vendredi 30 octobre 2009

Mad about Magoo

Ce film, pour les types de ma génération, est fondamental et malgré tout ignoré. En 1966, j'avais seize ans, j'aimais déjà les jolies femmes. La mode, alors, ne se prenait pas pour une vendeuse arrogante. Elle bousculait les canons de la bonne société, mais cherchait encore ses nouvelles marques. Elle inventait une silhouette : celle de la jeune femme qui paraît dans cet extrait. La première fois que je la vis, je ressentis une impression «fulgurante», une sorte de décharge électrique. William Klein, photographe fantasque, démontrait une splendide fantaisie. Et puis, son obsession du beau sexe n'était pas une obsession exclusivement sexuelle. Quelque chose de fragile, de délicat, de périssable naît sous nos yeux. À l'époque, je demeurai sans voix.
Vous remarquerez que la jeune femme, si elle est mince, possède de jolies rondeurs. Je veux dire par là que les top-models des sixties n'avaient rien en commun avec les anorexiques méprisantes qui piétinent les podiums aujourd'hui. Pourtant, on voit bien que derrière cet écran bien maîtrisé par un homme (William Klein), se dissimulent la dictature de la télévision et celle la mode.
On en reparlera.



QUI ÊTES VOUS POLLY MAGOO ?
Réalisateur : William Klein; Scénariste William Klein; Image Jean Boffety; Son Antoine Bonfanti; Musique Michel Legrand, producteur Robert Delpire.
Avec Dorothy McGowan, Jean Rochefort, Sami Frey, Grayson Hall, Philippe Noiret, Alice Sapritch, Fernando Arrabal, Guy D'Avout, Roger Constant, Francis Dumoulin, Luce Fabiole.
Sortie salles : 19 mai 1966

mardi 27 octobre 2009

Les couleurs contre la mélancolie

Olyvier, que vous avez connu chez Causeur, était parti pour un long périple en Orient. Il en est revenu. Il s'est progressivement réadapté, à son retour, saturé qu'il était, de rencontres, de visages, de scènes, d'événements. Son vrai talent de photographe a été récemment reconnu. Mais il possède également une aptitude à exprimer avec des mots l'étrange, la fulgurante émotion qui le saisit parfois.
Il m'avait promis «quelque chose» pour Tous les garçons… Voici ce qu'il nous offre. Je lui dis que notre blog, en le recevant, accueille un talentueux ami.


Trois images de l'Orient, par Olyvier

Dès que j'ai commencé à voyager en Orient, j'ai été frappé par les couleurs, les couleurs vives des objets bon marché, des vêtements synthétiques, des peintures recouvrant portes et devantures. Cela ne ressemblait pas à ma vision de ces régions, disons : ocre et sable.
Là-bas, Les gens luttent contre la mélancolie et la misère : ils y opposent la joie criarde du rose, du jaune, du vert, du bleu. Le combat est souvent perdu, car les couleurs passent au soleil. L'illusion colorée ne dure pas.
J'ai eu envie de photographier ces objets, ces couleurs, pour témoigner de ce combat, de cette défaite. De la dignité de ce combat que la défaite n'abolit pas tout à fait.


Cizre, Turquie


Soulémanieh, Irak


dimanche 25 octobre 2009

Le rouge aux joues et la pourpre cardinalice

Il me plaît de réunir trois hommes selon mon cœur : le Cardinal de Bernis (1715-1794) et Roger Vailland (1907-1965) d'abord. Celui-ci écrivit un superbe éloge de celui-là ; je pense que le premier aurait fort apprécié la conversation du second. Tous deux se fussent d'ailleurs retrouvés chez Casanova. Le cardinal fut de ses intimes, Vailland, de ses admirateurs. L'un et l'autre proclamèrent leur amour de l'Italie. Stendhal (1783-1842), autre puissante et constante admiration de Roger Vailland, italien de cœur, a ressenti le souvenir laissé par le prélat : «On parle encore à Rome du cardinal de Bernis […]. C'est que ce cardinal était magnifique et poli […].Le cardinal de B. soupe avec Casanova à Venise, et lui enlève sa maîtresse.[…]» (Promenades dans Rome : un cardinal en 1829).

Bernis, encore jeune, sollicite un poste auprès d'un influent homme d'église. Ce dernier, fort mécontent, lui répond : «De mon vivant, jamais !». Alors, de Bernis, en s'esquivant : «J'attendrai donc !»

Voici, à son sujet, la fin du témoignage de Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour :
«Après un exil de six ans qu'il soutint avec dignité, le cardinal fut nommé par Louis XV ambassadeur de France à Rome, et protecteur des églises de France dans cette cour. En 1791, il reçut dans son palais les princesses, tantes de Louis XVI, qui cherchaient un asile contre la tempête révolutionnaire.
Jusque-là le cardinal avait fait les honneurs de son pays avec une grande magnificence, et surtout avec une grâce, une politesse, une aménité rares. Dépouillé tout à coup de ses abbayes par des décrets, et de son archevêché par le refus de prêter un serment que sa conscience ne lui permettait pas, il perdit 400 OOO livres de rente et le noble plaisir d'en donner la moitié. D'une si haute fortune, M. de Bernis tomba dans un état voisin de l'indigence, et s'y résigna sans murmure. Mais, à la demande de son ami, le chevalier Azzara, la cour d'Espagne lui fit une forte pension qui satisfit à tous ses besoins, et même au plus pressant, au besoin d'aider les malheureux.»

Mais nous reviendrons sur ces trois gaillards, grâce auxquels la vie paraît moins morose, et le ciel moins bas.

Document : portrait de Stendhal en 1835 par Louis Ducis. Fonds Bucci, Bibliothèque Sormani, Milan.





samedi 24 octobre 2009

Brando sur le trottoir

Regardez bien cet entretien avec le grand Marlon. Il s'exprime en français, dans les rues de New York. Tout commence très bien, Brando fait des efforts, il s'applique, il est sérieux. Puis, un événement se produit. La question : était-ce prémédité ou spontané ?


Marlon Brando interview en francais à la grande epoque


Imaginez ! Brando jeune, dans votre chambre, dans un maillot de corps moulant…
Dans cette scène, il est en compagnie de Blanche Dubois (Vivien Leigh), c'est évidemment un peu plus compliqué. Et puis, Tennessee Williams veille sur leur destinée : il y a mis tout ce qu'il sait du Sud, de sa chaleur moite, de la frustration, de la maladie mentale, du désir.
«On a tous quelque chose en nous de Tenessee…»






Ces quelques extraits du Dernier Tango. Bouchez-vous les oreilles ou supprimez le son, un importun a cru pouvoir substituer sa musique à la partition originale de Gato Barbieri. Je les ai choisis parce que Brando y apparaît dans toute la beauté blessée, crépusculaire, de ses cinquante ans. Je vous recommande les premières images. Il est vêtu du fameux manteau en cachemire sur un pull à col en V. Il se dirige vers l'appartement où tout va commencer entre Maria Schneider et lui. En ce lieu, il dira qu'il n'a pas de nom, pas d'identité. Il exigera le même anonymat de sa partenaire. Au jeu du sexe, c'est lui qui perdra : le loup viendra bêler auprès de la jeune femme, soudain bien embarrassée…
Note : ce blog connaît quelques difficultés technologiques, que je ne m'explique pas. Ce qui se trouve habituellement à droite, s'est glissé sous les messages… bug !


