dimanche 19 février 2012

Fin de partie 10 - Avec mélancolie






Cet homme a l'air accablé, las ; une grande fatigue alourdit sa marche, laisse des empreintes creuses ou gonflées sur son visage. On serait surpris de sa réponse si on lui demandait son âge : « 48 ans » . Il paraît plus. Il fuit. Il est allemand, de culture, de langue, de « civilisation ». Il aime également beaucoup la France et, en France, Paris. Il est juif, aussi, ce qui, à l'époque, est une « origine » plus qu'inconfortable. Mais de quelle époque s'agit-il ? Disons, pour aller à l'essentiel, que Walter Benjamin se suicide le 26 septembre 1940.
Walter est un intellectuel paradoxal, un cérébral sensible, un philosophe sérieux qui fait de la radio à l'adresse des enfants, un marxiste peut-être désenchanté, un piéton poétique qui cherche le sens et les signes du monde.Il est allemand, donc, mais encore européen : sa vie prend tout son sens dans la vieille Europe. Alors, comment pourrait-il se déraciner sans se perdre ? Il s'y essaie pourtant, chassé par les Nazis de son sol, de ses lignes réelles et rêvées. Et c'est ainsi qu'il arrive à Port-Bou, charmante bourgade catalane, proche de la frontière française qu'en compagnie de quelques autres réprouvés il a franchie, le 25 septembre, la veille. En Espagne, il est en sécurité ; peut-être en doute-t-il, mais c'est ainsi : Franco, à ma connaissance, n'a pas livré les réfugiés aux autorités allemandes.
Sur les causes de sa mort, on a parlé d'assassinat : les uns par les fascistes, les autres par des agents de Staline. Quant à moi, qui n'ai aucune légitimité, je crois bien qu'une violente crise de mélancolie lui fit éprouver l'absurdité cruelle de sa situation. Alors, il absorba une forte dose de morphine.
Sur sa tombe, à Port-Bou, on a gravé ces mots, extraits de l'ensemble de ses textes réunis sous le titre « Thèses sur la philosophie de l'Histoire » : " Il n'y a aucun témoignage de la culture qui ne soit également un témoignage de la barbarie ".
C'est bien trouvé, mais cela complique encore les choses…

2 commentaires:

Nuagesneuf a dit…

Le régime du dictateur espagnol Francisco Franco a établi en 1941 la liste des 6 000 Juifs vivant en Espagne et a remis l'information au régime allemand nazi, selon un article publié dimanche 20 juin 2010 par le journal El Pais.
Une circulaire a été envoyée le 13 mai 1941 par le régime franquiste - vainqueur en 1939 des Républicains au terme de trois ans de guerre civile - à toutes les autorités de province pour demander des informations complètes sur les "israélites nationaux ou étrangers" vivant sur le sol espagnol.
Les fonctionnaires étaient chargés de détailler les convictions politiques, modes de vie et le "degré de dangerosité" de ces personnes, selon un extrait du document publié par El Pais. "La circulaire ne cache pas l'urgence de la tâche. Il faut protéger le Nouvel Etat [franquiste] des agissements possibles de ces individus qui sont 'dangereux'", écrit le journal.
L'initiative a permis de recenser 6 000 Juifs en Espagne et le régime franquiste "a passé l'information aux représentants allemands de l'ambassade de Madrid", précise le quotidien. Pour une "série complexe de raisons", l'Espagne n'est pas entrée en guerre aux côtés de l'Allemagne, "ce qui a évité que les noms inclus" dans ce registre "ne s'ajoutent" aux noms des victimes de l'Holocauste, selon El Pais.
A la fin de la Seconde guerre mondiale, cette "Archive juive sera occultée et systématiquement détruite comme toute documentation compromettante pour le régime franquiste en relation avec la persécution antisémite des années 40", souligne le journal.

Patrick Mandon a dit…

J'ai bien fait d'écrire « à ma connaissance », à propos de l'attitude de Franco. Jean-Michel vient nous éclairer et dissiper tout malentendu. Merci, l'ami !