Pédaler pour la France (2) Les héros ne sont pas fatigués La bicyclette, jusqu’au tour de France, connaisssait un succès d’estime, mais il lui manquait des héros de référence. La nouvelle épreuve sportive lui apporte non seulement le renfort de l’héroIsme mais encore l’incarnation du martyr. Les «forbans», qui sillonnent le pays sur de lourdes machines à deux roues, mues par la force de leurs cuissots de sanglier et de leurs gros mollets découverts, produisent un effort qui affole les dames et flatte, par procuration, l’orgueil des mâles. Mais il ne suffit pas de démontrer un héroïsme collectif, il faut encore que chacun de ceux qui composent le peloton, manifeste tous les signes évidents de la plus grande souffrance physique. Ii ne laisse s’échapper que celui qui consent au sacrifice supérieur. Pédaler tous ensemble est une très rude besogne, pédaler seul, sans le renfort des autres, est un exploit. Le monde entier apprend que notre nation, si elle ne néglige pas la belle énergie de la masse, ne déteste pas qu’un individu, par un effort brutal, voire désepéré, la transcende. Le tour des premiers temps fonde une martyrologie nouvelle, représentée par un curieux couple homme-machine : loin de diminuer l’effort musculaire et d’économiser la force du «travailleur», la mécanique du vélocipède à pédales, pour servir aux exigences de la compétition, sollicite au contraire les ultimes ressources physique et morales des hommes. Les stigmates du coureur, vainqueur ou anonyme, l’autorisent à accéder à un statut social tout neuf : héros du tour de France, c’est à dire forçat acclamé, rescapé des tourments, persécuté volontaire. Et la nature s'en mêle. Le climat de notre pays, qualifié de tempéré, paraît réserver aux seuls compétiteurs de la Grande boucle le déchaînement de ses intempéries : le vent par bourrasque, le froid intense, la chaleur brûlante, la neige en tempête, la pluie diluvienne. Après qu’il s’est élancé, quel que soit l’obstacle qui s’oppose à sa progression, le coureur n’a qu’une solution : pédaler. (À suivre) Photographie : Anquetil et Poulidor, couverture du livre Sur le tour de France, Antoine Blondin, coll. La petite vermillon, La table ronde éditeur, 1996.
lundi 13 juillet 2009
Pédaler pour la France (2) Les héros ne sont pas fatigués La bicyclette, jusqu’au tour de France, connaisssait un succès d’estime, mais il lui manquait des héros de référence. La nouvelle épreuve sportive lui apporte non seulement le renfort de l’héroIsme mais encore l’incarnation du martyr. Les «forbans», qui sillonnent le pays sur de lourdes machines à deux roues, mues par la force de leurs cuissots de sanglier et de leurs gros mollets découverts, produisent un effort qui affole les dames et flatte, par procuration, l’orgueil des mâles. Mais il ne suffit pas de démontrer un héroïsme collectif, il faut encore que chacun de ceux qui composent le peloton, manifeste tous les signes évidents de la plus grande souffrance physique. Ii ne laisse s’échapper que celui qui consent au sacrifice supérieur. Pédaler tous ensemble est une très rude besogne, pédaler seul, sans le renfort des autres, est un exploit. Le monde entier apprend que notre nation, si elle ne néglige pas la belle énergie de la masse, ne déteste pas qu’un individu, par un effort brutal, voire désepéré, la transcende. Le tour des premiers temps fonde une martyrologie nouvelle, représentée par un curieux couple homme-machine : loin de diminuer l’effort musculaire et d’économiser la force du «travailleur», la mécanique du vélocipède à pédales, pour servir aux exigences de la compétition, sollicite au contraire les ultimes ressources physique et morales des hommes. Les stigmates du coureur, vainqueur ou anonyme, l’autorisent à accéder à un statut social tout neuf : héros du tour de France, c’est à dire forçat acclamé, rescapé des tourments, persécuté volontaire. Et la nature s'en mêle. Le climat de notre pays, qualifié de tempéré, paraît réserver aux seuls compétiteurs de la Grande boucle le déchaînement de ses intempéries : le vent par bourrasque, le froid intense, la chaleur brûlante, la neige en tempête, la pluie diluvienne. Après qu’il s’est élancé, quel que soit l’obstacle qui s’oppose à sa progression, le coureur n’a qu’une solution : pédaler. (À suivre) Photographie : Anquetil et Poulidor, couverture du livre Sur le tour de France, Antoine Blondin, coll. La petite vermillon, La table ronde éditeur, 1996.
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11 commentaires:
Ah ! Cette fois le tour est de taille !
J'aime bien le côté kitsch du ton et du fond de l'article comme son ironie légère...Cela me rappelle le temps du tour commenté par Robert Chapatte; "grâce" à mon frère qui m'imposait sa cyclofolie,j'avais été très choquée par la mort en direct de Tom Simpson le 13 juillet 1967 et celle de l'esprit du sport !
Chère Émilie, le triste rappel que vous faites de la mort de Tom Simpson, m'a déplacé dans le temps. Je me souviens très bien de ce tragique événement, je revois le visage du coureur, le moment où il «cale» dans son ascension ; même avec une image en noir et blanc, je le vois blêmir, la vie le quitte. Quant à l'esprit du sport, je serai moins définitive que vous. Le dopage a presque toujours existé dans l'épreuve du tour de France ; la différence, c'est que, depuis une vingtaine d'années, les manipulations chimiques et sanguines sont presque systématiques, obligatoires, forcées. Le tour ne m'intéresse plus, ses vainqueurs ne «dégagent» plus rien, ils n'ont aucune aura. ils sont de simples vainqueurs, des ingénieurs de la victoire.
