dimanche 5 septembre 2010

Serge en automne

1961, Gainsbourg travaille encore dans la haute couture. Les universitaires diraient qu'il se produit dans La chanson de Prévert une mise en abîme : une chanson dans la chanson. On notera l'élégance du personnage, son beau visage en lame, impeccable, et la voix puissante et grave. Il y a du crooner nonchalant des bords de Seine chez cet homme.

Le bœuf sous un toit

Serge Gainsbourg au piano, accompagné de deux pointures : Michel Gaudry à la contrebasse, et un bassiste d'une dextérité remarquable, Elek Baksik, d'origine hongroise, si doué, que son jeu compense l'absence d'un batteur. Gainsbourg en pianiste de jazz ? Certes pas ! Mais ce “bœuf” en noir et blanc, dans cet appartement enfumé, entre des camarades enjoués, est éminemment sympathique.
Le morceau, composé par Oscar Hammerstein, s'appelle All the things you are.



Dans la peau de Serge

En 1958, le beau Serge, fait paraître le long player joliment titré Du chant à la une. Il présente, tel un premier communiant un peu crispé, l'une des chansons de l'album Douze belles dans la peau.
En fait, Gainsbourg, parolier et interprète, bénéficia très vite d'un soutien actif de la part des producteurs de télévision, lesquels aidaient considérablement la chanson française.
Tous ces gens étaient à leur place et avaient du talent.


samedi 4 septembre 2010

Madame Lulu



Il me semble bien, depuis longtemps, que Serge Gainsbourg éprouva une violente déconvenue, une blessure jamais refermée, lorsqu'il se contraignit à abandonner la peinture. Il était certainement doué pour cet art qu'il qualifiait lui-même de majeur, mais il comprit qu'il ne pourrait pas adapter son style, sa manière, au goût du jour.
Par ailleurs, Lise tord le cou à la réputation "libertaire” de Serge, qui était, au vrai, un "classique”, un fervent admirateur et un bon connaisseur des écrivains et poètes français du XIXe siècle.
En complément de ces déclarations, que je trouve fraîches et bienveillantes, vous lirez l'entretien que Lise a accordé à Ouest France, le 12 avril 2010, dont voici un bref extrait :

Comment est née cette histoire d'amour qui a duré 44 ans ?

C'était le 5 mars 1947. Quand j'ai rencontré Lucien (le vrai prénom de Gainsbourg) à l'Académie Montmartre, c'était un petit Juif russe. Moi aussi j'étais russe, mais d'une famille d'aristocrates épouvantablement antisémites. Notre amour a été une fête extraordinaire. Nos deux familles ne s'aimaient pas. On voulait vivre un amour libre, à la manière de Sartre et Beauvoir. C'était la bohème. Je ne voulais pas dépendre d'un homme, j'étais secrétaire du poète surréaliste Georges Hugnet et dans des maisons d'édition. Je peignais, Lulu assez peu. Il disait pourtant qu'il était destiné à devenir un grand peintre.

Un jour, vous vous retrouvez chez Dali...

Pendant quatre mois ! Le poète pour qui je travaillais, malade, ne pouvait plus m'employer, je n'avais plus de logement. Sa femme m'a passé les clés d'un appartement que Dali n'occupait pas. Il y avait des tableaux partout. Lulu, au service militaire, me rejoignait quand il avait une permission. Il avait 21 ans et moi 23. Gala, femme de Dali, inquiète qu'une jeune femme occupe son appartement, est venue compter les draps. Même pas les tableaux, les draps ! Dali est venu le lendemain, avec du champagne, excuser sa femme. Il nous a ouvert une pièce, tapissée d'astrakan noir, du sol au plafond. Lucien était suffoqué : qu'on puisse fouler ça aux pieds était merveilleux. C'est de là que lui est venue l'idée, bien plus tard, de tapisser de noir son appartement de la rue de Verneuil. […] La suite ici

jeudi 2 septembre 2010

Vous dansez, mademoiselle ?

Pour le plaisir, à la fin d'un été qui fut éblouissant et doux, et pour inaugurer une séquence Gainsbourg, cette chanson, qui invite à la danse, à l'oubli et à plus si affinités…

mercredi 1 septembre 2010

La roue tourne

Pédaler pour la France






















Laurent Fignon est mort. Il aimait la course cycliste, les sciences exactes et la littérature. À sa manière, il a signalé, moins évidemment que Jacques Anquetil, une forme de dandysme chez les grands routiers. Très perspicace, ironique, d'une franchise parfois brutale, il a gagné autant grâce à sa tête que grâce à ses jambes. Excellent grimpeur, il roulait moins aisément que les athlètes, tel Greg LeMond (champion de triathlètisme), qui remporta le tour de France, en 1989, après une course contre la montre palpitante : 50 secondes séparaient LeMond de Fignon, au profit de ce dernier, avant l'ultime course contre la montre, entre Versailles et les Champs-Élysées. À l'arrivée, l'américain avait 8 secondes d'avance ! Jamais un si faible chrono n'avait départagé les deux premiers du Tour. En forme d'hommage, je reprends ici un des premiers textes de ce blogue, d'une séquence consacrée au tour de France. On me pardonnera cette auto-citation.


