jeudi 10 septembre 2009

Attalouvard et Mincuchet



















« Sacré nom de Dieu ! il faut se raidir et emmerder l'humanité qui nous emmerde ! Oh ! je me vengerai ! je me vengerai !»
(Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, le 28 juin 1853)


JACQUES A DIT, ALAIN AUSSI : Deux génies sous cloche
Jacques Attali et Alain Minc réunis, c’est la puissance du Rhin alliés à la force du Danube. Leurs eaux mêlées transportent des alluvions qui font les vallées vertes et les rives grasses, où s’épanouissent l’agriculture, l’élevage, les sauterelles et les baigneuses impudiques, allongées dans la prairie. De la grande crise économique qui nous ravage, ils tirèrent d'abord une nouvelle légitimité. On ne voyait qu’eux, séparément ou réunis dans un excitant duo «Rhin&Danube». Le premier disait : «Je l’avais prédit», le second allait répétant : « Je l’ai dit en premier !». Mais les scènes où ils se produisaient accueillent à présent d’autres numéros que celui qu’ils nous offraient bénévolement. Puis, on ne les entendit plus. Alain Minc se tut, après avoir vitupéré, et de quelle façon ! les patrons français. Leur montrant au doigt les bénéfices qu’ils accumulaient dans la coulisse, il leur fit honte !
Et M. Attali ? On rappellera qu’il fut nommé directeur de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement). Hélas ! le siège en était en Angleterre, pays où les journalistes sont teigneux au possible. Ils lui reprochèrent de se meubler trop richement, de faire venir du marbre de carrare et des poignées de portes d’un coût mirobolant. Ils appuyèrent leur étonnement accusateur sur le fait que l'établissement avait été fondé, en principe, pour remettre sur pied l’économie des anciens pays satellites de la défunte URSS, ravagés par soixante ans de bon et loyal servage communiste. Car, après avoir été un idéal, et avant d’alimenter la nostalgie des meilleurs d’entre nous, le communisme traversa l’épreuve dite «du réel» : tragique erreur pour une utopie ! Quoi qu’il en soit, lassé des assauts lancés contre lui, chaque fois plus violents, harassé sans doute aussi, M. Attali se fâcha tout rouge. Il quitta sans délai une île aussi ingrate, humide par surcroît, et, pour son malheur, peuplée d’Anglais !

Jacques Attali persiste à dire qu’il avait annoncé la crise. Il veut bien convenir qu’il situait l’événement dix ans plus tard, mais qu’est-ce donc que dix ans pour un homme aussi prodigieux ? Et, en effet, quand on prétend qu’il finira par pleuvoir, on fait figure de prophète le jour où vient la pluie ! Il se déclara de gauche, il souhaita la formation d’un gouvernement mondial, composé de sages qui consulteraient les plus brillants parmi les conseillers. Il se prédit donc, dans cette perspective, un brillant avenir. Karl Marx en personne n’appelait-il pas à la formation d’un syndicat mondial ? Jacques est un penseur sévère, un bûcheur. Il nous informa que la crise était «devant nous», que le pire s’avançait. Il ajouta que, «à force de globaliser les marchés sans globaliser l’état de droit, on arrive à la catastrophe» et que l’«on crée la demande par la dette». Il y avait du vrai dans cette évidence.
Il faut convenir que la Chine, par exemple, n’est pas un état de droit. Elle s’en soucie peu, puisqu’elle s’est donné le droit d’être un état. Or, cette année maudite encore, la Chine, sous le knout, remplira son contrat PIB à sept ou huit pour cent ! Elle ne se soucie pas de «globaliser l’état de droit» par exemple ! D’ailleurs, son Politburo apporte un soutien sans faille au dollar, lequel, en se dépréciant avec lenteur, nuira suffisamment à l’Euro pour éponger une partie du déficit américain.
Le grand Jacques parle de la «classe dominante», qui n’accorde que de faibles revenus aux employés, et, pour compenser, les autorise à faire d’énormes dettes. Bref, d’après le clairvoyant M. Attali, dans notre «monde global» les pauvres vivent comme des riches, mais sans argent, alors que les riches vivent comme des très riches, avec beaucoup d’argent.

