mercredi 25 juillet 2012

Deux femmes

Voici deux femmes du temps d'avant, qui ont fait mon apprentissage. Enfant, je les admirais, je les écoutais. Denise Glaser savait poser des questions banales, et faire en sorte que les réponses ne le fussent pas du tout. Son émission, Discorama, respectait les artistes, que Denise « considérait ». Chassée de l'ORTF après les événements de mai 1968, plus personne ne songea à lui proposer un emploi. Elle méritait plus que tout autre de revenir à l'antenne, où elle avait inventé un style : le sien. Elle eut une fin mélancolique. Je me souviens d'elle.
On la voit ici en compagnie d'Annabel Buffet. Celle-ci a tout ce que j'aime des années cinquante, une réserve ironique, un certain manque d'assurance, un gouvernement de soi, une audace désarmée, le goût des choses, l'élégance en noir et blanc.


Annabel Buffet: Discorama 1970 par sylvainsyl

Et Annabel encore, avec ce petit bijou, dont la musique, très jazzy, est de Salvador (Henri), et les paroles, subtiles, de Bernard Michel :


Annabel Buffet - Pas comme ça (1971) par sylvainsyl

Et cette autre, face B du même 45 tours, où comment se dire adieu :


Annabel Buffet: "L'un sans l'autre" 1971 par sylvainsyl

mercredi 18 juillet 2012

La vie sombre



Des cinq poèmes de Friedrich Rückert que Gustav Mahler a mis en musique dans son « cycle » Kindertotenlieder, voici Nun will die Sonn' so hell aufgehn, interprété par l'incomparable Kathleen Ferrier, accompagnée par l'orchestre philharmonique de Vienne, que dirige Bruno Walter. On n'a pas fait mieux.
On consultera Tous les garçons s'appellent Patrick: Un air ni gai ni entraînant
Tous les garçons s'appellent Patrick: Luxe, calme et volupté




dimanche 15 juillet 2012

Nos absences




Il est des nuits où je m’absente
Discrètement, secrètement,
Mon image seule est présente,
Elle a mon front, mes vêtements.
C’est mon sosie dans cette glace,
C’est mon double de cinéma. 
À ce reflet qui me remplace,
Tu jurerais que je suis là.

Mais je survole en deltaplane 
Les sommets bleus des Pyrénées, 
En Andorre la catalane 
Je laisse aller ma destinée.
Je foule aux pieds un champ de seigle 
Ou bien, peut-être, un champ de blé, 
Dans les airs, j’ai croisé des aigles 
Et je croyais leur ressembler.

Le vent d’été, parfois, m’entraîne  
Trop loin, c’est un risque à courir.
Dans le tumulte des arènes, 
Je suis tout ce qui doit mourir,
Je suis la pauvre haridelle
Au ventre ouvert par le taureau,
Je suis le taureau qui chancelle,
Je suis la peur du torero.

Jour de semaine ou bien dimanche,
Tout frissonnant dans le dégel,
Je suis au bord de la mer blanche,
Dans la nuit blanche d’Arkangelsk.
J’interpelle des marins ivres 
Autant d’alcool que de sommeil.
Cet éclat blême sur le givre
Est-ce la lune ou le soleil ?

Le jour pâle attriste les meubles, 
Et voilà, c’est déjà demain. 
Le gel persiste aux yeux aveugles 
De mon chien, qui cherche ma main.
Et toi, tu dors dans le silence 
Où, sans moi, tu sais recouvrer 
Ce calme visage d’enfance 
Qui m attendrit, jusqu’à pleurer.

Il est des nuits où je m’absente
Discrètement, secrètement,
Mon image seule est présente,
Elle a mon front, mes vêtements.
C’est mon sosie dans cette glace,
C’est mon double de cinéma. 
À ce reflet qui me remplace 
Tu jurerais que je suis là.

