- Je n'aurais pas dû revenir, tu m'as encore menti ! - Disons que je n'ai pas dit ta vérité. - Ma vérité ? - Oui ta vérité, ou, si tu préfères, le mensonge que tu voulais entendre. - Mais je n'aime pas le mensonge, je n'en dis jamais ! - Jamais, vraiment ? - Rarement. - Rarement est le mot que la prudence conseille d'user à la place de fréquemment. En vérité, ta vérité est un mensonge différé. - Si je mens quelquefois, tu mens tout le temps. - Tu reconnais donc que tu mens. - Je ne reconnais rien, et si tu prétends le contraire, je dirai que tu est un menteur. - Ai-je dit le contraire ? - Le contraire de quoi ? - Ai-je dit que je n'étais pas un menteur ? - En effet, tu l'avoues à qui veut l'entendre. - Tu vois bien ! - Je vois quoi ? - Que je ne suis pas si menteur, puisque je dis volontiers que j'en suis un, et que tout le monde me croit. - Les gens croient ce qu'on leur dit. - Ils ont raison, surtout quand c'est la vérité. - La vérité d'un menteur est encore un mensonge. D'ailleurs, les gens ne te croient pas. - Mais tu affirmais à l'instant que je disais vrai, et que je ne mentais pas quand j'informais les autres que j'étais un menteur. - C'est une manœuvre : tu avoues un peu pour mentir beaucoup. - Si l'on ne me croit pas lorsque je dis la vérité, pourquoi devrais-je cesser de dire des mensonges ? - En voilà assez ! Puisque c'est ainsi, je m'en vais ! - Quand reviendras-tu ? - Jamais ! - Menteuse !
Il n'y a pas, dans notre calendrier, de « fêtes de fin d'année ». Il y a Noël et Nouvel an. Mes contemporains usent de l'expression « fêtes de fin d'année » pour rassembler ces deux moments dans une unité temporelle parfaitement neutre, qui témoigne d'un langage plus qu'intimidé : servile. Une société lisse, « surveillée et punie » par les esprits forts de la laïcité démocratique, sociale et obligatoire, ne saurait fêter Noël. Je m'exclus des rites, des parades, des formules et de l'épouvante du vivre-ensemble indéterminé, je ris du ridicule accompli que jouent sur une scène branlante, devant une salle désertée, les nouveaux pudibonds.
Et je souhaite à tous ceux qui passeront par ici un heureux Noël.
« Tu ne sais pas comme est bien ma mort, par une nuit superbe, ma fenêtre grande ouverte sur Paris... » (Dernière lettre de Pierre Drieu la Rochelle à Victoria Ocampo). Drieu se suicidele 15 mars 1945. Victoria et Pierre se sont rencontrés au mois d'avril 1929, à Paris, chez Isabel Dato. Sa présence raffinée et sa mise élégante la séduisent, son « éloignement », la distance qui s'établit naturellement entre les autres et lui, tout cela l'intrigue. Il moque son « pull-over de déménageur », elle lui répond que c'est un tailleur de Chanel. Ils deviennent amants. Il tournera mal, il finira mal, ou peut-être apaisé. Elle lui conserva bien au-delà de la mort, un tendre intérêt. Il aura employé le temps que lui laissait la tentation de l'ennui à se rendre odieux. Il n'y parviendra pas. Ses rares amis lui témoignèrent une affection, qui ne se démentit jamais. Plus que tout, sans doute, il aima la solitude et l'égarement dans les songes : il fut un inlassable arpenteur de Paris, nuit et jour.
Et cette chanson, que je replace ici, inspirée à Daniel Darc par Drieu la Rochelle :
Cela se passait au petit matin du 14 novembre. Une brise fraîche
traversait le pont de Bir-Hakeim, que j'empruntais alors, pour rejoindre
un appartement situé sur la rive droite du fleuve. Devant moi, marchait
un homme de taille moyenne, habillé d'un superbe manteau de cachemire.
Je voyais son dos massif et ses cheveux, un peu clairsemés, qui
voletaient sous l'effet de l'air. Il avançait lentement, s'arrêtait,
semblait hésiter, en proie à une interrogation qui le navrait. Il fit halte, porta ses mains à son visage, en levant les yeux au ciel, dans une posture qui voulait interrompre ou assourdir le fracas qui l'habitait.