jeudi 22 octobre 2009

The fair lady











































Le 20 janvier 1993, j'appris la disparition d’une femme, que je savais gravement malade, que j’avais vue tant de fois et qui, toujours, m’avait éblouie. Très affaiblie, n’ignorant rien de son état, elle avait choisi la commune de Tolochenaz, dans le canton de Vaud (Suisse) pour y attendre la mort. Elle avait 63 ans.
On ne se souvient pas d’Audrey Hepburn sans évoquer Hubert de Givenchy, son grand ami,son confident, son couturier. Leur accord fut si parfait, qu’ils créèrent tous deux une silhouette reconnaissable entre toutes. Il imagina des vêtements, qui accompagnèrent simplement l’élégance nerveuse qu’elle incarnait à la perfection. Hubert de Givenchy, formé à l'école de Cristobal Balenciaga, mit à la disposition d'Audrey des robes, des jupes, des chapeaux, des chaussures, une panoplie complète dont elle pouvait combiner les éléments. Le tout formait une présence chic et moderne.
Nous reparlerons d'Audrey Hepburn et d'Hubert de Givenchy, deux magnifiques exemplaires de l'humanité.

Photographies : Audrey Hepburn, George Peppard dans Diamants sur canapé (Breakfast At Tiffany's)
(© Paramount Pictures France).
Hubert de Givenchy en 1970 (© DR)

DVD : Diamants sur canapé
Réalisation : Blake Edwards
Scénario : George Axelrod d'après le roman de Truman Capote
Acteurs : Audrey Hepburn, George Peppard, Patricia Neal, Martin Balsam, Mickey Rooney
Musique Henri Mancini
Costumes : Edith Head
Garde robe d'Audrey Hepburn : Hubert de Givenchy
Garde robe de Patricia Neal : Pauline Trigere
Production : Martin Jurow, Richard Sheperd
Distribution : Paramount Pictures
Trouvé au prix de 8,26 € sur PriceMinister

Holly Golighty, une délicieuse call-girl, fait la connaissance de son voisin du dessus, un jeune écrivain, entretenu par une femme plus âgée mais nettement plus riche que lui. Holly a fui la médiocrité à laquelle sa naissance la destinait. Désormais, elle vit comme «un animal sauvage dans la jungle splendide et cruelle de New York». Un gigolo, une dévoreuse de diamants, les failles de l'un et de l'autre : superbe parade des êtres brisés, leur manière de survivre, la peur d'aimer. Deux griffes : celle du grand couturier Hubert de Givenchy, celle du grand écrivain Truman Capote. Et le talent de Blake Edwards.




Coups et mépris






















Bagarre au saloon
Comme vous avez pu le constater, je sors d'une bagarre avec un personnage méprisable chez causeur. Cette bagarre, je l'ai provoquée, comme la précédente, avec le même. Il en sera ainsi chaque fois qu'il paraîtra chez causeur. Je pense que ce gnome culturel s'est ridiculisé, mais, bien sûr, chacun désignera son vainqueur en fonction de ses préférences. Je me réjouis de ressentir toujours la même colère et le même puissant mépris pour l'idéologie qu'il incarne.
Je remercie infiniment Nadia et Zyva, qui ont démontré une belle vigueur et une ironie redoutable. J'étais fier de voir paraître à mes côtés ces deux mousquetaires, chaussées de cuissardes très sexy et maniant l'épée aussi bien qu'Aramis.

J'ai illustré ce mot bref de l'affiche du film La fille de d'Artagnan, pour rendre hommage à votre valeur guerrière, et, pour votre plaisir, d'un portrait du beau Sami Frey, qui joue dans ce long métrage de Bertrand Tavernier.


mercredi 21 octobre 2009

L'unique et ses semblables




Entendue ce matin, cette chanson peu connue de Piaf, où le sentiment amoureux résiste à l'examen de la lucidité. C'est l'histoire d'une femme, dont le regard sans complaisance n'abolit pas le simple désir d'être «considérée» par un homme…



Edith Piaf : Un homme comme les autres (1947) : paroles, Edith Piaf, musique, Pierre Roche

A l' voir comme ça, un homme c'est rien,
Mais pour peu qu'il vous intéresse,
Ça tient d' la place, cré nom d'un chien.
Celui pour qui j'ai des faiblesses
N'est pas tellement joli garçon
Mais il ressemble à ma chanson.

Un homme comme les autres,
Un homme parmi tant d'autres
Et pourtant...
Personne n'a sa voix,
Personne n'a ses yeux.
Quand je l'aperçois,
J'en ai plein les yeux
Et je l'aime...
Un homme comme les autres,
Un homme parmi tant d'autres
Et pourtant...
Nous avons des nuits
Toutes remplies d'amour,
Serrée contre lui
Jusqu'au petit jour
Où l'on s'aime...
Un homme comme les autres,
Un homme parmi tant d'autres.

Voilà des mois qu'il est parti.
Les gens m'ont dit : "On s'en console."
Probable qu'ils avaient menti.
J'ai l'impression que j' deviens folle.
Jamais, jamais je ne l'oublierai.
Jusqu'à la fin, je l'attendrai.

Un homme comme les autres,
Un homme parmi tant d'autres
Et pourtant...
En fermant les yeux,
Je revois soudain
Quand, dans mes cheveux,
Il glissait ses mains
Et je l'aime...
Un homme comme les autres,
Un homme parmi tant d'autres
Et pourtant...
Dans mes souvenirs,
Je nous vois danser,
Je vais me blottir,
Lui va m'emporter.

Et je l'aime...
...
Un homme parmi tant d'autres...


Livre : L'éternel masculin, par Bernhard Roetzel, Könemann éditeur (1999, 360 pages)

lundi 19 octobre 2009

La hiérarchie d'un imbécile ou les deux font la paire

Les roués
« Le Net est la plus grande saloperie inventée par les hommes ! »*
On reste coi ! Cette sentence définitive a été prononcée par M. Séguéla, publicitaire, inventeur du vote gagnant à deux tours : au premier, on vote pour un candidat, au second on vote pour le vainqueur.
On peut évidemment considérer avec quelque réticence la «blogosphère», puisque tout s'y manifeste, et le pire. Faut-il pour cette raison la placer au premier rang des «saloperies humaines» ? On a l'échelle de valeurs qu'on peut. Les blogs ne sont pas seulement l'agora des imbéciles ; par eux, se trouvent des affinités, se propagent des sympathies, et disputent des esprits de finesse.
Mais il me paraît que le monde de M. Séguéla, courtisan à la triste figure, a démontré la vanité de son idéologie. Il a illustré jusqu'à la caricature le principe de «communication», lequel prétend imposer une lecture collective du réel.
Le bagout d'un vendeur d'espace publicitaire ne suffit plus à apaiser notre angoisse. M. Séguéla devrait bientôt replier son parapluie : les cravates et les chaussettes qu'il propose depuis trop longtemps sont démodées.

° On n'est pas couché, France 2, 17 octobre 2009. Au cours de la même émission, Eric Zemmour a rappelé, non sans malice, à Julien Dray qu'il avait été, dans sa jeunesse, le zélateur de la morale en politique. Manipulateur de la sphère médiatique, M. Dray lança dans les rues la «génération morale», dont il fut en effet, le parrain comblé d'honneurs.

