vendredi 31 juillet 2009
Si l'on se séparait ?
Voici un grand classique de la chanson française, Les feuilles mortes, que les américains connaissent sous le titre Autumn leaves. Elle vient d'être enregistrée par un garçon d'hier, jeune comme l'énergie du désespoir : Iggy Pop. Je l'ai entendue, il y a peu, un matin ; une heure après, je l'écoutais en boucle. Chose curieuse : Iggy souhaitait d'abord la chanter en anglais, mais le prix demandé par les différents ayants-droit était exorbitant. Il nous la donna donc en français. Vous la trouverez peut-être crépusculaire, mais son thème n'évoque pas une partie de plaisir, et Iggy n'est pas toujours d'une humeur de gai luron. Excellent arrangement et très bons musiciens.
Note : encore tout en muscles, l'Iggy, souple et mince comme un chat de gouttière !
Et pour vous complaire, figurant sur le même album, Préliminaires : I want to go to the beach.
mardi 28 juillet 2009
Ferveur et marquisat
Dans un récent message (voir ci-dessous Aliocha, Yashband, Goga)
je vous faisais part de ma découverte, sur youtube, d'un enregistrement des Deux guitares, chanson tzigane, par le grand Aliocha Dimitrievitch (décédé en 1986, il repose dans le beau cimetière orthodoxe de Sainte-Geneviève-des-Bois). J'ajoutai à la vidéo, le témoignage qui l'accompagnait, signé Yashband. Par politesse, je fis connaître mon initiative à ce dernier. Voici sa réponse :
Cher Monsieur,
Vous ne m'avez froissé en aucune façon, bien au contraire.
Je vous remercie pour votre appréciation, et je suis heureux que la mémoire de mon Ami Goga soit honorée par votre sensibilité. J'ai connu Goga à Bruxelles, au cabaret russe Le Slave, qui était le dernier établissement russe «ancien» véritable chez nous. Il était devenu un ami proche et venait à la maison régulièrement. Après avoir été en tournée avec Ivan Rebroff, pendant près de 3 ans, il s'est fixé à Paris, et travaillait à l'Étoile de Moscou, situé rue Arsène Houssaye. Il s'est marié ensuite avec la chanteuse Tzigane Lovara, Zina.
Bien cordialement,
Yashko
Avez-vous vu la vidéo suivante, avec la voix de Goga ? :
http://www.youtube.com/watch?v=0zBucjdXEHo
Je précise que Yashko, sous le pseudonyme Yashband, publie sur youtube de rares images et chansons des Dimitrievitch et d'autres interprètes tziganes et russes. Il le fait avec un soin et une ferveur proprement slaves. Que vive l'éternelle, la nouvelle et la future Russie !
Photographies : ci-dessus, Yashko, en tenue traditionnelle.
Ci : dessous : Dziga Vertov, L’homme à la caméra, 1929, DVD en vente
sur le site http://www.russie.net/.
Je reconnais les amoureux du cinéma au seul fait qu’ils se lèvent quand on prononce le nom de Dziga Vertov. Il ne commit, selon moi, qu’une seule erreur d’appréciation : avoir cru à la Révolution.
lundi 27 juillet 2009
Caravane
Olyvier a discrètement laissé ces quelques mots, sous l'article d'Émilie. Ils s'adressent à tous ceux qui passent ici, je leur donne donc l'importance qu'ils méritent.
«La veille de mon départ, je vous dis à tous au revoir. Je tâcherai d'écrire d'Iraq. En attendant, j'emporte ce bon souvenir de vous, avec moi, près de moi, et au loin.»
samedi 25 juillet 2009
Rire amer chez les Arvernes…
Émilie nous a donné ce texte d'une grande force. Il est d'une lecture aisée, mais pour le moins inconfortable. Je le publie, car j'aime beaucoup sa liberté. La mémoire d'Émilie n'est pas apaisée, elle gronde toujours d'une colère vive. C'est son opinion. Vous réagirez.
Attention, «c'est du brutal !».
Pieds-noirs.