Méfiant mais pressé, je mis quelque distance entre lui et moi avant de le dépasser, puis je me retournai : je fus d'abord frappé par la beauté de son visage, par l'arête brisée de son nez aquilin, ses pommettes hautes, la profondeur de son regard, le dessin blessé de ses lèvres. Il semblait entre deux âges, à ce moment précis où un homme paraît convoquer sa force et son expérience dans l'espoir de différer le moment de son déclin. Et toute sa physionomie révélait un profond désarroi, sentiment qui m'est désormais familier. Je fis alors trois pas vers lui et osai l'aborder. Tout d'abord, il ne me prêta nulle attention ; enfin, il me dévisagea, esquissa un sourire, et dit ceci : « Il a fallu que je revienne à Paris pour voir cela, après tant d'années d'errance ! ». Je l'interrogeai, voulant connaître ce qu'il avait vu : « Quoi, vous n'êtes pas au courant ? Paris à feu et à sang, des morts et des blessés sur les trottoirs, la douleur, l'agonie, la peur. Mais où étiez-vous donc ? ». Je lui dis la vérité : je me trouvais avec une femme, que je venais de quitter, je regagnais le studio que je louais depuis peu. La marche du monde m'indiffère, et je ne dois fidélité qu'à ma mélancolie. Il posa son bras sur mon épaule, dans un geste d'acquiescement, et me fit le récit complet des événements tragiques, survenus dans la soirée du 13. Il passait devant la terrasse d'un café, lorsqu'une fusillade avait éclaté, puis une autre, et une autre encore, plus loin.
Nous arrivions devant mon immeuble, je l'entraînai derrière moi.
J'éprouvai plus qu'un vif intérêt pour le mystère de ce personnage bouleversé, je subissais son envoûtement. Il m'évoquait quelqu'un, que je croyais connaître, et que je ne pus identifier. Quand il fut chez moi, il laissa libre cours à son chagrin, et fondit en larmes. Je voyais, par son récit, les corps mutilés, les crânes éclatés, les poitrines rouges de sang, l'effroi soudain sur ma ville.
Il pleurait. La ville, dehors, était silencieuse, comme interrompue, hésitant à reprendre son rythme habituel. Il observait de temps à autre les objets et les meubles précieux, qui me restaient du naufrage financier, que j'avais subi deux ans auparavant. J'habite une sorte de vaste cellule monacale aux murs ocres. C'est là que je me tiens la plupart du temps, immobile, le regard fixe, perdu dans la contemplation abstraite et délicieuse de mon ensevelissement. Sans me regarder, il murmura : « Tu es bien ici, tu peux attendre la fin du monde. Elle arrive. J'ai vu hier son avant-garde. Il est vain de vouloir lui échapper. D'ailleurs, elle a commencé bien avant. Elle était dans la défaite de la pensée, dans le triomphe de la nouvelle bourgeoisie, odieuse, grossière, avide, dans le vocabulaire d'épouvante molle, en usage chez ses prédateurs les plus éminents. Les tueurs d'hier et leurs successeurs achèvent dans le bruit et la fureur la besogne d'anéantissement élaborée par les maîtres de la loi globale.
« Tu es vraiment bien dans cet appartement. J'ai perdu le souvenir des chansons que ma mère me chantait, mais je la revois dans une robe d'été, que le vent soulève, découvrant ses cuisses pleines, Et toi, qu'as-tu fait de ta jeunesse ? ». Sa voix se perdit dans une suite de sanglots syncopés. Qu'en avais-je fait, de cette jeunesse nerveuse et inquiète ? Rien ! Je n'avais pas transformé l'essai. Je ne consentais qu'au temps de mon enfance de m'envahir par ondes successives, qui m'éloignaient un peu plus du centre de mon émotion.
J'allai dans la salle de bain. Lorsque j'en sortis, il n'était plus dans la pièce. Son manteau de cachemire avait disparu. Or, la porte était fermée de l'intérieur !
J'avais conversé avec le fantôme du Pont de Bir-Hakeim.
Il ne se regardait pas dans les miroirs, elle lui révéla son vrai pouvoir de séduction. Après elle, il fut en quelque sorte débarbouillé, alors il devint beau. Car il acquit avec l'âge une étrange beauté. Le monde entier la désirait, elle défiait les séducteurs, se jouait des play-boys, s'offrait, comme autant de friandises, la chair aimable des jolis minets « sixties ». Il vint à elle timide et « habité d'une folle supériorité » (Bardot dixit). Elle l'a vraiment aimé, il l'a adoré. Ils se retrouvaient chez elle, avenue Paul Doumer (« au Doumer » comme elle dit). Elle était mariée, mais ne suivait que les conseils de son cœur : « trois mois sans ombre, sans nuage, quatre-vingt-dix jours d'amour fou » (Bardot dixit).
Bardot-Gainsbourg, c'est la France dans la mire, dans les mirettes des nations soumises et consentantes.
BB, ce fut l'empire, puis la lente décomposition de l'empire. Bardot a incarné la perfection de l'insolence française, de l'élégante désinvolture française, de l'audace française. Ce qu'elle fit en son temps, seule, ce qu'elle improvisa toujours avec grâce, ce qu'elle refusa au monde réel, rien de cela n'a d'équivalent aujourd'hui.
Hier, nous avions Bardot, aujourd'hui, nous avons Julie Gayet.
Le document illustrant cet article est une photographie de plateau (DR), alors que BB, coiffée d'une perruque brune, et Gainsbourg enregistraient la chanson Comic strip, sous la direction de François Reichenbach pour Brigitte Bardot show, diffusé le 1er janvier 1968.
- (Alain) Je ne veux pas vieillir.
- (Dubourg) Tu regrettes ta jeunesse comme si tu l'avais bien remplie.
- (Alain) C'était une promesse et aussi un mensonge. C'était moi, le menteur.
