
Se cachent. Au fond des bouges, sur d’immondes sophas, Elles sont polluées par la misère des hommes.
Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum Elles cachent leur vice endurci qui s’écaille.
Seigneur, quand une de ces femmes me parle, je défaille. Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.
Seigneur, ayez pitié des prostituées. Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs. Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,
Je sais que vous daignez sourire à leur malchance. Seigneur, l’un voudrait une corde avec un noeud au bout,
Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous. Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.
Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis. Je pense aussi aux musiciens des rues,
Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie, À la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier;
Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité. Seigneur, faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,
Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas. Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,
Ce que l’on vit derrière, personne ne l’a dit. La rue est dans la nuit comme une déchirure,
Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures. Ceux que vous aviez chassés du temple avec votre fouet,
Flagellent les passants d’une poignée de méfaits. L’Étoile qui disparut alors du tabernacle,
Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles. Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s’est coagulé le Sang de votre mort. Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs. J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent.
J’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête. Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès. Un effroyable drôle m’a jeté un regard
Aigu, puis a passé, mauvais, comme un poignard. Seigneur, rien n’a changé depuis que vous n’êtes plus Roi.
Le Mal s’est fait une béquille de votre Croix. Je descends les mauvaises marches d’un café
Et me voici, assis, devant un verre de thé. Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos
Sourient, se penchent et sont polis comme des magots. La boutique est petite, badigeonnée de rouge
Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou. Ho-Kousaï a peint les cent aspects d’une montagne.
Que serait votre Face peinte par un Chinois ? .. Cette dernière idée, Seigneur, m’a d’abord fait sourire.
Je vous voyais en raccourci dans votre martyre. Mais le peintre, pourtant, aurait peint votre tourment
Avec plus de cruauté que nos peintres d’Occident. Des lames contournées auraient scié vos chairs,
Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs, On vous aurait passé le col dans un carcan,
On vous aurait arraché les ongles et les dents, D’immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous,
Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou, On vous aurait arraché la langue et les yeux,
On vous aurait empalé sur un pieu.
Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l’infamie,
Car il n’y a pas de plus cruelle posture. Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux
Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux. Je suis seul à présent, les autres sont sortis,
Je me suis étendu sur un banc contre le mur. J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église;
Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville. Je pense aux cloches tues: — où sont les cloches anciennes?
Où sont les litanies et les douces antiennes? Où sont les longs offices et où les beaux cantiques?
Où sont les liturgies et les musiques? Où sont tes fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains?
Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints? La joie du Paradis se noie dans la poussière,
Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières. L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit
Des ombres crucifiées agonisent aux parois. C’est comme un Golgotha de nuit dans un miroir
Que l’on voit trembloter en rouge sur du noir. La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint
Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins. Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue,
Comme votre Tête, triste et morte et exsangue. Des reflets insolites palpitent sur les vitres…
J’ai peur, — et je suis triste, Seigneur, d’être si triste. « Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »
– La lumière frissonner, humble dans le matin. « Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »
– Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains. « Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »
– L’augure du printemps tressaillir dans mon sein. Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs. Déjà un bruit immense retentit sur la ville. Déjà les trains bondissent, grondent et défilent. Les métropolitains roulent et tonnent sous terre. Les ponts sont secoués par les chemins de fer. La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées, Des sirènes à vapeur rauques comme des huées. Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors. Trouble, dans le fouillis empanaché des toits, Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats. Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne … Ma chambre est nue comme un tombeau … Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre … Mon lit est froid comme un cercueil … Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents … Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle … Cent mille toupies tournoient devant mes yeux … Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles … Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses … Je pense, Seigneur, à mes heures en allées … Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous. New York, avril 1912
Ci-dessous, migrants à Elis island, 7 sept 1914
Bien vue cette adaptation « rapée», audacieuse. À côté de Blaise Cendrars, les textes de Grand corps malade et ceux de Booba paraissent lamentables :
Chez le cher Nuage (blog de Jean-Michel, remboursé par la SSEP ou Sécurité sociale et poétique), Blaise et ses Pâques : http://nuagesneuf.blogspot.fr/2016/03/blaise-cendrars-paques-new-york.html
"Il n’y a plus que des barbus et des actrices aux cheveux gras, qui
se font violer dans les coins, et qui trouvent des excuses à leurs
agresseurs. Il n’y a qu’à regarder la cérémonie des César, où de gentils
zombies remercient papa-maman, leur concierge et leur chauffeur de taxi,
tout en lançant l’incontournable appel à la fraternité humaine et à
l’antiracisme."
(Brigitte Bardot, à propos du cinéma, dans un entretien accordé à Valeurs actuelles, hebdomadaire de droite, donc profondément répugnant, fondamentalement acquis à toutes les idées ignobles que l'humanité a développées, depuis le jour où, se découvrantapte à la bipédie, elle a quitté les arbres, puis les clairières, pour occuper les plaines. Peu après, les hommes de la tribu primitivecourtisèrent les (jolies) femmes des autres).