Ce sobriquet dont on nous a affublés, nous avons eu l’humour de le revendiquer. On en ignore l’origine exacte, mais de toutes les explications avancées, celle que je préfère est d’Edmond Brua, pied-noir, né à Philippeville, comme moi, et auteur d’une parodie du Cid en pataouète : dans le midi, les pieds-noirs sont les passereaux qui s’envolent vers l’Afrique en automne. Quelqu’un aurait lancé le surnom et il nous serait resté. Oiseaux migrateurs, comme les passereaux, nous avons fait l’aller-retour, mais il n’y aura jamais d’autre automne.
«Un peuple sans passé» disait Camus. Ce n’est plus vrai puisque l’Histoire, en frappant à «la porte du malheur», leur en a offert un…
Personne ne peut guérir de l’Algérie : de mon enfance coupée en deux, arrachée à l’Afrique, sur l’autre rive, il reste une petite valise de souvenirs éblouissants de lumière au fond du placard où s’entassent les injustices et les mensonges d’une guerre, puisqu’il faut bien l’appeler
par son nom.
L’Algérie, c’est une image fixe et mouvante, couleur de ciel et de sable, sous une lumière aveuglante, où j’entre toujours à mon insu, qui s’impose à moi et que j’interroge depuis toujours parce que je sais qu’en elle se trouve la clé de l’énigme, la mienne. A l’école de mon village du Constantinois, nous sommes seulement trois enfants européens parmi de nombreux petits écoliers arabes. J’ai quatre ans, j’aime l’école. Mon instituteur est Kabyle. Il m’a mise dans le groupe des petits, mais, en écoutant d’une oreille ce que faisaient les grands, j’ai appris à lire, à son insu et de mon plein gré. Il ne s’en est pas aperçu tout de suite, c’était une surprise ! Chaque matin, je sors du rang pour l’embrasser. C’est un rite qu’il accepte, un accord tacite entre nous. Au village, on ne s’explique pas le comportement fantasque de la fille de N… Je crois que je le remerciais simplement, lui, «l’indigène», de m’avoir appris à lire et écrire la langue française, comme si mon cœur d’enfant y voyait la preuve de son attachement à la France, à nous. Plus tard, on apprendrait qu’il avait quitté l’école pour aller grossir les rangs du FLN ! Aujourd’hui encore, lorsque j’en parle, je me heurte aux mines dubitatives de la foule des ignorants : «Comment, «ils» étaient donc instruits, ils allaient à l’école, ils pouvaient enseigner ? »
La scène hantée, l’image qui me colle à l’âme, c’est celle de cette sortie d’école, un après-midi de printemps. Les enfants se précipitent dans la rue, l’école est finie. Aussitôt un cri déchire le ciel, une rumeur s’élève, la panique gagne. Je perçois quelque chose d’inhabituel, et je regarde, immobile, cet objet vert et quadrillé, ovale comme un citron, qui vient de rouler à mes pieds, et que je sens contre ma sandale blanche. Pas le temps de comprendre, je suis aussitôt soulevée de terre, emportée, secouée, ballottée. Je ne sais pas pourquoi, et soudain j’ai peur. C’est Ali, l’ouvrier de mon père (non, pas un esclave !) qui me porte en courant, qui crie, s’essouffle et appelle mon père en arabe ! On arrive à la maison. La «chose» verte à mes pieds était une grenade : mal dégoupillée, elle n’a pas explosé. «Mektoub !», c’était écrit, ce n’était pas mon heure. Je venais d’entrer dans notre tragédie.
Dès lors, nous ne pouvions plus rester. Le FLN nous tuait, nous égorgeait, nous écorchait vifs, nous mutilait, nous empalait selon des rituels monstrueux, d’une sauvagerie barbare et nous étions innocents. Salaud de Sartre qui, en France, appelait au meurtre des Européens, glorifiait et justifiait le massacre des innocents ! Salauds de porteurs de valises, qui ont collaboré avec les assassins ! Les «roumis» devaient disparaître, on nettoyait «ethnique» ! Le FLN, au passage, pardon de le rappeler, a massacré, selon les mêmes méthodes, des milliers de musulmans, de frères. Il fallait bien ça pour les convaincre ! L’union fait la force et c’est sans doute ainsi qu’Allah est grand !
