Je découvre, dans l'introduction aux « Lettres » de l'excellent marquis Astolphe de Custine à Varnhagen d'Ense et Rael Varnhagen d'Ense, parues en 1870, ce que dit Roger Pierrot de cette créature très fréquentable : « Le salon de Rahel Levin, dans son hôtel de la Jägerstrasse […] attira de 1801 à 1806, l'élite intellectuelle berlinoise et les étrangers de passage. Évoquant […] ces années, Friedrich Gentz écrivait à Rahel qu'elle avait été "le romantisme en personne”. »
On rencontrait chez elle les frères Schlegel, le comte de Salm, le prince de Ligne et même le prince Ludwig Ferdinand de Prusse, son ami très proche. Rahel épouse Varnhagen von Ense en 1814. « Elle se convertit au luthérianisme à la fois pour ne pas nuire aux espoirs de carrière diplomatique de son mari et par attirance pour un certain christianisme mystique teinté de théosophie. Elle ne renia toutefois pas ses origines, gardant une sorte de tendresse pour le judaïsme de ses parents. ».
Elle fait la connaissance de Delphine de Custine (qui connut d'un peu près Chateaubriand, cet « épicurien à l'imagination catholique » selon Sainte-Beuve) et de son fils, Astolphe, en 1816. Leur amitié profonde, leurs curiosités respectives les entraîneront à s'écrire plus de trois cents lettres. Installée alors à Karlsruhe, elle retourne à Berlin en 1819, où elle anime un nouveau salon. Elle reçoit Alexandre de Humboldt, Heinrich Heine, Bettina von Arnim… Chez elle se forme l'esprit de la Jeune Allemagne, très inspiré par les idées légères, vives, piquantes de Paris, au contraire de Berlin, alors étouffé par « la lourde atmosphère de réaction politique et religieuse ».
Il est à noter que Custine lui-même se trouvait en état de rupture avec tous les codes de son milieu social, de la morale dominante, à une époque où ces notions voulaient dire quelque chose. Custine était homosexuel, torturé par son penchant, assailli par le remords… On ne s'étonnera donc pas de sa réelle admiration pour Rahel. Il lui consacre un précoce et bel hommage dans La Revue de Paris, en 1837. Rahel, la belle européenne, est décédée en 1834.
Voilà pourquoi je me sens rahelien.
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Document : portrait de Rahel Levin Varnhagen, par William Hensel (1822), cliché de Jörg P. Anders; Institution: bpk / Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin.
23 commentaires:
Brillant et passionnant, cher Patrick. Hier Noureev, aujourd’hui Rahel. Travail exemplaire. Vous maniez l’art du portrait avec une telle maestria et c’est un plaisir toujours renouvelé pour l’esprit que de vous lire. Les salons sont fascinants. Vous qui connaissez tant et tant, me direz-vous ? les salons existent-ils encore de nos jours ? (Je découvrai il y a peu, occupé que j’étais à « réhabiliter » ce pauvre Charles Cros, le salon de Nina de Villars.)
Et que dire du décoiffant jeu de mots de votre titre ! Bravo.
Ps : En vérité, is Rahel (!) so cute as shown on her portrait ?
On vous reconnaît bien là Cher Patrick. Epucirien et tout...
Pour info, je n'ai jamais cessé de vous lire bien que je sois très silencieuse. J'ai fait un tour sur nua.. c'est magnifique.
A très bientôt
Les dames en premier : c'est un jour béni, Euréka nous a laissé une trace affectueuse de son passage. Je redoutais son départ définitif, mais elle venait « en douce ». Qu'elle revienne vite ! Elle nous dit combien elle apprécie le blogue nuageneuf : je prédis à cette adresse rare, remarquablement tenue, un succès large et mérité. Par surcroît, son « patron » est un homme d'un exquis commerce.
Son patron, précisément, le cher JMT, me demande si Paris compte encore des salons. Sans doute, mais je ne les connais plus. Simone Gallimard recevait des gens variés, chez elle, et animait avec un charme sans pareil, les conversations.
Mais le rôle des salons littéraires, dans toute l'Europe, et jusqu'à la Russie, fut essentiel dans la circulation des idées, des formes neuves, des talents originaux. Il faudra que nous abordions ce beau sujet quelque jour.
Yes, my dear, Rahel was so cute as shown here : an amazing grace…
Il me semble bien, même si (souvent) j'ai la mémoire qui flanche, vous aviez déjà fait un éloge passionné de la dame qui décidément emporte vos faveurs Patrick !
Eurêka est de retour ! Une autre dame de coeur.
Chère Corinne, ce que vous dites est peut-être vrai, car je m'étais plongé dans la correspondance Custine-Rahel, après qu'Arte avait donné cette émission, dont je n'avais vu, alors, qu'un trop court extrait. Le souvenir de cette femme, que j'avais oubliée, m'est alors revenu, intact de l'admiration que j'avais éprouvée pour elle, bien des années auparavant.
À ce sujet, il faudrait que j'organise les archives du blogue.
Cher Patrick, j'ai remonté le temps dans votre espace virtuel afin d'y retrouver Rahel, mais il est si riche, il y a tant ! Je reste persuadée de l'y avoir déjà rencontrée..