L'enchanteur du XXe siècle (2)

Jean Cocteau ne se pencha pas seulement sur les enfants, mais aussi sur les parents terribles. Le grand appartement est comme la roulotte d'une petite tribu de tziganes sédentarisés. Michel (Jean Marais) est le fils adoré de sa mère (Yvonne de Bray). Comment une mère peut-elle seulement supporter l'idée que «le fruit de ses entrailles» et de sa fantaisie sentimentale puisse aimer une autre femme ? Quels déplaisants secrets révélera l'intrusion de l'amour dans ce tendre désordre ? Notre vie est un labyrinthe ; il arrive que le cinéma nous prenne par la main et nous fasse un brin de conduite éclairée…




































Les parents terribles (1948)
Réalisateur : Jean Cocteau
Scénario et dialogue : Jean Cocteau d’après sa propre pièce de théâtre
Assistants-réalisateur : Claude Pinoteau, Raymond Leboursier
Musique : Georges Auric
Directeur de la photographie : Michel Kelber
Cadreur : Henri Tiquet
Photographe de plateau : Roger Corbeau
Direction artistique : Christian Bérard

Documents : affiche du film ; Yvonne de Bray, Jean Marais (photographie Raymond Corbeau)

Crâne d'œuf (2)

Le procureur :
– Toutes ces femmes qui ont couché avec les allemands !
Arletty
- Fallait pas les laisser entrer !
La réponse cinglante de Léonie Bathiat renvoie le mâle français à sa défaite humiliante.

Quelques photographies, faites hier, obsédé que j'étais par l'idée d'illustrer mon propos.
















































































Photographies PM

samedi 17 octobre 2009

Je m'appelle Henry





















Vous ne connaissez pas Henry Pessar, et c'est bien dommage.
Vous le rencontreriez dans la rue, ou dans un train, il vous donnerait l'immédiate impression d'être un fieffé mythomane. Il vous dirait qu'il fit remplir le questionnaire de Proust à John Lenneon, qu'il servit de guide, dans sa petite voiture, au chauffeur de la fameuse Rolls blanche à l'arrière de laquelle gazouillaient le même John Lennon et sa fraîche épousée, Yoko Ono, sur la route qui menait de Paris à Amsterdam. Il vous entretiendrait de ses rencontres avec Carlos Monzon, champion du monde des poids moyens, et vous dirait la vérité sur la mort de la femme de ce dernier. Il vous rapporterait également dans quelles conditions Alain Delon écrivit une préface au livre qu'Henry consacra à Monzon. Il vous prendrait certainement en photo…
Bien sûr, vous n'auriez rien cru de ce qu'il vous aurait dit, et vous auriez eu tort !
Je vous parlerai plus longuement de l'extravagant et charmant Henry, mais, en attendant, j'invite celles et ceux qui habitent dans la capitale, ou dans sa proximité à se rendre aux puces de Saint-Ouen :
Du 9 au 25 Octobre 2009, dans le cadre de la 4ème édition du Mondial de l’Antiquité, ils pourront admirer cent photographies consacrées au couple formé par John Lennon et Yoko Ono, prises par Henry Pessar lors de leur passage à Paris en 1969.

Crâne d'œuf (1)
























Le journal Le Midi Libre, nous fait connaître que M. Georges Frêche aurait déclaré, lors de l'inauguration du lycée Jean-Moulin, à Béziers, le 12 février 2008 :
«Il existe aujourd’hui une mode qui consiste à protester contre les résistants qui tondaient les femmes qui avaient couché avec les Allemands pendant l’Occupation.
Elles ne pouvaient pas coucher avec les résistants ...?
Vous croyez que je vais pleurnicher parce qu’on leur a coupé les cheveux ? Mais c’était gentil ...!
On aurait pu les fusiller ! Mon père était officier de la Résistance : jusqu’à ma mort, je serai de ce côté !»



Quant à moi, je ne serai jamais du côté de M. Frêche ! Le spectacle des tondues de la Libération m'évoquent la revanche du mâle français, humilié par les allemands, contraint à la boucler et à filer doux. Sommes-nous bien sûrs que les manieurs de ciseau, à la Libération, n'étaient pas engagés de la veille dans la Résistance ? À voir leurs mines prospères et réjouies, on se dit qu'ils n'appartenaient pas aux catégories de nos compatriotes qui avaient le plus souffert de l'Occupation.











Au rendez-vous allemand

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée


Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

(Paul Eluard 1944)

























Photographies PM, sauf documents historiques

L'enchanteur du XXe siècle (1)

Le dieu caché
L'élève Dargelos intervient au début et à la fin, par lui s'accomplissent les choses du destin. Sa boule de neige piégée atteint Paul à la poitrine, et le fait basculer dans la maladie ; le poison qu'il lui fait remettre le tue. Dargelos, le héros de Paul, Dargelos l'indompté, celui par qui le scandale arrive. Il a lancé du poivre au visage du proviseur. Renvoyé sans avoir présenté la moindre excuse, il a disparu. Sa photographie rejoint le «trésor» de Paul et de sa sœur, Elisabeth, un meuble où ils resserrent ce qu'ils ont de plus précieux. Par ce gri-gri, l'esprit malin agira à distance, et par son effet invisible s'accomplira la tragédie.
Un frère, une sœur, si semblables, si ressemblants que le visage de l'un se substitue à celui de l'autre sans qu'il y paraisse. Entre Elisabeth et Paul, les autres ne servent qu'à retarder puis à magnifier l'issue fatale : elle le couve, le dévore des yeux, elle ne le supporte pas, elle le rudoie, elle ne voit que lui, elle le vénère. Elle tisse une toile invisible, afin de le contenir, de l'emprisonner, de le garder pour son seul usage fraternelle, sentimentale, amoureux. Beau, nerveux, emporté, ardent, dépendant, il lui paraît être l'amant idéal, son double inversé, la seconde face de sa part maudite et sacrée. Il est le même dans l'autre «genre».
Quelques compagnons, des ombres manipulées, apportent leur aide à la résolution du drame. Michaël, richissime époux d'un jour (mais pas d'une nuit de noce) d'Elisabeth a le bon goût de se tuer au volant de son automobile, leur laissant une fortune considérable. Gérard, secrètement amoureux d'Elisabeth, se résigne à épouser Agathe, qui n'aime que Paul et que Paul adore. Elisabeth veille sur ce désordre amoureux et en corrige le cours, afin de conserver son frère. Il en mourra, elle se tuera. Le dieu de la chambre, dissimulé dans l'ombre malveillante, n'aura pas permis qu'une fin heureuse contrarie son cruel caprice. Le fol amour est interdit aux êtres humains ; certains, cependant, en perçoivent l'étrangeté mais en mesurent inconsciemment la dangereuse exception. Ces deux enfants de la terreur ne sont pas exactement nos contemporains, ils sont nos fantômes ; enfin, les miens…
Jean Cocteau fut le dernier enchanteur de la société française. Ce qu'il nous dit dans ses films, nous en avons perdu le sens, si nous en percevons encore la rumeur, toujours plus éloignée. Nous sommes désenchantés.



