lundi 3 août 2009

Le fou d'Anna

















Notre conversation précédente
Si l'on se séparait ? m'a rappelé, par ricochet sentimental, la scène de l'un des plus beaux films de l'histoire du cinématographe, Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, avec Jean-Paul Belmondo et Anna Karina. Quand on veut faire son connaisseur, on dit que cette œuvre appartient au genre «road movie», parce que les deux personnages principaux passent le plus clair de leur temps sur les routes, à bord d'une automobile. Mais, il y a dans ce film tant de chansons, de mouvements et de pas de danse que l'on pourrait évoquer à son propos la comédie musicale. Et quand on aura précisé que cette comédie est également sentimentale, on aura un genre godardien, qui n'est pas sans évoquer la manière mélancolique et légère d'Alfred de Musset. Voici cet instant miraculeux : une jeune femme adorable feint le libertinage, la parade des sentiments, pour ne pas avouer qu'elle est profondément amoureuse de l'homme qui observe son tendre ballet.

Voici le texte de cette chanson, signé Cyrus Bassiak, alias Rezvani :

Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, oh mon amour
Jamais tu n’m’as promis de m’adorer toute la vie
Jamais nous n’avons échangé de tels serments, me connaissant,
te connaissant
Jamais nous n’aurions cru être à jamais pris par l’amour, nous qui étions si inconstants
Pourtant, pourtant tout doucement sans qu’entre nous rien ne soit dit, petit à petit
Des sentiments se sont glissés entre nos corps qui se plaisaient à se mêler
Et puis des mots d’amours sont venus sur nos lèvres nues
petit à petit,
Des tas de mots d’amour se sont mêlés tout doucement à nos baisers
combien de mots d’amour ?

Jamais je n’aurais cru que je tu me plairais toujours, oh mon amour !
Jamais nous n’aurions pensé pouvoir vivre ensemble sans nous lasser
Nous réveiller tous les matins aussi surpris de nous trouver si bien dans le même lit
De ne désirer rien de plus que ce si quotidien plaisir d’être ensemble, aussi bien
Pourtant, pourtant tout doucement sans qu’entre nous rien ne soit dit, petit à petit
Nos sentiments nous ont liés bien malgré nous sans y penser à tout jamais
Des sentiments si forts et tous les mots d’amour connus et inconnus
Des sentiments si fous et si violents, des sentiments auxquels avant nous n’aurions jamais cru


Jamais ne me promets de m’adorer toute la vie
N’échangeons surtout pas de tels serments me connaissant,
te connaissant
Gardons le sentiment que notre amour est un amour,
Que notre amour
Est un amour
Sans lendemain



CD : Anna Karina, Chansons de Films © 2004, Mercury.

Pierrot le fou : film de Jean-Luc Godard, avec Anna Karina, Jean-Paul Belmondo,
Raymond Devos, Dick Sanders, Graziella Galvani. Images : Raoul Coutard (l'homme sans lequel la Nouvelle vague n'aurait pu exister), musique : Antoine Duhamel. On trouve l'édition de ce dvd par studiocanal à un prix très intéressant dans certai
nes boutiques et sur internet

9 commentaires:

Emilie a dit…

J'étais trop jeune pour avoir vu ce film à sa sortie, mais quelques années plus tard, je l'ai vu en compagnie de mon amoureux qui l'était aussi de Godard. Je me souviens de la poésie de ce film, des couleurs vives, de cette chanson, de la frange d'Anna Karina que les filles avaient copiée...

On s'aimait, mais on ne se le disait pas, on trouvait le mot trop galvaudé, démodé, on ne voulait pas être sérieux, mais on l'était quand même. Nous étions nous aussi un peu fous !

MLF a dit…

Le dire amoureux vit de l'absence.
Si l'amour est appelé à ne pas durer, seul le verbe, lui donnera de l'éternité.
J'ai revu ce fil ce printemps.
La belle Anna.
Les amours heureuses sont muettes à l'égal des grandes douleurs.
Dans cette chanson, Anna parle presque déjà de l'absence, qu'elle sent venir.
On dirait qu'elle la désire.
Non?

Patrick Mandon a dit…

MLF,
À l'époque du film, Godard et Anna vivaient encore ensemble. Entre ces deux êtres, il y eut un grand amour : au point que, quarante ans après, la seule évocation de leur passé commun, en présence de Godard, la fit fondre en larmes.
Pour ce qui est du film, cette chanson, où deux amants reconnaissent la profondeur de leur amour, c'est-à dire la solidité des sentiments divers qui les retiennent l'un à l'autre, est un pur moment de bonheur et de grâce.

Jérôme Leroy a dit…

Alphaville ne serait-il pas, au bout du compte, son plus grand rôle?

Patrick Mandon a dit…

Jérôme, la question est pertinente. Je suis en pleine période «annakarinienne», aussi vais-je réserver ma réponse. Un indice, tout de même : elle exprime admirablement la blessure derrière la fantaisie. C'est ainsi, selon moi, qu'elle est «meilleure»
Je n'ai pas revu Alphaville : j'ai le souvenir charmant d'un film de science-fiction réussi avec trois fois rien et une supérieure manière de filmer.

monde d'avant a dit…

C'est bouleversant, Patrick: le revoir aujourd'hui c'est prendre la mesure du génie prophétique de Godard qui avait précisément tourné ce film d'anticipation en refusant tout décor et en se contentant du Paris en voie de défiguration des sixties.
C'est aussi un film sur la disparition de l' amour dans les sociétés idolâtrant la technique, le profit, la rentabilité. (le genre de barbares à la Brunoy, vous voyez?)
Anna Karina et, à ma grande honte, Chantal Goya dans Masculin/féminin.

Patrick Mandon a dit…

D'accord sur tout, à l'exception de «à ma grande honte Chantal Goya».
La Goya, chez Godard est confondante de beauté. Son visage est d'une perfection totale. Et puis, je crois que c'est son personnage qui dit, dans Masculin-Féminin, cette phrase absolument désespérée : «On sera heureux, on jouera au baby-foot.».
Et, dans la vie, c'est une fille vraiment charmante, marié à un garçon de grand talent, Jean-Jacques Debout.

Jérôme Leroy a dit…

Alors vous pourrez peut-être me renseigner s'il existe un album des chansons qu'elle interprète dans Masculin/Feminin.
Quand j'étais un petit garçon sentimental avec un mange disque orange je me repassais inlassablement Paul et Virginie de Jean-Jacques Debout jusqu'à ce que les larmes me montent aux yeux. Après je suis devenu communiste, j'ai tué Paul et Virginie et j'ai installé des Soviets sur leur île.

Patrick Mandon a dit…

Jérôme, pour Chantal Goya, vous trouverez l'enregistrement intégral et original des chansons du film Masculin Féminin, dans un CD album, Les années soixante, Chantal Goya, Magic Records, actuellement en vente chez Priceminister pour 6 Euros, augmentés des frais d'envoi.
Vous y entendrez :
D'abord dis-moi ton nom
Comment le revoir
Sois gentil
Laisse-moi
Si tu gagnes au flipper
Tu m'as trop menti

Chantal a eu un petit accident ces jours derniers. Nous en profitons, Jérôme Leroy et moi-même, pour lui souhaiter un prompt rétablissement.

Je voulais dire également à Jérôme que, très peu de temps après l'installation des soviets sur l'Île de Paul et Virginie, il y eut pénurie d'eau de mer, de poissons, et, au final, l'Île sombra corps et bien…