jeudi 2 février 2012

Fin de partie 5 – Avec détermination






« Mon chéri,
Je suis en train de sombrer dans la folie à nouveau, j'en suis sûre : je sais que nous n'arriverons pas à bout de ces horribles crises. Et cette fois je ne guérirai pas. Je recommençe à entendre des voix, et n'arrive pas à concentrer mes pensées.
Aussi vais-je faire ce qui semble la meilleure chose à faire. Tu m'as rendue parfaitement heureuse. Tu as été pour moi ce que personne d'autre n'aurait pu être. Je ne crois pas que deux êtres eussent pu connaître si grand bonheur, jusqu'à ce que je souffre de cette affreuse maladie. Je ne peux plus lutter d'avantage, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et je sais que tu le feras. Tu vois, je n'arrive même pas à écrire correctement. Je n'arrive pas à lire. Ce que je veux dire, c'est que je te dois tout le bonheur de ma vie. tu t'es montré d'une entière patience avec moi et indiciblement bon. Tout le monde le sait. Si quelqu'un avait pu me sauver, c'eût été toi. Tout m'a quitté excepté la certitude de ta bonté. Je ne veux pas continuer à gâcher plus longtemps ta vie. Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été... »

(Dernière lettre de Virginia Woolf à son mari)

Le 28 mars 1941, elle emplit ses poches de pierres, puis elle entre dans l'eau de la rivière Ouse, qui coule près de sa maison, à Rodmell. Et elle se noie.

6 commentaires:

Anna Valenn a dit…

reconnu dès les premiers mots - c'est que j'ai revu The Hours récemment, et cette lettre m'est restée gravée

Nuagesneuf a dit…

Votre mise en perspective de 'derniers mots pour derniers maux' nous fait découvrir beaucoup. ex : V.Woolf évoque le terme 'maladie'. LeS suicideS sont depuis peu considérés comme une maladie, dont comme curables et c'est heureux. Sauf erreur, cela remonte aux années 70 ; c'est donc très récent. Mais c'est là un autre débat. Merci, cher Patrick, pour toutes ces informations délicieusement présentées.

Patrick Mandon a dit…

Cher Jean-Michel, certes Woolf sentait, depuis longtemps, un souffle étrange par-dessus son épaule. Elle le laissa lui conseiller, à la fin, d'interrompre par elle-même le fil de sa vie. Il me paraît que le suicide des uns n'est pas celui des autres. Une chose est de se tuer par lassitude, par fatigue de la vie, parce qu'elle vous fait payer cher ce qu'elle vous offrait naguère, autre chose est de se supprimer « par surprise », sur un coup de tête, après une déception. Le suicide de Montherlant n'est-il pas différent de celui de Patrick Dewaere ? Mais tout cela, j'en conviens, est assez complexe. Nous portons en nous un désir de fuite, de disparition, mais aussi une immense fatigue morale. Elle peut se révéler brutalement, ou venir comme la conclusion évidente d'une vie absurde.

Pierre a dit…

Je crois, attention je n'ai pas dis que j'étais sur, qu'il y a chez certains, une fascination du gouffre, un goût pour l'abîme.(et bang!) Vous savez bien, ce que chantait l'ami Serge: "Quand mon 6.35 me fait les yeux doux" Quelque chose, au delà du désespoir ou de la faitgue, une "courbature de l'âme" qui relie Petrone à Pierre Quinon.
Sinon, votre "club des scuicidés" à vraiment fier allure.
Si j'osais, je vous demanderais d'avoir la bonté de l'étouffer. Pardon de l'étoffer!
J'ose.

Patrick Mandon a dit…

« […] une "courbature de l'âme" qui relie Petrone à Pierre Quinon. ». Là, votre index, Pierre, en suivant cette courbature, nous montre une excellente voie de réflexion.
« Si j'osais, je vous demanderais d'avoir la bonté de l'étouffer. Pardon de l'étoffer! » : vous avez eu raison d'oser, l'audace paie !
Je songe, en effet à agrandir cette galerie de disparus.

Pierre a dit…

A l'instar du cyclisme et de l'amour qui sont des sports individuels pouvant se pratiquer en équipe, le suicide est une activité solitaire mais à laquelle on peut jouer également à plusieurs.
Souvenons-nous des gais-lurons de la bande à Jim Jones et des rigolos du temple solaire qui ont transformé le suicide en une activité de plein air et cela avec des résultats très compétitifs.
Mais le suicide n'est pas un transport en commun bien qu'on puisse réserver sa place à l'avance. C'est un tête à tête avec soi-même. Un bilan, un point final et une révérence.
Donc, le suicide comme les réussites, se pratique seul dans son coin. Si il nous arrive de rater nos réussites, en revanche, un suicide bien mené ne rate que très rarement.
C'est qu'en général, le candidat au suicide est un type décidé qui ne laisse que peu de chose au hasard. On ne se suicide pas sur un coup de tête par exemple, c'est extrêmement douloureux.
Les suicides les plus beaux sont le plus souvent dus à un chagrin d'amour, à une âme mélancolique, à une blessure secrète ou encore une sensibilité si forte qu'elle ne laisse voir au suicidé que le côté absurde de sa vie. Un exemple de mauvais suicide est celui d'un banquier qui sauterait par la fenêtre de son buldingue après une faillite. Un autre exemple de suicide raté est celui d'Adolf Hitler. Aldolf Hitler n'avait pas une âme mélancolique et il ne voyait pas le côte absurde de sa vie. Il aurait mieux fait de se suicider en 1920 par exemple, après une critique de ses tableaux.
Les candidats au suicide sont des gens comme vous et moi mais ils n'ont plus le coeur à rire. Ce qui n'exclut pas pour autant les rieurs comme étant des candidats possibles au suicide.
Bernard Loiseau aimait bien rigoler et ses plats étaient un hymne à la vie, au partage et aux copains. Mais il avait en lui une blessure secrète, un poids si lourd qu'il ne pouvait pas partager et qui rendait sa cuisine si légère, car le suicide comme le rire est le propre de l'homme.
Le suicidé laisse en général une lettre qui explique son acte. Ces lettres sont presque toujours très belles, poignantes, empreinte d'une douleur si vive qu'elles nous font oublier notre propre peine et rendent aux suicidés ce qui n'appartient qu'à eux: leurs vies. Les banquiers qui se défenestrent ne laissent pas de lettres poignantes mais un arrêté-comptable. Adolf Hitler n'a pas laissé non plus de lettre poignante mais un grand désordre dans son salon.
La religion catholique interdit aux suicidés l'accès du paradis et c'est bien dommage, car si quelqu'un mérite un bon fauteuil au paradis, c'est bien le suicidé car il en a bavé des ronds de chapeaux. Le suicidé n'est pas un lâche, c'est même le contraire. Sauf le banquier qui se défenestre et le petit moustachu.