On dit que ce film, de Jean-Pierre Melville, a vieilli, que la voix de Cocteau en récitant est sentencieuse, démodée… Ce n'est pas mon opinion.
Un bref hommage à Nicole Stéphane, qui incarne Elisabeth dans Les enfants terribles. Elle joua un rôle considérable et discret dans le cinéma français. On connaît la comédienne surtout pour son inteprétation impeccable de la nièce du français mutique devant l’intrus allemand, dans le film Le silence de la mer, dirigé par son ami Jean-Pierre Melville. Mais jouer l’intéressait beaucoup moins que produire, réunir des talents, des affinités. Elle avait beau être née de Rotschild, elle n’en éprouva pas moins des difficultés pour réunir des fonds nécessaires à ses projets. Tous ceux qui l’ont approchée étaient bien sûr saisis par sa beauté (à la fois personnage de conte très ancien et «jeune fille moderne»), mais également par sa précision, sa détermination. Longtemps, elle travailla à l’adaptation d’À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, qu’elle souhaitait faire diriger par Luchino Visconti. L’affaire traîna en longueur, puis Visconti tomba malade. Née en 1923, Nicole Stéphane est décédée en 2007.

Les enfants terribles (1950)
Réalisation, Jean-Pierre Melville, scénario de Jean Cocteau d’après son roman
Acteurs : Nicole Stéphane, Edouard Dermithe, René Cosima, Jacques Bernard, Melvyn Martin, Roger Guillard
Musique : Concerto en la mineur pour orchestre à cordes de Vivaldi, Concerto pour pianos en la mineur de Jean-Sébastien Bach
Les femmes sont habillées par Dior, et la séquence d'initiation d'Elisabeth par Agathe au métier de mannequin-cabine se passe chez ce grand créateur.
Directeur de la photo : Henri Decae

vendredi 16 octobre 2009

Bo c'est beau !

Mon ami David A. me fait parvenir ceci, que je m'empresse de partager avec vous. Bo Diddley (mort l'an dernier, je crois), tout jeune, interprète You can't judge a book by its cover
Bo, très grand guitariste, bluesman, est de ceux qui ont «carrossé» le rock. Il lui a, pour sa part, apporté une «syncope» originale.Tout est parfait dans cette courte apparition : la tête de Bo, très mimi rockabilly avec ses lunettes d'intello, les ondulations savantes de la jeune femme, à ses côtés, moulée dans un pantalon d'agneau, et les silhouettes, au fond. Et quelle voix ! Allons, il est évident qu'après celle de Claude Debussy, l'influence des Noirs américains sur la musique moderne, leur perception du rythme à des fins religieuses (Gospel), sont constitutives de notre «oreille». Le jazz, c'est Debussy à New York, le rock, c'est une chapelle de Harlem plus l'électricité.
Mais trêve de bavardage ! Laissez monter les fourmis dans vos jambes !

jeudi 15 octobre 2009

La marquise perd le nord et le sud (suite)




















































































Voici la suite et la fin de la lettre que m'adressa mon ami Edouard de G, à propos de ma cousine Émilie, dont il fit la connaissance chez moi, au cours d'un souper fin.

(Émile vient de sonner à la porte de l'appartement qu'occupe Edouard)

«Elle entra, je lui dis :
– Vous avez bien fait de venir.
– Non, je ne le crois pas. D’ailleurs, je ne reste pas.
– Dans ces conditions, asseyez-vous !
– Merci !
Elle retira ses gants. Elle prit place sur un fauteuil, s’y tenant bien droite et sans croiser les jambes.
Je lui offris de prendre une collation. Elle refusa, précisant :
– J’ai vraiment eu tort de venir !
– Pourquoi donc ?
– Parce que je sens…
– Que sentez-vous ?
– … que je vais rester !
À partir de ce moment, tout alla très vite. Elle n’osait pas me regarder franchement, elle «circulait» entre les objets, les meuble et les tableaux. De mon côté, je ne la quittais pas des yeux.
– C’est donc ici que vous entraînez vos proies ?
– Mes proies ?
– Vous comprenez fort bien ce que je veux dire.
– Peut-être désignez-vous par ce mot les jolies femmes qui consentent à me rendre visite ?
– Précisément !
– Elles viennent de leur plein gré.
– Oui, enfin c’est ici que… vous les consommez ?
– Non.
– Comment non ?
– Eh bien, cela ne se passe pas dans cette pièce, mais dans cette autre.
– Que vous êtes bête ! je sens que que je vais m’en aller.
– J’aimerais mieux que vous sentiez que vous allez partir.
Elle pâlit, elle rosit, elle rougit. Puis elle rit :
– Goujat ! D’ailleurs, prouvez-moi que vous êtes capable de me faire partir, avant que ne me prenne l’envie de m’en aller.
– Vraiment ?
– Puisque je vous le dis !
Il y eut un silence.
– Mais, si je veux partir, dois-je entrer là (elle montrait la chambre) ?
– En effet. ! Et moi ici (je désignais une partie de son anatomie) !
– Goujat !
– Vous l’avez déjà dit ! Allons-y de conserve. Je vous précède.
– Non, vous me suivez.
Et elle entra dans la chambre…
Par la suite, nous eûmes de brefs échanges. Je me souviens en particulier de celui-ci :
– Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah, je sens que je pars !
– Oooooooooooooooooh je sens que je viens !
Galant homme jusqu’au déduit, je m’inquiétai :
– Puis-je rester ?
– Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
– Ahhhhhhhhhhhh, je pars !
– Oooooooooooooh, je reste !

«Voilà, mon cher Patrick, le récit que je voulais te faire de la visite que me rendit «contre son gré» ton adorable cousine.
Je suis ton ami pour le reste de ma vie, et j’espère vivement que tu me présenteras quelques autres de tes délicieuses cousines.
Edouard.

Note : j'ai pris, à l'insu de ta cousine, quelques photographies de nos ébats. Elle a un teint de porcelaine, et son corps a la souplesse du caoutchouc. Elle gémit adorablement, elle geint superbement. Entre mes mains, elle fut comme l'eau vive, et je m'épuisai à la poursuivre. Mais quel voyage !»

mercredi 14 octobre 2009

La marquise perd le nord et le sud




















Ce matin, au courrier, cette lettre de mon ami Edouard de G., un homme de très belle éducation, mûr déjà, mais fort bien conservé, le corps sec et musclé, d'une politesse et d'une coquinerie d'Ancien Régime.