(Jean Roger Caussimon, Nuit d'absence)

Ce poème de Caussimon me paraît être un fort beau texte, d'une inspiration baudelairienne. 
Léo Ferré l'a mis en musique. Son interprétation est tout de même noyée dans les violons, qui pèsent, certes, leur poids de cérémonie mélancolique. Je vous la laisse apprécier et la fait suivre par celle de Jean-Louis Murat, très dénudée, puissante. Je n'ai pas assez souvent vanté les mérites de Murat, personnage courageux et artiste très doué. Il est d'Auvergne, terre de granit et de mystère.

samedi 14 juillet 2012

Chanteur populaire

En mars 2004, Hervé Villard donne une série de concerts au théâtre de Dix Heures, à Pigalle. Dans le même temps, un nouveau disque de lui, « Cris du cœur » fait sensation ; les textes, splendides, et parfois méconnus, sont signés Louis Aragon, Bertolt Brecht, Bernard Dimey, Marguerite Duras, Jacques Prévert… On ne s'attendait pas à cela de la part d'un chanteur « populaire », qu'on vouait aux tournées provinciales voire campagnardes, destinées à un public de mémères à cheveux bleus et de chefs de gare délaissés. Son public ne l'a pas abandonné : par surcroît, il ne fut ni troublé ni même étonné par ce choix de chansons. Au contraire, il lui fit un accueil triomphal. Et il s'augmenta de quelques suiveurs d'opinion. Un mois auparavant, un soir d'hiver, il présentait son nouveau répertoire dans l'amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne ! Concert gratuit et quelque peu confidentiel, qui lui valut une ovation !


Je n'ai pas eu l'occasion de saluer l'arrivée parmi nous, au tableau des abonnés, de Nicolas Raviere, jeune homme bien fait de sa personne, qui fait tanguer les mots à la manière des matelots de Jean Genet. Ce garçon a quelque chose de sulpicien, les clous qu'il s'enfonce dans la chair, les flèches qu'il paraît se (nous) décocher, composent d'étranges figures de martyrs obstinés : 
NICOLAS RAVIERE : Carnets Aviaires
Pour Nicolas, qui ressemble un peu à la Jeanne d'Arc (Renée Falconetti) de Carl Theodor Dreyer, et pour vous toutes et tous, ces fleurs du « mâle », dont la précieuse écriture sert admirablement l'esprit 
féodal, Le Condamné à mort, de Jean Genet :




Rappelons que le scénario du film de Dreyer fut également l'œuvre de Joseph Delteil, styliste sans pareil :
« O petite nébuleuse rose encore prise dans la légère matière, déjà chair et encore éther, amas de vie toute tremblotante dans tes glaires, masse d'hydrogène ivre de condensation, doux grammes de plasma ravis à l'impondérable Substance, structure venue du fond des Siècles, lignes émanées du grand Tout, ô enfant d'homme, ô fleur
de son péché, ô signe de son immortalité !
Oui, corps encore corselet, chair encore incarnadine, enfant encore enfantelette, mais déjà créature pourvue de son noyau, départagée entre l'Esprit et la Matière, accessible de toutes parts à l'Assimilation, âme sanguinolente et déjà femme éternelle, ô Être déjà et déjà Vie !
Hé quoi ! nul encore n'a songé à considérer Jeanne dans sa source de chair ! Nul n'a compris que Jeanne, c'est par excellence l'Enfant, et que l'Enfant, c'est de l'humain à l'état pur ! Hypnotisés par une armure de fer, ils ont omis l'essentiel : l'éclosion simultanée, le parallèle agrandissement de l'âme et du corps dans le moule de la nature. Or, les plus fortes, les plus sûres racines de l'homme plongent dans les mollesveines de bébé.Pour moi, c'est dans ton berceau, Jeanne, qu'il me plait de rechercher les signes de ta vie ; c'est dans ta naturelle enfance que je place le sens et la base et la raison de ta surnaturelle grandeur !