L’Algérie, c’est à jamais mon pays étranger, mon pays de nulle part, mon mirage, mon Atlantide. Tout ce que nos pères, grand-pères, arrière-grands-pères avaient sué et construit serait englouti, puis jeté dans les poubelles de l’Histoire. Un ami y est retourné dans les années Quatre-vingts. Il m’a raconté les cabanons, les maisons en bord de mer, les piscines municipales, tous les lieux de plaisir et de distraction d’avant 62, laissés à l’abandon. Il m’a dit l’étrange frisson qui l’a saisi alors, le sentiment déroutant de se trouver face aux vestiges d’une civilisation disparue, effacée, déjà presque poussière.
L’Algérie, c’est ma mère : pas encore trente ans, la beauté sensuelle et la grâce de Sylvana Mangano. A notre arrivée en France, elle a posé sur mes épaules ces mots de la rupture, du renoncement et du sacrifice : «On nous a volé notre destin !». Elle prenait là toute la mesure de notre tragédie. Nous quittions un pays où nous étions nés, mais qui n’était plus le nôtre, pour rejoindre sur l’autre rive le giron de la mère-patrie que nous aimions tant, sans savoir qu’elle nous recevrait à contrecœur, avec des «cris de haine», comme des criminels, des fils indignes. Nous étions des amoureux éconduits, la France nous repoussait, regardait et regarderait toujours ailleurs, comme au-delà de nous. Français de là-bas, exilés en France avec les Harkis, nos frères de douleur, nous n’étions plus de nulle part. C’était bien la tragédie selon Anouilh «[…] il n’y avait plus d’espoir, le sale espoir….avec tout le ciel sur notre dos et on n’avait plus qu’à crier, pas à gémir, pas à se plaindre, à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore».
Spoliés, déchirés, chassés, déracinés, insultés, rapatriés, déportés. Que demander de plus ? Coupables ! On commençait à l’entendre résonner très fort autour de nous «le sanglot de l’homme blanc» !
Elle le savait ma-mangano lorsqu’elle a posé ses talons aiguilles sur le sol auvergnat, altière dans sa jupe droite, esprit subtil que rien ne piège, abrité sous un casque de cheveux lourds que le henné enflammait. En deuil de son insouciante jeunesse, elle regardait, pensive, le ciel baudelairien du Massif Central peser comme un couvercle sur nos têtes, et plomber ses rêves. La France des profondeurs ! Il est encore là, dans un tiroir de ma mémoire, vivace, tenace, cet instant du désarroi : place de Jaude, Clermont-Ferrand, Puy de Dôme, au pied de la statue de Vercingétorix (tout un symbole !) qui affichait un air perplexe au passage de ces drôles de Gaulois ! Un jeune couple et ses deux enfants, ensemble désemparés. Rien ne nous ressemblait, ni ne parlait à nos âmes de nomades, tout paraissait hostile. Il faisait frais, l’éternelle grisaille bouchait l’horizon. Au moins une certitude : on découvrait ce jour-là que l’hiver auvergnat commence en juillet. Seule certitude. Instinctivement, machinalement, nous regardions au loin, nous cherchions la mer qu’on ne reverrait plus avant longtemps. Jamais, peut-être. Ici, rien que du noir, noire la cathédrale en pierre volcanique, noire la lumière, noires les rues et les façades. Et dans nos cœurs le chaos, la lave de la mélancolie, le sang des massacres, le vacarme et la fureur, les cendres de la terreur. Dans l’écorce de la mémoire, la gravure au poignard d’un aller sans retour. Nous étions «cette race née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels» ; par cette phrase sublime de Noces, Albert Camus résume toute l’âme pied-noire, l’essence même de la pied-négritude ! Pour les auvergnats, d’un abord si réservé, nous étions des extra-terrestres, des gens très décalés, surprenants, dont ils ignoraient absolument tout, et même que nous étions des Français ! Il paraît qu’on avait un accent bizarre, on ne le savait pas. Même notre vocabulaire posait problème et était un frein à la communication avec l’autochtone. Au début surtout, ensuite on s’est adapté et intégré. Ainsi, ce même jour d’apocalypse à Clermont, nous nous sommes attablés à la terrasse d’un café. Il convenait de fêter dignement l'événement ! On passe commande. Le serveur revient et pose devant nous, ébahis, déconcertés, incrédules… quatre cafés crèmes ! Nous voulions des glaces ! Mon père, ce héros au sourire si doux, mais «de caractère», moitié John Wayne, moitié Gassman, proteste et s’échauffe un peu. On s’explique. Une fois le quiproquo dissipé, et ce ne fut pas simple, il s’avère que l’erreur, c’était nous (encore !). En Algérie une glace, c’était une crème (glacée), l’épithète «glacée» étant toujours sous-entendue. En France, un crème est un café avec de la crème de lait, mais le mot «café» est toujours sous-entendu. On prenait nos marques. Cette cocasse déconvenue nous valut un fou-rire mémorable. Enfin ! Enfin, l’Auvergne nous faisait rire, comme un peu de soleil sur un volcan éteint !