«Cher Patrick,
Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir présenté, voici quelques semaines, à ta cousine, la marquise de Beauregard. Grâce à toi, j'ai vécu l'une de mes plus charmantes aventures. Je me rappelle parfaitement notre première rencontre, à ton domicile parisien. Ton billet bref avait aussitôt piqué ma curiosité : «Sois chez moi ce soir vers 11 h, j'offre un souper. Trois jolies femmes, trois compères. Charmante et brillante compagnie.»
Je vins. Je tombai immédiatement sous le charme de ta cousine, à l'oreille de laquelle tu glissas, en me présentant :
– Défiez-vous spécialement de celui-ci, chère cousine, c'est la réincarnation de Casanova. Dans notre cercle, il est le plus capé. C'est bien simple, il séduirait un gisant !.
Elle ne rit nullement, haussa les épaules, se détourna et ne voulut plus m'adresser la parole de toute la soirée. Or, de mon côté, je l'observais à la dérobée. À plusieurs reprises, elle soutint mon regard, sans ciller, sans sourire. Un peu plus tard, alors que notre société, échauffée par les plats délicieux et les vins raffinés que tu nous avais servis, songeait à quitter les plaisirs de la table pour se consacrer à d'autres, tout aussi précieux, ta cousine s'avisa de vouloir partir promptement. Je me levai aussitôt et lui proposai de la raccompagner jusqu'à son hôtel.
– Mon carrosse est au pied de l'immeuble, nous y serons dans dix minutes !
– Entendu, mais n'espérez rien. Si mon cousin est un débauché, sa cousine est de chasteté.
– Madame, je suis un gentilhomme ! Prenez mon bras, je veillerai sur votre sécurité comme sur votre honneur.
Nous partîmes, vous laissant à vos plaisirs. Les rues de Paris étaient désertes, l'air frais lui fit du bien. Elle dégrafa un peu son haut-col, révélant la chair nacrée de son cou.
– Charmante soirée, n'est-ce pas, madame ?
– Soirée d'un licencieux, voulez-vous dire ! Soirée de luxure annoncée, soirée de dévergondage programmé. Ah ça mais, mon cousin ne changera pas ! Vous êtes d'ailleurs de ses amis et, si j'ai bien compris, son modèle dans l'inconduite.
Je ne tentai ni de te défendre, ni de me préserver. Au contraire, je pris le parti du dérèglement et du libertinage. Plus elle avançait ses arguments de pruderie, plus je reculais dans l'effronterie. Or, elle n'interrompit pas la conversation, alors qu'en apparence, le sujet blessait ses convictions, effrayait sa pudeur. Au contraire, tout en redoublant de fureur contre les mauvaises mœurs, elle se risquait à des images et à des effets de vocabulaire toujours plus audacieux. Un moins rusé que moi s'y serait trompé, mais je connais trop bien la vérité de ces belles dames hostiles en apparence aux ébats d'alcôve, pour que je pusse me laisser prendre à sa véhémente pudibonderie. Nous arrivions à son hôtel quand elle me rendait compte, par les plus croustilleux détails, de tes derniers écarts de conduite, non point tels que tu les lui avais narrés, mais tels qu'elle se les imaginait ! Inutile de te dire que j'espérais la convaincre de me donner un baiser et beaucoup plus encore… Mais point tout de suite. Avant de la laisser, je lui donnai ma carte, en la priant à déjeuner pour le lendemain, puisqu'elle ne repartait que dans la soirée.
– N'y comptez certes pas !
J'y comptais, au contraire, et ne pensai plus qu'à cela…

Le lendemain, à midi, elle sonnait chez moi! Une heure après, elle était dans mon lit… Trois heures plus tard, blottie dans mes bras, elle s'émerveillait :
– Ah monsieur, vous m'avez fait connaître des hauteurs… Comment ne pas vous revoir bientôt ! Je voudrais vous avoir près de moi. Je prévois désormais des séjours fréquents et réguliers à Paris, cette ville que j'abhorrais avant de vous connaître. Surtout, cher Edouard, n'en dites rien à mon cousin, je vous en prie !
Je ne t'ai donc rien dit.»

Voilà les faits. Ils m'ont beaucoup amusé, j'espère qu'ils feront de même sur votre humeur. Mais il manque à ce récit, celui des ébats proprement dits. Mon ami Êdourd de G. m'en fait une bien émouvante relation dans sa lettre. Mais je vous la réserve pour la prochaine fois.

mardi 13 octobre 2009

À la peine !

Irving Penn est mort ! Voici le portrait qu'il fit d'un artiste absolu, d'un écrivain d'Amérique, d'un homme misérable et glorieux, d'un type du genre de ceux qui aiment «les garçons» : Truman Capote. Un jour, sur une place fameuse de Venise, l'apercevant, je m'approchai pour lui parler. Or, il était mort depuis quelques mois !

Un air de quatre sous

Au commencement était Piaf, puis Jeff Buckley vint. Écoutez et pleurez !


lundi 12 octobre 2009

Léophile

En 1969, Léo ferré interprétait la chanson «Petite», à Bobino. J'étais dans la salle (privilège de vieux). Les paroles en sont plus que troublantes. S'agit-il d'un fantasme de mâle vieillissant, d'une lubie d'anar toujours furieux contre le code pénal, d'une simple provocation ? Quoi qu'il en soit, nulle dame, jusqu'à présent,n'a porté plainte contre les mannes de Ferré sous le prétexte que Léo l'aurait violée lorsqu'elle était petite fille.
Cette chanson, me semble-t-il vient ponctuer le remarquable débat que vous avez animé sur ce blog, et pour lequel je vous renouvelle ma gratitude.

Tu as des yeux d'enfant malade
Et moi j'ai des yeux de marlou
Quand tu es sortie de l'école
Tu m'as lancé tes petits yeux doux
Et regardé pas n'importe où
Et regardé pas n'importe où

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai le verbe "aimer"
Qui se décline doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va baissant
Comme le jour qui va baissant

Tu as le col d'un enfant cygne
Et moi j'ai des mains de velours
Et quand tu marchais dans la cour
Tu t'apprenais à me faire signe
Comme si tu avais eu vingt ans
Comme si tu avais eu vingt ans

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai à tant mourir
A t'en aller tout doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme je jour qui va mourant
Comme je jour qui va mourant

Tu as le buste des outrages
Et moi je me prends à rêver
Pour ne pas fendre ton corsage
Qui ne recouvre qu'une idée
Une idée qui va son chemin
Une idée qui va son chemin

Ah! petite Ah! petite
Tu peux reprendre ton cerceau
Et t'en aller tout doucement
Loin de moi et de mes tourments
Tu reviendras me voir bientôt
Tu reviendras me voir bientôt

Le jour où ça ne m'ira plus
Quand sous ta robe il n'y aura plus
Le Code pénal

Note : Chère Corinne, j'ai senti comme un énervement de votre part, cet après-midi, chez causeur, et même un peu plus que cela. Tout avait été dit ici, sur cette affaire, par vous, par Nadia, par Émilie. Cela me suffisait…

vendredi 9 octobre 2009

L'écrivain traqué

Tentons une incursion dans l'actualité, mais une incursion «différée». Je vous propose cet extrait de l'émission de Ruquier, On n'est pas couché, consacré au livre de Frédéric Mitterrand, au moment de sa sortie en librairie, le 9 juin 2007. Il n'est question que de littérature. Écoutez ce que disent Zemmour et Neaulleau.



