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Ce matin, au courrier, cette lettre de mon ami Edouard de G., un homme de très belle éducation, mûr déjà, mais fort bien conservé, le corps sec et musclé, d'une politesse et d'une coquinerie d'Ancien Régime.
«Cher Patrick,
Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir présenté, voici quelques semaines, à ta cousine, la marquise de Beauregard. Grâce à toi, j'ai vécu l'une de mes plus charmantes aventures. Je me rappelle parfaitement notre première rencontre, à ton domicile parisien. Ton billet bref avait aussitôt piqué ma curiosité : «Sois chez moi ce soir vers 11 h, j'offre un souper. Trois jolies femmes, trois compères. Charmante et brillante compagnie.»
Je vins. Je tombai immédiatement sous le charme de ta cousine, à l'oreille de laquelle tu glissas, en me présentant :
– Défiez-vous spécialement de celui-ci, chère cousine, c'est la réincarnation de Casanova. Dans notre cercle, il est le plus capé. C'est bien simple, il séduirait un gisant !.
Elle ne rit nullement, haussa les épaules, se détourna et ne voulut plus m'adresser la parole de toute la soirée. Or, de mon côté, je l'observais à la dérobée. À plusieurs reprises, elle soutint mon regard, sans ciller, sans sourire. Un peu plus tard, alors que notre société, échauffée par les plats délicieux et les vins raffinés que tu nous avais servis, songeait à quitter les plaisirs de la table pour se consacrer à d'autres, tout aussi précieux, ta cousine s'avisa de vouloir partir promptement. Je me levai aussitôt et lui proposai de la raccompagner jusqu'à son hôtel.
– Mon carrosse est au pied de l'immeuble, nous y serons dans dix minutes !
– Entendu, mais n'espérez rien. Si mon cousin est un débauché, sa cousine est de chasteté.
– Madame, je suis un gentilhomme ! Prenez mon bras, je veillerai sur votre sécurité comme sur votre honneur.
Nous partîmes, vous laissant à vos plaisirs. Les rues de Paris étaient désertes, l'air frais lui fit du bien. Elle dégrafa un peu son haut-col, révélant la chair nacrée de son cou.
– Charmante soirée, n'est-ce pas, madame ?
– Soirée d'un licencieux, voulez-vous dire ! Soirée de luxure annoncée, soirée de dévergondage programmé. Ah ça mais, mon cousin ne changera pas ! Vous êtes d'ailleurs de ses amis et, si j'ai bien compris, son modèle dans l'inconduite.
Je ne tentai ni de te défendre, ni de me préserver. Au contraire, je pris le parti du dérèglement et du libertinage. Plus elle avançait ses arguments de pruderie, plus je reculais dans l'effronterie. Or, elle n'interrompit pas la conversation, alors qu'en apparence, le sujet blessait ses convictions, effrayait sa pudeur. Au contraire, tout en redoublant de fureur contre les mauvaises mœurs, elle se risquait à des images et à des effets de vocabulaire toujours plus audacieux. Un moins rusé que moi s'y serait trompé, mais je connais trop bien la vérité de ces belles dames hostiles en apparence aux ébats d'alcôve, pour que je pusse me laisser prendre à sa véhémente pudibonderie. Nous arrivions à son hôtel quand elle me rendait compte, par les plus croustilleux détails, de tes derniers écarts de conduite, non point tels que tu les lui avais narrés, mais tels qu'elle se les imaginait ! Inutile de te dire que j'espérais la convaincre de me donner un baiser et beaucoup plus encore… Mais point tout de suite. Avant de la laisser, je lui donnai ma carte, en la priant à déjeuner pour le lendemain, puisqu'elle ne repartait que dans la soirée.
– N'y comptez certes pas !
J'y comptais, au contraire, et ne pensai plus qu'à cela…
Le lendemain, à midi, elle sonnait chez moi! Une heure après, elle était dans mon lit… Trois heures plus tard, blottie dans mes bras, elle s'émerveillait :
– Ah monsieur, vous m'avez fait connaître des hauteurs… Comment ne pas vous revoir bientôt ! Je voudrais vous avoir près de moi. Je prévois désormais des séjours fréquents et réguliers à Paris, cette ville que j'abhorrais avant de vous connaître. Surtout, cher Edouard, n'en dites rien à mon cousin, je vous en prie !
Je ne t'ai donc rien dit.»
Voilà les faits. Ils m'ont beaucoup amusé, j'espère qu'ils feront de même sur votre humeur. Mais il manque à ce récit, celui des ébats proprement dits. Mon ami Êdourd de G. m'en fait une bien émouvante relation dans sa lettre. Mais je vous la réserve pour la prochaine fois.