samedi 25 juillet 2009

Rire amer chez les Arvernes…


















Émilie nous a donné ce texte d'une grande force. Il est d'une lecture aisée, mais pour le moins inconfortable.
Je le publie, car j'aime beaucoup sa liberté. La mémoire d'Émilie n'est pas apaisée, elle gronde toujours d'une colère vive. C'est son opinion. Vous réagirez.
Attention, «c'est du brutal !».


Pieds-noirs.
Ce sobriquet dont on nous a affublés, nous avons eu l’humour de le revendiquer. On en ignore l’origine exacte, mais de toutes les explications avancées, celle que je préfère est d’Edmond Brua, pied-noir, né à Philippeville, comme moi, et auteur d’une parodie du Cid en pataouète : dans le midi, les pieds-noirs sont les passereaux qui s’envolent vers l’Afrique en automne. Quelqu’un aurait lancé le surnom et il nous serait resté. Oiseaux migrateurs, comme les passereaux, nous avons fait l’aller-retour, mais il n’y aura jamais d’autre automne.
«Un peuple sans passé» disait Camus. Ce n’est plus vrai puisque l’Histoire, en frappant à «la porte du malheur», leur en a offert un…

Personne ne peut guérir de l’Algérie : de mon enfance coupée en deux, arrachée à l’Afrique, sur l’autre rive, il reste une petite valise de souvenirs éblouissants de lumière au fond du placard où s’entassent les injustices et les mensonges d’une guerre, puisqu’il faut bien l’appeler
par son nom.
L’Algérie, c’est une image fixe et mouvante, couleur de ciel et de sable, sous une lumière aveuglante, où j’entre toujours à mon insu, qui s’impose à moi et que j’interroge depuis toujours parce que je sais qu’en elle se trouve la clé de l’énigme, la mienne. A l’école de mon village du Constantinois, nous sommes seulement trois enfants européens parmi de nombreux petits écoliers arabes. J’ai quatre ans, j’aime l’école. Mon instituteur est Kabyle. Il m’a mise dans le groupe des petits, mais, en écoutant d’une oreille ce que faisaient les grands, j’ai appris à lire, à son insu et de mon plein gré. Il ne s’en est pas aperçu tout de suite, c’était une surprise ! Chaque matin, je sors du rang pour l’embrasser. C’est un rite qu’il accepte, un accord tacite entre nous. Au village, on ne s’explique pas le comportement fantasque de la fille de N… Je crois que je le remerciais simplement, lui, «l’indigène», de m’avoir appris à lire et écrire la langue française, comme si mon cœur d’enfant y voyait la preuve de son attachement à la France, à nous. Plus tard, on apprendrait qu’il avait quitté l’école pour aller grossir les rangs du FLN ! Aujourd’hui encore, lorsque j’en parle, je me heurte aux mines dubitatives de la foule des ignorants : «Comment, «ils» étaient donc instruits, ils allaient à l’école, ils pouvaient enseigner ? »
La scène hantée, l’image qui me colle à l’âme, c’est celle de cette sortie d’école, un après-midi de printemps. Les enfants se précipitent dans la rue, l’école est finie. Aussitôt un cri déchire le ciel, une rumeur s’élève, la panique gagne. Je perçois quelque chose d’inhabituel, et je regarde, immobile, cet objet vert et quadrillé, ovale comme un citron, qui vient de rouler à mes pieds, et que je sens contre ma sandale blanche. Pas le temps de comprendre, je suis aussitôt soulevée de terre, emportée, secouée, ballottée. Je ne sais pas pourquoi, et soudain j’ai peur. C’est Ali, l’ouvrier de mon père (non, pas un esclave !) qui me porte en courant, qui crie, s’essouffle et appelle mon père en arabe ! On arrive à la maison. La «chose» verte à mes pieds était une grenade : mal dégoupillée, elle n’a pas explosé. «Mektoub !», c’était écrit, ce n’était pas mon heure. Je venais d’entrer dans notre tragédie.
Dès lors, nous ne pouvions plus rester. Le FLN nous tuait, nous égorgeait, nous écorchait vifs, nous mutilait, nous empalait selon des rituels monstrueux, d’une sauvagerie barbare et nous étions innocents. Salaud de Sartre qui, en France, appelait au meurtre des Européens, glorifiait et justifiait le massacre des innocents ! Salauds de porteurs de valises, qui ont collaboré avec les assassins ! Les «roumis» devaient disparaître, on nettoyait «ethnique» ! Le FLN, au passage, pardon de le rappeler, a massacré, selon les mêmes méthodes, des milliers de musulmans, de frères. Il fallait bien ça pour les convaincre ! L’union fait la force et c’est sans doute ainsi qu’Allah est grand !
L’Algérie, c’est à jamais mon pays étranger, mon pays de nulle part, mon mirage, mon Atlantide. Tout ce que nos pères, grand-pères, arrière-grands-pères avaient sué et construit serait englouti, puis jeté dans les poubelles de l’Histoire. Un ami y est retourné dans les années Quatre-vingts. Il m’a raconté les cabanons, les maisons en bord de mer, les piscines municipales, tous les lieux de plaisir et de distraction d’avant 62, laissés à l’abandon. Il m’a dit l’étrange frisson qui l’a saisi alors, le sentiment déroutant de se trouver face aux vestiges d’une civilisation disparue, effacée, déjà presque poussière.
L’Algérie, c’est ma mère : pas encore trente ans, la beauté sensuelle et la grâce de Sylvana Mangano. A notre arrivée en France, elle a posé sur mes épaules ces mots de la rupture, du renoncement et du sacrifice : «On nous a volé notre destin !». Elle prenait là toute la mesure de notre tragédie. Nous quittions un pays où nous étions nés, mais qui n’était plus le nôtre, pour rejoindre sur l’autre rive le giron de la mère-patrie que nous aimions tant, sans savoir qu’elle nous recevrait à contrecœur, avec des «cris de haine», comme des criminels, des fils indignes. Nous étions des amoureux éconduits, la France nous repoussait, regardait et regarderait toujours ailleurs, comme au-delà de nous. Français de là-bas, exilés en France avec les Harkis, nos frères de douleur, nous n’étions plus de nulle part. C’était bien la tragédie selon Anouilh «[…] il n’y avait plus d’espoir, le sale espoir….avec tout le ciel sur notre dos et on n’avait plus qu’à crier, pas à gémir, pas à se plaindre, à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore».
Spoliés, déchirés, chassés, déracinés, insultés, rapatriés, déportés. Que demander de plus ? Coupables ! On commençait à l’entendre résonner très fort autour de nous «le sanglot de l’homme blanc» !
Elle le savait ma-mangano lorsqu’elle a posé ses talons aiguilles sur le sol auvergnat, altière dans sa jupe droite, esprit subtil que rien ne piège, abrité sous un casque de cheveux lourds que le henné enflammait. En deuil de son insouciante jeunesse, elle regardait, pensive, le ciel baudelairien du Massif Central peser comme un couvercle sur nos têtes, et plomber ses rêves. La France des profondeurs ! Il est encore là, dans un tiroir de ma mémoire, vivace, tenace, cet instant du désarroi : place de Jaude, Clermont-Ferrand, Puy de Dôme, au pied de la statue de Vercingétorix (tout un symbole !) qui affichait un air perplexe au passage de ces drôles de Gaulois ! Un jeune couple et ses deux enfants, ensemble désemparés. Rien ne nous ressemblait, ni ne parlait à nos âmes de nomades, tout paraissait hostile. Il faisait frais, l’éternelle grisaille bouchait l’horizon. Au moins une certitude : on découvrait ce jour-là que l’hiver auvergnat commence en juillet. Seule certitude. Instinctivement, machinalement, nous regardions au loin, nous cherchions la mer qu’on ne reverrait plus avant longtemps. Jamais, peut-être. Ici, rien que du noir, noire la cathédrale en pierre volcanique, noire la lumière, noires les rues et les façades. Et dans nos cœurs le chaos, la lave de la mélancolie, le sang des massacres, le vacarme et la fureur, les cendres de la terreur. Dans l’écorce de la mémoire, la gravure au poignard d’un aller sans retour. Nous étions «cette race née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels» ; par cette phrase sublime de Noces, Albert Camus résume toute l’âme pied-noire, l’essence même de la pied-négritude ! Pour les auvergnats, d’un abord si réservé, nous étions des extra-terrestres, des gens très décalés, surprenants, dont ils ignoraient absolument tout, et même que nous étions des Français ! Il paraît qu’on avait un accent bizarre, on ne le savait pas. Même notre vocabulaire posait problème et était un frein à la communication avec l’autochtone. Au début surtout, ensuite on s’est adapté et intégré. Ainsi, ce même jour d’apocalypse à Clermont, nous nous sommes attablés à la terrasse d’un café. Il convenait de fêter dignement l'événement ! On passe commande. Le serveur revient et pose devant nous, ébahis, déconcertés, incrédules… quatre cafés crèmes ! Nous voulions des glaces ! Mon père, ce héros au sourire si doux, mais «de caractère», moitié John Wayne, moitié Gassman, proteste et s’échauffe un peu. On s’explique. Une fois le quiproquo dissipé, et ce ne fut pas simple, il s’avère que l’erreur, c’était nous (encore !). En Algérie une glace, c’était une crème (glacée), l’épithète «glacée» étant toujours sous-entendue. En France, un crème est un café avec de la crème de lait, mais le mot «café» est toujours sous-entendu. On prenait nos marques. Cette cocasse déconvenue nous valut un fou-rire mémorable. Enfin ! Enfin, l’Auvergne nous faisait rire, comme un peu de soleil sur un volcan éteint !
Rire amer certes, mais salutaire ! Nous venions de rencontrer le réel. Nous étions des naufragés, notre frêle esquif avait accosté une contrée hostile et nous étions seuls. Nous devinions que les avanies ne faisaient que commencer et que la dérision serait notre force, notre rempart contre le chagrin, la forteresse où nous nous garderions du désenchantement, le contrepoint du mal de vivre….
Émilie
Photographie : Sylvana Mangano, dans le film Riz amer, de Giuseppe De Santis