Bien sûr, l'erreur du ministre de la Culture réside uniquement dans son soutien empressé à Roman Polanski, lui-même recherché par la justice américaine pour une vilaine affaire, impliquant une jeune fille mineure à l'époque des faits. Polanski a préféré fuir ses responsabilités. Sans cet excès de zèle, nul ne pouvait reprocher à FM sa confession littéraire, remarquable, ni établir le moindre rapport avec Polanski. La morale publique est réglée par les lois de la République, qu'ignore la littérature. Si un artiste contrevient à ces lois, il en répond en tant qu'il est citoyen, la justice ne tenant pas compte, dans le traitement qu'elle lui réserve, de sa situation d'artiste. L'homme n'est pas l'artiste, le premier ne répond pas des actes commis par le second, qui produit des œuvres. Certes, André Gide pouvait avouer, à voix basse : «Mon prix Nobel me protège !». Mais il y avait en France, en ce temps-là, une République des Lettres… Il est d'ailleurs intéressant de constater que le XXe siècle, pour rompre définitivement avec le siècle précédent, très moralisateur et austère sur le plan des mœurs, renoua avec le libéralisme des princes du XVIIIe. La République prenait sous son aile les créateurs, à la manière d'un souverain éclairé.
Chacun se fera son opinion ; pour moi, je constate, par cette affaire navrante, l'état de dégradation dans lequel se trouve la France «réelle». Nous vivions dans la grande tradition chrétienne et romaine de la faute, de la rémission, du pardon. Nous basculons dans l'univers anglo-saxon, protestant, de la traque inlassable, de l'examen policier du domaine privé, de la confusion entre les œuvres de l'esprit et les faits, et, au final, de la négociation financière pour réparation des dommages provoqués. Une dernière chose : il ne fut reproché à Jean Cocteau ses préférences sexuelles que sous l'Occupation, et par un organe de presse fascisant. Aujourd'hui, certains socialistes mêlent leurs plaintes outrées à ce qui semble être l'écho de ces dénonciations dangereuses.

Complément d'information 1.
Le 6 avril 2005, dans son émission Culture et dépendances, Franz-Olivier Giesbert questionne Frédéric Mitterrand : «La rumeur, Frédéric Mitterrand, c'est qu'on dit : “Frédéric Mitterrand, il aime les petits garçons […] il est pédophile”». Ce dernier réplique : «C'est pas vrai. Quand les gens disent “les garçons”, on imagine alors les petits garçons. Ça fait partie de ce puritanisme général qui nous envahit, qui fait que l'on veut toujours noircir le tableau, ça n'a aucun rapport. [...] Évidemment, je cours le risque de ce genre d'amalgame. Je le cours d'autant plus facilement ce risque-là puisqu'il ne me concerne pas. [...] Il faudrait que les gens lisent le livre et ils se rendraient compte qu'en vérité c'est très clair.»

Le 20 mars 2005, Frédéric Mitterrand fait face à Marc-Olivier Fogiel (On ne peut pas plaire à tout le monde) : «Le but de ce livre était de ne pas mentir, à moi-même et de pas mentir avec le projet qui est de faire un livre qui aille beaucoup plus loin […] que la simple anecdote, même si elle est douloureuse, […] pénible, […] moche, glauque.»

Qu'allait-il faire dans la galère Polanski, Frédéric Mitterrand ? Il n'a écouté que son cœur. On voit bien, par les quelques exemples ci-dessus, qu'il avait déjà «passé l'examen» de la pédophilie, et qu'il s'en était sorti sans dommage et avec sincérité. À présent, il apparaît comme le «protecteur» de Polanski.

J'aime les types qui ont du cran, qui sont capables de reconnaître leurs erreurs, mais qui savent également défier leurs adversaires. Frédéric Mitterrand, devant ce qui s'annonce comme une terrible campagne de calomnie, a démontré ces deux qualités. Je souhaite qu'il reste à son poste. Mais il doit s'attendre à des jours difficiles. L'extrême droite ne le laissera pas en paix.

Complément d'information 2.
Voici l'affrontement rude et républicain, entre Yves Michaud et Alain Finkielkraut ( France Inter, 8 h 40, 9 oct. 2009). Par Honnêteté, je dois dire que l'argument de la Shoah et du ghetto, utilisé par d'autres avant cette émission, ne m'a pas convaincu. Je ne crois pas nécessaire de convoquer cette horreur historique à propos de l'affaire Polanski. En revanche, il serait intéressant d'aller étudier la personnalité de ce juge américain… Ce matin même, Jean-Luc Mélenchon (qui n'est pas my cup of tea, mais auquel je reconnais un grand talent d'orateur et une vraie perspicacité), a dénoncé la campagne de haine contre Frédéric Mitterrand, et a rappelé, à son propos, le principe fondamental de la présomption d'innocence. Mélenchon n'est pas le genre de personnage susceptible de considérer aimablement la pédophilie.



mercredi 7 octobre 2009

Mathilde et Gustave au salon - 2

(Suite et fin du récit ; voir message précédent)

Gustave Flaubert chez la princesse Mathilde, souvenir d'un soirée à Saint Gratien par le comte Joseph Primoli

‘‘ […] À dix heures et demie, un valet de chambre vient annoncer que le petit omnibus du château est avancé pour emmener les convives à la gare de Sannois. Aussitôt se lèvent et défilent devant la Princesse, en lui baisant la main, les habitués du mercredi : Sainte-Beuve, Renan, Taine, Lavoix, Edmond et Jules de Goncourt....
Après leur départ, la causerie languit : les hommes déplient les journaux ; les dames, lasses d'une promenade dans la forêt de Montmorency, répriment quelques bâillements
; Flaubert, devenu silencieux, s'agite sur sa chaise...
Comme on s'entretient encore de Salammbô et qu'on le félicite de son talent de lecteur, il conte la petite aventure qui lui est arrivée la semaine précédente.
«Figurez-vous que, l'autre jour, on frappe à mon pavillon de Croisset : mon domestique va ouvrir et se trouve en présence de braves paysans.
- Monsieur Flaubert ?
- C'est ici ?

- Nous le savons bien : nous venons pour une consultation.
- Alors, c'est le frère de monsieur que vous demandez, qui est médecin à Rouen.
- Eh non ! C'est à monsieur lui-même que nous voulons parler. Nous n'avons pas besoin de médecin : nous ne sommes pas malades, grâce à Dieu ! Nous avons un procès et nous venons consulter l'avocat !
- Mais monsieur n'est pas avocat !
- Allons donc ! Nous l'entendons toutes les nuits d'été, gueuler les procès qu'il va plaider l'hiver à Paris ! »

Enfin onze heures sonnent au cartel Louis XVI qui surmonte la porte. La Princesse roule sa bande de tapisserie, qu'elle arrête avec son aiguille, la serre dans la corbeille de jonc doré et se lève. Affable et souriante, elle congédie ses hôtes, donnant sa main à baiser aux ho
mmes, embrassant les dames et souhaitant une bonne nuit à tout le monde. Puis, tandis que la compagnie sort par la grande porte, Flaubert fermant la marche, la Princesse, suivie de ses chiens, se dirige vers un petit escalier en colimaçon, tendu de perse verte, qui mène à sa chambre.
Au moment où les domestiques se disposaient à emporter les
lampes du salon, la Princesse reparaît sur le seuil et, au grand étonnement du maître d'hôtel, ordonne à ses gens de ne pas éteindre encore et de se retirer. Résignée, elle reprend sa place sur son canapé, devant la grande table ronde, et se met à travailler.
«Nous allons entendre, songe-t-elle en déroulant sa tapisserie, ce qu'il veut me dire de si intéressant !... Il m'ennuie, à la fin, avec ses grandes phrases qui n'aboutissent à rien : c'est de la littérature, et pas autre chose ! »
La porte s'entr'ouvre : Mathô entre sournoisement, plutôt en collégien timide qu'en guerrier conquérant. D'un regard méfiant promené autour de la pièce, il s'est assuré que tous les hôtes sont disparus. Il se glisse alors entre la table et le canapé, il se laisse tomber sur un fauteuil capitonné auprès de la Princesse. Sans mot dire, il la regarde travailler : c'est en effet un charmant spectacle, digne d'inspirer un peintre et un poète, que ce profil impérial s'inclinant sur la broderie sous la lueur rose de la lampe. Il contemple la nuque polie comme un fût de colonne et la perle qui tremble au bout du lobe de l'oreille, et les épaules célèbres et célébrées qui sortent du burnous aux reflets d'argent, et les doigts de fée qui courent sur le canevas où ils font éclore des fleurs....