(Joseph Delteil, « Jeanne d'Arc »)

mercredi 11 juillet 2012

Gruppo di famiglia Visconti



En ce moment, une copie neuve du film de Luchino Visconti « Gruppo di famiglia in un interno », stupidement traduit, pour le titre français, par « Violence et passion », est projeté dans la salle de La filmothèque du quartier Latin, 9, rue Champollion. La copie est neuve, en version originale, sous-titrée en français. Le fait est assez rare pour être signalé, car, même les quelques dvd que l'on trouve, ici ou là, ne comportent pas de sous-titres. Et puis, Visconti sur un écran de cinéma donne toute son ampleur esthétique. Le film ne souffre que d'un excès de sentimentalisme (dans les rapports qu'établissent le professeur vieillissant et le gigolo, incarné par Helmut Berger). Pour ma part, outre le fait que j'aurais préféré Alain Delon à la place de Berger (j'ai soutenu récemment un « assaut » contre Delon, une véritable coalition, d'où je n'ai pas eu l'impression de sortir vaincu !), je ne suis pas du tout convaincu par la conscience politique du personnage. Cela dit, demeure la magnifique rencontre d'un monde qui s'achève, retiré, secret, et d'un monde corrompu, mais vivant, ardent, soutenu par le désir immédiat des choses et des êtres. Luchino Visconti a ans doute éprouvé la sensation du lent, irrésistible crépuscule, qui s'étendait sur son paysage intérieur. La mort sonnait à sa porte, il s'est hâté d'écrire un testament : ce film ultime est son testament.
Dans l'extrait du documentaire, que lui a consacré la BBC, présenté ici, vous verrez ce qui a fondé son imagerie, ce qui a formé son esprit, le souvenir de sa famille milanaise, prestigieuse, Vous comprendrez le rôle essentiel de sa mère.

Sur Visconti, vous pourrez lire aussi :
Drieu via Visconti, Joël H. via Guidoni La - Tous les garçons s ...
Tous les garçons s'appellent Patrick: Le décor d'une vie -3-
Le décor d'une vie -2-
Tous les garçons s'appellent Patrick: L'enchanteur du XXe siècle (1)
Tous les garçons s'appellent Patrick: Luchino est mort !
Tous les garçons s'appellent Patrick: Le décor d'une vie -1-


dimanche 8 juillet 2012

La soirée du paradoxe


Offenbach - La Valse de Paris - Fortunio par RioBravo

Vendredi, soirée délicieuse dans la compagnie de quelques esprits très vifs, dont j'étais le moins brillant. La conversation, collective d'abord, au restaurant, s'est poursuivie, très tard dans les rues de Paris, et s'est achevée entre trois personnes, fort différentes par leurs origines, leur âge, leurs goûts. Nous étions trois, donc, dans la nuit parisienne. Avant de quitter mes compagnons, j'ai tenté, sans doute maladroitement, d'expliquer ce qui, à mon sens, fondait le « sentiment » français. J'ai développé l'idée du paradoxe, un paradoxe constitutif de l'« appartenance », qui autorise les êtres à se reconnaître français, quelles que soient les nuances et même, et surtout, les fractures qui ont bouleversé ce pays. J'ai pris pour exemple de ce paradoxe l'image des jésuites et de leur enseignement : lorsqu'on entre chez les jésuites, ces derniers vous avertissent qu'ils vous enseigneront tout à la fois, et dans le même élan, les moyens de croire en Dieu et les manières de le réfuter. Le paradoxe, ici, c'est le risque majeur de perdre la foi, mais d'avancer malgré tout dans la connaissance. Je me rappelle également avoir affirmé que la France était un pays « sexy » (avec le recul, je trouve cela faible et prosaïque, mais, dans le feu de la conversation, ce mot n'a paru ni stupide ni « court »). Or, ce qui le rend sexy, tentais-je d'expliquer, c'est précisément le goût pour les oppositions, pour les complications de l'esprit, pour ses constructions fragiles, et pour l'audacieuse architecture qui les maintient dans un équilibre précaire, émouvant. Le paradoxe français assume, sur le mode d'une fantaisie parfois insupportable, ses échecs et ses trahisons « nationales ». Si ce pays perd son paradoxe, il se perd. De la France, il faut tout dire, tout prendre et, finalement, consentir à la transfiguration à laquelle elle nous invite. Le sentiment français relève du principe de séduction accepté et « objectif ». On ne peut pas jouir de ceci et rejeter cela, et le tout ne forme pas un « bloc identitaire  », mais une pièce d'identité, dont l'avers est avenant, le revers, déplaisant, et vice-versa ! Les français ont toujours joué à pile ou face.
Fondamentalement, nous n'avons aucune disposition pour l'accablement durable, ni, bien sûr, pour la culpabilité. La France est « innocente », enfin, elle l'était ; elle faisait le mal par inadvertance, voire par coquetterie négligente. Au final, elle demeurait sexy…
Je ne sais si cela est très clair ; j'y reviendrai.
Pour illustrer ce billet un peu ennuyeux, la grâce d'Yvonne Printemps, qui interprète devant l'homme de sa vie, Pierre Fresnay (ici en Jacques Offenbach), un poème d'Alfred de Musset. Offenbach, qui est à lui seul l'esprit de Paris, sa gaité entraînante,  revenait de son théâtre, pourtant plein chaque soir, et qui lui assurait des triomphes, la tête basse et souvent accablé. Cet homme si doué, si aimable, était neurasthénique ! Paradoxe parisien !
De Musset, que j'aime infiniment, ses contemporaines plus graves se lassèrent rapidement. Les romantiques « sérieux » le trouvaient superficiel. Il n'ouvrait pas, comme Hugo, des abîmes sous ses pas, mais il perça comme nul autre le mystère douloureux de l'amour.