Anquetil : pédaler moins pour gagner plus

Le coup de pédale, «c'est l'homme même». Sur un plat, dans une côte légère, dans l'escalade du Tourmalet ou dans le plongeon vers le fond de la vallée, jusqu'à la manière de s'élancer dans un «contre la montre», chacun adopte une position qui lui est propre, combine des postures, les alterne et compose ainsi des figures remarquables. Chez les Italiens, Fausto Coppi, « il campionissimmo», n’eut pas d’égal. Sa séduction, sa «manière», tout en lui le séparait des autres. Mais celui qui parvint, chez les Français, à obtenir le meilleur coefficient de pénétration dans l’air, celui-là se nommait Jacques Anquetil (1934-1987). Toujours, il démontra un courage discret, une aisance de danseur. Il a incarné la recherche de l’effort minimal, et, comme nul autre, l’insupportable facilité d’être champion cycliste. Avec cela, son pouls, au repos, battait à quarante pulsations par minute, à soixante-dix en plein effort. Agaçant ! Quant à sa diététique, elle lui était inspirée par Gargantua. Irritant !

Il s'avança, tel un beau blond d'époque, mince comme un muscle profilé : un normand de terre et d’air, un viking policé. Ses victoires, il semblait les obtenir avec l'économie d'énergie des grands paresseux : «Je ne suis pas venu pour courir, simplement pour gagner. Mais je vous laisse, on m’attend.» Il faisait son «Maître Jacques» comme en se jouant, et, même quand il souffrait, il voulait qu’on prît ses grimaces pour des sourires. C’est pourquoi il ne fut pas tout à fait un héros absolu du tour de France. Avec cet elfe malicieux, le public, frustré, se plaignait de ne pas «voir le travail». Il était comme un costume futuriste, au tombé impeccable, mais dont on chercherait en vain les coutures. Il laissait dans son sillage princier la longue trace des courageux, des obstinés, des besogneux, des «forçats». Jacques Anquetil, seigneur simple, abolit tout effort inutile. Il ne ressemblait à personne, il n’eut pas de successeur. Longtemps après sa mort, on voulut nous révéler des choses cachées : je compris surtout qu'il aimait les femmes et que ces dernières ne détestaient pas lui faire plaisir. J'en conclus qu'il fut un heureux homme.

Je le vis, peu de temps avant sa mort, dans un grand café de la rue Drouot. Il entra, accompagné de quelques amis. Applaudi par toute la salle, qui s'était levée, il répondit par un grand sourire de renard et un geste du bras. Après son décès, les patrons du lieu placèrent un poster, qui le représentait, derrière le bar. Ils ont vendu, la décoration a changé : ni le personnel, ni les consommateurs, très «nouveaux parisiens», ne se soucient de Jacques Anquetil.

Photographies X, droits réservés : ci-dessous, Laurent Fignon s'échappe, laissant derrière lui Greg LeMond ; en haut, Jacques Anquetil



Inoubliable !

De sa belle voix rauque, l'extravagante Hidegarde Knef, nous dit combien il est difficile d' (de m') oublier.



Ich wollte dich vergessen
Texte et chant,
Hildegard Knef
Musique, Gert Wilden

Ich wollte dich vergessen
Ich dachte es wäre so leicht
Es war doch ein Spiel, das uns beiden gefiel
Eine Nacht, die den Tag nie erreicht
Ein Abschied ohne Tränen erinnerung,
Die schmerzlos verweht

Ein Glück ohne Spur,
Begegnung die nur

Für die Nacht und ihr Sehnen lebt
Ich wollte dich vergessen
Und fortgehn als wär nichts geschehn

Ce qui pourrait se traduire par :

Je voulais t'oublier,
J'ai cru que ce serait facile.
Ce n'était qu'un jeu,
Une partie de plaisir,
Une nuit qui n'atteindrait pas le jour,
Un départ sans larme,
Un souvenir sans chagrin,
Un bonheur sans lendemain,
Une rencontre pour le temps d'une nuit, d'un désir,
Je voulais t'oublier
Comme si rien n'avait été

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