Rien
si ce n'est un petit lien
http://avignon.midiblogs.com/media/02/02/4210881625.jpg
Chère Corinne, votre mémoire est infaillible, en voici la preuve : dans le fil de l'article "Le bout de la route” (Tous les garçons…, jeudi 5 novembre 2009), à la fin du message n° 7, j'ai écrit ce qui suit, en écorchant l'orthographe du nom de Rahel :
« J'ai momentanément retiré l'article que j'ai consacré à Rahel von Ense, lequel apparemment ne vous avait pas «accrochés». Mais je reviendrai prochainement à cette femme, dont j'ai redécouvert l'intrépidité, le cœur et la vive intelligence. (5 novembre 2009 23:48).
J'ai tenu parole, en modifiant quelque peu l'article initial, dont j'avais conservé une copie. Bravo, B.B. !
Thé, votre lien m'a conduit à une impressionnante photographie de la tombe de Madame de Rambaud, d'abord chargée de bercer le Dauphin, qu'elle crut identifier, plus tard, sous les traits du fameux Naundorf. Elle apparaît dans les souvenirs de Cléry, valet de chambre de Louis XVI, que les plus républicains d'entre vous liront avec agacement.
Cela dit, Thé, je n'ai pas bien compris le message que vous m'adressiez, en me faisant parvenir ce document : auriez-vous vu ma fin prochaine dans le marc de café ? dénoncez-vous le royaliste qui s'ignore en moi ? me promettez-vous un raccourcissement du col, à la manière de Louis XVI ?
Erratum : Madame de Rambeaud, comme il est écrit sur sa tombe.
Madame de Rambeaud. Bon, faudrait m'expliquer un peu, là ! Je m'y perds dans cette avalanche de patronymes inconnus. Rambo était donc marié ? ou bien est-ce Rimbaud ?
Je vais militer pour l'ouverture du "Salon de Patrick", vu la pléiade de déesses qui l'entoure ! Amitiés à tous, et surtout à toutes.
Arthur Rambo, poète et boxeur hollywoodien fameux. À l'apogée de sa gloire, il pouvait abriter un village vietnamien entier sous ses pectoraux.
Non, rien de tel.
La photo m'a plu.
Enveloppée de mystère.
La tombe aurait convenu à Rahel.
Sinon, oui, il est écrit Rambeaud, mais c'est Rambaud, bien sûr. (de même Aramond et non Aramon). L'orthographe était un peu virevoltante en ces temps.
Bonjour, on peut lire, si ce n'est déjà fait, "la Russie en 1839", du marquis de Custine, l'ouvrage qui nous l'a fait connaitre, toujours d'actualité.
L'article que vous évoquiez il y a peu, est-il prévu pour paraître chez Tous les garçons ou plutôt dans la prochaine livraison de Causeur ? (on notera une impatience certaine dans cette question !)
Cher JM, l'article, relatif à la « culpabilité » de la France paraîtra dans Causeur-papier. Vous réagirez, bien sûr, les unes et les autres, et, sans doute, ne serez-vous pas d'accord, mais n'oubliez pas, je vous en prie, que j'écris à visage découvert, que je veux me libérer de toute hypocrisie, et que je ne prétends nullement à la vérité. J'avance par nécessité, je tombe par imprudence, je me relève par curiosité.
Et je sais, à regret, en grimaçant, reconnaitre mes torts.
Impossible de répondre quoi que ce soit à votre message si vibrant, si sensé, cher Patrick. Votre verbe est une félicité.
Vous êtes une belle âme, PM.
Je vous le dis sans ironie.
Je vous le dis un peu loin, ne voulant m'immiscer dans ce qui est le cercle de vos amis.
Que vous soutenez contre vents et marées.
Moi, j'avoue que je ne peux pas.
Ai-je tord ? Je ne sais
«Je vous le dis un peu loin, ne voulant m'immiscer dans ce qui est le cercle de vos amis.
Que vous soutenez contre vents et marées.
Moi, j'avoue que je ne peux pas.»
Réponse : je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de votre message.
Vous ne voulez pas vous immiscer dans le cercle de mes amis : mais je ne vous le demande pas !
Je soutiens mes amis ; c'est un principe sacré.
Enfin, vous dites que vous ne pouvez pas ; mais que ne pouvez-vous pas ? Soutenir mes amis ? Qui vous le demande ? Vous immiscer dans le cercle de mes amis ? Je ne vous le demande nullement !
Je ne comprends pas ce que vous voulez me faire entendre.
Oui, j'ai bien compris que c'était, pour vous, un principe sacré, ce pour quoi je vous "félicite".
Je ne peuxle faire, les soutenir contre vents et marées ;certains, si ; mais c'est loin d'être le cas de tous.
T'es anonyme ou Thé au citron !
Vous étiez beaucoup plus claire, lorsque vous me faisiez connaître votre détestation !
En effet !
Je ne sais ce qui se passe mais sur votre blog je souffre d'éjaculation précoce ; il m'est quasi impossible de signer.
thé
PS Le mot à taper est "giclant" ; vous l'avez fait exprès ?
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