57 commentaires:

Emilie a dit…

Cher Patrick,sur la photo, c'est Sylvana Mangano, et non Allida Valli, qui, elle, ne ressemble pas du tout à ma mère !

Anonyme a dit…

Avec votre aisance des mots, Emilie vous répondez à tant d'interrogations.. Pour moi une réponse. Touchée.

corinne

Anonyme a dit…

..Cela m'interpelle d'autant plus que mon grand père était un passionné de chevaux, là-bas, où mes grands-parents paternels sont nés, ainsi que mon père, il possèdait des chevaux de course qu'il entraînait et dont il était si fier ! il nous en parlait souvent.
Ensuite, en France, il lui restait son tiercé, qu'il pratiquait raisonnablement, une fois par semaine, sous l'oeil critique de ma grand-mère. Sans elle, il s'y serait damné !

corinne

Emilie a dit…

Merci, cher Patrick d'avoir "exposé" ce texte.

Corinne,ce que vous dites (sur un autre fil) de votre père est très vrai.La plupart des pieds-noirs,fatigués des accusations et des mythes grotesques, voyant qu'on ne les comprendrait jamais et qu'il ne servirait à rien de chercher à expliquer, se sont tus, ils ont tiré le rideau, pudiquement, sur leur chagrin. Les pères, surtout.Le mien a 83 ans et mon frère et moi,nous avons remarqué que depuis peu, il raconte des choses qu'il n'avait jamais dites auparavant. Je crois aussi qu'il faut les aider un peu en les invitant à raconter et à franchir l' auto-censure.Pour ne pas oublier ce chapitre de notre histoire de... nomades !

Patrick Mandon a dit…

Beauregard, vous m'avez proposé, comme sous-titre, ou emblème à Tous les garçons s'appellent Patrick, Nomade's Land. C'est subtil et cela me convient personnellement. J'ai envie de le mettre aux voix. Si les fidèles l'acceptent, nous l'adoptons. Je pensais également à «Les yeux secs, le cœur en cendre».
Votre texte contient tout l'inconfort intellectuel que j'aime. il me vaudra bien des inconvénients. Je suis cependant très heureux d'avoir «édité» votre exercice de mémoire tendre et rebelle.

Anonyme a dit…

Chère Emilie
Je pars demain à la première heure, aussi je n'ai pas le temps de développer tout ce que je voudrais vous dire. Et j'ai tant à vous dire. Sur l'exil, cette amputation affolante et définitive, malgré tous les retours. Cette coupure, cette brisure nette dans notre ligne de vie, entaille à jamais ouverte.
Mais n'oubliez pas,
"Quand l'horizon s'est fait trop noir
Tous les oiseaux sont partis
Sur le chemin de l'espoir
Et nous, on les a suivis,à Paris"
Je vous embrasse.

olyvier a dit…

Emilie et Patrick : j'aurais bien une réponse... Si ça vous, dit un texte avant lundi midi.

Anonyme a dit…

Emilie, mon père a 84 ans maintenant. Je crois qu'il a, toute sa vie, essayé d'oublier. De plus aujourd'hui il vit en Israël, et nous nous voyons très rarement. Mais depuis peu, il s'est mis à dessiner, frénétiquement, aux dires de la famille là-bas il a un certain talent. Il dessine des scénettes humoristiques. Il en est surpris lui-même. Je me dis qu'il a trouvé un autre moyen d'expression que le chant, qui était son domaine de prédilection, il était ténor. J'ai bien essayé de lui faire raconter quelques souvenirs, mais ses soupirs, son regard m'ont toujours fait comprendre que je l'importunais. Mais vous avez raison, que nous le voulions ou non, nous portons leur "nostalgérie" en héritage, le poids de leur destin, de leur désillusions. Et je ne parle pas de la judaïté.. Mon père récemment a reçu un courrier d'un organe administratif de l'état allemand. Il se voit attribué une pension comme "dédommagement". En Algérie, sous le régime Vichyste, on lui avait interdit, puisque juif, de poursuivre des études secondaires.. Inutile de vous dire qu'il n'a pas envoyé de lettre de remerciement.
corinne

olyvier a dit…

Patrick, j'ai rédigé un texte, une réponse toute personnelle au témoignage d'Emilie. C'est assez long pour en faire un post. J'aimerais vous le soumettre.

Emilie a dit…

Olyvier, procédez comme je l'ai fait moi-même.Laissez ici dès que Patrick se manifestera, une adresse où il pourra vous envoyer la sienne. Il effacera votre message aussitôt.

olyvier a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Patrick Mandon a dit…

Olyvier, c'est fait, j'ai l'adresse, je vous enverrai très vite la mienne. Rappelez-vous, pour votre texte, que nous sommes sur un blog, que nous sommes «incarnés» et non point des rédacteurs strictement anonymes, que j'aime le surgissement, que le malaise ne me déplaît pas, mais que la polémique vaine n'est pas, ici, mon objet. Ce qui m'importe, c'est que le voile de mystère qui nous environne soit déchiré, non pour résoudre ce mystère, mais pour nous rappeler que nous ne sommes pas seuls à errer dans le dédale…Ecoutez aussi la voix de votre «ennemi intime»…

Saul a dit…

texte poignant....où l' on sent, à travers ces "surgissements" une retenue, presque une pudeur à ne pas vouloir trop s' exposer.
il ressort meme une certaine idée de fraternité de cette époque ( je pense à Ali ainsi qu' à cet instit notamment )
j' ai beaucoup aimé, Emilie.
( les pieds noirs que j' ai pu connaitre, dont un oncle, refoulaient aussi leur histoire, à peine s' ils laissaient échapper quelques bribes, je comprends mieux pourquoi )

Patrick, je glisse mon bulletin de vote pour le sous titre de vore site : honnetement, ma 1ère réaction, par gout de précision, serait les 2 "nomade' s land - les yeux secs, le coeur en cendre "
mais pour un sous titre ce serait sans doute trop long, et la forme compte aussi, autant que le fond.
"Nomade' s Land" a donc ma voix ( puis il inclut aussi cet autre choix )

Patrick Mandon a dit…

Qu'il soit bien clair que j'ai beaucoup aimé ce texte d'Émilie, que j'en approuve la douleur perceptible d'une blessure ancienne, que je vois bien, derrière elle, les vivants et les morts qui lui font cortège, unis fraternellement, qu'elles que soient leurs origines, dans le chagrin que produit le chaos de l'Histoire.
Je suis moins sensible aux honneurs qu'au plaisir, alors je remercie Émilie, non pas de m'avoir accordé l'honneur, mais de m'avoir donné le plaisir de publier ici ce grand texte.
Elle a placé, comme je m'en doutais, la barre très haut, l'Émilienne, la cavalière aux deux étalons. Nous ne pourrons plus lui être inférieurs…

Emilie a dit…

Toutes ces réactions sensibles et intelligentes me touchent beaucoup, merci au "Nomade's Land" !