Pierre Drieu la Rochelle, Le Feu follet
- Toi non plus, tu ne veux pas vieillir.
- Je ne voulais pas, mais trop tard !
- Il n'est jamais trop tard pour vieillir, et puis tu as encore de beaux jours devant toi.
- Seulement lorsque tu te mets devant moi.
- À ce propos, je m'en vais.
- Tu es déjà partie et…
- … revenue, je sais. mais cette fois-ci, je ne reviendrai pas.
- Tu ressembles à une fille heureuse qui porte des lunettes noires.
- Je ne suis pas heureuse, mais je porte des lunettes noires. Je ne suis pas heureuse de te quitter, mais demain, je serai soulagée. Hier, je portais des lunettes noires pour mettre un écran entre ton mensonge et moi. Demain, derrière mes lunettes noires, je chercherai un autre mensonge.
- Tu m'a dit un jour que je mentais mieux que les autres.
- Je t'ai menti.
- Alors, c'est fini ?
- C'est fini ! Tu as fini de m'enchanter.
- Alors, finissons en chanson. C'est l'histoire d'un type, qui entend le murmure du vent et voit les étoiles tomber telles des larmes : « Ta chérie ne seras plus jamais à tes côtés. C'est fini ! ».
- Bon, je pars ! Soigne ton chagrin, il guérira vite. Et tu m'oublieras.
- Il est encore un peu tôt pour le savoir…
Quelques minutes d'un rêve français, de grâce française, de bonheur français, d'illusion française. Encore un instant, monsieur le bourreau, et vous pourrez faire votre œuvre…
Qui connaît Christophe Girard ? Les parisiens, assurément, puisqu'il fut adjoint à la culture de Bertrand Delanoé, et qu'il est maire du IVe arrondissement. Naguère, il sut, dans un récit sensible, trouver les mots pour évoquer un drame intime, le suicide de sa mère, peut-être accablée d'une mélancolie inconsolable. Sa réussite sociale est exemplaire : elle l'a conduit vers les honneurs de la cléricature municipale, ainsi qu'au sommet de la maroquinerie de luxe (1). Au reste, quand il se contemple, on croirait qu'il se tient à la base d'une pyramide. On dit que cet édile maroquinier voulait être ambassadeur. Il l'est assurément devenu… de lui-même. C'est un homme influent dans le monde de l'art contemporain, et un esprit « avancé ». Il s'avance d'ailleurs souvent. Parfois, il recule.
Il s'était avancé très loin, lorsqu'il avait plus que suggéré que le théâtre de la Gaîté-Lyrique, alors en piteux état, abritât une bibliothèque, dont une part serait affectée à des œuvres et des documents « gays et lesbiens, comme à San Francisco ». Ce projet souleva l'approbation des mêmes, et l'interrogation des autres : qu'allait-on placer dans les rayons ? Et pourquoi instituer un lieu de lecture public strictement orienté, au risque d'en faire une place forte, exclusivement fréquentée par une communauté sexuelle ? Il y avait là quelque chose d'inquiétant. Il était (il demeure ?) certes délicat, voire impossible, à un jeune homme d'avouer son homosexualité à sa famille ; il apprenait tôt à jouer la comédie des apparences, et à taire son attirance. Mais, plus généreusement qu'ailleurs, la belle contribution au rayonnement de notre pays des nombreuses personnalités homosexuelles a toujours été reconnue. Cependant, les temps ont changé. Il s'agit désormais de crier haut et fort ses racines, ses origines, ses particularités. On est d'une ethnie, d'un genre, d'une coterie, d'une tribu, comme d'un club. La France a perdu, les lobbies ont gagné. Les guichets sont ouverts, les plaignants s'y précipitent.
Nous étions en 2001. L'initiative de Christophe Girard s'inscrivait dans le grand mouvement de fracture de la nation française, qui devait réaliser son émiettement en micro-sociétés soutenant des mémoires et des intérêts divers et variés. Or, son projet de « Gayté »-Lyrique souleva un tollé, même à gauche : M. Girard recula.
Récemment, il a manqué une occasion de rompre avec la langue des maîtres, dont il use abondemment, et avec le suivisme d'opinion, qu'il incarne jusqu'à la caricature.
Voici l'affaire : en mai 2013, meurt Henri Dutilleux compositeur célébré dans le monde entier sauf en France (2). Le pouvoir socialiste, qui sort son 49, 3 dès qu'il entend le mot culture, si prompt à s'émouvoir des malheurs de sophistes, ne lui rend aucun hommage. Au mois de novembre, Jean-Pierre Plonquet, candidat UDI aux élections municipales dans le IVe arrondissement, demande qu'une plaque soit posée sur la façade de l'immeuble, 12 rue Saint-Louis-en-l'Ile, où logeait le musicien. Christophe Girard, lui aussi candidat, opposé à M. Plonquet, apporte son soutien à cette proposition. Le Comité d'histoire de la ville de Paris est alors saisi, comme il se doit.