Cela dit, Mlle de Beauregard, j'insiste : ma proposition honnête sollicite votre vrai talent de plume. Je vous ai suggéré un sujet, mais peu importe, vous pouvez parler d'éducation, de politique ou d'amour. Il me semble que votre verve s'exprime par le moyen de l'ironie et de la mélancolie masquée…
Cher Patrick,votre proposition m'a surprise, je m'en remets à peine !
Merci de me croire capable d'écrire quelque chose d'intéressant sur ce sujet, comme de vaincre ma pudeur.
Tant de choses déjà ont été dites, depuis les éblouissantes "Noces" de Camus jusqu'à Enrico, père fondateur de notre folklore (Soleil !Soleeeeil de mon pays perduuuu !)en passant par la délicieuse Marie Cardinal, qu'il est difficile de trouver "les mots pour le dire" et d'éviter l'écueil redoutable du déjà lu ou du ridicule.
J'entends déjà la voix moqueuse de ce cher Montesquieu :"Comment peut-on être pied-noir ?" Et Camus le Juste lui répond, sarcastique, avec un clin d'oeil bien de "chez nous" dans ma direction :"Ce n'est pas facile de devenir ce qu'on est !"
Alors, alors, je ne promets rien. Il faut laisser l'idée se frayer un chemin, s'installer, se parer de force, d'audace et de confiance et trouver, nécessairement, avant l'envol et l'envoi, des racines et des ailes.
Mais pour vous,Patrick, et pour beaucoup d'autres,c'est quoi un pied-noir ? N'est-ce pas toujours un type qui se trimballe avec ses souvenirs et sa nostalgie, une merguez à la main ? Image d'Epinal, ou plutôt d'Oran !
Nadia, la belle roumaine, quel plaisir de vous accueillir à votre tour ! Je le fais les bras ouverts. Trois fidèles déjà, cela me donne, en effet, des responsabilités, moi qui venait ici en dilettante ! Sur les trois personnes, je n'en connais vraiment qu'une, et cela m'amuse infiniment. Nadia, votre visage est semblable à celui que j'imaginais, et je voyais du regard d'Émilie émaner cette belle insolence. Votre style sobre, chère Nadia, mais qui sait être lyrique dans la description et dégager une puissante émotion, en particulier lorsqu'il évoque vos «ombres chères», sera également le bienvenu. Vous adorez la politique, vous évoquez superbement le rapport des forces en présence, et puis, vous connaissez le delta du Danube. Le Danube, le peuple du Delta… c'est un bon sujet, non ?
Emilie, à présent j'en suis certain, il ne faut plus tarder. Ce qui renforce encore ma conviction, c'est la question en forme de boutade que vous m'adressez à la fin de votre intervention. Surmontez votre pudeur, effeuillez-vous à l'abri des regards et venez sur scène lorsque vous serez nue. Un conseil : il est préférable de donner deux textes d'une vingtaine de lignes, qu'un seul de quarante. Bien sûr, il aura la mise en page des textes et non pas des interventions.
Une chose : hier, 14 juillet, je passais devant l'assemblée nationale. Sur la petite place, des banderoles accusatrices et, sur un bac, trois hommes et une femme. Tous étaient fille et fils de harkis. Ils protestaient, dans l'indifférence générale, sur leur triste condition, sur la mémoire défaillante de la France, sans acrimonie, sans haine mais avec un puissant désespoir. Je sais bien que toutes ces choses sont compliquées, mais après leur avoir longuement parlé, j'ai ressenti quelque tristesse. Ils étaient vraiment seuls, sur leur banc. J'ai alerté un ou deux amis journalistes, mais sans espoir : ils n'intéressent personne et embarrassent tout le monde.
Je propose comme sous-titre à "Tous les garçons s'appellent Patrick": "blog mélancolique" !
Celui des exilés, des déracinés, des éclopés des républiques pas toujours démocratiques, qui tous se ressemblent et se comprennent, de Dunkerque à Tamanrasset, en passant par les Carpathes, c'est cela que vous voulez Patrick ?
Vous avez sans doute remarqué, cher Patrick, que j'ai poussé la transparence jusqu'à vous donner mon portrait et mon vrai nom. J'ai fait ce pari incroyable d'audace que mon redoutable employeur n'irait pas se perdre dans un blog intitulé "Tous les garçons s'appellent Patrick"... Tant pis pour lui, tant mieux pour moi.
Et puis, Patrick, vous connaissez peut-être Anonymalienne, mais nous, non !
On lui demande donc instamment de remplir, comme promis, la case qui est la sienne. Il n'y a pas de raison, n'est-ce pas Nadia ?
J'approuve des deux mains.
Le blog mélancolique, çela me plaît infiniment. Tous les déracinés, tous les bousculés, tous les meurtris, tous les blessés qui savent se tenir… Il faut y penser. Pour Anonymalienne, cela dépend d'elle, mais je crois savoir qu'elle cherche une photographie et, comme vous, Émilie, un détail significatif.
J'ai achevé mon «tour de France», je vous le livrerai ce soir.
Nadia, il vous faut penser à mon honnête proposition ; un «retour au Danube», par exemple. Vous connaissez évidemment Budapest : quelle rêverie à faire sur la maison de Franz Liszt, sur l'impressionnant immeuble du martyr juif, sur les traces de balles dans les murs, héritées du soulèvement contre les Russes… Mais vous avez le choix.
Je vais réfléchir Patrick, peut être un retour à Bucarest, la ville si chère à Morand, celle qu'on ne visite pas parce qu'elle ne s'offre pas mais où bat si fort l'âme judéo-balkanique pour peu qu'on sache où la trouver. Où la Moldavie d'où je viens. Ou le Delta et ses aigrettes moqueuses. Il y a que l'embarras du choix chez moi.
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