Alain Minc, quant à lui, s’amuse follement. D’abord, il est servi par la malicieuse apparence d’un hôte des sous-bois et des clairières, l’un de ces petits êtres moqueurs qui se faufilent sous les herbes, habitent dans un champignon et font résonner leur rire sarcastique à l’orée des forêts, le soir venu. Il a de la répartie, et, quand il a contré un adversaire, il laisse percer la joie furtive mais intense d’un lépidoptériste plaçant dans une boîte vitrée un papillon, qui survivra longtemps, le corps et les ailes traversés d’épingles… En 1995, il vit dans le placide et amusé M. Balladur, qui est un Sénat à lui seul, le grand homme énergique dont la France avait besoin pour accomplir parfaitement sa métamorphose anglo-saxonne.. Il rêve d’une France apaisée, d’une France entièrement «sous contrôle», administrée par des gouverneurs libérés des passions humaines, gérée par des commissaires au compte, eux-même surveillés par un congrès de sages, une élite autoproclamée. Pour le reste, à l’exception de Nicolas Sarkozy, il méprise le personnel politique. Il possède, dit-on, une belle plantation de noyers, dans le Cantal. On imagine qu’il ne doit pas lui déplaire de se saisir d’une grande gaule, et de faire tomber des noix en même temps qu’il les nomme : «Chirac !», «Villepin !», «de Benedetti !». On l’aurait même entendu s’écrier, après que l’une se fut écrasée lourdement au sol : «Attali !».
Jacques A. et Alain M. se ressemblent sur bien des points. Ainsi ont-ils accumulé les diplômes prestigieux et connu la réprobation publique pour avoir plagié des auteurs, ou seulement omis d’ouvrir puis de fermer les guillemets… Bref, ces hommes de lettres ne négligent point le progrès que représente le photocopieur !
Jacques a dit, Alain répète : celui-là, dans le secret de son cabinet, se satisfait-il de n’être interrompu que par lui-même, entouré de ses précieux sabliers, par où s’écoule le temps, telle une plaie qui ne suture jamais ? Celui-ci, devenu conseiller du Prince, alors que les grondements du peuple, toujours ingrat, jamais repu, se font entendre, connaît-il quelque inquiétude ?

Il semble que passe fugitivement, sur le visage d’Attali, dans les propos de Minc, l’ombre du désenchantement, de la lassitude. Les français les déçoivent. En son temps, le cher Jean-Jacques Servan-Schreiber vida ses coffres et ruina sa santé à vouloir nous convaincre que nous n’étions pas à la hauteur de ses ambitions. Nos deux amis ne connaîtront point ce funeste sort. Néanmoins, comme ils incarnent notre échec collectif, il n’est pas certain que ceux qui nous succéderont les consultent encore.

PM

En haut : Renommée sur la boule du monde que supportent trois amours, dessin à la plume rehaussé de lavis de bistre par Lucas Cambiaso (Moneglia 1527-Madrid 1585)
Ci-dessous : Bouvard et Pécuchet, Gustave Flaubert, Le livre de poche,

10 commentaires:

Anonyme a dit…

La comparaison entre le Rhin et le Danube est des plus judicieuses mon cher Patrick. Vous savez qu'ils sont reliés par un canal qui permet de traverser l'Europe de la mer du Nord à la mer Noire. Entre nos deux cautions intellectuelles autoproclamées du sarkozysme, un subtil lien tissé de grandes écoles, de la certitude tranquille de l'infaillibilité et d'un usage exceptionnel du copié/collé fait office de canal. Un canal qui relie directement la gauche perdue dont ils procèdent au cynisme néo-libéral avec lequel ils exigent chez Ruquier ou Ardisson des sacrifices toujours recommencés que les masses devraient consentir, de gré ou de force. Mais le prince les écoute t-il vraiment ?

Patrick Mandon a dit…

Chère Nadia, votre «canal qui relie directement la gauche perdue dont ils procèdent au cynisme néo-libéral» me paraît représenter fort bien la situation. Alors, le prince les écoute-t-il ? Je pense qu'il n'écoute guère Attalouvard, il se satisfait de l'avoir anesthésié. Mais, avec Mincuchet, je pense qu'il en va autrement : l'homme dispose d'un réseau exceptionnel. Et puis, Mincuchet est tout de même plus amusant, il ne manque pas d'esprit. Il est vrai également que le prince est un politique absolu, sa main droite ignore ce que ait sa main gauche…
Cela dit, ma chère Nadia, je vous ai laissée dans un ascenseur, en aimable compagnie, entre les 4e et 3e étage. Vous réalisiez sur l'aimable personne de Maurice Ronet, une prouesse de gorge, alors qu'Émilie manifestait un bel entrain de baisers…

