jeudi 12 février 2015

Un roi très mélancolique

Actuellement, et peut-être pour très peu de temps, youtube diffuse le film Ludwig-Visconti, en français et dans son intégralité. Ce genre de choses -des films rares, libres et gratuits-, sans être exceptionnel, ne dure pas longtemps. Les œuvres sont retirées rapidement.
Voici donc l'adresse où vous pourrez visionner, enregistrer ce chef-d'œuvre, dans une qualité satisfaisante.

Ludwig ou le Crépuscule des Dieux Film complet (1973) Visconti VF - YouTube



Le rôle de Ludwig est tenu par Helmut Berger : il y exprime toutes ses qualités d'interprète viscontien. Les rapports entre les deux hommes étaient parfois orageux. Certes, Visconti était follement épris de Berger, mais il n'abandonnait aucune de ses prérogatives de maître du plateau. Il voulait que ce film exprimât sa conception de l'existence. Il sut parfaitement distinguer dans la personne du roi fantasque et supérieurement inspiré la représentation de son idéal : la vie réelle est décevante, seule la vie de l'esprit, guidée par une recherche infatigable du beau, peut nous consoler, apaiser notre chagrin fondamental. Il faut rapprocher ce film d'un ouvrage magnifique : Le livre de raison d'un roi fou : Louis II de Bavière (1947) d'André Fraigneau (1905-1991). Je ne connais pas d'étude à la fois plus légère et plus inspirée, plus pénétrante du souverain bavarois. Comme Visconti, il le suit dans son déclin physique, dans son inexorable métamorphose d'apparence, qui, cependant, ne s'accompagne nullement d'une quelconque altération de sa lucidité ni de sa capacité d'analyse :
« Cette nuit, aux flammes des bougies, j'ai contemplé longuement mon visage dans un miroir […] Je me découvre tel que l'exercice de la vie m'a fait. Plutôt m'a défait […] Mes dents gâtées par les sucreries […] Je suis énorme, gigantesque, même […] Les romantiques ont l'imagination courte, ils ont inventé le monstre laid : Quasimodo […] Je suis un monstre beau. C'est pire. »
Dans Ludwig-Visconti, les moments qui réunissent Sissi (Romy Schneider) et le roi, leurs ballades nocturnes, leur complicité d'enfance, leurs discussions, sont un éblouissement. Quant aux deux acteurs, Schneider dans de longs vêtements noirs, Berger sous ses chapeaux de Hambourg, sanglé dans son uniforme ou enveloppé d'un manteau, ils sont d'une beauté impressionnante.

Sur Visconti, si le cœur vous en dit : Drieu via Visconti, Joël H. via Guidoni Le décor d'une vie -1-
Le décor d'une vie -2- Le décor d'une vie -3- Luchino est mort ! L'enchanteur du XXe siècle (1)
Les garçons La peste soit du choléra !

3 commentaires:

Jérôme Leroy a dit…

Et pourtant, cher Patrick, sans dénier aucune qualité à ce chef-d'oeuvre, le personnage viscontien dans sa vérité la plus pure, la plus émouvante et la plus complexe demeure pour moi le
Prince Salina magnifiquement interprété par Burt Lancaster.

Patrick Mandon a dit…

Oui, cher Jérôme, vous avez parfaitement raison. Le prince Salina est sans doute, de tous les personnages de ses films, celui dont Visconti est le plus proche. c'est sans doute pourquoi vous le voyez dans une « vérité émouvante et complexe ». Mais entre Salina et Ludwig, les années ont passé. Les avis sont partagés, Visconti a déclaré, à propos de Violence et passion (Gruppo di famiglia in un interno), des choses éclairantes, que je vous communiquerai un peu plus tard. Or, ses propos vous donneraient plutôt raison, non pas directement (dans son rapport avec Salinas), mais dans sa propre « vérité complexe ». À tout à l'heure, Jérôme.

Patrick Mandon a dit…

Jérôme, je voulais apporter cette précision : Visconti, dans un entretien dont je ne retrouve pas l'original, disait à peu près que, certes, le vieux professeur érudit du film Violence et passion avait accumulé un savoir phénoménal, et que la famille qu'il avait consenti à loger au-dessus de chez lui présentait un degré élevé de corruption. Mais, à tout prendre, il donnait raison à la famille, ou plutôt à ses jeunes représentants, parce qu'ils incarnaient la vitalité. Il précisait même que, les sachant décadents, il aimait leur décadence.
D'ailleurs, son film ultime, L'Innocent, est tiré du roman éponyme de Gabriele D'Annunzio, qualifié souvent de « prince de la décadence ». Alors que ses forces déclinaient, Visconti semblait se « rassembler » dans cette esthétique, en affirmant : « Je suis un décadent. Le mot ne m'effraie pas. J'aime les décadents européens. ».
Et, en effet, on voit les effets de ce parti-pris dans ses dernières œuvres. Il est bien possible que Ludwig, plus certainement que le professeur joué par Burt Lancaster, incarne la dernière « figure » de Luchino Visconti. Ce dernier ne connaît pas vraiment l'échec, il est en quelque sorte trahi, mais il a accompli son œuvre, qui lui survivra. Alors que le premier ne laissera que ses collections de tableaux. Dans ce sens, Violence et passion, qui n'est d'ailleurs pas un excellent film (bavard, maladroit, très schématique, néanmoins passionnant) signale la fin d'un monde.
Y aurait-il une énergie dans la décadence européenne ? Si cela est vrai, nous sommes sauvés. Mais sommes-nous dans une période de décadence comparable à celle rêvée par Luchino ?