J'aime à penser que ces idées, ou plutôt ces mauvaises pensées - car la droite, bien sûr, est incapable de développer des idées, lesquelles relèvent du seul magistère de la gauche socialisante et assimilée-relèvent du pur plaisir de nuire aux imbéciles, qui prétendent nous gouverner depuis dix ans. Je prétends quant à moi que jamais la France, cher pays de mon enfance, mais qui ne le sera pas de ma vieillesse, n'aura subi les effets d'une telle médiocrité que depuis la prise de pouvoir de M. Hollande. Dans les seuls domaines de la culture et de l'éducation, les ministres auront démontré tout à la fois une totale incompétence et un profond mépris des hommes et des matières, qu'ils eurent l'outrecuidance de vouloir administrer. Ces parvenus (la présence du vaniteux et vain M. Peillon dans ce ballet de dames me contraint au masculin pluriel) dans l'ordre des honneurs et des charges nous laisseront le souvenir de fantômes antipathiques, incapables d'écrire deux lignes en français sans commettre de graves fautes, qui ne les font pas rougir.
Je reconnais éprouver une joie mauvaise de seigneur féodal au spectacle du candidat « officiel » du parti socialiste à l'élection présidentielle. Il y a quelque chose de joyeusement effarant dans la parade politicienne de ce faux jeune, tribun étriqué pour préau d'école déserté, apparatchik besogneux, anciennement petit commissionnaire de Martine Aubry. Jusqu'à quand laissera-t-il entendre qu'il est le successeur de Jean Jaurès, de Léon Blum ou même de François Mitterrand ? Ses diatribes contre le capital, destinées à son auditoire de petits bourgeois gagnés par la révolte fonctionnarisée, redonnent l'illusion de la vigueur à quelques cadres socialistes vieillissants . Viendra le jour où il paraîtra nu, dans le seul rôle taillé à sa mesure, celui de syndic de faillite des socialistes français.
Voici encore, peut-être pour ma seule et vaine satisfaction, la belle correction de l'un de ces apparatchiks outrecuidants par Pascal Praud : où l'on voit que le moralisateur socialisant se montre ridicule. Mon plaisir…
Du même Manara, que j'ai découvert à Milan, au début des années quatre-vingt, à l'adresse des insupportables néo-féministes socialisantes, cette évocation de l'amant du monde :
Voilà, j'espère, dans ma modeste mesure, moi aussi, avoir déplu à quelques-uns sinon à tous.
Aux autres, je dédie cette jolie chose venue du monde d'autrefois :
Il y a dans la lucidité de Drieu la Rochelle une sorte d'adieu aux armes qui sont données aux hommes dans l'enfance. Non pas des armes de poing, non plus des armes blanches, seulement des armes de parade et des armes d'esquive : plutôt que des escrimeurs, elles font de nous des « esquiveurs ». Un jour, l'une d'entre elles s'enraie, et nous voilà désappointés ! Puis le mécanisme d'une autre se dégrade, et nous nous sentons menacés. La dernière nous lâche en pleine bataille, et nous sommes désarmés.
Au vrai, Drieu se tint à l'écart du monde, choisissant une vie « libre et dérobée ». Quand il voulut « épouser son temps », maladroit qu'il était, et blessé depuis l'enfance, obsédé de décadence, rongé par ce terrible poison de la mort lente qu'on nomme la détestation de soi-même, il choisit à dessein le numéro perdant de la tombola.
À la Libération, se sachant compromis et compromettant, n'espérant aucune grâce, il n'accepta de sanction que de lui-même. Il voulait un jugement sans appel, et la détestation générale. Il n'obtint ni l'un ni l'autre. Son souvenir n'a cessé de hanter ceux qui l'avaient connu ; quant à celles et ceux qui l'avaient aimé, ils firent sans effort prospérer leurs sentiments pour lui.
Deux chansons, deux interprètes accompagnent cet insignifiant billet : je parlerai prochainement de Marie France, qui donna un ravissant spectacle très cabaret-velours-cramoisi au Divan du monde, et je voulais partager le charme « balnéaire-côte-d'Opale » de ce dandy tranquille nommé Benjamin Schoos.
Si vous passez par ici, qui que vous soyez, sachez que je vous les destinais.