Mais Patrick, pourquoi dites-vous que ce texte vous vaudra beaucoup d'inconvénients ? Est-ce à dire que vous savez vous aussi,que cinquante ans après, les clichés perdurent et que, comme le disait Camus en 58 dans "Chroniques Algériennes", "tout se passe comme si le juste procès de la colonisation, avait été étendu à tous les Français qui vivent là-bas. A lire une certaine presse, il semblerait vraiment que l'Algérie soit peuplée d'un million de colons à cravache et à cigares montés sur Cadillac(....)Il y a eu sans doute des exploiteurs en Algérie, mais plutôt moins qu'en métropole".

Il ajoute :"La vérité, hélas ! c'est qu'une partie de notre opinion pense obscurément que les Arabes ont acquis le droit d'égorger et de mutiler(....)il semble que la métropole n'ait point su trouver d'autres politiques que celles qui consistaient à dire aux français d'Algérie:"crevez, vous l'avez bien mérité", ou :"crevez-les. Ils l'ont bien mérité." Cela fait deux politiques différentes et une seule démission, là où il ne s'agit pas de crever séparément, mais de vivre ensemble". Camus prêchait la réconciliation.
Dans le désert .

Emilie a dit…

Et puis, pour Sylvana Mangano et Gassman :


http://www.youtube.com/watch?v=wHxnvxclme0&feature=related

Patrick Mandon a dit…

À la suite d l'article d'Émilie, je crois utile de faire connaître la dernière manifestation des Harkis. trois ou quatre personnes manifestent, sans violence, sans rancœur, devant l'Assemblée nationale. Une fois de plus, ils ont le sentiment d'être abandonnés. Voici ce que j'ai copié sur le site http://www.harkis.com/
Il ne me semble pas inutile d'en prendre connaissance.
«Depuis le 5 mai dernier 3 enfants de Harkis "campent"t devant l’Assemblée Nationale pour exiger du Président de la République le respect de ses promesses et notamment la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le désarmement, l’abandon et le massacre des Harkis après le cessez-le-feu de mars 1962 ainsi que dans les conditions d’accueil en métropole des rares survivants.

Aujourd’hui, 11 juillet 2009, s’est tenu un rassemblement de soutien aux trois manifestants (signalé sur ce site par la publication du communiqué qui l’annonçait) ...

La foule attendue ne fut pas au rendez-vous ! Est-ce la marque d’un désintérêt pour l’action de ces 3 personnes et pour le combat des Harkis dans son ensemble ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt que c’est la lassitude et le découragement qui l’ont emporté...

Les anciens sont de moins en moins nombreux et surtout de moins en moins valides. Le temps peu à peu creuse ses sillons. Les enfants eux, comme à leur habitude, brillent par leur absence et leur manque d’implication dans ce combat pour l’honneur et l’histoire.

Un constat lucide et objectif montre que ce type d’action n’est pas toujours couronné de succès et ne constitue pas d’emblée une réussite. Mais cela ne signifie nullement que cette action, même si elle a été insuffisamment préparée, est inutile.

Au contraire, le fait même qu’elle existe montre que le Gouvernement a échoué dans la résolution des problèmes touchant cette communauté. Que les quelques mesures qu’il tente vainement de mettre en place ne semblent pas promises à un franc succès.

C’est pourquoi il est important, malgré le mutisme de la presse dans son ensemble, que, au moins, nous les intéressés apportions notre soutien et soyons solidaires de l’action entreprise par cette femme et ses deux compagnons.

Leur détermination est grande d’aller au bout de cette action et d’obtenir la reconnaissance promise par le candidat Nicolas Sarkpzy. Ne les décourageons et manifestons leur notre solidarité et notre soutien et les aidant dans la mesure de nos moyens, matériellement* et moralement.

La période estivale n’est pas propice à de grands rassemblements aussi n’hésitez pas à aller les encourager dans leur combat car ce combat est aussi le nôtre et celui de nos parents...»

Mohamed HADDOUCHE

Patrick Mandon a dit…

Encore une chose, sur le même site des Harkis, se trouve une synthèse de Michèle Laumet consacrée aux massacres qu'ont subi la population des Harkis, en Algérie, alors que l'armée française se trouvait encore sur le sol algérien, et qu'elle avait les moyens de les protéger. Je passe sur les abominations, je ne vous livre que les dernières lignes, consacrées à ces martyrs (estimations : 150 000 morts, 10 OOO disparus !) :

«Dans un rapport officiel de mai 1962 le contrôleur général monsieur de Saint-Salvy a pu écrire : "les crimes de guerre commis en Algérie depuis le 19 mars 1962 sont sans précédent depuis la dernière guerre mondiale, dépassant tout ce qui avait pu être constaté en Asie ou en Afrique noire" (10). De ces crimes de guerre, l’Etat français s’est rendu coupable de complicité par sa passivité volontaire, alors qu’il connaissait parfaitement la situation et qu’il disposait encore des moyens militaires suffisants en Algérie pour protéger et secourir ses ressortissants.»
Michèle Laumet

Emilie a dit…

Un député pied-noir a défendu les Harkis bec et ongles. Il s'agit de Willy Dimeglio député UDF de l'Hérault dans les années 86-97. Sur les harkis c'est à 4'32.

(copiez le lien bien sûr )

http://www.dailymotion.com/relevance/search/willy+dimeglio/video/x52pk1_rapatries-2eme-partie_news

Emilie a dit…

Le dernier lien ne marche pas. On trouvera cette video sur le site de Willy Dimeglio.

http://www.willy-dimeglio.fr/index.php?option=com_rsgallery2&Itemid=296&gid=25

cliquez à droite dans "rapatriés" et vous trouverez la video "Harkis". C'est à 4'32

olyvier a dit…

La veille de mon départ, je vous dis à tous au revoir. Je tâcherais d'écrire d'Iraq.

En attendant, j'emporte ce bon souvenir de vous,

avec moi, près de moi, et au loin.

MLF a dit…

Bonjour Emilie.

Vous partiez de ce pays, le nôtre, j'arrivais.Je ne sais où d'ailleurs.Je ne le connaissais pas, je n'en avais jamais entendu parler.

Un pays, une ville qui ne m'ont jamais consolée de l'enfance.Une enfance marocaine.
Je les découvre à huit ans,un voyage dans un train,long voyage, et le premier certainement.

Un départ sans retour, d'un pays que mes parents et d'autres avaient adopté comme seconde nation:le Maroc.
Ce nom raisonne en moi comme un chant, Casablanca, aujourd'hui une mégapole; une rue, au nom mystérieux:Java...J'ai cru que l'on passait de courtes vacances estivales chez des oncles et tantes dans cette ville au nom, jusqu'ici inconnu pour moi:Wahran.

L'été, une chaleur oppressante, des retrouvailles avec un frère oublié.
Cet été me fît détester tous les étés du monde.
Je garde peu de souvenirs des paroles et des gestes des adultes, j'étais plongée dans l'incompréhension, les événements vibraient en moi hors des mots, confus et inquiétants...

J'attendais de rentrer à la maison, chez nous.
Pas un mot, pas une explication me furent donnés, pas plus qu'à mes cinq frères et soeurs.

Nous ne parlions plus du Maroc et de Dar El Baida, sauf pour évoquer ma plus jeune tante maternelle, restée auprès de son époux marocain et ses enfants...

Cette rupture brutale, imposée et sans explication englouti violemment et de façon traumatique tant de souvenirs de ma prime enfance.
Ne me rattachaient à ce moment crucial que le parler et l'accent de ma mère, un arabe familier que je parlais, langue hybride, née dans l'exil marocain.

Enfant, j'ignorais ce mot, ce n'était mon exil mais celui de mes parents.
Le mien commence le jour où mes parents décident de revenir au pays.
J'ignore qu'il s'agit d'un retour.
Je n'ai plus de pays.
Qu'est ce qu'un pays pour un enfant de huit ans?, si ce n'est la langue de sa mère, les jeux, les copains, les bruits de la maison et de la rue, les réveils matinaux, le chant du muezzin, de son père et frères.