En juillet 2014, ce comité fait connaître son avis favorable, accompagné d'une précision biographique : « Henri Dutilleux, alors qu'il était chef de chant de l'Opéra de Paris, a composé la musique du film de propagande Forces sur le stade (1942) ». Cette œuvre impérissable invitait les français à pratiquer un sport, conformément aux vœux du maréchal Pétain. Le même comité précisait qu'il s'agissait, à sa connaissance, du seul exemple d'« implication de Henri Dutilleux dans une politique active de collaboration ». Et pour cause : on apprit qu'il avait adhéré dès 1942 au Front national des musiciens, mouvement de résistance à l'ennemi, mais encore d'assistance aux compositeurs persécutés par les nazis, et qu'il avait, par surcroît, composé clandestinement la musique de La Geôle, poème que Jean Cassou, personnalité irréprochable de cette sombre période, imagina dans sa cellule en 1943, alors qu'il ne disposait ni de papier ni de crayon !
Que décida, finalement, le maire du IVe arrondissement, qui s'était pourtant avancé ? Avec l'appui de Karen Taïeb, conseillère, et celui de la mairie de Paris, il jugea qu'il était urgent d'attendre. Il évoqua le contexte « marqué par les attentats de janvier et la commémoration de l'anniversaire de la libération des camps de concentration d'Auschwitz et Birkenau […] J'avais souhaité qu'on apaise tout et qu'on laisse passer un peu le temps dans l'émotion actuelle […] On mettra la plaque, mais le temps n'est pas opportun […] entre les manifestations, le plan Vigipirate, le mémorial de la Shoah qui est sous surveillance dans l'arrondissement, il n'est pas question d'avoir des manifestations devant la rue d'Henri Dutilleux contre la pose d'une plaque, ce serait d'une violence inouïe, donc Anne Hidalgo et son cabinet m'ont réitéré que ça n'était pas opportun pour le moment, lorsque j'ai posé la question. ».
Christophe Girard, une fois de plus, s'était avancé. Puis il a reculé. Il s'agissait simplement de rendre hommage à un artiste remarquable, parfaitement honorable, et l'on a convoqué Pétain, Auschwitz, la collaboration, les frères Kouachi, Coulibaly !
Si l'on voulait peindre le conformisme de M. Girard, il faudrait le voir en buste, car, en pied, on aurait le vertige !
Ci-dessous : M. Girard offrant son propre portrait à la contemplation de ses contemporains
1) Il était encore récemment directeur de la stratégie mode du groupe LVMH
2) L'auteur de ces lignes admirant l'œuvre de Dutilleux, manque d'objectivité. Mme Filipetti, alors ministre de la culture, et un certain Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris chargé de la culture, étaient présents aux obsèques de Georges Moustaki, mais absents à celles de Henri Dutilleux, le même jour. Les socialistes de pouvoir honorent et ignorent à la manière des petits bourgeois flaubertiens.
Elle vient de mourir. Elle a accompagné mon enfance, parce que, dans mon entourage, les femmes l'aimaient beaucoup. Elles appréciaient sa gouaille élégante, sa manière d'apostropher la gente masculine, de la tenir à distance, mais sans lui adresser une fin de non recevoir : car enfin, il y a des moments où elle peut, elle doit se rapprocher… Son style lui appartient en propre, ni vraiment réaliste, ni tout à fait rive gauche, mais parfaitement music hall. Elle excellait dans le genre populaire chic, « affranchi ». Elle incarnait une manière de féminité tranquille, tendrement ironique, jamais amère.
Et quel talent ! Entendez cette chanson, ci-après, sa diction impeccable, nullement démodée, soutenue par un orchestre de jazz très brillant. Elle fait swinguer son récit moqueur, qui met en scène un maladroit…
Spéciale dédicace à Florence, de l'indispensable blogue noel69aclermontferrand , qui, je le sais, aime cette chanson, certes un peu moins que Le petit bal, mais tout de même… :
Par Pandore, comme par Ève, nous sont venues bien des métamorphoses. Elles furent plaisantes souvent, nécessaires toujours, intrigantes quelquefois, irritantes aussi. De leur coffre, une jarre pour la première, la bouche pour la seconde, s'il s'ouvre, surgissent les tourments. Pandore, que les dieux pourvurent de tous les dons, et d'abord de la beauté, par curiosité peut-être, par défi sans doute, libéra ainsi tous les malheurs. Ils accablèrent alors l'humanité, les privant jusqu'à l'espérance, qui demeura prisonnière du récipient. Par Ève, nous succombâmes à la tentation, et nous découvrîmes l'effarante beauté du monde apparent.
Avec Ève, avec Pandore, le monde commence ou recommence.
Cependant, je vous suggère une visite chez Miss Pandora, une délicieuse parisienne de cœur, d'adoption, de ferveur. j'ai récemment découvert sa « boîte ». Je l'ouvre sans me lasser.
Et j'accueille avec plaisir un nouveau venu, de très loin semble-t-il, Hong Long, du blogue Luan Vu. De Chine ? du Viêt Nam ? de Hong Kong ? de Mandchourie ? Tous ces noms me font rêver, il me plaît de les énoncer. Il est arrivé ici, par quelle magie, par quel détour, et pour quelle raison ? Je ne sais rien de tout cela, mais je lui dis qu'il est le bienvenu.
