dimanche 7 novembre 2010

Pour saluer Mr PM

Mr PM est venu se joindre à nous, et cela nous fait grand plaisir. Pour l'accueillir, nous lui offrons la lecture d'une lettre de Hunter S. Thompson, journaliste, écrivain, créateur du mouvement dit gonzo, à son ami, l'illustrateur Ralph Steadman. Ce dernier a donné un style graphique aux années soixante et soixante-dix. Doué d'une grande culture et d'une folle énergie créatrice, doublée d'un sens très anglais du merveilleux, Steadman a sa place parmi les grands. Je possède, de lui, I Leonardo, dédicacé, mais ne parviens pas à mettre la main sur ce chef d'œuvre !

Ralph Steadman, donc, s'inquiète sérieusement pour son fils, lequel paraît dériver vers les techniques et produits hallucinatoires. Ami attentif et dévoué, mas toujours sérieusement gonzo, Hunter S. Thompson se fend d'une réponse puissante, quelque chose de sérieux. C'est à la fois hilarant et redoutable.
Du journalisme et des journaliste, il disait ceci : « Journalism is not a profession or a trade. It is a cheap catch-all for fuckoffs and misfits – a false doorway to the backside of life, a filthy piss-ridden little hole nailed off by the building inspector, but just deep enough for a wino to curl up from the sidewalk and masturbate like a chimp in a zoo-cage […]», ce que l'on pourrait traduire ainsi : «Le journalisme n'est pas une profession, ni un métier. C'est un attrape-couillon à deux balles pour branleurs et autres ratés, un leurre qui prétend révéler ce qui se cache derrière les apparences, un trou d'évacuation dégueulasse, rongé par la pisse et condamné par les services de l'hygiène, mais tout de même assez profond pour qu'un poivrot s'y blotisse, et s'y livre à la masturbation, tel un chimpanzé dans sa cage.» (Toute meilleure traduction est bienvenue).

Hunter S. Thompson a fini par se loger une balle dans la tête, en 2005. C'était un type bien ; désespéré, mais vraiment bien, un ami fidèle, et un véritable éducateur…
Goûtez ce pur moment de plaisir cruel : de la limaille de fer dans une plume d'oie. Un délice !

»Cher Ralph,

J'ai reçu ta tragique missive sur ton féroce sniffeur de colle de fils et je l'ai lue en prenant mon petit déjeuner à 4h30 du matin dans un fast-food Waffle House en bordure de Mobile Bay [...]. Et j'en suis venu à cette conclusion : envoie le petit enfoiré cinglé en Australie. On peut lui trouver un boulot de gardien de moutons quelque part au fin fond de la cambrousse, et cela le remettra dans le droit chemin à coup sûr ; ou du moins ça le tiendra occupé. L'Angleterre n'est pas l'endroit qu'il faut pour un gamin qui veut briser des vitres. Car il a raison, bien sûr. Il devrait le faire. Quiconque grandit aujourd'hui en Angleterre sans un profond besoin de fracasser des fenêtres est sans doute trop bête pour qu'on lui vienne en aide.
[ ... ] Mon propre fils, Dieu merci, est un garçon calme et rationnel qui en ce moment même remplit ses demandes d'inscription à Yale, Tufts, Bennington et autres établissements élitistes de la côte Est... et ce qu'il m'a coûté jusqu'à présent, c'est une ponction diabolique d'une dizaine de milliers de dollars par an, rien que pour le tenir à l'écart de la rue et loin de ces fichues fenêtres...
Combien coûtent-elles vraiment, Ralph? Quand je les fracassais, elles étaient à 55 dollars pièce - même celles du genre grande baie vitrée mais aujourd'hui elles sont sans doute dans les 300 dollars. Ce qui est bon marché, quand on y réfléchit. Un gamin féroce avec un bon bras pourrait bousiller une trentaine de baies vitrées par an et ça te coûterait toujours moins de 10.000 dollars l'année. Est-ce exact? Mes chiffres sont- ils corrects? Oui. En effet. Si Juan fracassait 30 grandes fenêtres par an, j'économiserais encore 1000 dollars.
Alors, envoie-moi le gamin, Ralph - en même temps qu'un chèque certifié de 10.000 dollars -, et je le transformerai en machine à profit ambulante. Vraiment! Envoie-moi tous les petits salauds de rosbifs que tu pourras rassembler. On peut faire du business en ce domaine. Balanceles simplement ici par Airbus avec un chèque de 10.000 dollars pour chacun, et après ça tu pourras te remettre la conscience tranquille à ton boulot dégueulasse et destructeur.
Le Premier ministre est bel et bien une truie dénaturée, Ralph, et tu devrais bel et bien cogner dessus comme sur un gong. Dessine d'horribles caricatures de la garce, et vends- les pour beaucoup de dollars au «Times» et à «Private Eye»... mais ne viens pas pleurnicher quand ton propre fils se met dans la tête de briser des fenêtres.

As-tu jamais lancé une brique à travers une grande baie vitrée, Ralph? Ça fait un fichu bruit merveilleux, et les gens à l'intérieur courent comme des rats dans un incendie dévastateur. C'est amusant, Ralph, et, quel que soit le prix, c'est donné. Que crois-tu que nous ayons fait pendant toutes ces années? Crois-tu qu'on te payait pour ton fichu art débile? Non, Ralph. On te payait pour bousiller les fenêtres. Et c'est un art en soi. L'astuce, c'est d'être payé pour ça.