Rire amer certes, mais salutaire ! Nous venions de rencontrer le réel. Nous étions des naufragés, notre frêle esquif avait accosté une contrée hostile et nous étions seuls. Nous devinions que les avanies ne faisaient que commencer et que la dérision serait notre force, notre rempart contre le chagrin, la forteresse où nous nous garderions du désenchantement, le contrepoint du mal de vivre….
Émilie
Photographie : Sylvana Mangano, dans le film Riz amer, de Giuseppe De Santis
Sur trois notes
Si vous allez sur le site de l'INA, et si vous demandez Une aussi longue absence, de Henri Colpi, vous verrez Alida Valli inviter Georges Wilson à danser sur cette chanson, interprétée par Cora Vaucaire. La musique est de Georges Delerue, les dialogues du film sont signés Marguerite Duras, qui fut toujours remarquable dans cet exercice. Un ancien prisonnier de guerre à l'air égaré, revenu récemment, passe et repasse devant le café que tient Alida Valli (on a fait pire comme tenancière de bistro !).
Avis !
J'en suis partisan
vendredi 24 juillet 2009
Pour Corinne
Aliocha, Yashband, Goga
Je cherchais Les deux guitares, par mon cher Aliocha Dimitrievitch, quand je suis tombé sur cette chanson, dédicacée par un certain Yashband. Voici, in extenso, le texte de la dédicace :
«Я посвящаю эту песню моему убитому Другу Гога несколько лет тому назад в Париже. Je dédie cette chanson de Aliosha à mon ami Goga assassiné il y a quelques années à Paris. Il avait accompagné souvent Aliosha à la guitare.»
J'espère vivement que Yashband ne se sentira pas outragé par la reproduction, ici, à destination de mes compagnons, de son si bel hommage à un ami disparu. Je n'ai fait que chercher le hasard, et je l'ai trouvé ; mes yeux sont secs, mais mon cœur est en cendre (à la Morand !).
Veni, vedi, Vera
Pour Nadia, pour ses souvenirs, pour sa belle personne, pour ses ombres et sa lumière, cette autre chanteuse, que je ne connaissais pas, Vera Bila.
jeudi 23 juillet 2009
Une perle !
À présent apparaît David Gilmour, il chante l'air de Nadir, extrait des Pêcheurs de perles, de Georges Bizet :
«Je crois entendre encore, caché sous les palmiers,
Sa voix tendre et sonore
Comme le chant d'un ramier…»
Bien sûr, nous connaissons tous les grands enregistrements de ce morceau d'une douceur de magicien, mais nous ne savions pas tous que Gilmour en avait donné cette version. Je la trouve admirable, très fidèle à l'esprit de l'œuvre, mais sans effet, sans mièvrerie et avec une pointe de lassitude anglaise qui me la rend plus aimable encore. Vous jugerez.