Voici, dans sa version anglaise, le film Pandora and the flying dutchman, d'Albert Lewin (1952) :
Pandora, qui jusque là ne connaissait pas les tourments de l'amour vrai, croise la route d'un hollandais très mélancolique, condamné à errer sur les mers du monde, jusqu'au jour où une femme consentira à se sacrifier pour lui, par amour… Y eut-il beauté plus foudroyante, plus évidente et plus « naturelle » que celle que suggérait Ava Gardner ?
Ci-dessous, deux captures d'écran de Pandora, the flying dutchman
Elle chante How am I to know (paroles de Dorothy Parker, musique de Jack King), et elle s'accompagne au piano : hypnose !
On s'aime, on s'égare, on se reprend, on se déprend, on se quitte. C'est ainsi que se renouvelle l'incessant mouvement de l'amour. Bien sûr, on se blesse, on saigne, on croit mourir.
À la vérité, l'amour est l'une de ces maladies orphelines contre lesquelles il n'est pas de remède. Quand on s'en croit guéri, loin de s'en prémunir, on veut encore en être contaminé.
Il y a dans tout cela une sarabande d'illusion, qui nous fait bondir de nos sièges et entrer dans le cercle.
Dans le petit film ci-dessous, Yves Montand, invité par Jacques Chancel, chante a capella Les Feuilles mortes. Il roucoule superbement, le grand séducteur. Voyez, derrière lui, la jeune femme : elle est comme transportée. Pas un instant, elle ne le quitte des yeux. Tous les traits de son visage expriment une joie, comme un transport. Avec cela, elle est fort jolie.
Patachou a donné de cette chanson fameuse (Prévert et Cosma) une belle interprétation, curieusement un peu jazzy :
Encore une fois Aldo Ciccolini, au cours de son ultime récital, qu'il donna pour ses quatre-vingt-cinq-ans. Rien de trop, rien de moins : dans sa veste blanche de vieux dandy latino, même devant un public enchanté (au sens strict : en proie à un enchantement) qui le vénère, il va sereinement jusqu'à la note finale :
Il me paraît que, parmi les aristos du clavier, se trouve cet artiste ignoré :
Aldo Ciccolini, napolitain de naissance (1925), français de nationalité, est mort le 1er février 2015. Il n'était pas seulement un virtuose du piano, il incarnait la virtuosité retenue, qui se garde de tout effet inutile. En cela, il représentait parfaitement l'enseignement et l'esprit de ses maîtres, Marguerite Long et Alfred Cortot.
Le voici dans « Kupelwieser Walzer », de Franz Schubert, transcrite par Richard Strauss : on entend cela, on s'interrompt, on suspend son pas pressé, et l'on pressent que la vie est fragile. On se dit alors que cette fragilité-même, fatale, produit ce beau sentiment de précarité, qui nous fonde.
Leopold Kupelwieser (1793-1862), peintre autrichien de belle renommée, appartenait au cercle des intimes de Schubert.
On entendra cette même Kupelwieser Walzer, comme venant de la fenêtre ouverte d'une maison, et qui accompagne quelque temps un promeneur, sur le chemin : Le dernier bain de Diane
Toujours obsessionnel, je suis poursuivi depuis hier et l'annonce de la mort de Louis Jourdan, par son visage et celui de Joan Fontaine, à leurs souffles mêlés, dans le film de Max Ophüls, Lettre d'une inconnue, d'après une nouvelle de Stefan Zweig (1881-1942).
Le destin absurde et cruel de cette jeune femme, qui se sacrifie pour un homme ordinaire, ne parle plus à nos contemporain. Il ne peut exister que dans une société point encore « régularisée », une société où les êtres s'organisent en fonction de leurs propres contraintes psychiques et non sous l'œil de la censure sociale (autrement appelé politiquement correct ). Cette femme vouée à se perdre pour un seul homme n'est pas viable aujourd'hui, or, en agissant ainsi, elle affirme magnifiquement sa personnalité fondamentale. Elle « agit » sans craindre ni l'opprobre, ni le ridicule, ni le scandale.
Quant à l'homme, qu'on pourrait croire dans la situation enviable du séducteur éternellement recommencé, il subit la terrible épreuve, qu'il résume en une phrase, fondamentale, que je rappelle ici :
« Il est plus facile de plaire aux autres que de se plaire ».
En souvenir de Louis Jourdan, de Joan Fontaine, de leur rencontre tragique et nécessaire, ce « Chant à la lune », extrait de Rusalka, opéra du compositeur Anton Dvorak (1841-1904), ici magistralement interprété par Renée Fleming.
Rusalka est une divinité des eaux, amoureuse éperdue du jeune prince qui se baigne fréquemment dans le lac où elle séjourne. La nymphe implore une sorcière de lui donner la forme (et les formes) d'une femme incarnée. Elle sera exaucée, mais au prix d'une sévère infirmité (elle devient muette), et d'une terrible menace : la damnation si le prince ne l'aime pas en retour.
