dimanche 5 février 2012

Fin de partie 7 - Avec talent















(Pierre nous a fait parvenir ce commentaire. Je le place aussitôt, sans son accord – mais j'espère qu'il me le pardonnera – dans la série Fin de partie. Je trouve une grande saveur à ces lignes : elles sont d'un homme qui ne se « ratera » pas !)



« A l'instar du cyclisme et de l'amour qui sont des sports individuels pouvant se pratiquer en équipe, le suicide est une activité solitaire mais à laquelle on peut jouer également à plusieurs.
Souvenons-nous des gais-lurons de la bande à Jim Jones et des rigolos du temple solaire qui ont transformé le suicide en une activité de plein air et cela avec des résultats très compétitifs.
Mais le suicide n'est pas un transport en commun bien qu'on puisse réserver sa place à l'avance. C'est un tête à tête avec soi-même. Un bilan, un point final et une révérence.
Donc, le suicide comme les réussites, se pratique seul dans son coin. Si il nous arrive de rater nos réussites, en revanche, un suicide bien mené ne rate que très rarement.
C'est qu'en général, le candidat au suicide est un type décidé qui ne laisse que peu de chose au hasard. On ne se suicide pas sur un coup de tête par exemple, c'est extrêmement douloureux.
Les suicides les plus beaux sont le plus souvent dus à un chagrin d'amour, à une âme mélancolique, à une blessure secrète ou encore une sensibilité si forte qu'elle ne laisse voir au suicidé que le côté absurde de sa vie. Un exemple de mauvais suicide est celui d'un banquier qui sauterait par la fenêtre de son buldingue après une faillite. Un autre exemple de suicide raté est celui d'Adolf Hitler. Aldolf Hitler n'avait pas une âme mélancolique et il ne voyait pas le côte absurde de sa vie. Il aurait mieux fait de se suicider en 1920 par exemple, après une critique de ses tableaux.
Les candidats au suicide sont des gens comme vous et moi mais ils n'ont plus le coeur à rire. Ce qui n'exclut pas pour autant les rieurs comme étant des candidats possibles au suicide.
Bernard Loiseau aimait bien rigoler et ses plats étaient un hymne à la vie, au partage et aux copains. Mais il avait en lui une blessure secrète, un poids si lourd qu'il ne pouvait pas partager et qui rendait sa cuisine si légère, car le suicide comme le rire est le propre de l'homme.
Le suicidé laisse en général une lettre qui explique son acte. Ces lettres sont presque toujours très belles, poignantes, empreinte d'une douleur si vive qu'elles nous font oublier notre propre peine et rendent aux suicidés ce qui n'appartient qu'à eux: leurs vies. Les banquiers qui se défenestrent ne laissent pas de lettres poignantes mais un arrêté-comptable. Adolf Hitler n'a pas laissé non plus de lettre poignante mais un grand désordre dans son salon.
La religion catholique interdit aux suicidés l'accès du paradis et c'est bien dommage, car si quelqu'un mérite un bon fauteuil au paradis, c'est bien le suicidé car il en a bavé des ronds de chapeaux. Le suicidé n'est pas un lâche, c'est même le contraire. Sauf le banquier qui se défenestre et le petit moustachu. »

5 commentaires:

Anna Valenn a dit…

...en effet, avec grand talent

Anna Valenn a dit…

...Avec espoir : Y aura-t-il de la neige à Noël ? film français réalisé par Sandrine Veysset, sorti en 1996.

Le Singe Vert a dit…

La religion catholique n'interdit pas l'accès au paradis à qui que ce soit. Cela serait se placer au-dessus du jugement divin.

La miséricorde divine étant infinie et dépassant par là-même les oeuvres terrestres du Christ, le suicidé ne se verra pas claquer la porte du paradis à la figure de façon automatique.

Nuagesneuf a dit…

Une très belle page de Pierre. Vous avez rudement bien fait, cher Patrick, de nous la faire partager.

Patrick Mandon a dit…

La miséricorde du Christ est, en quelque sorte, supérieure à celle de Dieu. Supérieure n'est peut-être pas le mot juste, d'ailleurs : avec le Christ, avec l'incarnation, Dieu accède au doute, au vacillement de l'esprit travaillé par la chair. Le Christ s'accomplit dans la chair humaine, et Dieu accepte jusqu'au risque suprême - le doute sur lui-même -, parce qu'il comprend, grâce à son fils, que l'esprit humain vacillant, traversé en permanence de sensations et de pensées contraires, marche à côté des gouffres. Le suicide est l'un de ces gouffres. Voyez-vous, Singe Vert, je crois parfois que la miséricorde infinie de Dieu lui a été en quelque sorte soufflée, inspirée par l'expérience humaine du Christ. Des deux, Singe Vert , c'est vraiment le Christ qui me bluffe. Je ne crois pas que la miséricorde de Dieu « dépasse les œuvres terrestres du Christ », elle en donne, au contraire, la mesure infinie. Il me semble que le Christ est devenu tous les hommes, et tout l'homme, toutes les vibrations, toutes les nuances, toutes les contradictions atroces de son esprit.
Je ne vais pas plus loin, tout cela mériterait plus de clarté, plus de travail. Je suis si peu miséricordieux, bien peu chrétien, mais j'aime beaucoup Jésus. Et je crois pas, en effet, que le suicide nous interdise l'accès au paradis, c'est à dire au lieu ou s'abolit l'absurde.