J'arrive dans un pays en fête, les Oranais étaient extraordinairement heureux et joyeux et je ne partageais pas ce bonheur.
Une jeune nation naissait, l'an deux de l'Algérie indépendante.
Je ne sus rien de tout cela, de cette guerre.
Je n'ai pas le souvenir que mon père ait jamais relaté ce que je découvre adulte, sous sa désignation euphémisante et faussement pudique, "les événements d'Algérie"...

Je quittais une ville arabe et j'étais jeté dans une autre, pour moi européenne, immense, lumineuse et festive...

Un peuple s'émancipait, j'étais enfant,je quittais mon enfance, chassée par le roi du Maroc, la guerre des sables.
je croyais être marocaine, non je suis algérienne, mon père est heureux de rentrer chez lui.
Un militant du FLN.
Il rêvait de ce jour.

De cet été, je garde le souvenir d'un contraste, entre la liesse oranaise, ses rues colorées, les cris des enfants, l'allégresse de mon oncle, jeune fonctionnaire, dandy et plein de vie et mon immense tristesse.

Une Algérie heureuse...

MLF a dit…

Emilie

Je peux vous écrire un autre texte.

j'ai sept ans, né dans le sud de la France, ma mère est française et mon père est algérien.

Tous les deux jeunes professeurs.
La méditerranée où se croisent des gens en cet été 62, est le partage de douleurs et de joie.
Nous quittons la France pour l'Algérie.
Pépé Emile, s'en va pour Oran.
Ma mère communiste épouse d'un membre du Fln, émigre, dans ce pays lointain...elle n'est pas la seule...une idée, elle veut aider un peuple, qui vient de naître.
Le début d'une histoire.

Mais, vous avez compris, nos enfances, ne faisaient pas la guerre.
Nous suivions des exils, celui de nos parents...
Bonne journée.

Emilie a dit…

Merci, MLF, pour votre témoignage.

Mais permettez-moi de dire que nos exils respectifs ne peuvent se comparer.Sauf l'enfance et l'âge, je n'y vois pas de ressemblance.

Vos parents rejoignaient un pays construit par les miens. On vous le laissait, clés en mains, vous aviez de quoi vous réjouir et vous consoler. Pas nous.

Mais où est le troisième texte, le troisième chapitre: celui qui raconte votre départ de l'Algérie "heureuse" pour la France, notre pays, votre seconde patrie ?

MLF a dit…

Vous avez en partie raison Emilie.

Ce troisième texte, ce n'est pas ce que vous croyez.
Une vie mêlée, des allers et retours incessants, des étés français depuis toujours, d'autres algériens.
Une maison familiale, celle de pépé, dans le sud de la France.
La seconde moitié des années 70,l'envie de changer d'air...
On n'en reparlera.

Vous avez noté que je ne cherchais aucune polémique.
Avez vous lu "Une enfance algérienne" de Leila Sebbar?.
Bonne journée.

Emilie a dit…

Pas de polémique, c'est inutile. Je ne connais pas Leila Sebbar, mais j'ai trouvé un extrait qui me plait beaucoup. Je vais me procurer le bouquin.

"Je suis loin de la mer. Très loin. Je l'aimais et elle me faisait peur. Les jours d'ouragan... Si la tempête allait pousser ses vagues noires vers le bois, et du bois jusqu'à la maison d'école, seule, dans ce désert de la côte et de la montagne. La montagne arrêterait le flot, mais la maison disparaîtrait comme dans un bassin sans fond. J'ai l'âge qu'avaient ma mère et ses amies à Port-Say et je cherche, fébrile, dans des livres morts depuis longtemps, jamais feuilletés, on pourrait les jeter, ils brûleraient avec la bibliothèque si quelqu'un y mettait le feu, d'autres lieux de mémoire ont ainsi brûlé, Alexandrie, Sarajevo... personne ne s'en soucierait, je ne sais pas ce que je cherche, mais je poursuis, inlassable, dans les rayons oubliés, la traque de quel secret ?... Je suis séquestrée volontaire, dans les ténèbres de la lumière électrique et des siècles répertoriés, classés, fichés. Enfermée tout le jour avec des livres muets, dans la tombe à tiroirs, gigantesque, et qui engloutit mes années amnésiques, privées de la voix de la mer, de l'odeur des amies de ma mère, jeunes et belles, rondes, la peau lisse et dorée, leur rire dans la tempête qui s'annonce. Jeunes mères, institutrices en vacances, heureuses."

Emilie a dit…

Intéressante biographie de LEÏLA SEBBAR :



Leïla SEBBAR est née à Aflou (Hauts-plateaux algériens dans le département d’Oran) d'un père algérien et d'une mère française, instituteurs.

Aflou, où son père (jeune normalien de Bouzaréa, l’École Normale d’Instituteurs à Alger) est envoyé en relégation par le régime de Vichy.

Aflou, où sa mère découvre la steppe, après sa Dordogne natale. Ses père et mère se sont rencontrés à Bordeaux lors d’un voyage d’études de « l’instituteur indigène ».

1954. C’est le début de la guerre d’Algérie (guerre de libération nationale pour les Algériens). En 1957, son père est arrêté par l’armée française et incarcéré à Orléansville (aujourd’hui El Asnam) durant plusieurs mois. Ses père et mère vivent en Algérie jusqu’en 1968, puis à Nice.

Leïla Sebbar, après une année en classe préparatoire (Hypokhâgne) au lycée Bugeaud d’Alger, quitte l’Algérie en 1961. C’est le moment où l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) un mouvement terroriste opposé à l’indépendance de l’Algérie, sévit à Alger. Elle poursuit des études supérieures de lettres à l’université d’Aix-en-Provence où elle passe deux années au cours desquelles elle crée, avec des amis étudiants, la première cinémathèque.

En 1963, elle s’installe à Paris, où elle vit aujourd’hui. Diplômée de l’Éducation nationale, elle enseigne la littérature française tout en poursuivant son travail de recherche. Le mythe du bon nègre dans la littérature française coloniale au 18e siècle, sujet d’un doctorat de 3e cycle, publié sous forme d’essai en deux livraisons dans Les Temps Modernes, la revue de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. En 1976, elle dirige, pour la même revue, un numéro spécial sur l’éducation des filles (18e au 20e siècle) avec d’autres femmes, écrivaines, universitaires, philosophes, sociologues, Petites filles en éducation.
( ..... )
En 1986, Les lettres parisiennes, un échange de lettres sur l’exil avec Nancy Huston (après la publication au début des années 70 de Géographie de l’exil dans Les Temps Modernes) confirme la place de l’exil dans ses fictions, romans, nouvelles, récits, et sa place d’écrivaine dans l’exil.

L’exil, comme territoire de l’écriture, devient une terre singulière où s’écrit une littérature étrangère, où s’invente un monde qui mêle l’intime et le politique, l’intime et le poétique, où s’exerce un regard qui rend visible l’invisible d’un réel déplacé, complexe, souvent violent.

Peut-être pourrait-on parler d’une esthétique de l’exil.

Patrick Mandon a dit…

Je ne fais que passer. Je me réjouis. Je vous remercie tous deux.

Euréka a dit…

@Emilie et MLF : Vos histoires, bien qu'allant chacune dans le sens contraire, sont sidérantes.
C'est une époque que l'on ne connaît pas ou si peu (et encore uniquement par des clichés).

Emilie, vos "ancêtres" qui ne parlent pas rappellent ceux revenus des camps qui ne disaient rien de peur de ne pas être cru.

MLF, pour une fois vous me paraissez "posée". Je comprends mieux certaines de vos réactions. En revanche, autant j'avais entendu parler du départ d'Algérie autant je n'ai jamais entendu parler du retour en Algérie. Mais peut-être s'agit-il d'un tabou ?

La guerre d'Algérie (appelée pudiquement les événéments d'Algérie)est sans doute encore trop proche dans les mémoires pour que l'on puisse en parler "posemment". Nous ne sommes pas près d'avoir un "apocalypse now" ou un "voyage au bout de l'enfer" sur le sujet.

@PM : pour les Harkis, pour aller à la manif encore faudrait-il que l'on est entendu parler. Le silence sur cet événement est assourdissant.

@Olyvier : bon voyage. Ramenez d'autres belles photos.

