samedi 7 février 2015

Connaît-on la chanson ? suite

 C'est à propos de Nicole Louvier.
J'ai saisi un fil. J'ai vu qu'il se déroulait au loin, je l'ai tenu entre mes doigts, je voulais voir où il me menait. Ayant choisi, parmi d'autres, son interprétation de Ça fait peur aux oiseaux (voir l'article précédent Connaît-on la musique ?) quelque chose m'avait frappé chez cette jeune femme. Mais mon impression était superficielle, provoquée par son regard. Or, il y avait bel et bien un mystère derrière son apparence.
Nicole Louvier eut une vie « différente », heurtée d'abord très durement par l'Histoire, à cause de son « origine », puis rendue très inconfortable par sa « nature ».
Nicole Louvier, juive polonaise par ses parents, née à Paris en 1933, fut une enfant cachée pendant la Seconde guerre. Elle vécut en Bretagne. Après les hostilités, elle revint à Paris. Retrouva-t-elle ses parents ? Je l'ignore, comme j'ignore si elle suivit des études. Très tôt, en tous les cas, elle écrit : des poèmes, des textes courts, des chansons, et des romans. Elle apprend à jouer de la guitare, elle chante, on la remarque, elle plaît. Les années cinquante lui conviennent parfaitement, On y entend volontiers  des chansons « à texte », sans mièvrerie. Son style très « travaillé », presque précieux, d'inspiration à la fois médiévale et symboliste, lui attire tous les suffrages.
Son premier disque paraît en 1953 (ou 1954 ?), présenté par Maurice Chevalier, toujours très attentif aux nouveaux talents. Chevalier la baptise « Le petit Radiguet », ce qui n'est pas mal vu. La voilà lancée ! Succès national, puis international. On reprend ses chansons : Jean-Claude Pascal, grande vedette alors, chante La Chanson de Venise, Marlène Dietrich donne sa propre interprétation de Qui me délivrera.
Elle fait paraître, aux éditions de La table ronde, deux romans : Qui qu'en grogne, et Les Marchands. Le premier évoque les troubles de l'amour entre deux jeunes femmes, le second, la rapacité du milieu du show business. Les deux ouvrages provoquent des remous. La jeune femme voit des portes se fermer devant elle. Au début des années soixante, elle découvre Israël avec une joie assez grande pour y demeurer et partager la vie d'un kibboutz. Elle reviendra à Paris, mais fera de fréquents séjours dans ce pays naissant.
Après, il apparaît que les choses se compliquent pour Nicole. Elle aimait les femmes, elle ne se plia pas aux nouvelles exigences de la variété, elle ne modifia rien de son style ni de son inspiration. On évoque souvent la figure des rebelles, aujourd'hui, pour qualifier des personnages d'apparence, qui prennent des postures convenues. La détermination de Nicole, son entêtement, son homosexualité sans doute à un moment où cette préférence sexuelle n'était pas devenue commune, tout cela fut-il fatal à sa carrière ? On n'entendit plus parler d'elle. Elle est morte, oubliée du public, entourée de happy few, en 2003.
Ces mêmes happy few veillent sur sa mémoire. Ils ont publié un cd contenant le plus grand nombre de ses chansons.

C'est ainsi qu'un jour on pressent quelque chose dans un regard, dans la vitre sombre d'un œil ardent, et l'on tire le fil d'un secret.



La Chanson de Venise


La même, remarquablement interprétée par Dany Dauberson, qui n'eut pas la carrière que lui méritait sa voix sensuelle. Certes, on pourrait dire que ce genre est démodé, qu'il a vieilli, qu'il fallait qu'il cédât à la pression de la jeunesse, qu'un nouveau public espérait, attendait autre chose, des rythmes, des thèmes, des apparences différentes. Cela est vrai, et, sans doute, nécessaire. Il n'empêche, notre mémoire ou notre plaisir sont gouvernés par d'autres principes que la seule nécessité.



La Chanson de Venise, encore, cette fois par Jean-Claude Pascal. Il roule un peu trop les r, le beau JC, mais sa voix suave est remarquablement placée. Il avait créé sa propre niche de chanteur de charme.



Marlene Dietrich (1901-1992), Qui me délivrera, enregistrée en 1955, suivie de Déjeuner du matin, un poème de Jacques Prévert (1900-1977) mis en musique par Vladimir Cosma, enregistré en 1962.



Supplément pour le plaisir et le frisson, ce bref moment comme pris sur le vif d'un enregistrement de Just a gigolo (auteurs) par Marlène Dietrich (désolé, intégration rendue impossible, rendez-vous à l'adresse suivante : http://youtu.be/BWYYNGXCgVQ)

DominiqueHMG consacre son site Youtube (DominiqueHMG) à Nicole Louvier et à beaucoup d'autres. On trouve chez lui de rares et belles images. Tout cela est fait avec ferveur et remarquablement.

Sur Nicole Louvier, on lira Connaît-on la chanson ?
Sur Marlene Dietrich, Effroi et magie d'AllemagneDans l'ordre du désirLe béguin pour Gabin

2 commentaires:

Sébastien Paul Lucien a dit…

Merci pour ce rappel musical ! Qui nous délivrera de cette voix exquise ?

Patrick Mandon a dit…

Cher Sébastien Paul Lucien, je vous salue !