Valia, la voix des humeurs du vent
dimanche 19 juillet 2009
UN PEU DE BEURRE DANS UN MONDE DE BRUTES
Devant affronter la querelle, toute de malicieuse courtoisie, que me cherchait la marquise Émilie de Beauregard (voir plus bas ; quand je dis «plus bas, je désigne ce blog…), j'en appelai à mes amis Catherine et Paul, fondateurs et animateurs d'un site de plaisir(s) déjà signalé ici (encore plus bas !). Je leur écrivis donc :
«Chers amis coquins,
Des dames, qui visitent mon blog, s'affrontent (gentiment) à propos du vôtre. Je vous fais un résumé :
Émilie écrit d'abord ;
« D'ailleurs le site érotique dont vous faites la publicité m'a beaucoup amusée ! Il s'affiche hypocritement cul-turel, mais il est surtout cul...Pardon, mais…
"Je ne suis pas parisienne,
ça me gêne, ça me gêne.
Je ne suis pas dans le vent
C'est navrant, c'est navrant
Aucune bizarrerie
Ça m'ennuie, ça m'ennuie...!"»
Alors, je réponds à Émilie :
«Pour ce qui est du site de Paul et de Catherine, qui sont des amis, je comprends fort bien qu'il ne vous intéresse pas, mais je vous trouve injuste : ils ont vraiment cherché à marier le cul et le turel. Tous deux sont de vrais coquins, des libertins sans doute, et ils aiment tous les aspects de la vie. Je ne sais pas s'ils parleraient de «libération sexuelle», trop connotée mai 68, trop libéral-libertaire à leur goût, je pense qu'ils se réclament plus du XVIIIe siècle. Je souhaite vivement que cette contrariété ne vous détourne pas de ce blog, Beauregard, j'en serais vraiment désespéré. Que pense Nadia de cette initiative ? Il me vient à l'esprit que Paul et Catherine voudront peut-être vous répondre…»
Là-dessus, intervient Nadia, qui dit :
«Quant au blog de vos amis, il est libertin assurément et ce n'est pas pour me déplaire.»
Émilie semble interloquée :
«Alors, comme ça, vous aimez les sites libertins, Nadia ? Je dois être très vieux jeu !»
Considérant cela, je ne pus m'empêcher de faire cette proposition à Nadia :
«Je me réjouis de constater que vous voyez le site de mes amis comme libertin. Car, n'en déplaise à Beauregard (c'est ainsi que je surnomme Émilie, qui a effectivement un regard de braise), ce fut bien leur intention. Je leur demanderai de préparer une ballade coquine, pour votre fiancé (le joli mot) et pour vous même, en Angleterre. Mais, avez-vous besoin de leurs conseils ?»
Proposition qui me valut cette réponse :
«Cher Patrick, si vos amis sont taquinés par une ballade coquine, mon "fiancé" et moi sommes preneurs naturellement.»
Voilà, chers amis, c'est à vous de jouer. Avez-vous, dans votre site, une pérégrination coquine en Angleterre, à laquelle renvoyer Nadia (un week end amoureux dans un bel endroit, par exemple) ? Où possédez quelques adresses de lieux un peu secrets, où Nadia pourrait se rendre, à Londres, où elle réside ?