Ils sont nombreux les imbéciles, qui se vantaient d'appartenir au parti des Verts, dit EELV. Ils formaient les unités de ce petit troupeau de bêlants des prairies, en apparence rebelles, en réalité plus soumis aux contingences politiques qu'une réunion de petits porteurs de valeurs boursières en chute libre ! Ils manifestèrent mieux que tous les autres la grossièreté d'apparence et d'expression, qui saisit les politiciens médiocres, lorsque leur appétit de pouvoir et de prébendes est bien près d'être satisfait. Multipliant les infractions au code de bonne conduite, ils souhaitaient qu'on les prît pour des enfants terribles, insupportables mais vite pardonnés : ils surestimaient la valeur de leur charme. Ces gens, souvent vêtus avec négligence par mauvais goût autant que par goût de la provocation antibourgeoise assurément, apparurent dans leur vérité navrante. De Mme Voynet à Mme Duflot, jusqu'à Mme Cosse, les femmes de l'écologie ont démontré une satisfaction manœuvrière digne des plus navrants apparatchiks, et leurs homologues mâles, une semblable inconvenance. Installés dans l'appareil d'État, ces personnages se sont comportés comme des convives mal éduqués. Ils se montrèrent trop vite arrivés pour dissimuler qu'ils étaient des parvenus. Ils ont cessé de nous distraire. Pendant des années, l'effarant M. Baupin, moralisateur de carrefour, assomma les parisiens de décrets et de lois, qui prétendaient faire le bonheur des bicyclettes et le malheur des automobiles. Le plus insupportable dans toute son agitation demeurait son air de bonne conscience, sa satisfaction replète, son arrogance de vainqueur par défaut. Puis l'inénarrable Baupin se trouva mêlé à un scandale, dont l'avenir et la justice diront ce qu'il fallait en penser. Que savait-on ? Qui savait ? Qu'y avait-il à savoir ? Baupin est-il une manière de satyre des couloirs et des antichambres, un tire-élastique compulsif, un errant des colloques et des congrès travaillé par le rut, ou bien la victime d'un règlement de comptes entre camoristes de la chlorophylle ? Mais laissons Baupin et toute cette engeance verte. Qu’est-ce donc que l’amour en France ? Un moment d’abandon à notre
magnifique fantaisie animale augmentée de notre imagination rationnelle.
Car le plaisir ne s’obtient pas sans le piment de la raison. C’est que,
dans ce pays, si nous aimons bien avec le corps, nous aimons mieux
encore lorsqu’il s’accorde à l’esprit. Les français s’envoient en l’air…
pour prendre de la hauteur ! Aimons nous comme des bêtes, mais ne nous
montrons pas stupides au déduit ! La géométrie dans les spasmes admet du spirituel dans ses formules. C’est d’ailleurs la leçon de notre ami Diderot, lorsqu’il
écrit à Sophie Volland : « […] qu’est-ce que les caresses de deux
amants, lorsqu’elles ne peuvent être l’expression du cas infini qu’ils
font d’eux-mêmes? Qu’il y a de petitesse et de misère dans les
transports des amants ordinaires ! Qu’il y a de charmes, d’élévation et
d’énergie dans nos embrassements. » (1er juin 1759). À la fin, que reste-t-il des transports amoureux ? Une bousculade de
souvenirs, des corps et des visages fondus dans la brume de la mémoire,
et l’émouvante impression de s’être glissé dans la ronde éternelle de la
séduction et du désir. Ces deux êtres, ces deux-là l'un dans l'autre, avant d'être las l'un de l'autre, ne manquent pas d'audace, qui se jouent encore une fois la comédie de la chair, n'est-ce pas Perdican ?
« Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces
récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire :
tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites,
orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont
perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde
n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et
se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose
sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et
si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent
malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on
se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : “ J’ai souffert
souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai
vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. ” » (Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour, Acte II, scène 5)
Le grand Alfred nous entraîne loin de Caroline Fourest, qui déclarait : « Avec
le Pacs, j’ai milité avec des gays, et il m’arrive de me dire: tiens,
il est mignon ! Un hétéro, ce n’est pas possible, à cause de ce qu’il a
dans la tête. ».
Un gay, selon Caroline, c’est bien, c’est franc du collier, c’est doux,
compréhensif et jamais brutal. “Ce qu’il a dans tête” est fort
présentable, se fonde sur une tendre réciprocité. Le gay, c’est joyeux,
le pas gay, c’est triste ! Le gay, la gayte ont la gâterie « girly », le
pas gay l’a graveleuse. N'en déplaise à cet éteignoir de Fourest, si nous savons écouter, le désir nous chuchote à l'oreille une fantaisie audacieuse, charmante, et assurément mélancolique, la petite mélodie de l'éternel retour du même.
Bardot, Godard, ou le désir et sa chute (de reins) :
Et François Boucher, parce que le XVIIIe a eu souvent les fesses à l'air sans les avoir tristes. L'Odalisque brune :
L'Odalisque blonde :
À propos de Bardot, Nuageneuf publie dans son blogue sans pareil une rare et magnifique photographie https://nuagesneuf.blogspot.fr/2017/01/bb.html#comment-form
Et toujours à propos de B. B., le livre de Marie Céhère, Brigitte bardot, l'art de déplaire, éditions Pierre-Guillaume de Roux, dont je parlerai prochainement, ainsi que quelques divagations dans le présent blogue :