Comment? Allô? Ralph, tu es toujours là? Espèce de fumier hypocrite et larmoyant. Si ton fils avait tes instincts, il tirerait sur le Premier ministre, au lieu de simplement fracasser les fenêtres. Es-tu prêt à ça? Que vas-tu ressentir quand tu te réveilleras un de ces matins et allumeras la télé à Old Loose Court juste à temps pour capter un bulletin d'information t'apprenant que le Premier ministre vient de se faire tirer dans le gésier à Piccadilly Circus... puis un quelconque petit malin de la BBC arrive avec des images exclusives du sale fêlé qui a fait le coup, et il se révèle que c'est ton propre fils?
Pense bien à ça, Ralph, et ne viens plus m'ennuyer avec tes petits problèmes. Envoie-moi simplement le gamin. [ ... ] Les enfants sont comme les postes de télé ; quand ils commencent à déconner, on les baffe entre les deux yeux avec une chaussure de basket en caoutchouc. [ ... ] Je crois que tu sais ce que je veux dire. C'est ce qui arrive quand le fils d'un célèbre artiste anglais apparaît à la télé avec un fusil d'assaut dans les mains et le corps encore pantelant du Premier ministre à ses pieds... Tu ne peux même pas échapper à ça, Ralph - et encore moins te cacher, alors si tu penses que c'est vraiment une possibilité, tout ce que je peux te conseiller, c'est de faire provision de whisky et de codéine. Ca te maintiendra suffisamment à la masse pour encaisser le choc quand ce petit freak rendu fou par la colle, aux propos incohérents, commettra finalement l'acte...
La publicité qui s'ensuivra sera un cauchemar. Mais ne t'inquiète pas - tes amis seront derrière toi. Je prendrai à Denver un de ces vols passant par le pôle et serai là huit heures après que ce soit arrivé. Nous tiendrons une méga-conférence de presse dans le lobby du Brown's Hotel. Ne dis rien jusqu'à ce que j'arrive. Ne revendique même pas de lien de parenté avec le gamin. Ne dis rien. Je parlerai à la presse - ce qui, après tout, est mon métier.

Ton copain»

(Traduit de l'américain par Jean-Paul Mourlon)
 ©Hunter S. Thompson Estate


Et ce petit film, où l'on voit Ralph Steadman, imitant son copain Hunter S., fameux entre tous :

8 commentaires:

Tanya a dit…

Dear Patrick! Come to Colorado and we will take you to Aspen and have a champagne in the historic bar of Hotel Jerome - the favorite watering hole of the great Hunter Thomson!

Patrick Mandon a dit…

Darling Lady T., Tim, Joe and you, are always on my mind. I discovered the gonzo a long time ago, and I loved it. My favourite writer was Hunter S. T. With him, reality was seen threw a broken glass.
And, hear that, darling T. : I own the book "I Leonard” (Moi Léonard de Vinci), dedicated by Ralph Steadman.
But, hélas ! I never met Hunter S. in paris.
Huge kisses to all of you.

Pat Caza a dit…

brillant ce texte, merci de nous le présenter

Anonyme a dit…

Jubilatoire. Malgré un récent petit coup de froid, la truie dénaturée a toujours bon pied bon oeil et compte bien nous enterrer tous. Sinon rien ne change, on prend toujours dans le lobby du Brown's les plus sublimes high teas de Londres. Il est plus que temps que vous traversiez le Channel, Paris est totally out, après quelques sandwiches sans croûte concombre/roquette et un pot d'Earl grey, les choses prennent un aspect plus aimable. voire fantasque. Qui sait, Hunter y fourbit peut être encore un pavé fantomatique à balancer sur quelque marquise ?

J.M.Théaux a dit…

Cher Patrick,

Désolé, ça n'a rien à voir.
- Juste à vous dire ma déception de ne pas trouver votre signature dans la livraison de Causeur reçu au courrier de ce matin.
Amitiés.

Patrick Mandon a dit…

C'est aimable à vous, cher JM, mais tout est de ma faute. En voulant traiter le sujet proposé, je crois bien que j'ai raté ma cible.
Ce sera pour la prochaine fois.
Au fait, Jean-Michel, si vous vouliez nous donner un article sur Paul Celan, que vous aimez tant, nous serions très heureux de l'accueillir ici. Cela est trop peu connu, et mérite notre admiration.

J.M.Théaux a dit…

C'est un peu le monde à l'envers, cher Patrick ! Moi qui souhaitais (sans savoir comment oser vous le dire) vous solliciter pour un article sur Nuageneuf - votre écriture m'enthousiasme à chaque mot - voilà que vous me proposez de parler de Celan !
Je vous remercie vivement pour cette confiance plus qu'attentionnée dont j'espère pouvoir être digne. L'exercice est périlleux, car tellement sensible.... Bref, je vais essayer.
Amitiés alentour.

Mr. PM a dit…

Cadeau de bienvenue très apprécié et choix très judicieux, vu que j'hésite précisément entre futur casseur de vitre ou futur postulant sup de co. Je ne connaissais pas du tout Steadman, mais à propos de Thompson, j'aurais aimer tout comme vous le rencontrer.

C'est toujours un plaisir de passer par ici.

(ps : avez vous pu écouter la chanson de Bertrand Louis glissée dans le fil de l'article "le tremblant des vitrines?")