samedi 7 juillet 2012

La mémoire qui ne flanche pas

Émilie, dans un message récent, évoque joliment toutes celles et ceux qui sont venus ici, parfois n'ont fait qu'y passer, et y ont laissé leurs empreintes. À Émilie ainsi qu'à vous tous, je dédie cette merveilleuse chanson, dont le texte est d'André Hardellet, la musique de Guy Béart :



On consultera également 

Cœurs croisés, cœur gravés


Sur l'état de la France, qui, je le sais et ne l'oublie pas, inquiète, révolte même, Émilie (nous en parlerons prochainement), ces quelques mots de La Fontaine, à propos de Blois : « «Je ne suis pas informé des mœurs anciennes. Quant à présent, la façon de vivre y est fort polie, soit [...] que le climat et la beauté du pays y contribuent, soit que le séjour de Monsieur ait amené cette politesse, ou le nombre de jolies femmes » (lettre à Mme de La Fontaine, 1683). 
La France de La Fontaine me convient, je ne tiens pas à en changer pour une autre, et je ne veux pas me « voiler la face »…

mercredi 4 juillet 2012

Des fantômes familiers



En attendant les grandes décisions, une chanson qui m'évoque bien des choses, une chanson sur la vie heureuse, qui passe, sur les êtres qu'on a connus, et sur les ombres charmantes, amicales, qui nous font une sorte de cortège. Superbement écrite, elle n'est pas vraiment « démodée », elle est simplement datée.
Jean-Claude Pascal fut soutenu, à ses débuts, par Edwige Feuillère. Je me souviens parfaitement de la grande Feuillère, au cinéma et au théâtre. 
D'ailleurs, je me souviens de tout, même si cela ne sert à rien.
 « Soirées de prince » : Paroles, Pierre Delanoë, musique, Guy Magenta
 JEAN CLAUDE PASCAL. Soirée de Prince - YouTube

Et ceci encore, superbe texte de Bernard Dimey, qui s'enivrait la nuit pour oublier le jour :


mardi 3 juillet 2012

L'effroi

Qu'on veuille bien me pardonner si je reviens à Marina, dont le souvenir me hante littéralement. Je possède à présent une vaste documentation sur cet atroce événement, et j'ai pu lire les détails du procès. Je vous passerai les affreuses révélations auxquelles il a donné lieu. J'ai pu vérifier que le scénario crapuleux que j'avais imaginé, chez Causeur, correspondait à la réalité des faits et des deux individus qui s'en sont rendu coupables. Je suis désormais persuadé qu'il ne s'agit plus d'un fait divers supplémentaire, mais de quelque chose d'autre, d'une sorte de signal, de surgissement d'une épouvante. Je vais sans doute interrompre la production de ce blogue, mais je demeure persuadé que seul l'effort de création culturelle, augmenté d'une fantaisie heureuse, capricieuse et jamais satisfaite d'elle-même, peuvent nous garder de sombrer dans les abîmes.