À bientôt,
Patrick Mandon
Catherine et Paul me firent cette jolie réponse, que je m'empresse de vous transmettre :
«Cher Patrick Mandon de XXXXX et autres lieux,
Merci de nous avoir communiqué ces avis aussi divergents que d’un ton agréable sur notre site. Celui d’Emilie comporte plus d’autocritique que de critique. Evidemment, elle nous taxe d’hypocrisie, ce qui n’est pas horriblement insultant. Nous nous proclamons “magazine culturel des plaisirs”, parce que nous essayons de parler des plaisirs et de les inscrire dans LEUR culture (au sens de “l’idéal de la vie de l’esprit”). Le sexe a une culture, la gastronomie aussi, etc. Quant à la balade coquine en Angleterre de Nadia et de son “fiancé”, nous n’e disposons pas encore d'informations vérifiées, relatives à des lieux “libertins”, à Londres ou dans la verte campagne anglaise. On le fera, on le fera ! En attendant, si Nadia et le fiancé le veulent, ils peuvent faire une escapade à Amsterdam : nous indiquons dans le dossier que nous avons consacré à cette ville, des adresses pour hédonistes joyeux (pléonasme ?) En attendant, monsieur le Marquis Mandon, comment as-tu trouvé notre article sur toi ? Te sied-t-il ? Merci d’avoir rendu si promptement au sieur Bergaud ce qui lui revient. Ton blog prend de l’ampleur (excellente analyse de la photo de JMP. J’ai vu une photo de Blondin sans bouteille : retouchée ?) Salue très cordialement aussi bien Emilie-Beauregard que Nadia. Amitiés
Catherine et Paul
Pour conclure, cette note, trouvée dans Fabrication pratique du beurre : Manuel publié par la Société Française d'Encouragement à l'Industrie Laitière, 16 rue Sauval, Paris. Rédigé par une commission composée de MM. A. Chirade, E. Moreau, R. Lezé. Caen : Imprimerie E. Adeline, rue Froide, 16, 1886 : «Le lait doit être filtré avec très grand soin avant d'être reçu dans les écrémeuses. Cette filtration ou ce coulage s'opère en le faisant passer à travers un tamis métallique fin, ou une toile ordinaire soutenue sur un petit cadre.
Une bonne filtration est indispensable pour retenir les poils, les poussières ou petits corps étrangers qu'il est si désagréable quelquefois de retrouver ensuite dans le beurre.»
Illustration, L'harmonie des plaisirs, Les manières de jouir du siècle des Lumières à l'avénement de la sexologie, Alain Corbin, Perrin
samedi 18 juillet 2009
Blues français
Du Moyen Age à l'âge de plomb
Pourrais-je longtemps encore ignorer que le monde réel me sollicite ? Et qu'il le fait avec une insistance croissante ? Il m'impose le spectacle quotidien de mon erreur, il m'objecte sans douceur mon long aveuglement. Il m'accompagne jusqu'au sein de mon illusion confortable, sème le désordre dans ma vie, m'interrompt d'un rire d'ironie lorsque je murmure un air de Charles Trenet, se gausse de mes postures compliquées. Le monde réel me tourmente à plaisir et sort de sa poche, de temps à autre, pour y ajouter un chiffre, la facture de mon désastre annoncé. Je suis, pour peu de temps encore, son débiteur. Le monde réel me contraint à examiner d'un peu près le visage de ce pays luxueux, qui vit désormais très en-dessous des moyens que lui fournirent, jadis et naguère, les meilleurs d'entre nous.
La France est née du génie médiévale, par lui, elle comprit qu'il n'est de civilisation aimable et paradoxale sans la conversation des femmes, sans leurs concours, sans leur constant souci de nous améliorer et de nous contraindre. Les femmes ne furent pas moins cruelles, égoïstes, vaniteuses, lâches, débauchées, dissimulées, violentes que les hommes, elles le furent différemment, elles le furent avec le sentiment de tenir leur rang dans la société. Aujourd'hui, que reste-t-il de cette créature affolante qui me donnait le sentiment d'appartenir à un rêve plutôt qu'à une terre ? Que reste-t-il de cette géniale invention qui m'autorisait à lui être fidèle sans lui paraître soumis ? Il ne reste que le monde réel. C'est assez dire que je suis menacé de connaître bientôt la plus grande précarité. Photographie : plainte d'arbre, agonie amoureuse, baillement de tronc ?
vendredi 17 juillet 2009
Sortez vos mouchoirs !