Patrick Mandon a dit…

Euréka, comptez sur moi pour en parler. Avis : je cherche un Harki sachant écrire, capable de nous donner le frisson que nous a procuré le témoignage vibrant d'Émilie. Les Harkis ont connu, je m'en rends compte, un calvaire et une profonde injustice. Je le dis, et pourtant j'admire de Gaulle ! Un paradoxe de plus…
Pour MLF, je ne suis pas étonné, je le suis depuis longtemps, je sais qu'il affole les crétins, mais je n'ignore pas qu'il dit des choses «souterraines». J'attends encore mieux de son étrange et émouvante «manière». Puisse-t-il se sentir bien ici.

Emilie a dit…

MLF, dites-nous enfin la vérité, ici dans la roulotte,entre quat'z'yeux, êtes-vous un homme ou une femme ?

Eureka, votre comparaison avec les rescapés des camps est très juste.Longtemps, on ne nous a pas crus. Je crois que cela commence à changer un peu, un tout petit peu.

De Gaulle, la grande Zora, nous a trahis, Patrick ! Mais grande plume !

MLF a dit…

Chère Emilie

Il serait vain de nous attarder sur des interrogations puériles,que nous avons abandonnées sur Causeur et sur lesquelles, certains, focalisaient toutes leurs attentions.

Votre témoignage, et votre désir de partager cette histoire, ce récit me touchent.
Pour moi, il ne s'agit nullement de glorifier les miens.

C'est une approche historique que j'entreprends sans exclure aucun des protagonistes de cette cruelle et douloureuse histoire, a savoir la guerre d'Algérie.
Harkis comme pieds- noirs.

Le discours officiel des deux côtés ne permet pas de comprendre.
Je crois pour ma part que des épisodes dramatiques ont été refoulés, des vérités ont été dissimulées.

Sur la question, j'ai écrit quelques pages, que j'ai partagées avec d'autres.
J'essaie de comprendre mêmes si nous vies, nos enfances et nos exils ont été mêlés, et nous ont quelque peu marqués.

En ce moment j'entreprends une recherche sur les français qui ont rejoint le combat des algériens.
Ils sont peu connus.

Je me suis toujours posé la question de la non implication des juifs d'Algérie durant cette période notamment après l'abrogation de décret Crémieux, qui de fait excluait les juifs de la communauté nationale et en faisaient des indigènes comme les musulmans et les arabes.Ce fameux 3 octobre 1940.
Cette communauté, ancienne, bien avant la colonisation française et ottomane.
Pourquoi n'a t-elle pas pris part aux combats pour défendre ce qui était de fait sa patrie.
Les enfants du pays sont juifs, arabes, berbères et musulmans, face à une population européenne qui les a dominés et assujettis.

Enfin, voici ma démarche-historique- qui veut réhabiliter des humains ayant pris part à l'émancipation d'un peuple, multi confessionnel et multi communautaire.

Parmi eux quelques noms, Maurice Laban,Henri Maillot, et beaucoup de membres du parti communiste algérien et bien d'autres religieux.

Si cela vous intéresse, nous pourrions en parler.
Il eut deux formes de "trahison".
Vous semblez ne vous intéresser qu'à une seule.
Je prends tous les récits et toutes les histoires.

Bien à vous.

MLF a dit…

Voici je que je lis en ce moment
http://books.google.fr/books?id=tQJQP0V81uMC&printsec=frontcover&dq=Quand+Vichy+internait+ses+soldats+juifs+d%27Alg%C3%A9rie+:+Bedeau,+sud+oranais,+1941-1943

Emilie a dit…

Chère ou cher MLF, votre message me ravit et m'émeut, d'autant que j'ai l'idée d'écrire un autre texte qui rejoint votre propos.Il y a eu tant de malentendus et d'incompréhension que la tendance est bien souvent pour les uns et les autres de se crisper sur ses positions.

Ce n'est pas que je ne m'intéresse qu'à une seule trahison, non. J'ai seulement voulu exprimer comment nous nous sommes sentis trahis. Vous dites qu'on ne parle pas des pieds-noirs qui ont rejoint le camp adverse. Je peux vous en parler puisque il y en a eu dans ma famille.

Fraternellement, et au plaisir de vous lire.

Anonyme a dit…

Votre « Riz Amer chez les Arvennes » m’a touché.
Votre anecdote sur le quiproquos crème-glace à fait jaillir ce souvenir.
Nous arrivions tout juste à Nîmes. Première sortie après le grand voyage, trois familles et leurs enfants, de 5 à 15 ans. Attablés, les parents demandent des crèmes pour tout le monde. Regard dubitatif du garçon. Parfums ? Il n'y avait que Cassis. Va pour le Cassis. Et voilà que nous arrivent une vingtaine de petits verres à liqueur remplis d'un liquide rouge sang…
Et puis vos mots m’on entraîné plus loin.
L’Algérie semble vous être restée chevillée au cœur depuis votre départ. Moi, c’est sur le tard que la nostalgie m’est venue. Voilà comment :
J’ai souvent fait, lorsque nous sommes rentrés d’Algérie, et pendant plusieurs années encore, un rêve étrange dans lequel je nageais pour atteindre une falaise qui surplombait la mer. C’était tout d’abord un rêve heureux, parce que derrière cette falaise, je savais dans mon rêve qu’il y avait l’Algérie, mais je ne pouvais jamais y parvenir, et, après une errance qui me paraissait durer une éternité, je me réveillais en sanglots de ne pas avoir atteint l’autre rive. Cette falaise qui hantait mes rêves se trouvait à Toulon – Falaise de la Terre Promise –, là où nous avions échoué. J’y ai passé toute mon adolescence, j’y ai aimé, et plus tard, j’y ai amené mes enfants, heureux de leur apprendre à nager dans une si belle eau, sans savoir que c’était ma terre promise que je retrouvais chaque jour. Il y a quelques années, par le pur des hasards, un de mes étudiant, doctorant algérien, à qui j’avais parlé de mes origines et de Philippeville, où je suis né, m’a envoyé une photo, et le souvenir d’une autre falaise a émergé de ma mémoire... la falaise de mon enfance ; celle où j’ai appris à nager, au bout de Stora, petit village de pêcheurs napolitains et siciliens. Voilà, je croyais alors être insouciant de tout, mais mes émotions s’emparaient de mes rêves, à la recherche de mes racines, et chaque nuit je nageais vers elles, et je n’en savais rien. Cette falaise, je la recherche toujours mais je sais que je ne la retrouverai jamais. On ne guérit jamais vraiment des blessures de l’enfance et les failles de la mémoire ne sont que des replis où nous cachons nos douleurs.
Hubert

Patrick Mandon a dit…

Trente-cinq commentaires, pour certains, des exercices de mémoire vertigineux, tous très émouvants. Il me paraît que cette île engloutie -la drame de l'Algérie- refait surface, et son cortège de deuils, de malheurs, d'éblouissants souvenirs. Le moment serait-il venu, pour notre pays, d'observer ses failles, ses fautes, ses chagrins ? Quelqu'un parlait d'un «Apocalypse now»… Avec peut-être un peu d'espoir ?
Merci à tous.

MLF a dit…

Chère Emilie

Une confidence.
Je ne suis plus jamais revenue au Maroc, pourtant rien et personne ne m'en empêche.
Mon père avait été exproprié de tous ces biens, un bourgeois du Maroc.

Je sais que l'enfance que j'ai laissée, n'existe plus.
Mes rires d'enfant sont là bas.

J'en ai retrouvé d'autres, adolescent puis adulte.
Et comme Hubert, je rêve toujours de cette maison, des arbres en face, de mon école, et des musiciens en bas de notre maison.
J'entends toujours une musique.
Parfois, une odeur m'envahit, elle me replonge dans cette enfance.

L'année dernière j'en ai parlé à ma mère.
J'ai enfin eu une explication.
C'est le parfum "citronné" de ma jeune tante,dans sa chambre, et une odeur de tabac et d'aftershave.