Il la voit, il s'en éprend, puis il s'en lasse. Il s'éloigne, mais, la retrouve, veut la reconquérir. Elle le met en garde : s'il lui donne un baiser, il mourra dans l'instant.
Il l'embrasse, et meurt. Rusalka sombre au plus profond des eaux. De même Louis Jourdan acceptera-t-il, à la fin, le duel avec le mari de Joan Fontaine, d'où il est certain de sortir vaincu.
Ne retenez ni vos larmes ni vos rires, selon que vous serez « puissant ou misérable ».
Louis Jourdan (1921-2015) vient de mourir. Je l'avais évoqué ici, surtout pour son rôle dans « Lettre d'une inconnue » (1948), de Max Ophüls. Toute la délicatesse désespérée de la vieille Europe centrale y est rassemblée. Une jeune fille (Joan Fontaine) s'éprend passionnément d'un pianiste (Louis Jourdan), lorsque ce dernier vient s'installer dans l'immeuble où elle habite avec sa mère, veuve. C'est un artiste très doué, promis à un brillant avenir d'interprète. C'est également un fort bel homme, un séducteur oublieux de ses conquêtes, passant d'un corps à l'autre.
Je passe les détails. Devenue une jeune femme ravissante, obsédée par l'idée de retrouver le pianiste, elle revient s'installer à Vienne. Elle le retrouve. Il est séduit immédiatement, mais ne reconnaît pas son ancienne voisine. Ils s'aimeront une seule nuit. Le lendemain, il part à Milan, donner un concert. Très épris, il lui donne rendez-vous deux semaines plus tard.
Mais cet homme ignore le temps, les serments, promesses. Il n'est nullement parjure, mais il est oublieux, sollicité par son désir, charmé par la dernière et déjà par la prochaine.
Elle lui écrira une lettre, et, par cette lettre, il comprendra quelle présence d'amour infini, avec cette « inconnue », il aura perdue.
Certains êtres font ainsi le malheur de ceux qui croisent leur route sans le vouloir, car, pour eux « Il est plus facile de plaire aux autres que de se plaire ».
Document ci-dessus : Joan Fontaine, Louis Jourdan, Lettre d'une inconnue
Je vous avais donné une adresse où l'on pouvait voir le film dans sa version originale non sous-titrée. En voici une autre, sous-titrée en français :
Actuellement, et peut-être pour très peu de temps, youtube diffuse le film Ludwig-Visconti, en français et dans son intégralité. Ce genre de choses -des films rares, libres et gratuits-, sans être exceptionnel, ne dure pas longtemps. Les œuvres sont retirées rapidement.
Voici donc l'adresse où vous pourrez visionner, enregistrer ce chef-d'œuvre, dans une qualité satisfaisante.
Le rôle de Ludwig est tenu par Helmut Berger : il y exprime toutes ses qualités d'interprète viscontien. Les rapports entre les deux hommes étaient parfois orageux. Certes, Visconti était follement épris de Berger, mais il n'abandonnait aucune de ses prérogatives de maître du plateau. Il voulait que ce film exprimât sa conception de l'existence. Il sut parfaitement distinguer dans la personne du roi fantasque et supérieurement inspiré la représentation de son idéal : la vie réelle est décevante, seule la vie de l'esprit, guidée par une recherche infatigable du beau, peut nous consoler, apaiser notre chagrin fondamental. Il faut rapprocher ce film d'un ouvrage magnifique : Le livre de raison d'un roi fou : Louis II de Bavière (1947)d'André Fraigneau (1905-1991). Je ne connais pas d'étude à la fois plus légère et plus inspirée, plus pénétrante du souverain bavarois. Comme Visconti, il le suit dans son déclin physique, dans son inexorable métamorphose d'apparence, qui, cependant, ne s'accompagne nullement d'une quelconque altération de sa lucidité ni de sa capacité d'analyse :
« Cette nuit, aux flammes des bougies, j'ai contemplé longuement mon visage dans un miroir […] Je me découvre tel que l'exercice de la vie m'a fait. Plutôt m'a défait […] Mes dents gâtées par les sucreries […] Je suis énorme, gigantesque, même […] Les romantiques ont l'imagination courte, ils ont inventé le monstre laid : Quasimodo […] Je suis un monstre beau. C'est pire. »
Dans Ludwig-Visconti, les moments qui réunissent Sissi (Romy Schneider) et le roi, leurs ballades nocturnes, leur complicité d'enfance, leurs discussions, sont un éblouissement. Quant aux deux acteurs, Schneider dans de longs vêtements noirs, Berger sous ses chapeaux de Hambourg, sanglé dans son uniforme ou enveloppé d'un manteau, ils sont d'une beauté impressionnante.
C'est à propos de Nicole Louvier.
J'ai saisi un fil. J'ai vu qu'il se déroulait au loin, je l'ai tenu entre mes doigts, je voulais voir où il me menait. Ayant choisi, parmi d'autres, son interprétation de Ça fait peur aux oiseaux (voir l'article précédent Connaît-on la musique ?) quelque chose m'avait frappé chez cette jeune femme. Mais mon impression était superficielle, provoquée par son regard. Or, il y avait bel et bien un mystère derrière son apparence.