jeudi 16 juillet 2009
Le salon où l'on peut tout se dire
Le salon d'Elisabeth
Il n'est pas sur «la toile» de plus remarquable lieu où s'affrontent les paroles. C'est un salon de perspicacité, d'où l'on sort plus intelligent qu'on ne se l'avouait en y entrant. Mais attention, si l'on espère des massages apaisants prodigués par les propriétaires du lieu , on sera vite déçu ! Chez Causeur, on ne caresse pas, et surtout pas dans le sens du poil. La princesse Elisabeth Lévy y règne et anime sa très brillante adresse ; les Comtes Gils Mihaely, François Miclo, Marc Cohen, Basile de Koch lui font une garde attentive, redoutée des crétins et des importuns. On y croise le fer, on y joue avec le feu, on s'y invective, il s'y dit une chose et son contraire. Cela va de l'Atlantique à l'Oural, du renouveau communiste à l'appel néo-libéral, sans omettre la belle réactivation gaulliste de David Desgouilles. Les qualités nécessaires pour s'y rendre sont les mêmes que celles qui fondent le plaisir d'y demeurer : l'esprit, l'impertinence, le caractère, un peu de tolérance, de la fougue. On y croise de très jolies femmes, des hommes séduisants, des anonymes, quelques rares imbéciles. Et c'est ici : www.causeur.fr.webloc
Delon ne mégote pas
La censure entre les doigts
On ne remarque pas l'infime détail dont il sera question ici, on ne voit que la beauté fulgurante de ce jeune homme. On le reconnaît, bien sûr, même si l'on hésite un peu : dans cette hésitation, il n'entre pas seulement les métamorphoses du temps, de l'âge, de la personne, il y a également l'effet de surprise, l'incrédulité : il fut donc si outrageusement beau ! Cette masse sombre des cheveux d'où s'échappent les mèches par vague, ce visage aux yeux tendres mais au regard blessé, cette lèvre inférieure gonflée d'une bouderie de gosse contrarié, cette allure d'adolescent tout en méfiance… Ainsi, cette perfection fut possible et rassemblée dans un seul être ! Alors, on éprouve une reconnaissance infinie pour le miracle de la grâce physique que Dieu, assisté de la génétique, n'accorde qu'à quelques-uns d'entre nous. Nous aimons l'innocente cruauté de l'évidente beauté.
Quant au détail, le voici : sur la photographie originale, Alain Delon tient une cigarette entre ses doigts ; sur le document qui vient illustrer la dernière campagne de Dior pour son parfum Eau sauvage, tout est conforme au code de la santé publique… Aujourd'hui, une icône ne fume plus. L'excellent photographe Jean-Marie Périer, auteur du portrait, un esprit d'une réelle acuité, d'une exquise courtoisie, toujours émerveillé mais jamais dupe, a donné son accord. Nous déplorons la soumission à la censure hygiéniste du temps, mais nous remercions vivement JMP d'avoir saisi la posture d'envoûtement d'Alain le Magnifique. (Photographie : Alain Delon en 1966, par Jean-Marie Périer).
Note : Sur ce document, Delon, me semble-t-il, reprend le geste, presque le tic, de Bogart : le glissement du pouce sur les lèvres. JMP le lui a-t-il soufflé ? Lui est-il venu naturellement ? Dans À bout de souffle, de Jean-Luc Godard (1960), Belmondo, comme un salut de la mémoire, reproduisait ce mouvement, en l'appuyant un peu…
mercredi 15 juillet 2009
Un peu de plaisir dans un monde de brutes
Pédaler pour la France (3 et fin)
Anquetil : pédaler moins pour gagner plus
Le coup de pédale, «c'est l'homme même». Sur un plat, dans une côte légère, dans l'escalade du Tourmalet ou dans le plongeon vers le fond de la vallée, jusqu'à la manière de s'élancer dans un «contre la montre», chacun adopte une position qui lui est propre, combine des postures, les alterne et compose ainsi des figures remarquables. Chez les Italiens, Fausto Coppi, « il campionissimmo», n’eut pas d’égal. Sa séduction, sa «manière», tout en lui le séparait des autres. Mais celui qui parvint, chez les Français à obtenir le meilleur coefficient de pénétration dans l’air, celui-là se nommait Jacques Anquetil (1934-1987). Il démontrait un courage discret, une aisance de danseur. Il a incarné la recherche de l’effort minimal, et, comme nul autre, l’insupportable facilité d’être champion cycliste. Avec cela, son pouls, au repos, battait à quarante pulsations par minute, à soixante-dix en plein effort. Agaçant ! Quant à sa diététique, elle lui était inspirée par Gargantua. Irritant !