La Princesse sent ce regard brûlant qui se promène sur son cou, sur ses épaules, sur sa main et... elle attend ! Après un long moment de silence, agacée par ces yeux fixés sur elle, brusquement elle lève la tête :
«Eh bien ? Qu'avez-vous à me dire de si confidentiel, de si pressant ? Nous sommes seuls, comme vous le désiriez, et je suis prête à tout entendre.».
Quelle n'est pas sa stupeur en le voyant devenir tour à tour très rouge et très pâle ! Les expressions les plus diverses passent sur ce visage décomposé : la crainte, l'angoisse, la terreur, le désespoir. Est-ce l'évocation de Mathô qui le poursuit encore ? Elle l'entend balbutier quelques sons incohérents, puis le voit se lever précipitamment, gagner la porte et s'enfuir !

Après dix minutes d'attente, elle sonne : le maître d'hôtel revient :
«Monsieur Flaubert ?
- Il a traversé l'antichambre et a monté l'escalier en courant.
- Il n'a plus reparu ?
- Il m'avait semblé si agité que je l'ai suivi : il est allé directement à sa chambre ; il a dû s'assoupir.

- Ah ! murmure la Princesse, haussant légèrement les épaules. Vous pouvez éteindre.».
Elle roule une seconde fois sa tapisserie, la range dans sa corbeille, puis se l
ève et, de son pas de déesse, traverse le salon pour monter chez elle.
«Désormais du moins il me laissera tranquille
Le mot de l'énigme ? Il nous est donné sans doute, par Gustave Flaubert lui-même qui peu après, écrivit sur un album, à Saint-Gratien :
«Les femmes ne sauront jamais combien les hommes sont timides !». ‘‘


Texte établi sur un exemplaire (coll. particulière) de : Gustave Flaubert, Lettres inédites à la Princesse Mathilde, préface de Monsieur le comte Joseph Primoli ((1851-1927), étude de Madame la princesse Mathilde, Paris, Louis Conard, 1927
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (20.I.2000) ;
relecture : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 7216, 14107 Lisieux cedex


Pour illustrer ce texte «confidentiel», on aurait pu placer ici un extrait de Madame Bovary, mais n'était disponible que l'adaptation de ce chef-d'œuvre par Claude Chabrol. Mauvais travail ! Alors, voici, d'après Guy Maupassant, l'ami de Flaubert, un bref moment du film Le plaisir, de notre cher Max Ophüls. Il s'agit du tableau intitulé Le modèle, avec Daniel Gélin et Simone Simon ; 
la belle voix du narrateur est celle de Jean Servais



Le Plaisir
Scénario : Max Ophüls, Jacques Natanson, d'après
Guy de Maupassant.
Dialogues :
Jacques Natanson
On retrouvera, au fil des tableaux : Claude Dauphin, Gaby Morlay, Paul Azaïs, Gaby Bruyère, Jean Galland, Janine Viènot, Emile Genevois, Huguette Montréal, Liliane Yvernault, Madeleine Renaud, Ginette Leclerc, Mila Parély, Danielle Darrieux, Pierre Brasseur, Jean Gabin, Amédée, Antoine Balpêtré, Réne Blancard, Mathilde Casadesus, Henri Crémieux, Arthur Devère, Paulette Dubost, Jocelyne Jany, Robert Lombart, Héléna Manson, Marcel Pérès, Jean Meyer, Louis Seigner, Michel Vadet, Charles Vissières, Zélie Yzelle, Jo Dest, Claire Olivier, Georges Vitray, René Hell, Pierre Palau, Georges Baconnet, Maïa Jusanova, Yvonne Dany, Jean Servais, Daniel Gélin, Simone Simon, René Pascal, Marcel Rouzé
(DVD à partir de 7,11 €, sur le site Priceminister)














COFFRET DVD Max Ophuls
4 films : La ronde (1950), Le plaisir (1952), Madame de... (1953), Lola Montès (1955)
Copies restaurées et issues de masters en haute définition. Supplément : film documentaire réalisé par Marcel Ophüls, Max par Marcel (49, 99
€)

Mathilde et Gustave au salon - 1











































Mathilde Bonaparte, princesse Demidof (1820-1904), est fille de Jérôme Bonaparte, nièce de Napoléon Ier, cousine germaine de Napoléon III. Sa silhouette impeccable lui vaut le surnom de «plus beau décolleté d'Europe» (à rapprocher du mot d'Angelo Rinaldi, qui qualifia jadis BHL de «plus beau décoletté de Paris»). Elle tient, hors de toute étiquette, dans le confort de la vie bourgeoise très Second Empire, un salon où le Tout Paris se presse, rue de Courcelles, puis, après 1870, rue de Berri (deux adresses du VIIIe arrondissement), et au château de Saint-Gratien.

Gustave Flaubert (1821-1880), est immense, puissant, large d'épaules. Il exècre les révolutions et les bourgeois. Il vit à la campagne, loin du monde, à l'écart des représentants de l'humanité, laquelle lui inspire la plus grande méfiance. Capable de grands éclats, toujours un peu ahuri, il éprouve des sentiments forts. Par exemple, la bêtise le fascine ; il veut en saisir toutes les faces, toutes les nuances. Enfin, il aime ses amis et sa famille, il leur est fidèle (il se ruinera pour sa nièce). Nous le surprenons ici dans une scène charmante et vraie.


Gustave Flaubert chez la princesse Mathilde, souvenir d'un soirée à Saint Gratien par le comte Joseph Primoli