Nicole Louvier eut une vie « différente », heurtée d'abord très durement par l'Histoire, à cause de son « origine », puis rendue très inconfortable par sa « nature ».
Nicole Louvier, juive polonaise par ses parents, née à Paris en 1933, fut une enfant cachée pendant la Seconde guerre. Elle vécut en Bretagne. Après les hostilités, elle revint à Paris. Retrouva-t-elle ses parents ? Je l'ignore, comme j'ignore si elle suivit des études. Très tôt, en tous les cas, elle écrit : des poèmes, des textes courts, des chansons, et des romans. Elle apprend à jouer de la guitare, elle chante, on la remarque, elle plaît. Les années cinquante lui conviennent parfaitement, On y entend volontiers des chansons « à texte », sans mièvrerie. Son style très « travaillé », presque précieux, d'inspiration à la fois médiévale et symboliste, lui attire tous les suffrages.
Son premier disque paraît en 1953 (ou 1954 ?), présenté par Maurice Chevalier, toujours très attentif aux nouveaux talents. Chevalier la baptise « Le petit Radiguet », ce qui n'est pas mal vu. La voilà lancée ! Succès national, puis international. On reprend ses chansons : Jean-Claude Pascal, grande vedette alors, chante La Chanson de Venise, Marlène Dietrich donne sa propre interprétation de Qui me délivrera.
Elle fait paraître, aux éditions de La table ronde, deux romans : Qui qu'en grogne, et Les Marchands. Le premier évoque les troubles de l'amour entre deux jeunes femmes, le second, la rapacité du milieu du show business. Les deux ouvrages provoquent des remous. La jeune femme voit des portes se fermer devant elle. Au début des années soixante, elle découvre Israël avec une joie assez grande pour y demeurer et partager la vie d'un kibboutz. Elle reviendra à Paris, mais fera de fréquents séjours dans ce pays naissant.
Après, il apparaît que les choses se compliquent pour Nicole. Elle aimait les femmes, elle ne se plia pas aux nouvelles exigences de la variété, elle ne modifia rien de son style ni de son inspiration. On évoque souvent la figure des rebelles, aujourd'hui, pour qualifier des personnages d'apparence, qui prennent des postures convenues. La détermination de Nicole, son entêtement, son homosexualité sans doute à un moment où cette préférence sexuelle n'était pas devenue commune, tout cela fut-il fatal à sa carrière ? On n'entendit plus parler d'elle. Elle est morte, oubliée du public, entourée de happy few, en 2003.
Ces mêmes happy few veillent sur sa mémoire. Ils ont publié un cd contenant le plus grand nombre de ses chansons.
C'est ainsi qu'un jour on pressent quelque chose dans un regard, dans la vitre sombre d'un œil ardent, et l'on tire le fil d'un secret.
La Chanson de Venise
La même, remarquablement interprétée par Dany Dauberson, qui n'eut pas la carrière que lui méritait sa voix sensuelle. Certes, on pourrait dire que ce genre est démodé, qu'il a vieilli, qu'il fallait qu'il cédât à la pression de la jeunesse, qu'un nouveau public espérait, attendait autre chose, des rythmes, des thèmes, des apparences différentes. Cela est vrai, et, sans doute, nécessaire. Il n'empêche, notre mémoire ou notre plaisir sont gouvernés par d'autres principes que la seule nécessité.
La Chanson de Venise, encore, cette fois par Jean-Claude Pascal. Il roule un peu trop les r, le beau JC, mais sa voix suave est remarquablement placée. Il avait créé sa propre niche de chanteur de charme.
Marlene Dietrich (1901-1992), Qui me délivrera, enregistrée en 1955, suivie de Déjeuner du matin, un poème de Jacques Prévert (1900-1977) mis en musique par Vladimir Cosma, enregistré en 1962.
Supplément pour le plaisir et le frisson, ce bref moment comme pris sur le vif d'un enregistrement de Just a gigolo (auteurs) par Marlène Dietrich (désolé, intégration rendue impossible, rendez-vous à l'adresse suivante : http://youtu.be/BWYYNGXCgVQ)
DominiqueHMG consacre son site Youtube (DominiqueHMG) à Nicole Louvier et à beaucoup d'autres. On trouve chez lui de rares et belles images. Tout cela est fait avec ferveur et remarquablement.
Le texte est un poème, La Ballade de l'oiseleur, joliment troussé, d'un certain Galoppe d'Onquaire (1805-1867), né Pierre Jean Hyacinthe Adonis Galoppe Donquaire à Montdidier, dans la somme, mort au Vésinet, dans les Yvelines. Il se voulut auteur de théâtre, il fut joué à l'Odéon, mais la critique cinglante le découragea. Il connut apparemment des succès de petite mondanité, mais jamais la renommée que son vrai talent de poète pouvait lui laisser espérer.