Anonyme a dit…

MLF parle de la trahison des juifs d'Algérie :
Pourquoi les juifs n'ont-ils pas rejoints leurs frères algériens dans la guerre pour l'indépendance ?
"L'agression contre le rabbin de Batna en 1955, l'incendie dans une synagogue à Oran en 1956, le meurtre du rabbin de Nedromah en 1956, le meurtre du rabbin de Médéa en 1957, la projection d'une grenade dans une synagogue de Boghari, Bousaada, le saccage de la synagogue de la Kasba à Alger en 1961, des attentats dans les quartiers juifs en 1957, 1961 et 1962 à Oran et Constantine". L'appel du FLN aux juifs d'Algérie à rejoindre "la cause".. Au vu des évènements, il y avait de quoi être dubitatif..Une main tendue et un couteau dans l'autre.
Ils devaient à la France de les avoir libérés de leur statut de dhimmis en 1870 par le decret Crémieux, aboli ensuite sous Vichy mais rétabli en 43. Trahison ? non fidélité au contraire, à la France, pour eux la patrie libératrice. Ils l'ont payée ensuite.

Corinne

Anonyme a dit…

..et d'autre part, concernant la "trahison" des Juifs d'Algérie durant la seconde guerre mondiale, voilà peut-être de quoi vous édifier un autre jugement :
La décision d'abroger le décret Crémieux est prise le 7 octobre 1940 par Vichy. Le 30, les lois sur le statut des Juifs d'essence antisémite s'appliquent en métropole comme en Algérie.La loi du 2 juin 1941 interdit aux juifs un grand nombre de professions.Un numerus clausus pour l'enseignement, concernant élèves et professeurs juifs est appliqué sévèrement. Mais, les Juifs d'Afrique du Nord ne subissent pas l'action génocidaire des nazis qui dévaste les communautés juives d'Europe.Ils sont cependant mis au ban de la société française d'Algérie pendant la durée des hostilités et certains d'entre eux sont internés dans des camps de travail dans le sud algérien.

Le 8 novembre 1942, lors de l'opération Torch, 400 résistants français mal armés (dont quelque 70% sont juifs), sous la conduite de José Aboulker, arrêtent les généraux de Vichy et neutralisent pendant 15 heures le XIXe corps d'armée vichyste d'Alger. Alors que les forces vichystes concentrent leur répression contre les points tenus par la résistance, ils permettent aux Alliés de débarquer et d'encercler Alger sans opposition, puis de s'en emparer le jour même. Mais à Oran et au Maroc, les Français et les Alliés s'entretuent pendant trois jours. Grâce à leur action, la part de la résistance française est donc prépondérante dans le succès de l'opération Torch.
La venue des alliés ne se traduit pas pour autant par la fin de la législation antisémite. Sous l'amiral collaborationiste Darlan, elle est maintenue. Parmi les dirigeants de l'insurrection d'Alger, 9 Juifs sont arrêtés et déportés, menottes aux mains, dans des camps de travail forcé..

Après l'assassinat de Darlan par Fernand Bonnier de La Chapelle, c'est sous la direction du général Giraud que les mesures discriminatoires du régime vichyste envers les Juifs sont maintenues, notamment par le fait qu'ils sont tenus à l'écart des unités combattantes.

corinne

Emilie a dit…

Eh bien ! MLF a une réponse claire et détaillée à la question qu'il (ou elle)posait ce matin !

Emilie a dit…

Merci Hubert, pour cette réflexion sur les détours et les surprises de la mémoire.Je n'ai pas eu le temps de connaître la falaise, mais je me souviens parfaitement de la plage de Stora et plus encore de celle de Jeanne D'Arc, immense et sauvage où les familles s'installaient sous les parasols pour la journée avec les couffins et les marmites !

Si vous voulez voir des photos anciennes et récentes de Philippeville, rendez-vous sur le site de willy Dimeglio.Il y a sûrement la falaise mythique !

Patrick Mandon a dit…

Aboulker : n'était-ce pas le nom du médecin qui opéra le général de Gaulle d'un adénome de la prostate ?
D'autre part, José Aboulker ne fut-il pas nommé Compagnon de la Libération par de Gaulle ? Quant à Giraud, soutenu par les Alliés, pantin entre leurs mains, n'a-t-il pas laissé fusiller Bonnier de La Chapelle ? Il n'avait, avec de Gaulle, qu'une seule chose en commun : la taille. Pourtant, le Général l'ignorait et, quand il le regardait, c'était pour le toiser…
Qu'en pense Saul ?

Patrick Mandon a dit…

Permettez-moi de vous renouveler mes remerciements pour la qualité de vos interventions. Et je redis ici que j'aimerais beaucoup lire le témoignage d'un Harki, dont la «communauté», si j'en crois les chiffres d'apparence fiable, a connu un véritable massacre.
Il m'importe, en plus des faits, que passe l'émotion, la plainte de la mémoire étouffée, semblable à celle que j'ai entendue près de l'Assemblée nationale; l'autre jour.
Je sais, par ailleurs, que l'Histoire est violente, et qu'il est aisé de juger les homme après qu'ils ont affronté les faits.

Anonyme a dit…

Patrick, concernant Aboulker, le Compagnon de la Libération c'est José, mais le médecin est aussi de la famille. J'ai trouvé ceci :
José Aboulker est le fils de Henri Aboulker, chirurgien des Hôpitaux et professeur à la Faculté de médecine d'Alger, et de Berthe Aboulker, femme de lettres. La famille Aboulker était une famille algéroise qui donna de grands rabbins comme Isaac Aboulker, décapité en 1815 sur ordre du Dey et des médecins connus comme Pierre Aboulker, urologue qui a opéré le général de Gaulle.

En avril 1940, José Aboulker, étudiant en médecine, est mobilisé comme EOR (élève-officier de réserve) et démobilisé en février 1941.

corinne

MLF a dit…

Bonsoir

Je n'ai jamais utilisé le mot "trahison" dans l'emploi que vous en faites.
Et surtout concernant les juifs.
Il me semble qu'il y là un quiproquo.

Je l'ai utilisé dans un tout autre sens: en faisant référence aux harkis et aux français qui ont rejoint les rangs de l'ALN.

Ces membres des différentes communautés qui ont fait des choix inattendus et contraires à leurs "frères".

Quant aux juifs, je posais la question suivante, je ne suis pas seule à la poser: pourquoi les juifs d'Algérie, notamment après ce qu'ils ont vécu pendant la période vichyste dans les colonies(voir le lien que j'ai posté) n'ont -ils pas pris les armes en rejoignant les indigènes dans un combat pour la décolonisation?.

Ils sont avec les arabes(les indigènes)les plus vieux habitants de l'algérie.

Et j'ai ajouté qu'un certain nombre de communistes juifs l'ont fait, mais très minoritaires dans leur communauté.

Voilà, tout simplement ce que voulais dire.
Et poser ces questions n'a rien de scandaleux.

Bonne soirée.

Saul a dit…

Patrick,
concernant Aboulker, je ne pourrais vous en dire plus que Corinne...
sur Giraud et de Gaulle par contre...
Giraud fut en fait le candidat des américains ( qui ne voulaient pas reconnaitre de Gaulle ), et a effectivement laisser fusiller Bonnier de la Chapelle mais a meme tout fait pour qu' il le soit. à ce sujet il avait meme fait arreter les chefs de la résistance d' Alger ( dont Henri d' Astier de la Vigerie ) impliqués lors de l' opération Torch ( ce que n' avait meme pas fait Darlan ), ce qui est assez paradoxal vu que Giraud est arrivé en AFN avec cette opération ( sans compter que l' on soupçonnait de Gaulle d' avoir approuvé le projet d' assassinat de Darlan en accord avec le comte ded Paris, ce qui explique aussi peut etre l' intransigeance de Giraud ) .
sa rivalité avec de Gaulle date d' avant guerre : Giraud critiquait les thèses de de Gaulle sur l' emploi massif et offensif des blindés ( il s' était meme moqué de sa thèse lors d' une visite au régiment de chars que commandait de Gaulle ) . rivalité exacérbée par la dualité du pouvoir mis en place : d' abord Giraud avec Darlan ( de Gaulle était ainsi écarté ) puis après l' assassinat, de Gaulle dut conceder à Giraud la codirection du CFLN lors de sa création.
il n' était pas possible d' écarter Giraud car celui ci était soutenu par les ricains et était surtout un général prestigieux et populaire au sein de l' armée. il était donc indispensable pour rallier les forces francaises d' AFN.
mais pour de Gaulle, outre la vieille rivalité d' avant guerre, il était difficile d' accepter de bon coeur de partager les lauriers, car après tout c' était lui le 1er qui avait fait tout le boulot depuis un certain 18 juin 40....
ce sont plusieurs erreurs qui contribuèrent à sa chute : bien qu' il ait tiré prestige de la campagne de Tunisie et surtout de la libération de la Corse ( c' est lui qui décida de cette opération ), il commit l'erreur à la fin de cette dernière de laisser le Front National ( communiste ) prendre les renes de la direction de l' ile. ce qui déplu fortement aux membres du CFLN.
de plus Giraud avait sous son controle exclusif les réseaux des services de renseignements vichystes ralliés à la France libre. ce qui, dans le cadre de sa rivalité avec de Gaulle, pouvait se montrer contreproductif lors de la libération de la métropole.
pour ses raisons les commissaires l' excluèrent du CFLN.
pour les Harkis, c' est une honte de notre part, outre les massacres de ceux abndonnés là bas, je songe aussi à ceux "acceuillis" ici, comme, je l' ai déja raconté, mon pote de lycée qui devait se mettre au garde à vous avec ses parents ( jusqu' à l' age de 6 ans ! ) lors de la levée des couleurs dans son camp....