Anonyme a dit…

Minc a certes l'oeil qui pétille et des faux airs de farfadet, mais cela ne garantit pas l'excellence de ses analyses. Sur la crise financière en particulier, même si elle n'est pas ce gouffre où nous devions tous être engloutis, il a singulièrement manqué d'à propos. Attali dit l'avoir flairée avant tout le monde, Minc a voulu l'ignorer jusqu'à l'absurde. Attalouvard et Mincuchet, dites-vous... Danube me fait toujours penser à Ceausescu qui se faisait modestement appeler le Danube de la pensée.

Patrick Mandon a dit…

Chère Nadia, ces deux gaillards sont représentatifs des temps que nous vivons. Attavoulard paraît un peu plus gonflé de lui-même. Il est sérieux, ennuyeux,convaincu d'avoir raison avant ou après tout le monde. Mincuchet est plus ironiste, peut-être plus ouvertement cynique. Ils ont l'un et l'autre la suffisance et les convictions des grands modèles flaubertiens.
Et l'ascenseur ?

Anonyme a dit…

Si vos modèles sont flaubertiens, l'ascenseur l'est un peu moins cher Patrick. Or donc votre ami Maurice peut se flatter de nous avoir rencontrées Emilie et moi. Nous lui avons remonté le moral, qu'il avait dans les chaussettes, et du même coup il a évité les pandores qui souhaitaient lui poser d'embarrassantes questions sur son emploi du temps récent. Quand nous l'avons quitté, il affichait un beau sourire de vainqueur.

Patrick Mandon a dit…

Chère Nadia, je ne réclame que ce que vous avez promis (je cite) : «Vous me laissez le temps de me remettre de mon "roman gingurit", de reprendre mes esprits, d'avaler surtout (il nous manque une marée mandiarguesque en arrière-plan, mais ne de-mandons pas l'impossible, vous nous avez placés dans un ascenseur) et je reviens.»
Or, vous n'êtes pas revenue ! J'en conclus que l'ascenseur est toujours suspendu, et que le septième ciel se situe entre les 4e et 3e étages.

Emilie a dit…

Je sors à peine, avec Maurice, de l'ascenseur qui était comme vous le savez, en panne (pas comme Maurice !)pour souhaiter un heureux anniversaire à Nadia, et lire l'article de Patrick l'ironique, qui nous donne là du grand Mandon !

Patrick Mandon a dit…

Il est question d'un anniversaire, et précisément de celui notre chère Nadia. Eh bien, après Émilie, et puisqu'elle m'en donne le signal, je dis à la belle roumaine : «Joyeux anniversaire !».

Anonyme a dit…

Vous avez la raison de mon abandon en rase campagne, ou plutôt en plein ciel. Je me préparais à l'idée d'avoir un an de plus. Ma date de naissance a depuis 2001 un arrière-goût bizarre de gag douteux, mais personne ne l'oublie... Je suppose que je partage ce "privilège" avec quelques centaines de millions d'individus sur la planète, les autres victimes du 11 septembre qui ont droit tous les ans à un florilège de blagues lourdaudes. Encore que cela se tasse.
Merci à vous deux !

Euréka a dit…

Très chère Nadia,
Je vous souhaite un excellent anniversaire avec un peu de retard. On ne choisit pas sa date de naissance. C'est dame nature qui s'en charge. Pour moi, elle a choisi le 9 novembre. Et ce n'était pas toujours facile non plus. (Putch de Munich, Nuit de cristale, Mort de de GAULLE, chute du Mur et il y en a plein d'autres qui ne sont pas plus agréables). Cette année, on va me rappeler que j'ai pris 20 ans.
Pour en revenir à l'article, je trouve la comparaison judicieuse mais Cher Patrick, je vais commencer à vous "haîr" ou plutôt mon compte en banque. En effet, vos articles font le bonheur de ma petite librairie de quartier. Elle ne se plaint pas et moi non plus en fait. Je m'en va relire Bouvard et Pécuchet. C'est malin. 15 jours après mon retour de vacances, j'ai acheté déjà plein de livres.