On apprend que La Ballade de l'oiseleur fut mis en musique par Paul Bernard en 1888, gravé dans la cire en 1911 par le ténor Edmond Clément (1867-1928) sous le titre Ça fait peur aux oiseaux
La voici interprétée par Hugues Aufray, plutôt en soutien de voix et à la flûte, et par sa sœur, Pascale Audret. Ils sont jeunes, beaux, la vie leur sourit. Pascale trouvera la mort dans un accident de voiture, en juin 2000, sur une route du Lot, près de Cressensac :
La même chanson par la piquante Nicole Louvier, très années cinquante, jeune femme à la guitare, cheveux courts, jupe en velours sombre, un style rive gauche :
Puis par la grande Felicity Lott qui, bien qu'anglaise, aime la France ;
Enfin par Marie Dubas : la voix est un peu « démodée », mais le rythme est excellent, plus soutenu, plus « ironiquement » rapide :
Je veux saluer l'arrivée parmi nous de Marga, qui consacre son blogue à l'Égypte ancienne.
C'était un temps raisonnable. Les jolies filles à la taille bien prise et aux seins haut-perchés pouvaient dessiner des figures un peu vaines dans l'espace, et narguer le reste du monde depuis Paris. Françoise Dorléac produisait une chorégraphie charmante et délicieusement stupide en fixant la caméra d'un œil gourmand. Elle était encore en vie, l'avenir lui appartenait.
On mesurera le mouvement de régression moral qui nous emporte aujourd'hui en regardant ces images d'une adorable et très graphique innocence.
Elle voulait être la reine Christine, La Dame aux camélias, jouer Musset, être connue. La mort l'a prise. La mort prend tout le monde, c'est toujours elle qui gagne, à la fin. Au reste, c'est ce qu'on appelle la fin…
Ci-dessous : les jeunes comédiennes n'embrassent plus les arbres des avenues à la manière de Dorléac. On décèlera dans cet enveloppement peut-être une protection, une signification amoureuse, un abandon, la désignation d'un objet transitionnel, ou la simple manifestation de la confiance d'une femme heureuse, d'une actrice au bel avenir.
Quoi qu'il en soit, les jeunes comédiennes n'étreignent plus les troncs des arbres parisiens à la manière de Dorléac.
Anita Ekberg vient de partir. Paris n'est plus ici, Rome n'est plus dans Rome. Nous marchons vers les ténèbres ; la chair blanche, ondoyante d'Anita disparaît progressivement dans la pénombre. Tous les garçons se sont appelés Marcello…
Par hasard, cherchant la valse qui l'accompagne, j'ai trouvé le film dans son intégralité. Je m'empresse de vous communiquer l'adresse à laquelle vous le trouverez :
La Ronde, de Max Ophüls, est l'un de mes films préférés. Adolescent, je me voyais m'incarner dans chacun des personnages masculins, mais, celui qui avait ma préférence, c'était le narrateur, qui voit tous les autres et mieux que quiconque, « parce qu'[il] les voi[t] en rond. ». Son élégance, sa mélancolie viennoise, son goût du passé « tellement plus reposant que le présent », son indulgence envers la comédie amoureuse et son manège, ses privilèges d'observateur (« Je ne suis pas dans le jeu, je mène la ronde. »), tout cela me le rendait magnifique.
Ce film est un enchantement. J'ignore combien de temps il demeurera visible à l'adresse indiquée, alors, regardez-le sans tarder. Si vous êtes déçu(e), je vous rembourse le prix du billet… de manège :
« Tournent, tournent mes personnages, La terre tourne jour et nuit, L'eau de pluie se change en nuage, Et les nuages retombent en pluie …»
Et, toujours du grand Max, ce film sur le hasard et le souvenir, sur la brume du temps, qui brouille la forme des êtres, noie jusqu'à leur regard, mais nous révèle un jour leur secret déchirant. Ne retenez pas vos larmes, elles vous alourdissent inutilement !
Sur les tragiques événements que Paris vient de connaître, il me paraît que The New Yorker a publié, ce matin, la plus forte des couvertures, parmi toutes celles que j'ai pu voir. Elle est l'œuvre d'Ana Juan. Est-ce parce que nous avions la tête ailleurs, que nos pieds baignent aujourd'hui dans le sang ?
À celles et ceux qui passèrent ici et ne revinrent plus, aux fidèles, aux infidèles, aux disparus, aux revenus, à ceux qui me surveillent du coin de l'œil, aux autres, qui m'ignorent avec attention, ou qui se réjouissent de m'avoir oublié, aux amants désunis, aux ennemis réunis, à l'ombre sur le mur dont j'ai retrouvé la lettre dans l'habit abandonné, à ceux que j'ai croisés, à toutes et à tous je souhaite le meilleur pour cette année neuve, qui n'a pas encore servi, qui n'a pas encore déçu, ni lassé.
J'offre cette petite merveille, un enregistrement ancien d'une chanson signée Eddy Cochran, Twenty flight rock, par Vince tout-en-cuir Taylor (1939-1991), beau comme le messager d'un monde perdu. On notera le solo époustouflant de Bobbie Clarke (né Robert William Woodman, 1940-2014), batteur très inspiré.