Anonyme a dit…

Un quiproquo MLF ? c'est possible, j'avoue que souvent vos interventions me laissent dans une espèce de nébuleuse où je vois tout et son contraire. Pour ce qui est de la non-implication des juifs pour l'indépendance de l'Algérie, je pense avoir déjà apporté des éléments de réponse : les exactions contre les juifs dès 56 en Algérie ce qui laissait mal augurer le sort qui leur serait réservé une fois les armes déposées en cas de victoire du FLN. Le décret Crémieux a été rétabli dès 43. Ils étaient comme vous le dites parmi les plus anciens habitants de l'Algérie, mais jamais reconnus comme citoyens à part entière, vous semblez l'avoir oublié, il est donc compréhensible qu'ils se soient attachés depuis 1870 à la France, qui leur a redonné une certaine dignité.
corinne

MLF a dit…

Bonjour Corinne

Les faits sont têtus.Les tribus juives au Maroc et en Tunisie ont participé à la lutte contre les troupes françaises.
Contrairement aux juifs algériens, ils n'ont pas leur décret Crémieux.
Les juifs marocains sont attachés au sultan marocain qui refusera de les livrer e, 1940, au régime de Vichy.
Même phénomène en Tunisie, les juifs tunisiens restent attachés aux indigènes musulmans et beaucoup s'engagent dans la voie de l'independantisme et dans les actiivités politiques et syndicales(création du Parti communiste tunisien).

En revanche, en Algérie, les musulmans en Algérie reprochent aux juifs d'avoir accepté de bénéficier de cette promotion, juridique et sociale, sans demander que leurs "frères" arabes et musulmans en bénéficient eux aussi.

Toutefois, un Raymond Bénichou écrit en 1932 " aussi haut que les dirigeants responsables des destinées de la France voudront élever les populations musulmanes, aussi grande sera la satisfaction des population d'origine juive de notre pays".

De même que le 26/02/1936, la Dépêche algérienne publiait un appel des jeunes juifs " il nous paraît pas juste que, sur cette terre que la France a modelée à son image, les indigènes, qui constituent l'immense majorité des habitants, soient maintenus dans les conditions de sujets, et en face d'une minorité dont tous les droits soient totalement mesurés".

Vous voyez bien Corinne, que la situation est un peu complexe.

A la veille de la seconde guerre, un appel à la fraternité judéo-musulmane, émane d'un responsable du mouvement de la Fédération des musulmans d'Algérie.Il prononce une conférence devant une société juive d'Alger.

Vous trouverez ce texte publié en juillet 1939, dans le bulletin de la Fédération des sociétés juives d'Algérie.
[Tout de suite, le conférencier entre dans le vif du sujet...Il s'élève contre les excitations et les maneouvres criminelles, devant les tortures physiques et morales infligées aux juifs de certains pays, devant les martyres, les brimades, les refoulements, l'interdiction de mariage, le douloureux calvaire imposé à ceux-ci, dénonce les théories raciales qui inclinent les fascistes vers une barbarie plus dstructive incompatible avec les progrès actuels

Lisez cette longue conférence de monsieur Makaci Kaddour.

Et le vichysme colonial a pratiqué la surenchère, qui fait dire à certains comme les historiens américains, Michael R Marus et Robert O.Paxton "c'est Vichy qui subissait les pressions d'Alger et non l'inverse".
Et Jacques Cantier a montré que "hors de toute pression directe de l'occupant allemand, l'orientation répressive du régime a été plus forte en Algérie qu'en France en divers domaines".

C'était les "petits blancs" et non les indigènes qui étaient aux commande je crois.

Bref, cette histoire est bien tragique, et les Algériens s'en souviennent Corinne.

Bonne journée.

Euréka a dit…

J’avais mis un fil mais j’ai dû faire une bêtise car il n’apparaît pas. Je vais essayer le reprendre mais je crains un peu d’oublier des choses.
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai lu vos derniers fils. J’ai connu quelques rapatriés (juifs et non juifs), dont certains sont passés par Clermont-Ferrand, comme vous Emilie. Lorsqu’on parle avec eux de cette période. Ils referment plus hermétiquement qu’une huître. Sans doute un reste de tabou.
Je suis née 10 ans après (presque jour pour jour) la Toussaint Rouge et un peu plus de 2 ans après les accords d’Evian. C’est une période qui m’intéresse et m’intrigue beaucoup.
Savez-vous si dans les familles le clivage Algérie Française / Algérie Indépendante était aussi fort que celui entre Pétainiste et Gaulliste.
Saul peut-être aura-t-il une réponse ? A la lecture de votre commentaire Saul, je comprends mieux le clivage entre de GAULLE et GIRAUD (surtout qu’il me semble que Giraud a été mis là-bas par Pétain [enfin si j’ai bien compris])
Je m’interroge aussi sur les harkis. Pourrait-on, si possible objectivement, me renseigner sur eux.
Patrick a proposé que l’on propose des lectures. Quelqu’un(e) aurait-il des suggestions à faire sur cette période (soit des romans soit des documents) ? Je suis preneuse.

Anonyme a dit…

Concernant la "jalousie" des indigènes musulmans envers les juifs, indigènes eux aussi, j'ai un autre éclairage :
"Après la guerre de 1870, le gouvernement de la Défense Nationale attribua d'office aux Juifs d'Algérie la citoyenneté française, mettant fin au statut civil mosaïque, et soumettant d'emblée tous les nouveaux citoyens au service militaire. par le décret Crémieux du 24 octobre 1870. Un tel décret n'aurait pu alors être pris en faveur des Musulmans, qui n'auraient pas supporté comme les juifs qu'on leur retire leur statut civil religieux, et qui n'avaient guère envie de subir le service militaire des citoyens français. Ainsi, à une époque où la position de la France était menacée dans cette colonie, y furent créés quelques 34 574 citoyens français de plus.
Les représentants des colons avaient initialement soutenu les démarches visant à attribuer la citoyenneté française aux juifs d'Algérie: Des vœux en ce sens avaient été votés à plusieurs reprises, entre 1858 et 1870, par chacun des 3 conseils généraux, sans opposition ni des conseillers européens, ni des conseillers musulmans, dont le bachaga Mokrani au Conseil de Constantine.
Mais il en fut autrement après l'entrée en vigueur du décret Crémieux. Les Européens réalisèrent soudain que cette entrée des indigènes juifs en citoyenneté constituait une première mesure de décolonisation partielle, qui risquait de constituer un précédent opposable par les musulmans. Dès lors l'hostilité à ce décret devint un leit-motiv du camp colonialiste, qui se transmit à la droite métropolitaine et aux mouvements antisémites de métropole.
S'agissant du décret Crémieux, les colons, qui n'apprécient pas que la citoyenneté française puisse être attribuée à des « indigènes », s'opposent à cette première mesure de décolonisation par assimilation, en la prétextant injuste par rapport aux Musulmans. Mais aucun d'eux ne pousse cette sollicitude envers les Musulmans jusqu'à en demander l'attribution pour ces derniers.