‘‘C'est en 186..., un soir de septembre, au château de Saint-Gratien
: au rez-de-chaussée, dans la longue galerie tendue de perse verte à fleurs épanouies et multicolores, trois larges baies ouvrent sur la véranda chantée par Théophile Gautier ; de la véranda, cinq ou six marches de pierre mènent à une pelouse qui s'étend à l'infini sous le ciel étoilé.
A gauche de la porte d'entrée, deux paravents dépliés, l'un à bandes de tapisserie, pavots rouges brodés sur fond d'or, l'autre à sept feuilles de cristal, forment un petit boudoir dans l'angle de la grande pièce et révèlent ainsi le goût d'intimité de la châtelaine.
Au milieu de ce buen retiro, une table ronde, couverte d'un châle de cachemire, autour de laquelle sont assises quelques personnes. Sur la table, une lampe en porcelaine de Chine jaune, surmontée d'un large abat-jour, éclaire les journaux illustrés, revues, livres récemment offerts, albums, etc. Au bord de la table, un plateau en laque où sont étalés mille brimborions de femme, - éventail, flacon, bonbonnière en émail, ciseaux d'or, coupe-papier en jaspe, pendule microscopique, miroir, vaporisateur, un bouquet de violettes dans un vase d'argent, - et, derrière cet éventaire parfumé, assise sur un petit canapé, la Princesse.
Elle est décolletée, dans un burnous de crêpe de Chine blanc ; au cou, un rang de grosses perles noires. Des cheveux ondés aux reflets auburn sont partagés en deux bandeaux lisses, soigneusement abaissés sur les tempes et relevés au-dessus des oreilles par deux petits peignes d'écaille bordée de perles.
Ses doigts agiles travaillent à une bande de tapisserie verte piquée à la table par une grosse épingle : elle brode, avec des soies de toutes les couleurs, au gré de sa fantaisie, des oeillets panachés.
Auprès d'elle, tout contre elle, - sous son bras, blottie dans un châle de laine, grelottante, la langue dehors, - une petite ratière au poil noir, malade de vieillesse ; sur ses genoux, un fox-terrier blanc, - et, sous la table, ce sont les grognements sourds d'autres chiens qui se disputent la corbeille...
«Allons ! Phil et Mouche, vous êtes insupportables ! Vous avez chacun votre panier : taisez-vous, ou je vais.... »
Elle les gronde d'une voix qu'elle s'efforce de rendre terrible, mais où l'on sent une caresse, et malheur au courtisan trop zélé qui croirait pouvoir la prendre au mot en essayant d'exécuter la menace de la «patronne !
Au lieu de se calmer, les deux combattants se précipitent hors de leurs corbeilles : le fox-terrier saute à bas des genoux de sa maîtresse, la vieille Miss elle-même pousse un gémissement....
Toute la petite meute déchaînée entoure en aboyant une sorte de géant qui vient de se lever de son fauteuil avec fracas en rejetant un livre sur la table... C'est un colosse gaulois aux larges épaules, à la forte carrure, au visage coloré, aux épaisses moustaches retombantes, aux bons yeux clairs à fleur de tête...
Il essuie son front, son crâne luisant, ses fins cheveux bouclés par le bout et répandus sur le col... Il semble sortir d'une lutte terrible qui l'a brisé : on songe au combat de Jacob avec un ange invisible. Cette victoire mystérieuse lui vaut les félicitations de l'auditoire et provoque les aboiements de la meute jappant à ses pieds...
Il est rouge, il est violet : «une cerise à l'eau-de-vie tombée dans le feu», disait Théo. C'est Gustave Flaubert.
Il vient de lire à haute voix, de déclamer des fragments de Salammbô : la scène du serpent, l'entrevue de la fille d'Hamilcar et de Mathô.
C'est Mathô lui-même, ou plutôt c'est Frédérick-Lemaître, jouant un drame romantique. Ni ce grand artiste, ni un comique, en l'«imitant», ne saurait donner l'idée de Flaubert lisant, vociférant, chantant son oeuvre : ses yeux vert de mer lancent des éclairs, sous les sourcils noirs qui les abritent ; sa moustache se hérisse, sa poitrine se gonfle, sa main tremble et le livre qu'il tient entre ses doigts semble agité par une vague...
Et il lit, de sa voix mugissante et sonore qui vous berce, comme dit Goncourt, dans un bruit pareil à un ronronnement de bronze. Aussi, quand il sort de l'une de ces lectures, il semble sortir d'une crise...
Jamais il n'a été plus content, sa satisfaction déborde par tous les pores : «C'est vrai, dit-il, j'ai débité le dernier chapitre d'une façon qui m'a ébloui moi-même...» Et, sur les instances du groupe d'admirateurs qui le presse, il répète avec complaisance la fameuse phrase :
«Les mercenaires crurent voir au haut d'un caroubier quelque chose d'extraordinaire : une tête de lion se dressait au-dessus des feuilles».
Alors, à la voix tonitruante, à la mimique de l'artiste, on croit voir la tête de Flaubert se métamorphoser en tête de lion, dont la crinière semblait flotter sur la nuque : les chiens eux-mêmes, saisis d'épouvante, redoublent leurs vociférations et leurs hurlements, comme s'ils voulaient donner la chasse à cet animal invisible qui leur apparaît...
Les auditeurs vont au fumoir ; Flaubert reste seul avec la Princesse.
«Allons, lui dit-elle, calmez-vous... ne faites pas crier mes chiens... à quoi bon vous mettre dans cet état ?... Vous allez vous rendre malade : il faudra vous soigner... Oh ! ces hommes ! quels animaux ! Ne pourriez-vous pas lire comme tout le monde ?... Phil ! Mouche ! Soc ! Tchine ! taisez-vous ! vous êtes insupportables... Aussi vous hurlez : elles ont cru que vous me grondiez, les pauvres petites !... A vos corbeilles, mesdemoiselles !... Et vous, Flaubert, ici, près de moi, soyez sage.... Mon Dieu ! peut-on s'échauffer ainsi !...»
Et la bonne Princesse, de son fin mouchoir de dentelle, essuie le front de son vieil ami, qui s'est laissé choir auprès d'elle.
Le bon géant, ému de ces soins maternels, essaie de prendre la jolie main compatissante pour la porter à ses lèvres :
«Soyez sage et ne recommencez plus : je me ferai continuer votre bouquin par un lecteur plus raisonnable, puisque cela vous met dans un pareil état.
- Mais je me calme pour vous, Princesse, je mets une sourdine à ma voix en votre honneur : quand je suis seul, la nuit, à Croisset, dans mon gueuloir, je crie bien plus fort !
- Ce doit être beau !
- L'autre nuit, en essayant l'effet de mon dernier chapitre, ma voix a fait résonner mes plumes de fer dans ma coupe de bronze : j'ai cru qu'une veine avait éclaté dans ma poitrine ; je me suis arrêté ; je m'attendais à dégorger un flot de sang…
- Vous êtes fou ! Vous vous tuerez, à ce métier-là.
- C'est mon métier.
- Il est joli !
- Le travail, c'est encore le meilleur moyen d'escamoter la vie... Si ce n'était pour lui, pour quoi vivrais-je ?
- Vous êtes gentil pour ceux qui vous aiment.
- Oh ?... Oui, vous !... vous êtes bonne... pour tout le monde... mais pour trop de monde !
- Autant me reprocher d'être banale !
- Non, mais vous êtes à tous... vous régnez au milieu d'une cour... jamais on ne peut vous avoir à soi tout seul. C'est insupportable, et j'aurais tant de choses à vous dire ! , ajoute-t-il en soupirant.
- Vous ne m'avez jamais demandé un tête-à-tête.
- Je n'ai pas osé !
- Osez !
- Eh bien j'implore de Votre Altesse Impériale une audience particulière.
- Quand il vous plaira.
- Un soir....
- Ce soir.
- Ce soir ?
- Parfaitement.
- Où donc ?
- Ici même, dans ce salon.
- Avec tout ce monde ?
- Mais non, seul... C'est très simple : à onze heures, je congédie mes invités comme d'habitude ; vous aussi, vous faites semblant de vous retirer, et, après quelques minutes, vous revenez ici, où vous me retrouvez seule et prête à vous entendre''
[…] (Lire la fin de ce récit dans le message suivant)

Documents : la princesse Mathilde, par Franz Xaver Winterhalter, et Gustave Flaubert, par Eugène Giraud