Il vint, tel un beau blond d'époque, mince comme un muscle profilé : un normand de terre et d’air, un viking policé. Ses victoires, il semblait les obtenir avec l'économie d'énergie des grands paresseux : «Je ne suis pas venu pour courir, simplement pour gagner. Mais je vous laisse, on m’attend.» Il faisait son «Maître Jacques» comme en se jouant, et, même quand il souffrait, il voulait qu’on prît ses grimaces pour des sourires. C’est pourquoi il ne fut pas tout à fait un héros absolu du tour de France. Avec cet elfe malicieux, le public, frustré, se plaignait de ne pas «voir le travail». Il était comme un costume futuriste au tombé impeccable mais dont on chercherait en vain les coutures. Il laissait dans son sillage princier la longue trace des courageux, des obstinés, des besogneux, des «forçats». Jacques Anquetil, seigneur simple, abolit tout effort inutile. Il ne ressemblait à personne, il n’eut pas de successeur. Longtemps après sa mort, on voulut nous révéler des choses cachées : je compris surtout qu'il aimait les femmes et que ces dernières ne détestaient pas lui faire plaisir. J'en conclus qu'il fut un heureux homme.
Je le vis, peu de temps avant sa mort, dans un grand café de la rue Drouot. Il entra, accompagné de quelques amis. Applaudi debout par toute la salle, il répondit par un grand sourire de renard et un geste du bras. Après son décès, les patrons du lieu placèrent un poster, qui le représentait, derrière le bar. Ils ont vendu, la décoration a changé : ni le personnel ni les consommateurs, très «nouveaux parisiens», ne se soucient de Jacques Anquetil.lundi 13 juillet 2009
Pédaler pour la France (2) Les héros ne sont pas fatigués La bicyclette, jusqu’au tour de France, connaisssait un succès d’estime, mais il lui manquait des héros de référence. La nouvelle épreuve sportive lui apporte non seulement le renfort de l’héroIsme mais encore l’incarnation du martyr. Les «forbans», qui sillonnent le pays sur de lourdes machines à deux roues, mues par la force de leurs cuissots de sanglier et de leurs gros mollets découverts, produisent un effort qui affole les dames et flatte, par procuration, l’orgueil des mâles. Mais il ne suffit pas de démontrer un héroïsme collectif, il faut encore que chacun de ceux qui composent le peloton, manifeste tous les signes évidents de la plus grande souffrance physique. Ii ne laisse s’échapper que celui qui consent au sacrifice supérieur. Pédaler tous ensemble est une très rude besogne, pédaler seul, sans le renfort des autres, est un exploit. Le monde entier apprend que notre nation, si elle ne néglige pas la belle énergie de la masse, ne déteste pas qu’un individu, par un effort brutal, voire désepéré, la transcende. Le tour des premiers temps fonde une martyrologie nouvelle, représentée par un curieux couple homme-machine : loin de diminuer l’effort musculaire et d’économiser la force du «travailleur», la mécanique du vélocipède à pédales, pour servir aux exigences de la compétition, sollicite au contraire les ultimes ressources physique et morales des hommes. Les stigmates du coureur, vainqueur ou anonyme, l’autorisent à accéder à un statut social tout neuf : héros du tour de France, c’est à dire forçat acclamé, rescapé des tourments, persécuté volontaire. Et la nature s'en mêle. Le climat de notre pays, qualifié de tempéré, paraît réserver aux seuls compétiteurs de la Grande boucle le déchaînement de ses intempéries : le vent par bourrasque, le froid intense, la chaleur brûlante, la neige en tempête, la pluie diluvienne. Après qu’il s’est élancé, quel que soit l’obstacle qui s’oppose à sa progression, le coureur n’a qu’une solution : pédaler. (À suivre) Photographie : Anquetil et Poulidor, couverture du livre Sur le tour de France, Antoine Blondin, coll. La petite vermillon, La table ronde éditeur, 1996.