Quant à leurs groupes de pression, ils vont jusqu'à appeler au soulèvement contre la métropole et vont demander en permanence la suppression de ce décret Crémieux, et ce jusqu'à l'instauration du régime de Vichy. À l'approche de la guerre un fort courant antisémite existe parmi les pieds noirs européens, la manchette permanente du Petit Oranais titre :

« Il faut mettre le soufre, la poix, et s'il se peut le feu de l'enfer aux synagogues et aux écoles juives, s'emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés »

Vous avez toutefois raison concernant les "petits blancs" colons, ce sont eux qui ont mis le feu aux poudres.

corinne

Saul a dit…

Eureka,
je me suis mal exprimé, ce n' est pas Pétain qui a nommé Giraud bien que celui ci penchait dans une certaine mesure pour la révolution nationale par fidelité au maréchal, mais était sous surveillance par le gouvernement Laval. il s' évada de France et rejoignit les américains à la veille de l' opération Torch :
Darlan était à cette date, en Algerie pour rendre visite à son fils malade. lors du débarquement, il fut fait prisonnier par les ricains. ces derniers, en l' absence de Giraud alors à Gibraltar, composèrent avec lui ( c' était le plus haut dignitaire vichyste présent ). Darlan s' autoproclama "haut commissaire en Afrique" au nom du maréchal "empéché". Pétain le désavoua, Giraud, arrivé sur place quelques jours après, se mit sous ses ordres. d' où ce partage du pouvoir entre les 2 hommes.

il faut comprendre que pour les ricains, le gouvernement légal était Vichy et non de Gaulle. en gardant Darlan, dignitaire vichyste, ils pensaient respecter les formes de la légalité au niveau diplomatique. avec Giraud en plus, c' était parfait puisque il était leur homme.

concernant la fracture dans les familles françaises, là je ne pourrais vous dire vraiment ce qu' il en était...juste, pour schématiser, que les gens de gauche étaient pour l' indépendance, et que les gens de droite étaient plutot "algérie française" ( la décision de de Gaulle est assez mal passée chez eux ). et comme les familles ne sont pas homogènes sur le plan politique....
dans une BD de Lauzier, il y a une histoire d' un repas de famille, avec la rivalité de 2 frères : l' un chante "l' internationale", l' autre "c' est nous les africains" .

mais je ne sais pas si ça a eu la meme vigueur similaire à Dreyfus.

Emilie a dit…

Saul, Lauzier a bien vu. Ces réunions de famille, avec envolées de verres,j'en ai quelques souvenirs (d'enfant) ! Et cela n'était sans doute pas exceptionnel. Horaces contre Curiaces !

MLF a dit…

On ne peut parler de "jalousie" mais de sentiment de déloyauté vis à vis des anciens de cette terre.

Ce contentieux va peser dans les relations entre juifs et musulmans.
Comme je le disais précédemment, les juifs dans leur majorité ont été partisans de l'Algérie française.

Voir à ce sujet "l'impossible neutralité des juifs d'Algérie" de B.Stora, et pour un certain nombre d'entre eux, ils ont participé à la fin de la guerre, à l'OAS.

L'abolition de décret crémieux, était une occasion pour les musulmans de "rêver" d'un retour des juifs dans la société algérienne pré coloniale et avec des positions plus anti colonialistes.
C'est un contentieux historique lourd.

Ce "cousinage" était brisé par la puissance coloniale qui savait qu'il fallait diviser les anciens.
On fera la même chose avec les berbères(les kabyles) mais ces derniers n'ont pas accepté cette posture.

De la même manière, au sein de l'immigration algérienne, était mal ressenti le fait que la France considère plus important "d'avoir versé le sang que la sueur", et de créer ainsi des antagonismes flagrants dans la communauté musulmane de France.
Mais brandir des médailles ne suffisait pas.

Du coup nous avons cette hiérarchie: les juifs, les harkis et enfin les immigrés.
Cette communautarisation date de cette période, elle s'est accentuée au fil des années et des conflits mondiaux et régionaux.

Anonyme a dit…

Mlf, "les Algériens rêvaient le retour des Juifs dans la société algérienne précoloniale"... mais voyons MLF, ça signifiait un retour au statut humiliant de dhimmi pour les Juifs, le rêve des uns et le cauchemar des autres.
Rappel de la dhimmitude en Algérie sous l'empire Ottoman : ne pas être armés, interdiction d'aller à cheval, obligation de se déchausser au voisinage des mosquées et de porter des vêtements distinctifs de couleur sombre, obligation de résider dans les quartiers réservés, le "mellah", En cas d'agression par un musulman, les Juifs n'ont alors en aucun cas le droit de se défendre par la force. En cas de litige avec un musulman, ils sont jugés par un tribunal musulman, devant lequel les témoignages de Juifs sont considérés comme nuls, mais où ils ont tout de même le droit de s'exprimer lors du jugement. Les Juifs non respectueux de ces restrictions sont brûlés vifs à la Porte de Bab El-Oued, à l'endroit même où la France construira plus tard le principal lycée d'Alger. Le seul côté protecteur de leur statut réside dans le fait que les Juifs restent soumis à leurs juridictions propres pour toutes les affaires relevant de leur seule communauté (tribunaux rabbiniques).
Il arrive aussi que des notables Juifs soient exécutés par le Dey, comme le grand rabbin d'Alger, Isaac Aboulker, en 1815. Les Juifs vivent en permanence sous la menace de massacres, comme celui de 1805 dont a témoigné le consul de France Dubois-Thainville. Celui-ci a alors sauvé la vie de 200 Juifs, en les abritant dans son consulat. Il faut toutefois noter une grande diversité d'application de ces règles dans l'espace et dans le temps. Des relations de bon voisinage voire d'amitié pouvaient se nouer, notamment à l'occasion de la célébration des fêtes juives. La pratique des "protections", - tel ou tel individu se mettant sous la protection d'un notable musulman, d'un haut fonctionnaire ou du Dey, ou bien des consuls européens -, ne concernait pas que quelques riches marchands, mais s'étendait parfois à des gens très modestes.

Soumission et humiliation. Ne parlez plus de déloyauté s'il vous plaît ! Mon père me disait "on aime les Juifs que lorsqu'ils marchent courbés". Ne les aimez pas donc.
corinne

MLF a dit…

Corinne

Je suis d'accord avec vous.
Mais je voulais attirer votre attention sur une donnée très importante.

Dans ce dix neuvième siècle, il eut une "nahda" qui va se dérouler dans des pays importants comme l'Egypte et la Tunisie(et d'autres bien sûr sous domination othomane), où l'idée de réforme va avoir des effets positifs(les contact avec l'occident y sont pour quelque chose)

Elle (nahda)va fonder un nouveau droit, qanun, qui garantit la sécurité des sujets et les protège de l'arbitraire dans le domaine de l'impôt...Elles tendent aussi à gommer les discriminations réelles entre hommes libres et non libres, musulmans et non musulmans.
Traité de l'esclavage abolie en Tunisie dès 1840.

Les chrétiens et les juifs ne sont plus les protégés, dhimmi, mais les égaux des musulmans, tout en conservant leurs privilèges.(cela provoque des violences eu Liban et en Syrie).

Ces réformes n'ont pu s'appliquer en raison du fait colonial en Algérie(je ne veux rien justifier).

C'est ce retard, ou cette déconnexion de la réalité algérienne de ce réformisme islamique en cours, qui pose problème.

La France dès 1830 s'empare de l'Algérie et applique ses lois et ses codes, qui sont une forme de reproduction des inégalités que la France n'appliquera pas aux juifs mais aux indigènes.

Saul a dit…

MLF :
conernant le decret Cremieux ( en fait il y en eu 2 ), il est logique qu' il soit appliqué qu' en Algérie. promulgué en 1870, date à laquelle le Maroc et la Tunisie n' étaient pas encore français, il concernait aussi les musulmans. mais au lieu d' une naturalisation automatique comme pour les juifs et les européens, il fallait de la part du musulman faire état d' une demande et renoncer au statut coranique ( notamment pour la polygamie ) et faire l' objet d' une enquete de "moralité". très peu ont fait cette demande, car attaché au statut coranique. pour les juifs, l' arrière pensée était aussi de les soumettre à la souscription militaire ( c.a.d service militaire ).
pour la Tunisie et le Maroc, il est assez logique que ce decret n' y fut pas étendu : L' Algérie était des départements au meme titre que ceux de la métropole, le Maroc et la Tunisie étaient des protectorats et à ce titre les habitants de ces pays relevaient directement, pour l' un du sultan chérifien, pour l' autre du dey de Tunis. leur accorder la nationalité aurait été à l' encontre des traités de protectorat et auraient enlevés la suzeraineté de ces souverains sur une partie de leur sujets. de plus il n' y avait pas ( ou très peu ) de peuplement européen dans ces pays.

Patrick Mandon a dit…
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