Et que dites-vous de cela, public aimé ?
Entendez Serge, dit L'élégant du boulevard, conter et chanter le désenchantement prolétarien et son rêve alcoolisé. C'est beau comme du Baudelaire encanaillé.
«(1952) À Paris, nous atterrissons rue Saint-André- des-Arts, de nouveau à l'hôtel, dans une chambre minuscule au cinquième étage. Le lit est trop petit pour un couple. Au mur, d'affreuses pivoines rouges sur fond vert inspirent Lulu : c'est là qu'est née la chanson L'Alcool […]»
Lise Lévitzky, Lise et Lulu, First Document
Mes illusions donnent sur la cour
Des horizons j'en ai pas lourd
Quand j'ai bossé toute la journée
Il m'reste plus pour rêver
Qu'les fleurs horribles de ma chambre
Mes illusions donnent sur la cour
J'ai mis une croix sur mes amours
Les p'tites pépés pour les toucher
Faut d'abord les allonger
Sinon c'est froid comme en décembre
Quand le soir venu j'm'en reviens du chantier
Après mille peines et le corps harrassé
J'ai le regard morne et les mains dégueulasses
D'quoi inciter les belles à faire la grimace
Bien sûr y'a les filles de joie sur le retour
Celles qui mâchent le chewing-gum pendant
l'amour
Mais que trouverais-je dans leur coeur meurtri
Sinon qu'indifférence et mélancolie
Dans mes frusques couleur de muraille
Je joue les épouvantails
Mais nom de Dieu dans mon âme
Brûlait pourtant cette flamme
Où s'éclairaient mes amours
Et mes brèves fiançailles
Comme autant de feux de paille
Aujour'hui je fais mon chemin solitaire
Toutes mes ambitions se sont faites la paire
J'me suis laissé envahir par les orties
Par les ronces de cette chienne de vie
Mes illusions donnent sur la cour
Mais dans les troquets du faubourg
J'ai des ardoises de rêveries
Et le sens d'ironie
J'me laisse aller à la tendresse
J'oublie ma chambre au fond d'la cour
Le train de banlieue au petit jour
Et dans les vapeurs de l'alcool
J'vois mes châteaux espagnols
Mes haras et toutes mes duchesses
A moi les p'tites pépés les poupées jolies
Laissez venir à moi les petites souris
Je claque tout ce que je veux au baccara
Je tape sur le ventre des Maharajas
A moi les boîtes de nuit sud-américaines
Où l'on danse la tête vide et les mains pleines
A moi ces mignonnes au regard qui chavire
Qu'il faut agiter avant de s'en servir
Dans mes pieds-de-poule mes prince-de-galles
En douce j'me rince la dalle
Et nom de Dieu dans mon âme
V'là qu'j' ressens cette flamme
Où s'éclairaient mes amours
Et mes brèves fiançailles
Où se consumaient mes amours
Comme autant de feux de paille
Et quand les troquets ont éteint leurs néons
Qu'il n'reste plus un abreuvoir à l'horizon
Ainsi j'me laisse bercer par le calva
Et le dieu des ivrognes guide mes pas
L'alcool (1958)
2 commentaires:
J'ai des ardoises de rêveries
Et le sens d'ironie
Bon sang, où avez-vous trouvé ça ?
Bravo d'un autre (alcoolisé, là, présentement). Mais bravo vraiment !
Cher M. Jo, vous êtes un type épatant ! Bientôt, un ou deux autres bijoux de Lulu. Il faut en profiter, car je crains pour l'avenir : nombre des trésors qu'on trouvait sur Internet sont effacés. Je comprends qu'on défende les intérêts des créateurs, des artistes ; j'avais imaginé un moyen qui me paraissait simple : le versement annuel d'un Euro par utilisateur, destinée à la SACEM et autres organismes sociaux. Mais le ministre ne m'a pas entendu. En revanche, nous allons connaître prochainement une augmentation de près de quatre Euros de notre abonnement mensuel (tva adaptée aux normes européennes)…
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